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I*aris. — Imprimerie Lahure, rue de Kleurus, 9. NOUVELLE iEOGRAPHIE UNIVERSELLE LA TERRE ET LES HOMMES PAU Ce " c ELISÉE RECLUS XYI LES ÉTATS-UNIS CONTENAIT USE G RAM DE CARTE DES ÉTATS-UNIS, 4 CARTES EN COULEUR 194 QA1TIS IMTBBQALBBS DANS LB TIXTB ET 65 VUES OU TYPES GRAVES SUR BOIS PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET C" 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 1892 DraiU d« traduction «t im r*produ«lion réMr*4«. NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE LIVRE XVI LES ÉTATS-UNIS CHAPITRE PREMIER VUE D'ENSEMBLE I ETENDUE, STRUCTURE, DIVISIONS NATURELLES. La partie de l'Amérique septentrionale comprise entre la Puissance du Canada au nord et le Mexique au sud-ouest n'a pas de nom géogra- phique spécial et ne saurait en avoir, car elle forme un tout inséparable avec les contrées limitrophes. L'appellation purement politique servant à la désigner, « États-Unis d'Amérique » (United States of America), pour- rait être d'ailleurs également revendiquée par la république Mexicaine. Dans le langage ordinaire, on se borne même à comprendre l'ensemble du territoire sous le terme « États-Unis » (United States), ou simple- ment « Étals » (States), comme s'il n'existait pas d'autres puissances auxquelles ce titre pût convenir. Toutefois il n'y a point de confusion possible entre ces États-Unis et les autres confédérations qui existent dans le reste du monde : l'étendue territoriale, le nombre des habi- xn 1 2 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. tants, l'activité du travail leur donnent un rang si élevé, qu'on peut se borner simplement à les nommer sans craindre de méprise. Le mot « Amérique », employé seul, sans qualificatif spécial, se comprend éga- lement, de New York à San Francisco, et même dans la Puissance du Canada, comme s'appliquant par excellence à l'ensemble de la république anglo-saxonne : on oublie que les autres États du double continent ont un même droit au titre appartenant à l'ensemble du Nouveau Monde. Le citoyen des États-Unis se dit American et s'étonnerait que le Canadien, le Guatémaltèque, le Porteno prissent la même qualification en s'entrete- nant avec lui. Du reste, les États-Unis, pendant la courte période, à peine séculaire, qui s'est écoulée depuis l'entrée des « Américains » dans le concert des nations indépendantes, ont tellement grandi, que le nom du pays s'est appliqué successivement à des espaces géographiques très différents en étendue. En 1776, lorsque les provinces rebelles proclamèrent leur indé- pendance, les « États-Unis », au nombre de treize, du New Hampshire à la Géorgie, bordaient le rivage de l'Atlantique et ne dépassaient à l'ouest les chaînes des Appalaches que pour atteindre les bords des deux grands lacs Erie et Ontario et les forêts riveraines de l'Ohio. La lutte se trou- vait presque exclusivement limitée à la partie des contrées littorales comprises entre la baie de Boston et l'entrée de la Chesapeake. Le terri- toire de la puissance nouvelle pouvait alors être évalué à un million de kilomètres carrés, au huitième environ du domaine actuel, non compris l'Alaska. En 1782, le traité de paix qui reconnaissait l'indépendance des États-Unis accrut notablement la superficie de la région détachée de l'em- pire colonial britannique, puisque la cession comprenait non seulement les domaines occupés déjà par les blancs, mais aussi plusieurs pays de l'ouest encore au pouvoir des Indiens chasseurs. Au nord, la limite officielle était fixée au cours de la rivière Sainte-Croix (Saint Croix), qui de nos jours est encore la ligne de division entre le New Brunswick canadien et la république nord-américaine. Au sud, la zone du littoral cédée par la Grande-Bretagne était bornée par le territoire des deux Florides, alors appartenant aux Espagnols. Mais, en dehors des points fixés spécialement par le traité, le bornage du territoire circonscrit restait fort incertain. Ainsi la frontière du nord, séparant la république nouvelle des provinces cana- diennes, fidèles à la couronne britannique, n'avait pu être régulièrement délimitée dans toute sa longueur, puisqu'elle traversait des pays mal explorés : on admettait toutefois qu'au delà du lac Supérieur et du lac des Bois (lake ofthe Woods) elle atteignait la vallée du Mississippi en aval INDÉPENDANCE ET ACCROISSEMENT DES ÉTATS-UNIS. 3 de son origine. Conformément à celle hypothèse, il avait été stipulé que le fil médian du fleuve bornerait le territoire des États-Unis dans toute sa partie occidentale jusqu'au 51e degré de latitude, où commençait la Louisiane. L'espace concédé par l'Angleterre comprenait environ 1 050 000 kilomètres carrés : il faisait plus que doubler la surface des contrées réellement occupées par des colons. En 1803, l'étendue territoriale constituant le domaine des États-Unis doubla une deuxième fois par la cession de la Louisiane, à laquelle le gouvernement de la France consentit pour une somme de 80 millions de francs. Il est vra^ que sous ce nom de « Louisiane » les deux parties con- tractantes ne s'imaginaient qu'un espace indéfini, sans limites précises, puisque ce terme géographique s'appliquait d'une manière générale à toute la partie du versant mississippien à l'ouest du fleuve et aux « Montagnes de Roche » jusqu'à l'océan Pacifique; mais si vagues que fussent les interprétations, elles n'en mettaient pas moins un terme à tout conflit de limites entre la France et les États-Unis et donnaient à cette dernière puis- sance, déjà maîtresse du littoral atlantique, l'espoir de s'établir un jour sur les côtes du Grand Océan. Des publicistes ont souvent signalé comme un crime politique la cession de la Louisiane par la France à la répu- blique nord-américaine; mais quels qu'aient été le mobile et les visées des négociateurs, il est certain que, vendue ou abandonnée, la Louisiane pouvait être considérée d'avance comme perdue pour les Français : il ne devait leur rester que la gloire de l'avoir découverte. N'ayant colonisé qu'un seul point de quelque importance, la région du littoral autour de la Nouvelle-Orléans et de Mobile, comment auraient-ils pu résister à la pression d'un groupe d'États comprenant à cette époque déjà plus de six millions d'habitants, et quelle aide la poignée de colons français pouvait- elle attendre de la mère patrie, alors dépourvue de flottes, coupée de toutes communications avec le reste du monde? Malgré l'ancienneté de ses droits d'occupation et le point d'appui que lui donnait la possession de Cuba, l'Espagne dut céder à la même nécessité politique lorsque, en 1819, elle fit abandon de la péninsule floridienne moyennant une indem- nité de 5 millions de piastres. Désormais la république nord-américaine possédait toute la côte septentrionale du golfe Mexicain et sa porte d'en- trée, en face de la Havane. L'interprétation des traités conclus avec la Grande-Bretagne contribua également à augmenter le territoire des États-Unis : le sort ne pouvait manquer de favoriser celle des deux puissances dont le domaine s'accroît spontanément pour ainsi dire par la colonisation, et à laquelle il suffit 4 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. d'attendre pour que les faits accomplis lui donnent raison. Ainsi en 1842, l'État américain du Maine s'annexa, jusque dans le voisinage immédiat du Saint-Laurent, le haut bassin de la rivière Saint-Jean (Saint John), que le sens primitif des traités accordait certainement au Canada, disent les Anglais. De même en 1846, la frontière que le traité de 1782 avait arrêtée au delà du lac des Bois, dans la dépression- médiane du continent, fut prolongée en ligne droite par le 49e degré de latitude jusqu'à l'océan Paci- fique, de manière à donner aux États-Unis le cours inférieur de la Colum- bia et tout le bassin de la rivière du Serpent (Snake River), quoique la découverte de ces contrées eût été faite par des voyageur^ canadiens, aux gages d'une société anglaise dépendante de la Compagnie de Hudson, et que Vancouver eût formellement pris possession de toute la côte au nom de l'Angleterre, après avoir exploré le détroit Juan de Fuca et le golfe de Puget. D'autre part, la première traversée du seuil périlleux qui barre la Columbia et qu'avait déjà reconnu l'Espagnol Heceta en 1775, était due au navigateur bostonien Gray, voyageant en 1792 sous pavillon américain : c'est lui qui nomma définitivement le fleuve jadis désigné sur les cartes par l'appellation de San Roque. Les diplomates de la Grande-Bretagne abandonnèrent ce territoire contesté. Il ne restait qu'un point douteux, celui de savoir à quel État devait appartenir le petit archipel de San- Juan, situé entre l'île anglaise de Vancouver et le continent : en 1872, une décision arbitrale de l'empereur d'Allemagne résolut le litige en faveur des États-Unis. Les empiétements de la république anglo-américaine sur les terres de ses voisins du Sud, les États mexicains, ont été bien autrement considé- rables, à la fois par l'étendue et par la valeur des régions annexées. En 1835, un premier lambeau, le vaste territoire du Texas, était arraché au Mexique, et constitué en république indépendante par les planteurs amé- ricains qui y avaient émigré avec leurs esclaves. Dix années après ils réussissaient à faire entrer leur État dans l'Union nord-américaine, substituée comme suzeraine au Mexique, et à déchaîner ainsi la guerre entre les deux républiques limitrophes. L'inégalité des forces était trop grande pour que le Mexique pût résister longtemps et, en 1848, le traité de Guadalupe Hidalgo assurait aux États-Unis la possession du Nouveau- Mexique, des versants du Colorado, du plateau d'Utah et de la Californie. Même cette énorme acquisition, dont les conquérants eux-mêmes ne con- naissaient pas le prix et qui leur donnait plus de 1000 kilomètres de rivage sur l'océan Pacifique, ne leur parut pas suffisante, et cinq années après ils achetaient au sud de la rivière Gila une autre bande du territoire ACCROISSEMENT DU TERRITOIRE DES ETATS-UNIS. 5 meiicain, qu'ils disaient leur être indispensable pour la construction future d'un chemin de fer : en effet, une des voies ferrées transcontinen- tales des États-Unis passe dans ce territoire dit jadis « de Gadsden » d'après son acheteur, ou de la Mesilla d'après un de ses districts occiden- taux, et partagé de nos jours entre l 'Arizona et le New Mexico. Depuis ces grandes acquisitions du côté du Mexique, les États-Unis n'ont 1 FUIUUCE HOkD-lrtBIODlE. CZ P-w-™ uf>t«.lftO . GD Territoire cédé par la Grande-Bretagne aux Colo C^LouldanelBOJ ■flwide.IBO ^Te.as.1845 O Partie du Te>aa cédée par ■ Uoiy MpctntrônbL 1B4S EH3 Dr=Éon, 1546 »^ N. M ej lu,. Californie.! 648 EJnia! point empiété sur les territoires limitrophes du nord et du sud et n'ont poinl annexé les terres des Antilles, que leur attribuaient tant de fausses prophéties; mais, à l'extrémité nord-occidentale du continent, une autre contrée de dimensions immenses, et d'ailleurs presque inconnue, s'est ajoutée en 1867 par voie d'achat à leur empire territorial : c'est l'Alaska, l'ancienne Amérique Russe, vendue un peu plus de 1 millions de piastres par son maître le tsar de toutes les Russies. La possession de cette vaste région de forêts, de montagnes, de toundras et de glaces n'a eu jusqu'à 6 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. nos jours aucune importance économique; mais, aux yeux de nombreux politiciens, la vente de l'Alaska a été considérée comme la reconnaissance par la Russie du principe de la suzeraineté des États-Unis sur le conti- nent américain , et surtout comme un avertissement à l'adresse de la Grande-Bretagne, encore suzeraine de la Puissance du Canada. L'Alaska ajoute environ 1500000 kilomètres carrés à la superficie territoriale des États-Unis, dont la masse principale, grand quadrilatère compris entre les deux Océans, le Canada, le golfe et le plateau du Mexique, em- brasse déjà une étendue de 7 838 000 kilomètres carrés, soit quinze fois la surface de la France, plus des trois quarts de l'Europe, environ la dix-septième partie des régions continentales1. On peut dire de l'ensemble des États-Unis ce qu'on dit maintenant de l'Alaska, que l'annexion, pacifique ou violente, des diverses régions qui les composent s'eèt faite bien avant que ces pays fussent explorés ou connus dans les traits généraux de leur géographie. L'homme a dû se hâter pour mettre cette partie de l'Amérique du Nord au même niveau que l'Europe quant à l'étude scientifique du sol et du climat : dix générations ne se sont pas écoulées depuis que les premiers blancs policés se sont établis sur les terres qui sont devenues le domaine de la république Américaine. On sait que les navigateurs normands reconnurent en l'an 1000 les côtes du Vinland ou « pays de la Vigne » , terre américaine que les premiers commentateurs, Rafn, Kohi, d'Avezac, croyaient être le Massachusetts et qui tout au moins devait se trouver au sud du Saint-Laurent. D'autres visites eurent lieu probablement après la découverte, mais l'histoire de ces temps est trop mêlée de légendes pour qu'il en ressorte aucun fait certain : l'existence dans ces parages de terres boisées et habitées est le seul fait géographique mis hors de doute par les voyageurs normands. Les premières explorations faites le long des côtes et dans le territoire 1 Accroissements successifs du territoire des États-Unis, évalués approximativement : Colonies originaires, sans le Trans-Alleghanies 1 000 000 kil. carrés Territoire cédé par la Grande-Bretagne en 1782 1040 000 » Louisiane, achetée à la France en 1803 2 575 000 » Floride » à l'Espagne en 1819 153 500 » Maine septentrional, cédé par l'Angleterre en 1842 .... 28 500 » Territoire de l'Orégon » » en 1846 . . . . 520 000 » Texas, annexé en 1845 710 550 » Nouveau-Mexique et Californie, cédés par le Mexique en 1848. 1 760 240 » Territoire de la Mesilla, acheté au Mexique en 1853. ... 46 500 » Alaska, acheté à la Russie en 1867 1495 380 » Archipel de San-Juan, cédé par l'Angleterre en 1872 . . . 1 690 » Ensemble 9 531 360 kil. carrés. EXPLORATION DU TERRITOIRE DES ÉTATS-UNIS. 7 actuel des États-Unis après les découvertes décisives des Colomb et des Cabot, eut du moins l'avantage immense de donner un corps aux vagues conceptions des géographes; mais elles nous sont connues d'une façon trop sommaire et les noms de lieux sont trop peu reconnaissables pour qu'il soit possible de tracer les itinéraires avec précision. Les expéditions que dirigèrent Ponce de Léon, Vasquez de Ayllon, Pamphilo de Narvaez 5* î. — LITTORAL DE LA NOUVELLE ANGLETERRE, D'APRES LUONI. JQO ja# J, Y*. A'« ac-simile partiel de la carte de Lucînï publ'éc en 4631 l?)dap. dés documents hollandais C. Perron dans la Floride, puis Fernando de Solo et Moscoso jusqu'au Mississippi, traversèrent les forêts, les prairies, les marécages par des chemins restés inconnus : la description générale de la contrée permet seulement d'affir- mer que le passage du Mississippi se fit près de l'endroit où se trouve aujourd'hui la villette d'Helena, au nord du confluent de la White River et de l'Arkansas1. Du moins, dès l'année 1542 les rivages occidentaux de la contrée désignée aujourd'hui du nom de Californie étaient-ils reconnus John W. Monette, fhstory ofthe Diicovery and Seulement ofthe Valley oflhe Mississippi. 8 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. par Gabrillo jusqu'au cap Mendocino, et Ton pouvait désormais repré- senter sur les mappemondes les régions tempérées de l'Amérique du Nord avec des contours peu différents de la réalité. Quant au trait capital de la géographie des terres intérieures, les explorateurs du Canada le tracèrent en remontant la chaîne des lacs, puis en suivant le cours du Mississippi jusqu'à son embouchure dans le golfe du Mexique : c'est à la fin du dix-septième siècle que furent dessinées les premières cartes qui repré- sentent d'une manière approximative la ramure hydrologique centrale de l'Amérique du Nord. Des cartes de détail d'une précision beaucoup plus grande et levées par des arpenteurs figuraient les contrées voisines des établissements français du Saint-Laurent. La carte du lac Cham- plain, dressée par Anger en 1748, n'est guère inférieure aux cartes de mêmes dimensions que les Américains publient de nos jours sur le même bassin. Le peuplement des côtes atlantiques par les colons anglais et hollandais fit aussi connaître d'une manière de plus en plus exacte les contours du rivage et les traits géographiques de la région côtière jusqu'aux monts du système appalachien. Dès l'année 1642, le gouvernement du Massachusetts confiait à deux « mathématiciens » le soin de marquer la frontière du ter- ritoire qui lui était concédé. Puis les expéditions de guerre contre les Français et leurs alliés indigènes firent connaître les régions d'outre-monts jusqu'aux Grands Lacs, et lorsque la guerre de l'Indépendance fut terminée, le mouvement rapide de la colonisation dans la vallée de l'Ohio et vers le Mississippi donna lieu à un immense travail d'opérations cadastrales, que résumèrent bientôt les cartes géographiques. Au commencement du siècle, les Américains, devenus possesseurs des immenses territoires de la Loui- siane, poussaient leurs cultures et leurs explorations au delà du grand fleuve. En 1804, Lewis et Clarke, Reprenant une entreprise déjà projetée trente années auparavant par Carver et Whitworth1, remontèrent jusqu'à la région des sources la rivière du Missouri, franchirent les passes des montagnes Rocheuses pour redescendre dans le bassin de la Columbia et suivirent ce fleuve jusqu'à son embouchure, déjà découverte par Gray douze années plus tôt. C'est là qu'ils établirent leurs campements d'hiver, pour revenir l'année suivante par une voie nouvelle dans les campagnes mississippiennes. Leur voyage démontra la possibilité de construire une route à travers les solitudes du Grand Ouest ; toutefois plus d'un demi- siècle devait s'écouler avant que les voyageurs apprissent à franchir ces 1 Washington Irving, Astoria, Entreprise beyond the Rocky Mountain*. EXPLORATION DU TERRITOIRE DES ÉTATS-UNIS 9 montagnes et ces plateaux autrement que par des pistes péniblement frayées dans les rochers et les sables. Lewis et Glarke eurent pour l'exploration du Grand Ouest de nombreux successeurs, et vers le milieu du siècle l'ensemble orographique de ces régions si tourmentées était connu dans ses traits primordiaux. F remont, d'après lequel un des pics les plus hauts des Rocheuses a été désigné, explora, entre les années 1842 et 1846, de nombreux passages dans les 40 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. montagnes comprises entre le Colorado et la Golumbia ; Slansbury visait surtout le plateau d'Utah, ses lacs et ses déserts ; majs l'étude méthodique de la contrée ne commença qu'après la guerre du Mexique et la cession de la Californie aux États-Unis : les Américains étaient pressés de recon- naître les étendues immenses dont ils étaient devenus les heureux posses- seurs. Dès l'année 1853 s'inauguraient les expéditions scientifiques à la recherche des meilleurs lieux de passage pour un chemin de fer trans- continental, et à cette recherche d'ordre économique s'ajoutaient les études sur la géologie et l'hydrologie, sur l'histoire naturelle, les fossiles, les antiquités, les tribus locales et leurs migrations. L'œuvre immense, l'exploration de tous les territoires situés le long du 40e degré de latitude, à l'ouest du Mississippi, et spécialement du 100e degré de longitude, est poursuivie à grands frais par les divers « départements scientifiques » aux ministères de la guerre et de l'intérieur et par les délégués de la société Smithsonienne; le département de l'État (State departmenl) eut aussi ses agents particuliers. En outre, une « Exploration géologique générale » des États-Unis commençait en 1867 par l'étude de l'État nouvellement orga- nisé de Nebraska et s'est continuée depuis. Malgré la différence de l'orga- nisation matérielle et du personnel, malgré les conflits d'attribution entre les ministères, ou les corps dirigeants, le travail n'en a pas moins pro- gressé dans son ensemble et a fait naître une prodigieuse collection de documents, classés avec méthode et formant sans aucun doute la biblio- thèque spéciale la plus riche qui existe au monde : les noms de Whipple, Marcou, Emory, Hayden, Meek, Leidy, Wheeler, Gilbert, King, Emmons, Hague, Powell, sont associés à cette œuvre et lui doivent en grande partie leur illustration. La carte générale, au 253 440 millième, du Trans- Mississippi, en 143 feuilles, subdivisées chacune en quatre parties, est plus d'à moitié faite et contient le résumé des milliers d'explorations faites dans la contrée; en outre, d'innombrables cartes de détail, à échelles diverses, sont ajoutées et s'ajoutent d'année en année aux collections existantes. Quoique les États cis-mississippiens soient le domaine sablonneuse 53 560 )> RIVAGES, CLIMAT DES ETATS-UNIS. 27 correspondantes des deux mondes, l'une réunissant en faisceau les prin- cipales lignes européennes d'émigration, l'autre formant le nœud de di- vergence pour les voies de peuplement qui rayonnent dans l'intérieur des États-Unis, l'écart de latitude entre les deux grands ports n'est plus que de 12*42'; quant à la différence de la température moyenne, elle n'est que très faiblement en faveur de la ville la plus rapprochée de la ïone torride1. Si les chaleurs de l'été sont beaucoup plus élevées à New York que dans la cité britannique, d'autre part les froids y sont toujours plus rigoureux ; l'influence des courants atmosphériques et maritimes de 0„e5l c(e IW IV «fil lâB» / \ 50 iÊÉk ■ ' ■C1) ' '^'"QaZZ / s® \V3 *ljz^ ^"^\^ M ^O^ 30- ~JÊr IBO" _Ç.P*r™n l'Océan, qui se portent régulièrement du sud-ouest au nord-est, élève et égalise à la fois la température des côtes occidentales de l'Europe. Le mouvement des eaux et des vents, suivant une direction oblique à tra- vers l'Atlantique du nord, n'est autre chose, d'une manière générale, que la translation du climat de l'Amérique vers les latitudes plus hautes de l'Europe; de là l'extrême importance des pronostics de tempêtes et de cyclones que les météorologistes du Nouveau Monde annoncent un ou deux jours d'avance a ceux de l'Ancien. Ainsi le passage de l'Europe à l'Amé- rique est facilité par le climat malgré la différence des latitudes. Sans doute le déplacement d'une rive à l'autre ne se fait jamais sans quelques ' Régime annuel de la température à Lirerpoo) et à New- York : Uïm«ki1 New-Yoi RB* SI' liL nord). (*0» «' lit. i Isothermes 10°,3 11° Température de juillet. . 16°,9 23",! I de janvier . 4° ,8 — 1° Écart i «■**■. 0°,7 28 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. périls pour la santé, mais ces périls sont moindres que pour tonte autre expatriation à grande distance : le climat, plus extrême aux États-Unis, est aussi plus sec, plus inconstant, plus « bourru » ; cependant l'Anglais peut réellement se croire chez lui dans la Nouvelle-Angleterre; le Français retrouvait dans l'Ohio une rivière de sa patrie, et les terres du Nouveau- Mexique et de la Californie n'étaient-elles pas pour l'Espagne une autre Gastille et une autre Andalousie? D'après Gannett1, le point central d'oscil- lation pour la température des États-Unis serait de 11°,6, celle de la basse Loire entre Tours et Saint-Nazaire. La population s'est groupée en plus grand nombre précisément dans la zone des États-Unis qui correspond le mieux à l'Europe occidentale, c'est-à-dire entre les isothermes de 10 et de 13 degrés et les isohyètes de 75 à 125 centimètres. Dans l'intérieur des terres il n'y a point d'obstacles naturels qui rompent l'unité géographique de la contrée dans le sens du nord au sud. Les mon- tagnes Appalaches et Rocheuses, orientées dans le même sens que le litto- ral le plus rapproché, ne pouvaient empêcher ni retarder le peuplement dans le sens du méridien entre la région des Grands Lacs et le golfe du Mexique. Dans le bassin du Mississippi, les émigrants n'avaient même qu'à suivre le (il du courant pour essaimer dans toute la contrée, des sources aux embouchures du grand fleuve. Cette forme générale du relief a donné au territoire une remarquable unité géographique : les transi- tions du climat, celles de la flore et de la faune, se font insensiblement de latitude en latitude. Les plus grands contrastes ont lieu dans la direction de l'est à l'ouest. Ainsi les colonies anglaises sont restées cantonnées pendant un siècle et demi sur l'étroit versant de l'Atlantique, et la tra- versée des Appalaches, celle des forêts qui en recouvraient les longues pentes occidentales, furent une œuvre des plus laborieuses. De même les voyageurs eurent grande difficulté à franchir les montagnes Rocheuses. De l'est à l'ouest, les zones climatiques sont indiquées par l'aspect du sol et des flores spéciales : aux marais du littoral atlantique succèdent les mon- tagnes et leurs grands bois ; puis au delà des forêts viennent les prairies parsemées de bouquets d'arbres, suivies de mers d'herbes, de steppes et finalement de régions arides, même de déserts. Les plateaux salins, les monts neigeux forment une autre zone que suit l'admirable vallée cali- fornienne. Ainsi, c'est dans le sens du nord au sud que le territoire a le plus son caractère d'unité, et c'est de l'est à l'ouest qu'il présente sa plus grande diversité. La contrée n'a pu devenir une dans cette direction que 1 Cetuiu Bulletin, n' 33. CLIMAT ET PEUPLEMENT DES ÉTATS-UNIS. 39 grâce aux populations errantes. Les migrations et les exodes des Indiens se faisaient autrefois à travers tout le continent, des bords du Puget Sound aui côtes de l'Atlantique, comme se font aujourd'hui les voyages des Anglo-Américains par leurs bateaui à vapeur et leurs voies ferrées '. D est donc nécessaire d'embrasser l'ensemble des États-Unis dans l'ex- ea osa 'ttMj>/or* Aww iïUm-64» posé général de leur histoire, depuis tes origines indiennes jusqu'à celles de la population moderne, composée d'immigrants blancs et noirs ; mais aux points de vue spéciaux du relief et des eaux courantes, de la géologie, du climat et de l'histoire naturelle, il paraît convenable de décrire le territoire suivant ses trois grandes divisions normales, Appalaches, Missis- ' Grandes régions des Étals -Unis : . Papal, en 1890 Densité Superficie par TenuU. Superficie par Etals. (née Indieui). kilométr. Appabcbes 900000 kil. carrés. i 104 385 kil. carrés. 25 520 000 hab. 23 hab. Esùssippi, UcsetGolfe. i 785 980 » 3 523 381 i> 34 120 000 » 9,7 .... 2150000 » 3208214 » 3080000 l 0,9 .... 1 495 380 i) 1 495 380 » 30 000 . 0.02 s. . . . 9 551 MO LU. carrés. 62 750 000 hab. 6,7 hab. 50 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. sippi, Rocheuses. Toutefois les limites conventionnelles données à ces trois régions par les frontières des États ne concordent guère avec les traits de partage indiqués par la nature : ce sont pour la plupart des lignes fixées par ordre du Congrès, suivant les degrés de latitude et de longitude, même avant l'exploration préliminaire de la contrée* CHAPITRE II HABITANTS PRIMITIFS L'homme est certainement très ancien sur le territoire actuel des États- Unis. Les trouvailles qu'on a faites prouvent qu'il fut le contemporain des pachydermes et des chevaux préhistoriques. Dans le Missouri, le squelette d'un mastodonte découvert par Koch au fond d'un marais était entouré de flèches en silex et d'autres projectiles en pierre, qu'on lui avait sans doute lancés, et de gros tas de cendres entassés à côté de l'animal ont fait présu- mer que des feux allumés dans la fondrière où il était tombé avaient été le moyen suprême de le mettre à mort1. En Californie, en Louisiane, on a trouvé également plusieurs objets travaillés, mêlés à des os de grands pachydermes. Les graviers où les orpailleurs cherchent des pépites datent des âges quaternaires, et l'on peut dire avec certitude que l'homme californien vivait à cette époque, car ces terrains renferment en beaucoup d'endroits des instruments en pierre : on y a recueilli même quelques fragments d'os humains. La pioche a rencontré des outils en silex repo- sant sur la couche du fond, à des dizaines de mètres au-dessous de la surface du sol primitif : on en a découvert jusque dans des coulées de basalte. Le bruit s'était même répandu qu'un crâne d'homme aurait été découvert sur le versant occidental de la Sierra Nevada, dans le comté de Calaveras,en plein terrain tertiaire, sous plusieurs lits de lave*; toutefois aucun observateur n'a vu ce crâne dans la roche : le mineur qui le montra disait l'avoir trouvé dans une mine de Bald Mountain, près d'Altaville, à 40 mètres de profondeur, mais le trou est resté toujours inondé depuis cette époque. D'après Jeffries Wyman, ce crâne se rap- 1 Dana, American Journal of Science and Arts, May 1875; —De Nadaillac, L'Amérique pré- historique; — Erail Schmidt, Spuren des Menschen in Nord-Amerika. * Whitaey, The Tertiary Aun ferons Grounds. 52 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. proche du type esquimau : il paraît être assez moderne, et la croûte solide qui le recouvre contient une coquille terrestre, très commune dans les rivières du pays1. Quoi qu'il en soit, l'extrême antiquité de l'homme est bien prouvée, puisqu'il était le contemporain des grands animaux qui vivaient avant la dernière période glaciaire. Les recherches patientes faites par Abbott dans les dépôts glaciaires de Trenton, entre New York et Phi- ladelphie, paraissent établir que des aborigènes vivaient sur les bords du Delaware avant la dernière invasion des glaces du nord. En cet endroit, trois civilisations, révélées par les instruments de pierre, se sont succédé comme les alluvions d'un fleuve. Les plus anciens objets paléolithiques, attribués à des populations ayant le même genre de vie et appartenant probablement à la même race que les Eskimaux contemporains, se trouvent dans les couches de sable et de gravier, tout différents des outils de fabri- cation comparativement modernes et séparés d'eux par un lit de débris glaciaires, avec roches striées et polies : même un des instruments a été rayé par les glaces*. L'ancienneté des peuples pécheurs est aussi bien attestée que celle des tribus de chasseurs. Les débris de cuisine que l'on trouve en maintes ré- gions du littoral, sur le Pacifique aussi bien que sur l'Atlantique, et sur les bords des rivières à marée, sont formés presque entièrement de coquil- lages, — d'où leur nom anglais de $hell-mound$y — et par conséquent ils ont dû être entassés par des pêcheurs. Très longue a été la durée de leur séjour, à en juger par les énormes dimensions des amas de coquilles, fort épais et longs de centaines ou même de milliers de mètres : il en est, aux environs de Baltimore, que l'on emploie pour fondre le minerai de fer et que l'on exploite pour la réparation des routes sans avoir pu encore les épuiser; en Floride, ce sont les buttes les plus élevées du littoral, hautes de 10 et même de 12 mètres. L'âge de ces couches est très reculé, puis- qu'on n'y a point découvert d'outils en fer ni en autre métal : les objets qu'on y a trouvés sont des poteries grossières et des instruments en silex, en corne et surtout en os. D'autre part, ces restes des festins préhisto- riques ne remontent pas aux âges quaternaires, puisque les ossements qu'on y a recueillis appartiennent à des espèces contemporaines ou qui existaient encore lors de la découverte de l'Amérique; telle Yalca impennis. On y a reconnu également les restes du chien domestique. Si les débris de cuisine témoignent du séjour de l'homme en Amé- rique à des âges très reculés, les buttes et tombelles, que l'on retrouve * Jules llarcou, Bulletin de la Société Géologique de France, séance du 16 avril 1883. * Abbott, Primitive Indmtry; Peabody Muséum, 1876 and 1878;— De Nadaillac, ouvrage cité. ANCIENNETÉ DES POPULATIONS AMÉRICAINES. 35 dans presque toutes les régions des États-Unis actuels, indiquent une période de civilisation déjà assez avancée. Quoique les agriculteurs en aient nivelé des milliers avec le sol, il en reste d'autres milliers. La vallée de l'Ohio, le bassin du bas Missouri sont parmi les contrées où les constructeurs de buttes, les moundbuilden, élevèrent ces monticules en plus grand nombre : dans le seul État d'Ohio, on en compte dii nulle' ; le Yazoo devait son nom indien de « Vieilles Ruines » aux innom- brables mottes de ses bords ; de même Saint-Louis est appelé Mound City à cause des monticules qui s'élevaient autrefois sur l'emplacement occupé par la ville. On en voit au nord jusque dans la région canadienne de la 1 0. C. Marsh, Anrienl Sepvkhral Mound near iïcwark, Ohio. 34 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. rivière Rouge du Winnipeg, au sud jusque sur les bords des bayous louisianais; il s'en trouve également à l'ouest, par delà les montagnes Rocheuses, à Test sur le littoral atlantique, dans la Floride et même dans les îles de son pourtour. La hauteur de ces buttes, presque toutes rectan- gulaires, varie de 2 à 50 mètres, et la plupart s'élèvent au bord des cours d'eau. Mais, outre les simples monticules pyramidaux, coniques, oblongs ou octogonaux, outre les terrasses carrées des régions maréca- geuses, qui portaient des demeures isolées ou des villages, il existe aussi des mound*, et en nombre considérable, dont la forme est beaucoup plus complexe et qui recouvrent une vaste étendue de terrain. Il en est qui furent évidemment des forteresses, avec enceintes de défense, chemins tournants, tranchées, passages couverts et souterrains, se prolongeant même au-dessous du lit des rivières ; quelques-uns de ces camps retranchés enferment un espace énorme, jusqu'à 10 kilomètres carrés1. Fort Ancient, près de Moorehead, dans l'Ohio, était un village fortiOé qui aurait pu donner asile à 35 000 individus. Les fouilles des archéologues ont également révélé que, parmi les buttes dressées par les Indiens de cette époque, plusieurs sont des tertres funéraires comme ceux des anciens habitants des Gaules, de la Thrace, de la Scythie. Enfin, le symbolisme patriotique et religieux a certainement déterminé la forme des nombreux ouvrages en terre dont le profil représente des otem* ou ani- maux protecteurs, ours, élans ou panthères, tortues ou lézards, hérons ou grenouilles : on les trouve dans tous les États de l'Ouest, et principalement dans le Wisconsin. Un de ces tertres figure un homme; d'autres rappellent la forme du mastodonte; l'un d'eux en montre toute une procession, monstres se suivant en file indienne. Dans l'État d'Ohio, et sur les bords du Brush Creek, un tertre, de forme unique dans le Nouveau Monde et sans analogue dans l'Ancien, représente un serpent gracieusement ondulé et roulant sa queue en un triple tour de spirale : il a la bouche ouverte et tient entre ses dents un œuf d'une centaine de mètres de circonfé- rence; de la tête à la queue de l'animal, la distance dépasse 300 mètres. Les indigènes, oublieux des anciens constructeurs du tertre, regardaient le serpent symbolique comme l'œuvre d'un grand manitou ; les savants qui s'occupent de l'origine des religions y voient un des monuments les plus curieux légués aux générations actuelles par les hommes du passé. Dans les terres fréquemment inondées, les buttes, fort hautes, mais de construc- 1 Ch. Whittlesey, Ancient Monuments of the Mississippi Valley. * Et non totem : voir Cuoq, Études philologiques sur quelques langues sauvages de V Amérique. CONSTRUCTEURS DE BUTTES. 35 lion moins bizarre, n'étaient probablement que des lieux de refuge pendant les crues; elles sont recouvertes maintenant d'un bouquet de grands arbres. En voguant sur le Mississippi on les aperçoit de loin, élevant un cône de verdure au-dessus de la ligne uniforme des forêts. Les principaux objets de l'industrie contenus dans les buttes des États- Unis sont des os taillés ou perforés, des instruments en silex, des sifflets d'enfants, des poupées, des décorations de guerriers, des coquillages gravés, des poteries revêtues de couleurs qui se ternissent rapidement à l'air. Comme les tertres eux-mêmes, ces vases représentent des animaux divers; il en est qui figurent des hommes. Les pipes se retrouvent dans toutes les buttes, les unes en terre cuite ou séchée, les autres en pierre dore, même en porphyre, et modelées de mille façons qui témoignent de l'imagination artistique des anciens constructeurs de buttes. Ceux-ci, comme les mangeurs de mollusques, ne connaissaient pas le fer, mais ils possédaient un métal, le cuivre, provenant des gisements de métal natif qui se trouvent sur les bords du lac Supérieur, dans la péninsule de Keweenaw et dans l'Isle-Royale. On a découvert les anciennes mines avec leurs galeries de soutènement, à demi cachées par la terre végétale où sont nées des forêts : les hacjies et les couteaux détachés des blocs de métal gisent encore dans ces excavations antiques. Les archéologues ont reconnu parfaitement quels étaient les moyens employés par les mineurs de l'Isle- Royale pour détacher le cuivre de son gisement natif1. Après avoir débar- rassé la roche de tous les débris qui la couvraient, ils y allumaient un grand feu et soudain refroidissaient la couche de métal en y jetant de l'eau froide. La pierre devenait ainsi plus cassante et ils pouvaient en déta- cher de gros fragments en la frappant de leurs masses. D'ailleurs, ils ne savaient point fondre le cuivre : tous les instruments qu'on a trouvés étaient en métal battu. C'est grâce aux sels de cuivre qui les impré- gnaient que les tissus déposés dans les tombeaux ont pu se conserver. Les premiers explorateurs des tertres américains, frappés de la diffé- rence de civilisation que présentait la vie des moundbuilden avec celle des Indiens de nos jours, étaient portés à croire que les deux races d'hommes étaient complètement différentes et que la première disparut par voie d'extermination. De même que les géologues s'imaginaient dans le passé une série de cataclysmes ayant successivement renouvelé les roches, les flores et les faunes, de même les ethnologistes étaient enclins à ne voir dans l'histoire de l'humanité qu'une suite de révolutions, inter- 1 Ch. Whittlesey, Smithsonian Contributions to Knowledge, vol. XIII, 1863. 56 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. rompant soudain la filiation des races. Au contraire, la plupart des savants modernes sont disposés à reconnaître chez les aborigènes améri- cains la continuité des éléments ethniques et n'admettent nullement que les moundbuilden aient été supérieurs aux Indiens contemporains de Jacques Cartier par les industries et la civilisation '. Déjà Nott et Gliddon, les savants auteurs de Types of Mankind, considéraient les « construc- teurs de buttes » comme les ancêtres des Peaux-Rouges qui habitent actuellement l'Amérique du Nord. Cependant la durée des siècles pendant laquelle s'est maintenue la civilisation de l'âge des buttes peut avoir été fort longue, et plusieurs nations successives y ont peut-être participé1. Nombre de buttes fouillées par les archéologues doivent être fort an- ciennes, puisque les ossements humains qu'on y trouve sont presque entièrement délités; du moins les restes d'animaux, même sous les tertres de la plus haute antiquité, appartiennent tous à des espèces vivant actuel- lement dans la contrée ou des contrées voisines et prouvent que le climat était à cette époque le même que de nos jours3. Enfin, n'y a-t-il pas une transition graduelle dans le mode d'architecture des buttes de l'Ohio, pyramides à quatre faces et à degrés,* et les vraies pyramides en briques sèches que l'on rencontre dans le Nouveau-Mexique et F Arizona, et dont le type parfait est fourni par les temples des Aztèques et des Maya, dans l'Anahuac et le Yucatan*? Les monticules de l'Illinois et du Missouri s'appuient sur des murs en adobes, comme ceux des édifices de l'Anahuac; certains coquillages gravés sont absolument aztèques par le dessin 6. D'ailleurs, même dans le bassin du haut Mississippi, les témoignages historiques modernes constatent que la construction des buttes se maintint encore pendant quelque temps après l'arrivée des Eu- ropéens dans le pays. Les Creeks étaient des moundbuilden; de même les Seminoles de la Floride, les Cherokees de la Géorgie, les Natchez du Mississippi ; les Iroquois des Lacs, les Appalachiens, habitant des contrées couvertes de forêts épaisses, n'élevaient point de buttes, mais construi- saient de très fortes palissades au moyen de pieux et de branches reliées par des cordes en écorce. En quelques tertres de POhio on a retrouvé des restes de l'industrie européenne; une butte des Cherokees, dans le haut bassin de l'Alabama, contient des objets en cuivre travaillés par les 1 Holmes; — Powell; — Carr; — Thomas; — Brin ton, etc. * Friedrich von Hellwald, Métallurgie des Menschen. 3 0. C. Marsh, mémoire cité. 4 De Nadaillac, Société d'Anthropologie, séance du 17 février 1887. 5 Holmes, Art in Shell, Transactions of the Ânthropological Society of Washington, vol. II. CONSTRUCTEURS DE BUTTES, AGRICULTEURS INDIGÈNES. 37 Espagnols ' : ces buttes avaient donc été construites ou remaniées au sei- zième siècle. Gomment s'étonner qu'il y ait eu décadence depuis cette époque? Refoulées les unes sur les autres par l'invasion des blancs, les tribus devaient abandonner les arts de la paix et s'enfoncer plus avant dans la sauvagerie des guerres et des massacres. À l'époque où des populations de pécheurs habitaient les rivages de l'Atlantique, où des tribus agricoles occupaient certaines parties de l'inté- rieur, dans les bassins fertiles de l'Ohio, du Missouri et du bas Missis- sippi, les Indiens de l'Amérique du Nord étaient probablement plus nom- breux que ne les trouvèrent les Européens, il y a quatre siècles. D'après Bancrofl, la partie de l'Amérique septentrionale comprise entre les Grands Lacs, le Saint-Laurent, l'Atlantique, le golfe du Mexique et les montagnes Rocheuses, n'aurait pas contenu plus de trois cent mille Indiens. C'est bien peu pour un territoire aussi vaste ; mais le raisonnement et les faits his- toriques connus justifient cette évaluation. A l'époque de la découverte, les Peaux-Rouges cis-mississippiens les plus civilisés, du moins ceux qui * vivaient au nord de l'Ohio, ne connaissaient qu'une agriculture rudimen- taire. Les Illinois « faisaient du bled d'Inde, la plupart trois fois Tannée, et tous des melons d'eau pour se rafraîchir pendant les chaleurs* ». Les Iroquois, les Hurons, les Algonquins du littoral et autres peuplades semi- sédentaires avaient aussi de petits défrichements autour de leurs cabanes. Les nations agricoles du sud, telles que les Appalachiens, les Cherokees et les Natchez, qui vivaient dans les hautes combes des Appalaches méridio- nales, dans la vallée du Mississippi et notamment dans la partie voisine du golfe Mexicain, possédaient même un arbre fruitier, prunus Chickasaw, que l'on ne retrouve plus à l'état sauvage, mais seulement dans les anciennes clairières de cultures abandonnées par les Indiens3. Les Choctaws, « nation de paysans », aidaient même leurs femmes dans le travail des champs. Si ces diverses populations agricoles avaient pu jouir en paix de leurs cultures, l'espace ne leur aurait pas manqué et les plaines auraient pu se peupler de millions et de millions d'hommes ; mais ces tribus, attachées à la terre, étaient par cela même plus facilement dominées ; un pouvoir solide de chefs et de prêtres, constitué au-dessus d'elles, les tenait fort à l'étroit, pour les « protéger » contre les attaques des chasseurs, et à l'époque où les blancs firent leur apparition dans le pays, ces peuplades étaient pour la plupart en décroissance. De vastes territoires étaient 1 Cynts Thomas, Smithtonian Institution, Bureau of Ethnology, 1889. * Joliet, cité par 6. Gravier, Revue de Géographie, février 4880. 1 Daniel G. Brinton, Notes on the Floridian Peninsula. 58 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. déserts. Fréquemment des voyageurs firent de longs trajets à travers les forêts sans voir les moindres traces d'habitations humaines. Quant à la phase pastorale, que les historiens de l'Ancien Monde, ignorant les condi- tions de l'Amérique, croyaient être un 'état Sociologique nécessaire entre la civilisation des chasseurs et celle des agriculteurs, elle n'a point existé dans l'Amérique du Nord. Les Indiens n'avaient domestiqué ni les bisons des prairies ni les chèvres des Rocheuses. Pour les tribus errantes de la plupart des Peaux-Rouges, les forêts immenses, les savanes, les plaines marécageuses n'étaient qu'un territoire de guerre ou de chasse, et de grands espaces complètement inhabités séparaient les domaines aux limites changeantes que parcouraient les peuplades ennemies. D'après Lubbock, la proportion normale du gibier sur lequel un peuple chasseur prélève annuellement son existence doit être évaluée au nombre de 750 animaux par homme, se renouvelant d'année en année par le croît naturel1. Ainsi les tribus devaient rester en guerre et se décimer incessamment pour épargner le gibier; la vie du fauve était plus précieuse que celle de l'homme étranger. Jamais, au plus * beau temps de leur gloire, les nations des Iroquois, Cherokees, Creeks, Choctaws ou Odjibways* n'eurent chacune plus de quatre ou cinq mille guerriers ; les confédérations indiennes les plus puissantes n'étaient pas plus considérables que les grands clans d'Ecosse. D'après le témoignage des premiers colons, l'ensemble des aborigènes de la Nouvelle-Angleterre comprenait au plus 20 000 personnes. En ajoutant à la population indienne du littoral atlantique et du bassin mississippien les Peaux-Rouges, rela- tivement plus nombreux, qui jusqu'à ces derniers temps ont paisible- ment habité certaines vallées des montagnes Rocheuses et le versant du Pacifique, on arrive à cette conclusion que le nombre des indigènes dis- séminés dans le territoire actuel des États-Unis ne dépassait guère un demi-million d'hommes lors de l'arrivée des Européens sur le continent du nord de l'Amérique. Un tableau détaillé donné par Gerland* d'après les rapports des voyageurs et des missionnaires indique le chiffre de 570 000 individus au commencement du dix-septième siècle comme se rapprochant probablement de la vérité. Les Indiens des diverses tribus nord-américaines ont entre eux une ressemblance très grande, et l'on a souvent cité à ce propos la parole 1 Evans, Ancient Stone ImplemenU ofGreat-Britain. ■ Pour l'orthographe des noms propres des tribus indiennes, la forme anglo-américaine, si défec- tueuse qu'elle soit, est imposée par l'usage. » Petermann'ê Mittheilungen, 1879, Heft V. PEAUX-ROUGES. 39 d'UUoa disant au dernier siècle que « lorsqu'on a vu un Indien, on les a vus tous ». Toutefois c'est là une forte exagération, et certes les Indiens eux-mêmes reconnaissent nettement tous les contrastes d'aspect et d'al- lures qui distinguent les gens de peuplades différentes. Cependant il est vrai que le type général de l'Indien présente une grande uniformité d'un bout à l'autre de l'Union, et en mainte circonstance c'est par le langage seulement que l'on arrive à déterminer, sinon la race, du moins le groupe ethnique auquel appartiennent les individus actuellement observés. La couleur qui a valu aux indigènes de l'Amérique du Nord le nom de « Peaux-Rouges » commence par être jaune chez l'enfant; elle ne rougit que peu à peu : par conséquent, dit Manouvrier, les races rouges ne dif- fèrent pas essentiellement des races jaunes, au moins quant à la couleur de la peau, et pourraient être considérées, à ce point de vue, comme des races asiatiques transformées. Chez les enfants indiens op constate en outre ces « yeux bridés » que l'on donne comme une caractéristique du type mongol, et ce fait apporterait un autre argument à l'hypothèse d'une des- cendance commune des populations qui vivent à l'est et à l'ouest du Paci- fique septentrional1. Toutefois les différences entre les types mongol et nord-américain sont bien marquées à d'autres égards et l'on sait que les langues contrastent absolument par le mode de formation. D'après Volney1, les Miami, parmi lesquels il séjourna, étaient aussi blancs que lui, et la couleur rougeâtre qu'ils acquéraient graduellement, et qui d'ailleurs était beaucoup plus estimée que la peau de nuance claire, n'aurait été due qu'à leur habitude de vivre au grand air, hâlés par le soleil, le « père de la couleur ». Chez d'autres tribus, notamment les Diggers ou « Fouisseurs » californiens, le teint est presque noir'. La forme des crânes américains diffère. La plupart des Peaux-Rouges ont des têtes larges; mais il en est aussi qui sont très dolichocéphales : en aucun pays les extrêmes entre les dimensions des boîtes osseuses ne pré- sentent plus d'écart4. Suivant le lieu d'origine, l'homme du Nouveau Monde contraste également par la capacité de l'encéphale. D'après Morton et Aitken, la moyenne pour tous les Indiens serait de 1376 centimètres cubes, mais quelques tribus de Peaux-Rouges ont des crânes de dimen- sions étonnantes. Pour les Odjibways et les Potawatomees, la moyenne de la capacité crânienne dépasse 1492 centimètres cubes, d'après Morton. La 1 L. Manouvrier, Soàété d'Anthropologie, séance du 16 avril 1885. * Tableau du climat et du toi de$ ÊtaU-Unti. » Ftower, Nature, May 20, 1880. 4 Retàus, Ethnologische Sckriften; — De Nadaillac, L Amérique préhistorique. 40 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. moyenne de sept crânes chinook d'hommes adultes, que possède le Collège of Surgeons à Londres, est de 1589 centimètres cubes, volume de beau- coup supérieur à la moyenne des Français et des Anglais : pour un crâne d'un squelette du Tennessee, on a trouvé le chiffre prodigieux de 1825 centimètres cubes1. Sans doute il se peut que ces crânes soient exceptionnels et que la cavité normale des boîtes osseuses soit moindre dans l'ensemble de la population aborigène des États-Unis, mais il est certain que les têtes de quelques tribus indiennes sont de proportions étonnantes. Or les crânes des Mexicains et des Péruviens civilisés sont très petits en comparaison, — de 1339 et de 1234 centimètres cubes : — con- traste qui parut d'abord contradictoire, car oh se demandait comment les sauvages des forêts américaines pouvaient être supérieurs par la puissance cérébrale aux habitants relativement policés des hauts plateaux. Pour- tant, s'il est vrai que les capacités crâniennes soient réellement l'indice ordinaire d'une plus grande force intellectuelle, il est certain que les sauvages de l'Amérique du Nord, luttant si âprement pour l'existence journalière, doivent avoir l'esprit beaucoup plus tendu-, l'initiative beau- coup plus agissante que les pauvres Quichua, de tout temps dressés à la servitude5. Dans beaucoup de monticules funéraires les crânes sont tré- panés : en enlevant la chevelure, les scalpeurs prenaient aussi un morceau de l'os crânien. Si ce n'est dans les tribus avachies par la débauche et l'ivrognerie, comme il en est plusieurs sur les plateaux d'Utah et dans les campagnes californiennes, la plupart des Indiens sont de haute taille et de forte musculature. Sur 381 Iroquois qui s'enrôlèrent dans l'armée fédérale pen- dant la guerre de Sécession, et qui d'ailleurs étaient certainement parmi les plus forts et les plus grands de leur race, la moyenne de la taille s'éle- vait à lm,73 : c'est à peu près la proportion des Anglais de Galloway3. Les rares survivants des Seminoles dans la péninsule de Floride sont aussi supérieurs en stature à leurs voisins de race blanche ou noire. Walter Raleigh parle des sauvages qu'il avait rencontrés en Virginie comme de « monstres gigantesques ». Quoique très forts et adroits, les indigènes ont, à vigueur égale, une apparence moins robuste que celle de l'Euro- péen ; on attribue cette différence à la moindre saillie des muscles : leur chevelure lisse, leurs joues rondes et quelquefois pendantes, leurs vête- ments flottants donnent un aspect de femmes à beaucoup de guerriers, 1 Lucian Carr, Slone Graves in Tennessee. 9 S. G. Morton, Crania Americana. s Topinard, Revue d'Anthropologie, 187G ; — Flower, Collège of Surgeons, Nature, May 20, 4880. r-x^gfc IVwiri iir J. 1jiï«!< ~~' ^--t.fc-"" PEAUX-ROUGES. 43 i i qui pourtant n'ont rien de féminin dans le caractère. Les Peaux-Rouges résistent mieux que les Européens aux blessures, et Ton a émis l'opinion que leurs bravades et leur simulation d'insensibilité dans les tortures leur sont réellement plus faciles qu'elles ne le seraient aux blancs. Actuellement le costume des Indiens, si ce n'est les jours d'apparat, n'est guère qu'une défroque de pauvres ; il variait précédemment suivant les contrées et le genre de vie. Les chasseurs aimaient à se vêtir de peaux de bêtes : ils portaient des robes en peau d'élan ou de bison et s'ornaient de plumes d'aigles, de queues de renard, de piquants de porcs-épi es. Les peuples agriculteurs mêlaient des étoffes aux dépouilles d'animaux ou bien s'habillaient de tissus faits avec l'écorce des arbres ou les fibres des racines. Ainsi les Seminoles de la Floride portent une blouse de coton retenue par une ceinture à la taille ; en outre, ils nouent une cra- vate à leur cou et s'enroulent autour de la tête une espèce de turban formé d'écharpes en laine 1 ; les femmes ont une longue robe et une pèlerine qui les font ressembler à des Espagnoles, et peut-être l'influence castillane eut réellement quelque part dans le costume actuel de ces tribus. La variété des coupes, des dessins et ornements faisait contraster les diverses peuplades : à la vue d'un guerrier on savait aussitôt quelle était sa nation, et les initiés comprenaient même à quelque détail, insignifiant en appa- rence, s'il venait pour la paix, le commerce ou la lutte. Les couleurs dont les hommes se peignaient le visage avaient leur signification bien con- nue et les types en changeaient dans les diverses contrées et suivant les événements, les fêtes ou les deuils. Les tatouages prenaient aussi leur sens, surtout quand ils représentaient les animaux ou autres objets sym- bolisant Totem ou le génie tu tel a ire du clan. Enfin, certaines tribus se distinguaient et se distinguent encore par la configuration que les mères donnent aux crânes des enfants. Les demeures variaient de forme, de situation, de matériaux dans les différents pays : la cabane des Alleghanies ne pouvait ressembler à celle des montagnes Rocheuses. Au milieu des forêts, les Algonquins, les Hurons se bâtissaient des hangars entourés de fortes palissades ; au bord des lacs et des marais, dans les solitudes sans arbres, ils dressaient des huttes de roseaux, parfois ils se contentaient de simples abris ; dans la plaine rase ils creusaient un trou, qu'ils recouvraient de gazon : ce genre d'habitation était absolument semblable au dug-out ou au sod-hou&e du pionnier amé- ricain. En pays de cavernes profondes, comme le Kentucky, en certaines 1 Cby Mac Cauley, Smithsonian Institution, Report ofthe Bureau of Ethnology, 1883-1884. 44 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. parties deJa Caroline du Nord et de l'Alabama, les demeures se trouvaient préparées d'avance; enfin, dans les contrées de montagnes arides décou- pées en tables distinctes et en obélisques, les populations menacées appre- naient à percher leurs constructions au sommet des falaises ou bien à les rendre inaccessibles en les entourant de parois verticales analogues à celles des montagnes voisines. Mais l'habitation par excellence des Indiens chasseurs, celle que les récits et les dessins ont fait le mieux connaître, est la tente en forme de cône érigée au milieu de la prairie. À l'époque où le bison parcourait les plaines par troupeaux de cent mille têtes, ces tentes étaient en cuir; chez les Odjibways on les construisait en « écorce de bouleau », d'où leur nom, vrigwam*, employé universellement par les blancs pour toutes les demeures indiennes ; elles sont maintenant en toile, blanches à la base, noircies par la fumée au sommet et parfois décorées de peintures bizarres. Caractère, idées et mœurs devaient varier singulièrement chez les Indiens suivant les nécessités de leur existence, comme chasseurs, pêcheurs ou cul- tivateurs du sol, mais les descriptions qui nous ont été laissées par la plu- part des écrivains se rapportent exclusivement aux Peaux-Rouges qui vivent de gibier, et c'est à tort qu'on les applique d'ordinaire à l'ensemble des populations aborigènes. Les Algonquins, les Iroquois, les Hurons, ceux qui par leurs relations pacifiques ou guerrières avec les colons français et anglais ont le plus appelé l'attention sur leur genre de vie, ont été le plus souvent décrits, et ce sont eux que l'on considère comme le type de la race. Le « dernier des Mohicans », le guerrier algonquin dont Fenimore Cooper nous a raconté les aventures imaginaires, est resté pour nous l'In- dien par excellence, et telle est la vérité de la description, que le person- nage de roman résume en effet dans sa vie les traits idéaux des tribus nomades de l'Amérique du Nord. L'œuvre du romancier américain sera « Y Iliade de la race rouge2 ». La vigilance est la qualité maîtresse de l'Indien chasseur. Il scrute l'espace, observe sur le sol la trace des pas, étudie la feuille froissée et la branche tordue, tend l'oreille aux bruits lointains, interroge sans cesse la nature ambiante et perçoit les phénomènes qui se préparent : il sait d'où viendra le vent, où se formeront les nuages, de quel côté tomberont les ondées et dans quel fourré, au bord de quelle fontaine se trouvera l'animal qu'il guette. Son esprit est toujours tendu, son imagination tou- jours féconde en ruses, sa patience toujours parfaite. Il sait se glisser sans * J. G. Kohi, Kitschi Garni. « Henri GauUieur, Éluda américaine. PEAUX-ROUGES. 45 brait dans le feuillage et sur le bois mort, tourner autour du gibier pour le sentir et ne pas en être flairé, ramper dans l'herbe pour le surprendre. Et quand toute son habileté se trouve déçue, il se résigne simplement et, sans se lasser, recommence ses patients stratagèmes. Avec l'ennemi, ou même avec 1 étranger, qui, lui aussi, peut être un ennemi, et comme le blanc Test presque toujours, il procède également en chasseur; il reste aux aguets, il cache ses sentiments sous la froide immobilité des traits : on dirait qu'il ne voit ni n'entend, mais il a bien compris et retient ce qu'il faut savoir pour repousser l'attaque ou pour la devancer. S'il finit par tomber entre les mains d'un adversaire plus fort ou plus rusé, il en prend son parti; il sent qu'il doit à lui-même, qu'il doit à sa tribu de ne pas laisser fléchir son orgueil, il brave encore ceux qui l'ont fait captif. Les anciens auteurs nous racontent comment, attaché au bûcher, il excitait les enfants et les femmes à lui lacérer les chairs, à lui taillader les membres, à le brûler à petit feu, et comment, sentant la mort venir, il entonnait son chant de guerre pour que son dernier souffle fût encore un râle d'orgueil et de mépris. Mais il y a longtemps que ces scènes atroces de torture n'ont plus lieu. Dans les guerres entre peuplades, l'Indien n'a d'autre ambition que de scalper l'ennemi, mort ou vif, pour orner sa tente de la « chevelure du vaincu » : il ne fait point de prisonniers. L'immensité des espaces à parcourir obligeait les indigènes à vivre par petits groupes : leur monde politique, se confondant avec le cercle des connaissances intimes, était fort étroit. Mais d'autant plus compacte était la solidarité entre les membres du clan et des tribus alliées. Dès l'enfance, ils avaient appris que leur vie appartenait aux frères et ils la sacrifiaient vaillamment quand l'honneur collectif l'exigeait. Dans une société soli- daire aussi étroite, où l'existence et le salut commun dépendaient du dévouement de tous à la causé publique, il ne pouvait y avoir de régime monarchique absolu comme il s'en est formé chez les populations agricoles asservies au sol. Il est impossible de traduire le mot de « roi » dans un langage , indien, car l'idée même qui répond à ce terme est absolument inconnue des Peaux-Rouges : le chef n'est autre que « le premier parmi ses égaux », le compagnon sur lequel ils comptent le plus en cas de dan- ger, soit à cause de son mérite personnel, soit pour les vertus magiques attachées à sa famille ou à son nom. Mais l'esprit de patriotisme exclusif à l'égard du clan dont ils font partie ne leur permet pas plus de com- prendre l'idée de ce république » que celle de « monarchie ». Ils tiennent à la noblesse de leur nom et de leur parenté autant qu'un lord d'Angleterre ou qu'un grand d'Espagne : l'orgueil du clan, la possession d'un otem ou 46 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. blason, la joie d'appartenir à une tribu redoutée enivrent l'Indien d'un superbe mépris pour tous ceux qui ne sont pas de son sang : le « Castor » regarde le « Cerf » avec dédain, et celui-ci exprime son dégoût en parlant du « Renard ». Le symbole choisi par chaque groupe est à la fois un signe de ralliement pour les associés et de haine pour l'étranger. L'isolement des familles unies par un même otem ne contribue pas à maintenir la pureté de l'origine : au contraire. Les membres de l'associa- tion, étant frères et sœurs, ne doivent pas se marier entre eux : dans la plupart des tribus pareille union serait considérée comme un inceste; c'est donc en dehors du clan que le jeune guerrier doit chercher son épouse, même dans quelque tribu différente par l'origine et par la langue. D'autre part, quand le groupe diminue en importance numé- rique par la maladie, par la famine ou par la guerre, il peut se reformer par l'entrée dans la grande famille d'enfants adoptifs, voire de prison- niers. Les nouveaux venus donnent à la tribu le même amour enthou- siaste, le même héroïque dévouement que ses propres fils par la chair et le sang. Il est très rare que des disputes éclatent entre membres d'un clan. Tous ces hommes orgueilleux respectent l'orgueil du prochain ; toujours équitables, ils sont en outre délicats et réservés; dans les cabanes ou les tentes qu'habitent plusieurs personnes, chacun observe exactement les distances voulues; les objets, peu nombreux, que l'Indien considère comme « siens » ne sont jamais dérangés de la place où les a laissés le possesseur. Les règles de la courtoisie, très sévères et compliquées, n'en sont pas moins suivies avec un rigoureux scrupule. Il est convenu que celui qui possède partage avec ses frères; cependant ceux-ci n'ont pas le droit de prendre sans invitation, et tels sont morts de faim dans une tente pleine de vivres plutôt que d'y toucher en l'absence du maître1. Et pourtant ces mêmes hommes, d'une probité si entière et d'une politesse si raffinée, sont aussi des gens gais, rieurs, bavards : les étran- gers qui ont eu le bonheur d'être accueillis pour la première fois en frères par ceux qu'ils avaient vus précédemment impassibles et impénétrables pendant la période de méfiance, s'étonnent en voyant la transformation extraordinaire de ces fiers guerriers. Tandis que les pionniers américains, accoutumés à pratiquer l'injustice à l'encontre des indigènes et provo- quant en retour la perfidie et la férocité, répètent le dicton : « L'Indien n'est bon que tué! » les missionnaires qui vivent au milieu d'eux, les 1 Butler, The Great Lone Land. PEAUX-ROUGES. traitants canadiens qui se marient dans leurs familles, sont les amis enthousiastes et les admirateurs des Peaux-Rouges, « les plus doux et les plus justes des hommes ». Les tribus, démoralisées par les humiliations de la défaite, de la fuite et Dessin Je Slom, J'aprïs une [ilioloRpaphir. des exils successifs, et par l'abaissement qu'entraînent les jeux de hasard, l'ivrognerie, la mendicité, n'ont plus qu'un médiocre souci de leur avenir; mais à l'époque où elles avaient encore la fierté et l'espoir, un des princi- paux soucis de la communauté était l'éducation des enfants. D'ailleurs celte éducation se faisait sans peine, grâce à l'existence en plein air et h 48 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. la simplicité de la vie. Très habiles à apprivoiser les bêtes, parce qu'ils en connaissent les habitudes et les besoins, les Indiens ne le sont pas moins à diriger les petits qui doivent les remplacer comme soutiens et défenseurs de la tribu. La première éducation physique donnée par la mère est déjà une excellente préparation au développement des qualités héroï- ques. Peut-être l'a-t-elle enfanté dans la forêt, seule, sans l'aide de matrone ou d'amie, et lui a-t-il fallu le rapporter de loin au campement à travers les marais et les collines ; peut-être même portait-elle son enfant d'un bras et de l'autre son fagot de bois ou sa récolte de fruits1 ! Mais si dure que soit sa propre existence, elle sait en faire une fort douce à son nourrisson ; elle lui prépare au moyen d'étoffes, de duvet et de mousse un berceau des plus moelleux et en même temps hygiénique, où le petit garde la disposition normale des membres et la propreté du corps, et que la mère peut transpor- ter sur son dos, au moyen de bretelles, partout où l'amène son travail. L'allaitement se prolonge pendant plus d'une année; l'enfant est déjà fort quand on le laisse aller avec les autres en dehors du village. Bien- tôt il a son arc et ses flèches ; il s'exerce à toucher la cible, il saute et gambade, essaye d'atteindre les animaux à la course ; il apprend les mœurs des bêles en les imitant ; il se glisse comme la belette, court comme le loup, se redresse comme l'ours : déjà chasseur, il prend part à de petites expéditions avec les camarades. Mais si habile, si vigoureux et si vaillant qu'il devienne, il sait bien qu'il ne pourra entrer dans l'assemblée des hommes et mériter le nom de guerrier qu'après avoir montré la force d'endurance dont il est capable. Il est donc le premier à demander l'épreuve qui fera de lui l'égal des hommes, et cette épreuve est terrible : les parents le savent bien, mais plus encore que les autres Indiens, ils veulent que leur fils, enfant de la tribu, entre avec honneur dans sa vie nouvelle de guerrier. Il n'est pas de torture à laquelle, suivant les traditions diverses et les pays, on n'ait soumis les candidats à l'épreuve de virilité : la faim prolongée, l'expo- sition du corps nu aux morsures des insectes, à la rigueur du froid et à l'ardeur du soleil, les estafilades et les blessures profondes, l'extension des membres par des poids ou des tenailles, la suspension par les cheveux ou par la peau, enfin les insultes et les outrages, telles sont les souffrances que l'on fait endurer aux candidats pendant ces jours de probation, pendant lesquels ils rêveront le « rêve de la vie », et souvent les victimes se laissent mourir plutôt que de crier grâce. Les blancs reçus par amitié 4 Henry Schoolcraft, The red Race of America. PEAUX-ROUGES. 51 ont aussi à subir leur épreuve, à se faire une « chair indienne ». Cushing, admis parmi les Zufii dans l'ordre de l'Arc, risqua fort de mourir en pas- sant des nuits, à peine habillé, au froid, au venl et à la pluie1. Des que l'adolescent a été jugé digne de prendre place parmi les hommes, au conseil ou à la guerre, il est devenu l'égal de tous, et parmi ses frères de clan pas un seul ne se permettrait de lui jeter un blâme ou une insulte pour un fait quelconque de sa conduite : il a montré qu'il était un homme, et on le considère comme tel. L'autorité collective de la tribu ne pourrait sévir qu'en des circonstances d'une gravité excep- tionnelle, alors que l'un de ses actes aurait menacé le salut public. Alors les vieillards se réunissent en conseil et leur sentence risque d'être d'autant plus dure qu'elle a de plus rares occasions de se prononcer : en cas de non-acquittement, les peines édictées sont le bannissement ou la mort. A une époque encore récente, avant-que les pratiques judiciaires et les mœurs des blancs eussent changé leur manière de penser, les indi- gènes avaient un respect absolu pour les sentences des tribunaux.' Ainsi, quand un guerrier creek était accusé d'un acte passible de la peine capitale, il ne manquait jamais de se présenter devant ses juges. L'accusation était-elle prouvée, on le condamnait à mourir après le retour de cinq soleils, puis on le renvoyait. Seul, maître de lui-même, il s'en retournait vivre ses derniers jours au milieu des siens, et quand l'heure fatale approchait, il allait prendre place au poteau de mort. Aucun Indien n'aurait eu l'infamie de souiller son otem en s'échappa ni ou en prolongeant le répit accordé par les juges. Si grande que soit leur force d'âme en face du danger ou des souffrances, les Indiens n'en restent pas moins enfants à maints égards. Ainsi le jeune homme se laisse aller à toute l'exubérance de sa joie de vivre, à toute la coquetterie naturelle de son âge. On a vu des guerriers défigurés par la petite vérole se suicider pour échapper à la honte de leur laideur. Le génie des indigènes est singulièrement inventif pour découvrir des ornements nouveaux et surprenants à leur costume, à leur chevelure; la variété des couleurs dont ils peignent leur visage est infinie ; quelquefois les peintures contrastent d'un coté de la figure à l'autre : un œil semble éteint, tandis que l'autre resplendit; une joue éclate comme un soleil et l'autre, toute noire, se confond avec les cheveux. Souvent ils changent les peintures de manière à imiter les phases de la lune dans ses apparitions successives. D'ordinaire le premier badigeon est le rouge vermillon, la couleur de la 1 Publications de la Smilhsonian Institution ; — H. Gaullieur, ouvrage cité. 52 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. joie et de la force, celle qui symbolise la race, et c'est le fond sur lequel ils reportent les autres couleurs, le jaune, le bleu avec leurs diverses nuances, en taches, en étoiles, en croix ou en barres. Du reste, chaque circonstance nouvelle amène un changement de parure, plus joyeuse ou plus sombre. L'Européen vivant au milieu des Indiens qui observent encore les anciennes modes finit par s'accoutumer si bien aux figures bizarrement coloriées de ces hommes, qu'il s'étonne de leur voir parfois le visage naturel : celui-ci prend alors un aspect spectral, analogue sans doute à celui qui a valu aux blancs la dénomination commune de « Visages Pâles1 ». Les vieillards, les femmes se peignent aussi le visage lors des fêtes solen- nelles, mais uniquement pour satisfaire aux convenances ; seuls les ado- lescents ont la passion de s'embellir par le bariolage, heureux de se faire admirer par les jeunes filles. Mais quand la femme est conquise, la vie sérieuse commence pour l'un et pour l'autre, et dans la division du tra- vail la part la plus facile n'est pas celle qui incombe à l'épouse ou aux épouses, — la polygamie n'étant aucunement défendue par les mœurs. — L'homme s'est chargé de la partie périlleuse des intérêts communs, la chasse et la guerre; il s'est aussi réservé l'action dans les conseils : il apprend à parler et s'exprime avec une éloquence imagée dont quelques exemples, transmis par les historiens, sont d'une beauté parfaite. Il peut s'occuper aussi de décorer ses armes, de peindre ou de broder ses vête- ments, mais c'est sur la femme que pèsent les gros travaux en même temps que l'entretien du ménage : elle laboure le sol, jette la semence et recueille la moisson ; elle reçoit les produits de la chasse et les utilise en entier, la chair pour la nourriture, les nerfs et les tendons pour la culture et la fabrication des engins de chasse, les os pour divers usages domestiques, les peaux pour la préparation des robes, des « bas de cuir », des mocassins. Malgré ce dur labeur, les femmes n'oublient pas la part de leurs enfants, les colliers, grelots et sifflets, les petits chariots, les poupées. L'Indien met sa fierté à bien mourir, non seulement quand une mort violente l'atteint devant l'ennemi, mais aussi quand l'âge ou la maladie le condamnent à s'éteindre sans gloire au milieu des siens. Comme l'animal blessé, il cherche quelque coin obscur pour s'endormir en paix. En mainte tribu, où la lutte pour l'existence était exceptionnellement dure à cause de l'âpreté du climat ou du manque de gibier, chez les Sioux par exemple, les vieillards étaient les premiers à demander la mort, et c'est par piété 1 J. G. Kohi, Kitachi Garni. PEAUX-ROUGES. 55 filiale que leurs propres enfants les faisaient mourir, désireux de les faire passer de ce lieu de misère dans le monde des esprits où la souffrance est inconnue. Pour des hommes qui croient fermement à la vie future, pareil meurtre était le suprême témoignage de l'affection. Chez les Indiens comme chez la plupart des peuples enfants, les cérémonies funéraires étaient accompagnées d'entretiens avec les morts et ceux-ci recevaient des pro- visions et des armes pour le grand voyage1 ; les Indiens Serpents tuaient même le cheval favori du chef et jusqu'à sa femme, pour qu'il ne fit pas la route seul sur le chemin des esprits. La mère odjibway, quand un de ses nourrissons meurt, fabrique aussitôt une poupée, qu'elle habille des vête- ments de l'enfant et qu'elle orne de la petite chevelure aimée, entremêlée de rubans : cette bizarre effigie, que la femme appelle son « chagrin », lui rappelle l'être qu'elle a perdu, elle la met dans la barcelon nette, l'as- perge des gouttes de son lait, la porte dans ses bras, la confie aux autres enfants pour la promener; elle la garde ainsi pendant des mois, même une année, jusqu'à ce que le pauvre petit mort soit considéré comme ayant assez grandi pour trouver enfin tout seul le chemin du paradis '. Mais la mort est le grand mystère ; malgré leur croyance en l'immorta- lité, les survivants n'en ont pas moins l'instinct de la vie, et quand la maladie atteint un homme jeune ou dans sa force encore, ils luttent énergiquement contre elle, cherchant à effrayer le mauvais génie qui revient de l'autre monde pour ramener des compagnons. Les sorciers se réunissent pour battre du tambour et pousser des cris. S'ils ne réus- sissent pas à chasser le fantôme et que celui-ci recueille le souffle du malade qu'il guettait, aussitôt on fait disparaître le cadavre, non par la porte, mais par un trou pratiqué dans la paroi, on éteint le feu de la cabane, puis on la démolit et l'on bat le sol pour faire disparaître jus- qu'aux traces de l'ancienne habitation; dans la nouvelle demeure, le foyer s'allume avec une étincelle vierge prise dans le brasier d'une famille en santé, et de toutes parts les consolateurs accourent pour éloigner par leurs chants et leurs récits l'idée redoutable de la mort. Le souvenir des aïeux se mêle de la manière la plus intime aux idées religieuses des Indiens : n'était-il pas naturel qu'ils regardassent vers leurs devanciers pour apprendre d'eux les mystères du monde inconnu? L'idée de la mort échappant à l'homme, la vie devait se continuer par delà le tombeau ; mais les sentiments de haine ou de crainte, d'admiration ou 1 Lewis and Clarke, Hislory of an Expédition to the sources ofthe Missouri. 1 J. G. Kohi, ouvrage cité; — fi. IL Bancroft, Native Races. 54 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. d'amour devaient se perpétuer aussi chez les survivants, et c'est ainsi que les morts étaient transformés en mauvais ou en bons génies, en protec- teurs et en démons; parfois ils devenaient les otems de la tribu : les deux mondes, le naturel et le surnaturel, se mêlaient incessamment. Toutefois cet inconnu de l'au-delà, auquel l'imagination des Peaux-Bouges faisait prendre forme, n'est qu'une faible partie du mystère des choses; ils devaient tenter d'expliquer aussi la nature environnante et, dans leur état premier d'ignorance, ils ne pouvaient le faire que par des légendes : tout prenait vie à leurs yeux, soit pour les favoriser, soit pour leur nuire. Tout être vivant, tout objet étrange, tout phénomène incompris était pour eux, comme il l'est pour tous les « primitifs », un esprit, une « médecine », c'est-à-dire une force toujours à l'œuvre pour le bien ou pour le mal. L'homme vivant, aussi bien que le mort, pouvait devenir pour l'Indien l'objet d'un culte superstitieux. Il vénérait le meda ou sorcier qui préten- dait connaître les secrets de la nature ; il vénérait aussi le brave qui ne craignait point la mort, et ce respect même explique les actes d'anthropo- phagie religieuse souvent racontés par les voyageurs : récemment encore, un chef sioux, fameux parmi les fameux, Sitting Bull ou le « Taureau Assis », ouvrit la poitrine d'officiers fédéraux tombés héroïquement dans la bataille et leur mangea le cœur, afin de nourrir sa vaillance de celle de ses ennemis. Le chasseur indien éprouve un respect analogue pour l'ours dont il a triomphé. Ainsi les Miami interdisaient aux femmes non encore mères de goûter à cette viande sacrée, et prenaient bien soin d'écarter les chiens, de peur qu'ils ne léchassent le sang de la bête ou ne se saisissent d'un os : ces restes étaient précieusement enterrés ou brûlés, et la peau de l'ours, avec le museau peint en vert, était tendue sur un poteau, autour duquel s'assemblaient les guerriers pour se rendre le défunt favo- rable dans leurs maladies et leurs entreprises4. En outre, chaque tribu avait un respect spécial pour l'animal qui lui servait d'otem et dont elle se disait la fille ; enfin le serpent mystérieux, qui se glisse sous les herbes et disparaît dans le sol, est un des êtres dont le nom est le plus souvent pro- noncé dans les chants et les légendes. Les plantes nourricières sont égale- ment vénérées : on invoque les esprits du blé, des fèves, des pois, des citrouilles. Le feu, qui cuit les viandes et qui réchauffe les frileux et les malades, reçoit aussi son offrande : le chasseur jette dans la flamme quel- ques gouttes de la graisse, quelques fibres du muscle de l'animal*. 1 Allouez, Nouvelle-France, Relation de 1655. 8 Adair, History of the North American Indians. RELIGION DES PEAUX-ROUGES. 55 Même les instruments et les armes qui ont longtemps servi sont consi- dérés comme ayant une sorte de vie et deviennent des génies domestiques. Mais les grandes cérémonies se font surtout en l'honneur des phéno- mènes de la nature, l'aro-en-ciel, la tempête, les nuages, la lumière des astres. Le peuple disparu des Natchez est un de ceux qui rattachaient avec le plus de soin les actes de leur vie à la marche réglée du soleil : le rythme même de leur existence était une longue adoration du feu. Chaque matin le grand prêtre saluait le soleil naissant au nom de son peuple, il lui tendait son calumet et lui indiquait du doigt la route, connue d'avance, qu'il espérait lui voir suivre dans le ciel. Les principales fêles des Pueblos et autres Indiens du New Mexico et de l'Arizona se font aussi en l'honneur du soleil. Chez les Têtes-Plates on lui offrait même des sacrifices sanglants : la femme la plus courageuse de la tribu offrait un morceau de sa chair, coupé à vif dans sa poitrine, et le fils du chef devait aussitôt l'imiter. Les danses, actes religieux par excellence, ont pour la plupart un caractère astronomique, et le culte du soleil se retrouve aussi dans les peintures dont les artistes indiens enluminent leurs vêtements d'apparat, les cuirs des tentes, l'écorce des arbres et les parois de rochers. Le calumet sacré, teint en bleu, que l'on empanachait de plumes multi- colores et que l'on élevait entre les combattants pour arrêter la guerre, apparaissait à tous comme l'image du ciel pur et du soleil. Présenté aux quatre vents des cieux, il traçait sur la terre l'image d'une grande croix et la rendait propice aux entreprises des hommes. Tous ces génies, toutes ces forces de la terre et des cieux se confondaient en un génie suprême et mystérieux. Le nom de Manitou, que l'on a traduit par celui de « Grand Esprit », aurait été rendu beaucoup plus exactement par celui d' « Inconnu ». Les premiers missionnaires, catholiques ou pro- lestants, qui visitèrent les tribus des Algonquins sur les bords des Grands Lacs ou dans les forêts de la Nouvelle-Angleterre, étudiaient ces hommes nouveaux avec leurs idées préconçues : les uns cherchaient dans la religion des indigènes les traces du judaïsme ou même celles d'une ancienne révélation chrétienne ; les autres n'y voyaient que l'œuvre du diable, de l'éternel tentateur, et d'avance flétrissaient les paroles et les actes des aborigènes comme autant de blasphèmes et de profanations : d'après une hypothèse haineuse, qui avait graduellement acquis presque la force d'un dogme, Satan aurait engendré les Peaux-Rouges avec des sorcières1. Néan- moins les Indiens ne le cédaient point aux puritains pour le sérieux de la 1 BurckhanU ; Grundeinann, Die EvangelUche Mission. 56 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. vie et le respect des choses surnaturelles. La vénération est un des traits dislinctifs du Peau-Rouge : aucun de ses dialectes ne possède de termes irrévérencieux à l'adresse das manitous; quand il jure, c'est à l'anglais ou au français qu'il emprunte ses mots grossiers. Lors de l'arrivée des Européens dans l'Amérique du Nord, les Indiens chasseurs avaient proba- m ma ra blement des temples comme eu ont de nos jours les Pueblos du Nouveau- Mexique ; du moins dressaient-ils des buttes sacrées, et de nos jours encore il existe des lieux saints d'oïl les Indiens occupés à quelque travail pro- fane, tels que la chasse ou la pèche, s'écartent avec respect. Des rochers d'accès difficile, des îlots au milieu des lacs, défendus par les flots et les tempêtes, étaient des endroits redoutés, que l'on considérait comme PEAUX-ROUGES CIS-MISSISSIPPIENS. 57 le séjour des génies. Tels furent le Grand ManiLoulin dans le lac Huron, le Michillimackînac et les îles Manitou dans le lac Michigan. De même que dans le bassin du Saint-Laurent, la famille de tribus la plus fortement représentée dans le territoire actuel du Cis-Mississippi était celle à laquelle les Français ont donné le nom d'Algonquins. La nation par excellence de cette famille « algique », les Lenni-Lenap ou « Hommes Pri- mitifs », demeurait sur les bords du Delaware et du Schuylkill, apparte- nant de nos jours aux États de Pennsylvanie et de New Jersey ; de très nom- breuses peuplades, qui toutes se disaient « les enfants » ou « les neveux » des Lenni-Lenap, étaient dispersées autour de la tribu principale : on les rencontrait du Labrador aux estuaires septentrionaux de la Géorgie, des bords de la Cbesapeake à la rivière des Moines, dans l'Iowa, sur un espace d'environ trois millions de kilomètres carrés : d'ailleurs cet immense domaine était partagé avec des tribus d'autres souches ethniques. Les Mie-Mac et les Etchemin ou « Gens des Canots » habitaient, au nord-est, la région des fjords avec les Abenaki ou « Peuple de l'Aurore » ; les Mas- sachusetts, les Narragansetts, les Pequod, les Mohicans, les Manhattan, et autres clans dont les noms sont restés à des États, districts ou villes de la Nouvelle-Angleterre et du New York, dominaient dans cette partie du littoral et sur les rives du Hudson. Au sud des Lenni-Lenap vivaient les Powhattan, les Accomac et les Pamlico, tandis que dans les Alleghanies les territoires de chasse, de la Caroline du Sud au Kentucky, étaient par- courus surtout par les Shawnees ou « Méridionaux ». Au sud des Grands Lacs, les Otlawas, Miamees et Potawatomees, les Illinois avec leurs sous- tribus de Kaskaskia, Cakokia, Peoria, les Saulteux ou Odjibways du lac Supérieur, les Menomonces de la baie Verte, les Mascoutin ou « Gens des Prairies » de la vallée mississippienne, les Kickapoos, Sacs (Sauks) et Renards du Wisconsin et du Trans-Mississippi étaient également des Algonquins1. La langue des Lenni-Lenap, type de la souche algique, est une de celles que l'on cite d'ordinaire en exemple des dialectes poly- synlhéliques américains, où les mots s'agglutinent en polysyllabes d'une grande longueur, chaque syllabe ayant été précédemment un mot distinct plus ou moins modiûé, et prenant son sens définitif par sa position rela- tive. La plupart des expressions indiennes qui ont passé dans les langues d'Europe proviennent de l'un ou l'autre idiome des Algonquins : tels sont 1 George Bancroft, flislory ofihe United S la le s, xn. 8 58 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. les noms de « manitou », appliqué aux forces de la nature, de « sagamore » et de « sachem », employés pour les chefs. La grande. famille des Yendat ou Wyandott, représentés au Canada par les Hurons et les Iroquois, avait aussi de vastes régions de parcours au sud des Grands Lacs. Des Hurons, chassés par leurs frères de race de la « méso- thalassie » qui est devenue de nos jours la province d'Ontario, s'étaient enfuis jusque par delà le lac Supérieur et campaient dans les bois et les prairies que visitaient également les Odjibways; d'autres s'étaient dirigés au sud vers les pays faîtiers qui séparent le versant des Grands Lacs et celui de l'Ohio : des bords de l'Erie à ceux du Mississippi, étaient éparses des familles de Hurons, d'ailleurs désignées sous les noms les plus divers. Il en existait même, peut-être depuis uiie époque éloignée, dans la Virginie littorale et dans les terres basses de la Caroline du Nord : tels les Chowan, les Nottoway, et les fameux Tuscaroras, qui plus tard devaient reprendre le chemin du nord et se joindre à la ligue des Iroquois. Ceux-ci, qui exercèrent une influence capitale dans l'histoire moderne de l'Amérique septentrionale, étaient les maîtres incontestés dans le terri- toire compris entre les montagnes Vertes, le lac Eric et la région des sources de l'Ohio, du Delaware, de la Susqûehanna ; en outre, la terreur de leur nom les faisait redouter bien au delà de leur territoire de chasse ; nombre de tribus parmi les autres races et dans la leur obéissaient à leurs ordres : ils commandaient aux peuplades de la Nouvelle-Angleterre, et lorsque William Penn pénétra dans le pays des Algonquins Delaware, ceux-ci avaient renoncé au droit de se défendre contre les exigences des Iroquois ; quoique se disant Mengwe ou « Hommes par excellence », ils avaient dû reconnaître que, en face de leurs vainqueurs, ils étaient devenus des « femmes ». Mais ce n'est pas seulement pour leurs congénères que les Iroquois étaient de redoutables ennemis : les blancs les craignaient aussi à bon droit. Occupant l'espace médiaire entre les territoires colonisés par les Français et par les Anglais, ces Indiens tenaient la balance entre les domaines des deux nations, et c'est peut-être à l'avantage de les avoir pour alliés que les Anglais durent leur triomphe définitif : traitant de puissance à puissance avec la Grande-Bretagne, ils faisaient respecter scrupuleuse- ment leur frontière marquée par la région faîtière de la Susqûehanna et le cours de l'Ohio1. La force militaire des Iroquois provenait surtout de leur constitution en une ligue de « nations », autonomes pour leur admi- nistration spéciale et solidaires pour la lutte contre l'ennemi. Les Améri- 1 A. Mondot, Histoire des Indiens des Êtals-Unis. PEAUX ROUGES CIS-MISSISSIPPIENS. 59 cains ont voulu voir dans cette ligue le modèle qui dans leur propre con- stitution donne droits égaui à chaque citoyen en particulier et à chaque Etat, comme individualités collectives. Les « cinq nations », dont les des- cendants existent encore, vivant dans la même contrée que leurs aïeux, étaient les Mohawks, Oneidas, Onondagas, Cayugas et Senecas, auxquels se joignit, en 1715, une sixième nation, celle des Tuscaroras. Aussi les noms de « Cinq » et de « Six Nations » s'appliquent également à la ligue conquérante des Iroqnois. L'appellation générale de la ligue chez les Frontière indienne de 1768. indigènes eux-mêmes était celle de Ilodenosaunie ou « Gens de la Longue Cabane », pour faire allusion à leur vie commune dans une grande con- rédération '. Les Cherokees ou le « Peuple Aimé », distincts des Algonquins et des ïendal, constituaient une souche ethnique particulière. C'étaient des mon- tagnards, vivant par centaines de groupes différents, dans les hautes vallées des Appalaches, aussi bien sur le versant oriental que sur les pentes tour- nées vers l'occident et dans les plaines du Tennessee, jusqu'aux rapides de Muscle Shoals. Habitant une des plus charmantes contrées de l'Amérique, où chaque site a ses forêts variées, ses collines, ses rochers, ses bassins ■ Lewis H. Morgan, League ofthe Ho-d(-no-*au-nec or Iroquo GO NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. fertiles, ses eaux courantes, les Cherokees étaient une des populations indiennes les mieux fixées au sol : ils avaient leurs cabanes permanentes et leurs champs. Quand ils durent quitter leur patrie, refoulés par les blancs au delà, du Mississippi, ils ne se laissèrent point décourager et gardèrent l'avance qu'un long héritage de civilisation leur avait donnée sur les autres Indiens, et maintenant encore ils sont considérés comme la première des nations policées parmi les descendants des indigènes. Presque toute la partie du Gis-Mississippi non occupée par Algonquins, Yendat ou Cherokees appartenait à des Indiens d'origine muskogee : les Mobiles, qui ont laissé leur nom à la baie voisine du delta mississippien ; les Alibamons, dont l'appellation se retrouve dans celle du grand fleuve Âlabama ; les Chickasaws, qui vivaient principalement dans les campagnes gracieusement ondulées du haut Tombigbee, mais qui possédaient aussi des campements sur les falaises riveraines du Mississippi ; les Creeks ou Muskogees proprement dits, qui peuplaient les plaines basses du littoral atlantique, du cap Fear, limite des Algonquins, jusqu'à la pointe extrême de la Floride ; les Yamassees ou Savannahs, dont un fleuve et une grande cité rappellent le séjour; les Seminoles ou « Gens Sauvages », qui s'étaient réfugiés dans les archipels floridiens de l'intérieur, abandonnant l'agricul- ture pour la chasse; enfin, entre l'Alabama et le Mississippi, les Choctaws (Chacta), devenus fameux par leurs relations avec les Français de la Loui- siane. Agriculteurs comme les Cherokees, et ne se livrant guère à la chasse, ils s'étaient même plus rapprochés d'un état de civilisation ana- logue à celui des sociétés modernes, puisque, en mainte partie de leur territoire, ils s'étaient agglomérés en de grands villages. Les hommes aidaient les femmes dans le travail des champs. Quant auxNatchez (Nakché), voisins des Choctaws, et comme eux rive- rains du Mississippi, ils formaient une nation distincte par le langage, quoi- que fort rapprochée de celle des Alibamons par le genre de vie. Excellents agriculteurs, ils connaissaient un grand nombre de plantes alimentaires et savaient en préparer des mets exquis, appréciés par tous leurs voisins. Les Natchez étaient peut-être la nation la plus civilisée du versant tourné vers le golfe du Mexique, mais leur civilisation même, en leur donnant l'aisance et jusqu'à la richesse, avait facilité la formation de classes aristocratiques vivant aux dépens de la masse populaire des « Puants ». Les chefs des Natchez étaient des « rois Soleils » comme Louis XIV, et quand ils mou- raient, nombre de serviteurs devaient les suivre dans la fosse. On étranglait aussi la femme du soleil défunt : aussi la noblesse de la nation avait-elle édicté une loi qui interdisait aux filles de leur caste le mariage avec les PEAUX-ROUGES, NATCHEZ, SIOUX. chefs. Quelques autres tribus du Cis-Mississippi, moins fameuses que tes Natchei, paraissent avoir été, comme cette dernière nation, différentes par E3 ra Bffl ™ rlMIT MW#5/AOÇUOt$J. ÂlûOWÛ'HS. APPAtACWA/S VCftffS l'origine des races dominantes dans la contrée, Algonquins et Yendal, Cherokees et Muskogees. Tels sont les Indiens Catawbas et les Uchees, du 62 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. versant atlantique, enclavés au milieu de populations d'autres langages. Les Uchees, qui n'existent plus aujourd'hui, étaient peut-être de race athabaskienne. Naguère les plus puissants des Indiens, à l'ouest du Mississippi, étaient les Dakotahs, qui ont donné leur nom à deux des États de la république nord-américaine : ce sont les Naudouisses ou Naudouissioux, les « Cou- peurs de Gorge » des anciens voyageurs français ; l'appellation, trop longue, ne subsiste plus que par la dernière partie. « Sioux » est devenu le terme générique par lequel on a désigné tous les Peaux-Rouges de la région septentrionale des États-Unis, entre le Mississippi, le Missouri et les montagnes Rocheuses. Le missionnaire Charles Raymbault parla le pre- mier des Sioux en 1642, mais c'est en 1659 seulement que des traitants et coureurs de bois canadiens vécurent au milieu d'eux. Depuis cette époque, leurs tribus se sont fréquemment déplacées, même avant que la poussée des colons les refoulât vers les montagnes et vers les frontières du nord. On a donné au gros de la nation le nom de « Sept Conseils », mais aux tribus associées sous cette appellation commune se sont diver- sement mêlées d'autres peuplades de même origine. Une des nations sioux resta longtemps à l'écart, celle des Winnebagoes ou des « Lacustres », qui vivaient près du lac de même nom, ancien prolongement de la baie Verte du Michigan et qui furent transférés depuis par delà le Missouri, dans le Nebraska. Parmi les nations apparentées aux Sioux qui depuis l'arrivée des blancs en Amérique paraissent avoir toujours habité les plaines du Trans-Missis- sippi, une des principales est la nation des Omaha ou Thegiha, dont la constitution sociale, étudiée à fond1, est considérée comme le type de la tribu indienne. Les Ilidatsa, Minetarees ou Gros-Ventres du haut Missouri, les Upsarokas ou ce Corbeaux » des avant-Rocheuses, qui se trouvaient presque toujours en guerre avec leurs frères de race, les Assiniboines de la frontière canadienne, les Osages du bas Missouri, les lowas, les Otoes et Missouris, les Kansas, les Arkansas, dont les noms s'appliquent en même temps aux cours d'eau de leur domaine, appartiennent aussi à la famille des Sioux. Les Mandans, appelés « Mentons » par d'anciens voyageurs français, mais se disant eux-mêmes les Namakaki ou les « Hommes », sont également issus de la souche des Naudouissioux : réduits à quel- ques familles par une épidémie de variole en 1857, ils furent autrefois une nation puissante et l'une des plus civilisées, avec de grands villages 1 J. Ovicn Dorsey, Omaha Sociology. PEAUX-ROUGES DE L'OUEST. 63 entourant la « loge de médecine » et des cultures soignées se prolon- geant au loin le long des rivières. Quant aux Pawnees (Pâni, « Loups »), aux Àrrapahoes et aux Ricarees des prairies occidentales, jadis fort redou- tés à cause de leurs habitudes de brigandage, ils sont diversement classés avec Sioux, Shoshones et Àthabaskiens. Considérés comme des voleurs de bas étage par toutes les nobles tribus de l'Ouest, les Pawnees étaient la seule peuplade à laquelle les traitants canadiens crussent pouvoir faire subir la peine de l'esclavage \ Aucune autre nation ne l'eût souffert. I>es tribus athabaskiennes, qui, pour la plupart, ainsi que l'indique leur nom, parcourent au nord le bassin de l'Àthabaska, sont également représentées au sud de la frontière canadienne. Presque toutes, visitées d abord par des traitants canadiens, ont gardé leurs noms français : ce sont les Têtes-Plates ou Flat-IIeads, les Pend'Oreilles, les Nez-Percés, les Cœurs d'Alêne1. L'ensemble des tribus athabaskiennes de ce groupe est généralement désigné par l'appellation générale de Selish : il comprend la plupart des indigènes qui vivent au sud de la Colombie Britannique, entre la chaîne des Cascades et la saillie principale des Rocheuses, dans le bassin de la Columbia situé en amont des Dalles. Le nom de Têtes-Plates, attri- bué à la tribu principale, s'applique d'ailleurs, et même à un plus haut degré, à toutes les autres peuplades de la famille, notamment aux Chi- nook : H est peu de nations américaines qui cherchent davantage à s'em- bellir par la manipulation du crâne et par l'introduction d'ornements dans les narines, les oreilles ou les lèvres. Encore au milieu de ce siècle, des tribus de langues diverses se pres- saient en grand nombre dans l'étroite zone du littoral, sur le versant des monts Cascades, au nord et au sud du fleuve Columbia : cette région des défilés, analogue à beaucoup d'autres régions de l'Ancien Monde, pou- vait être comparée à une sorte de trappe où l'on entre facilement par la vallée de la Columbia, •mais d'où il est difficile de sortir; nulle part en Amérique il n'existe un pareil chaos de tribus étrangères les unes aux autres3. D'après Morgan, la vallée de la Colombie aurait été le principal centre des migrations indiennes. Parmi ces peuplades de langues distinctes, il en est d'athabaskiennes ou tinneh, d'autres qui se rattachent aux Colombiens de Vancouver, d'autres encore que l'on croit appartenir à la même souche que les Shoshones. Les Nisqually, qui vivent sur les 1 Tassé, Les Canadiens de ï Ouest. * Ou mieux les « Queurts d'Haleine », dans le sens de « Coureurs » (à bout d'haleine). Celte ancienne locution canadienne n'est plus employée. (Note manuscrite de M. Ernest Tremblay.) s El. H. Bancroft, ouvrage cité; — G. Gerland, Petermanns Mittheilungen, 1879, Heft Y II. G4 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. bords du Puget Sound, sont des parents des Nootka et comme eux se nourrissent de poisson ; les Clallam du cap Flattery, les Kliketat de l'Olym- pus font partie du même groupe ethnique. Les Klamath, qui sont égale- ment des riverains et qui habitaient autrefois la vallée de leur nom, au sud de la Columbia, forment un groupe de population bien distinct et pen- dant longtemps ont vécu en état d'hostilité contre les blancs ; de là le nom de Rogues ou « Coquins » qui leur a été donné par les premier» colons anglo-américains de la Californie : ce sont des Tinneh, comme les Hoopas, les Shastas, les Modocs. Les Chinook, qui s'aplatissent le crâne comme leurs voisins Têtes-Plates, parcourent les combes riveraines de la basse Columbia : ils paraissent avoir été fort mélangés, ce qu'ils devraient à leurs fréquents voyages comme portefaix et marchands. Outre leur idiome particulier, ils se servaient d'un jargon commercial de quelques centaines de vocables, parmi lesquels plusieurs d'origine française et anglaise : cette « langue franque » fut longtemps le principal moyen de compréhension pour les échanges dans toute la contrée des montagnes et des rivages entre l'Alaska et les missions espagnoles. Les Chinook et leurs voisins mêlent à leur nourriture animale, poisson et gibier, beaucoup de fruits, de baies et de racines. On nomme plaisamment en Californie « olives des Chinook » des glands que ces Indiens entassent dans un silo et soumettent pendant un hiver à l'action de l'urine pour leur donner un goût plus relevé f . Le groupe des Shoshones est celui qui comprend les tribus du Grand Bassin et des montagnes voisines. Lors de l'arrivée des blancs, les peu- plades orientales habitaient le bassin du Missouri, dans le pays actuel des Sioux, et la poussée générale des populations les refoula peu à peu vers les Rocheuses et par delà leur crête principale. Les Shoshones proprement dits ou les Indiens ce Serpents » (Snake Indians) habitent maintenant les hautes plaines limitées au nord par le fleute, Snake River, auquel ils ont donné leur nom. De même que les Wihinasht, leurs voisins occidentaux qui vivent dans les combes de la Sierra Nevada, les Shoshones sont une des nations indiennes qui mènent la vie la plus pénible sur leurs terres arides, et souvent ils souffrent de la faim. C'est au groupe ethnique des Shoshones qu'appartiennent la plupart de ces Indiens rachitiques, laids et presque noirs des plaines de Californie, que l'on appelle Diggers, « Fouisseurs », parce qu'ils creusent la terre, soit pour s'y faire un gîte, soit pour y trouver des racines; mais toutes les races indiennes sont représentées parmi ces 1 Kane, Wanderings af an Ârtist. TINNEH, SHOSHONES, GOMANGHES. 65 malheureux, fuyards et affamés comme des loups. À l'égal des Shoshones, les Diggers fabriquent des corbeilles si bien tressées, qu'on peut les remplir d'eau ; ils y jettent ensuite des pierres brûlantes pour pousser le liquide à l'état d'ébullition ' . Les Ulah (Yutes, Utes), qui ont donné leur nom à l'un des territoires de la République, sont aussi des Shoshones. Ces Indiens des monts Wahsatch n'ont pas la gravité d'aspect que l'on dit être le signe distinctif des gens de leur race ; ils ont pour la plupart une physionomie très mobile et parlent avec une extrême volubilité. Leur langage, apparenté à celui des Sonoriens du Mexique, comme tous les autres dialectes shoshones', est un des plus euphoniques parmi ceux des Peaux-Rouges, mais il est déjà forte- ment corrompu et renferme beaucoup de mots anglais et espagnols : même avec les tribus limitrophes du sud, les Navajos, ils ne peuvent s'entendre que par l'intermédiaire d'un castillan plus ou moins correct. Les Ulahs sont au nombre des meilleurs artistes parmi les Peaux-Rouges : presque dans chaque loge on voit des représentations d'hommes, d'animaux, de tentes et objets divers qui doivent figurer des batailles ou autres événe- ments mémorables5. Les *Pah-Utah (Piutes, Pah-Utes), qui vivent plus au sud, sur les plateaux et dans les gorges tributaires du Colorado, appartien- nent au même groupe que les Utah ; mais dans les contrées tout à fait arides ils sont réduits à la même misère que les Diggers, avec lesquels les Indiens plus heureux les confondent dans un commun sentiment de mépris. Des Gomanches ou Nayouni, c'est-à-dire des « Voisins », confinent aux Utah du côté de l'est, vers les sources du Colorado ; mais le gros de leur nation habite beaucoup plus au sud, sur le moyen Rio Grande et dans la vallée du Pecos. Les Comanches sont apparentés aux Shoshones, et comme eux ils parlent une langue à type mexicain ; mais la race est d'ori- gine très mélangée, les Comanches ayant pratiqué comme les Apaches le métier de guerriers et de pillards pour ramener de leurs campagnes des femmes et des enfants, c'est-à-dire des épouses et de futurs compagnons d'armes. C'est ainsi que l'on rencontre parmi les Comanches nombre d'in- dividus qui ne se distinguent point de Corbeaux, de Pawnees, de Navajos ou Rikarees. A l'est, les Comanches confinaient aux nombreuses nations texiennes que rencontrèrent Cabeça de Vaca, Cavelier de la Salle et autres explorateurs, et qui maintenant ont disparu. Les Caddos, qui peuplaient les f Waitz, Anthropologie der Nalurvôlker. * Buscfamann, Die Vôlker und Spràchen N eu-Mexico' 8 und der WesUeile Nord-Âmenkas. * E. A. Barber, Bulletin of ihe U. S. Geological Survey ofthe Territories, vol. IV, n9 1, 1876. xti. 0 6G NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. bords de la rivière Rouge dans sa parlie moyenne, commerçaient d'un côté avec les Comanches, de l'autre avec les Natchitoches, les Nacogdoches, les Âttakapas ou « Mangeurs d'Hommes », les Chiti mâcha, du bayou Tèche, les Taensas du Mississippi et les Natchez d'outre-fleuve : la langue des Gaddos servait de parler médiaire pour tous ces peuples, comme le dialecte des Chinook pour les nations du Pacifique. Les Moqui du bas Colorado, qui portent déjà le poncho mexicain, se rapprochent par leurs traditions et leur genre de vie des populations indi- gènes de l'Anahuac. Leurs voisins à l'ouest et au sud-ouest, sur le bas fleuve, sont lesMojaves (Mohaves), formant un groupe ethnique distinct avec les Yuma et Cocopa de l'estuaire fluvial, les Diegunos des environs de San Diego, les Yaqui de la Sonora, les Maricopa du Gila, et les Hualapai des montagnes nord-occidentales de l'Arizona. Les Mojaves et leurs frères de race sont pour la plupart des gens de taille moyenne, mais de belles pro- portions et de solide musculature, habitant des maisonnettes en forme de ruches, charpentes en bois revêtues de terre et n'ayant qu'une seule ouver- ture. Us cultivent les terres alluviales laissées à sec par la décrue du Colo- rado et y récoltent blé, maïs, haricots, melons et citrouilles; en outre, ils mangent les fruits fermentes, puis grillés, et réduits en farine, de l'acacia mezquite. Récemment encore, les Mojaves recouvraient de leurs inscrip- tions les rochers des alentours et M. Pinart croit pouvoir affirmer qu'ils connaissent parfaitement la signification de ces hiéroglyphes et les em- ploient encore, tout en se gardant bien de les interpréter aux blancs1. Les femmes mojaves se tatouent la lèvre inférieure et les seins. D'autres habitants de la frontière, les Pima, appelés aussi Pimos, et les Pâpagos ressemblent beaucoup aux Mojaves, quoiqu'ils en différent abso- lument par le langage : ils appartiennent au groupe représenté en terri- toire mexicain par les Ûpata. De petite taille et bien formés pour la plupart, ils ont le front saillant, le nez mince, le regard doux, le teint clair, les chairs molles ; cependant on remarque aussi parmi eux des Indiens qui offrent le type du Peau-Rouge à haute stature, à peau plus foncée et à nez aquilin. Leur langue, très euphonique, est composée principalement de voyelles et les sons gutturaux y sont inconnus. Civilisés depuis un temps immémorial, les Pima cultivent les terres avec intelligence et tracent avec beaucoup de soin leurs canaux d'irrigation : les travaux hydrauliques faits par leurs ancêtres pourraient servir d'exemple aux Américains, car on voit des fosses d'arrosement, oblitérées de nos jours, qui se prolon- 1 Bulletin de la Société de Géographie , mars 1877. MOQDI, MOIAYES, PIMA. 07 gentà 20 kilomètres de distance, en contournant les collines. Les Pima sont un peuple déchu, et ils ne l'ignorent point : d'après une de leurs tra- ditions, ils auraient été chassés de leurs demeures par une tribu féroce, — peut-être les Apaches, — et après avoir cherché un refuge dans les monta- gnes, ils seraient revenus, très diminués en nombre, pour voir leur pays ravagé et leurs palais détruits. Car les restes de constructions qui s'élèvent CnTure de Tliinat, d'aprè» une photographie de H. G. de l> Sablière. sur les collines, les ca$as grandes que décrivent les archéologues, auraient été les demeures de leurs aïeux. C'est dans leur territoire, au nord-ouest de Tucson et sur Hne colline dominant la vallée de la Gila, que se trouve la Casa Grande de Montezuma dont le jésuite Kino parlait dès la fin du dix- septième siècle : il n'en reste que des murs en adobes. Le nom de Monte- mma n'est d'ailleurs connu que des Pima ayant été en relation avec les Espagnols ou les Américains. Leur héros national, le Hontezuma des 68 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. légendes modernes, s'appelait Siouanno : c'est au temps de ce demi-dieu que les Pima étaient prospères et riches, qu'ils habitaient des maisons de pierre et se pressaient dans la plaine, «aussi nombreux que les fourmis1. » De toutes les nations aborigènes il n'en est pas qui dans ces derniers temps ait été étudiée avec plus de soin que les Pueblos du Nouveau-Mexique, ainsi nommés d'après les dix-neuf villages ou pueblos qu'ils habitent. La forme de leurs demeures, les antiquités découvertes dans la contrée, la légende de Montezuma, le souvenir des expéditions faites autrefois à la recherche des « Sept Cités de Cibola », enfin l'état social et les pratiques religieuses de ces indigènes, ont éveillé l'attention des savants, et l'on pos- sède déjà toute une riche littérature sur ces peuplades appauvries, que l'on considère comme formant une transition ethnique entre les « construc- teurs de buttes » et les Aztèques. Elles vivent pour la plupart à une faible distance des bords du Rio Grande; cependant une des tribus les plus connues, celle des Zuni, habite loin du fleuve, près des sources de la Gila, et les Moqui, que l'on énumère souvent parmi les Pueblos, sont voisins du fleuve Colorado, dans l'Àrizona nord-oriental. C'est dans le pays des Pueblos que l'on a retrouvé, depuis le milieu du siècle*, ces étonnantes habitations des « Falaisiers » ou Cliff-dwellen, qui perchaient au som- * met de rochers à parois escarpées, ou gîtaient en des grottes naturelles ou artificielles, ouvertes à mi-hauteur des falaises ; ils gravissaient ces rochers | d'apparence inaccessible en se servant de longs bâtons à dents latérales, disposées en guise d'échelons et s'insérant à distances mesurées dans les entailles de la roche perpendiculaire. Les plus étranges de ces de- meures, auprès desquelles les atalayes des pitons les plus hardis sont l'un accès facile, n'ont plus d'habitants; mais les Moqui possèdent encore des villages bâtis sur des mesas ou « tables » de grès qui s'élèvent isolées au milieu d'un océan de sable presque sans végétation. Les parois perpendiculaires ou n'offrant que de légères saillies se dressent brusquement au-dessus de la plaine : d'en bas, on voit les Indiens qui se penchent curieusement pour regarder l'étranger, les enfants qui jouent avec les chèvres au bord du précipice. Les Moqui n'ont jamais rien eu à craindre de leurs voisins pillards, Àpaches ou Navajos : un sentier péril- leux, très facile à défendre, est la seule voie par laquelle on puisse gagner leur aire. La nécessité de pareilles habitations jetait d'autant plus grande pour les Moqui que de longues traditions religieuses leur défen- 1 Âlph. Pinart,% mémoire cité. 3 J. H. Simpson, Report of the Secretary of War, 1850; — Holmes; — Jackson; — Powell; — Newberry ; — Schwatka ; — Hamy, etc. PUEBLOS DU NOUVEAU- MEXIQUE. 611 liaient ta résistance matérielle : il leur était interdit de verser le sang humain'. Le nom même de « Pueblos » que les Espagnols donnèrent aux colonies indiennes du Rio Grande prouve qu'à l'époque de la découverte elles n'oc- m ra ga E3 JUGG*Qt//#S airerAS m/eus rcxiitmes mex/oums ES3 WM E21 cupaieot plus de hautes citadelles, mais 'des villages de plaine, pareils à ceux qu'habitent leurs frères de race dans la péninsule de Californie et dans les provinces septentrionales du Mexique. Ces « casas grandes » sont aussi des forteresses, puisque les murailles extérieures, verticales ou à degrés, n'ont point d'ouvertures et qu'il faut y monter par des échelles, 1 Simpson, Report oflhe Sètrelary o( War, 1850. 70 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. • pour redescendre ensuite sur les toits, les terrasses et dans les cours de l'intérieur, vers lesquelles sont tournées toutes les cellules du clan. Une architecture peu différente est celle des Ourghamma, notamment à Kasr- el-Moudenni dans la Tunisie méridionale : les conditions analogues de l'existence ont dû amener les indigènes à se construire des réduits sem- blables, servant à la fois de résidences et de forts ; quelques-uns de ces édifices ne sont fermés que de trois côtés par des constructions à parois verticales, et le quatrième côté est défendu par un petit mur convexe. On présume que les Falaisiers du Nouveau-Mexique auront été forcés par l'assèchement graduel du climat à descendre de leurs rochers pour se construire ces cavernes artificielles. La danse sacrée dite kâ-kâ et pratiquée surtout chez les Zuni, mais en de rares occasions, après des sécheresses prolongées, donne une certaine vraisemblance à cette hypothèse. Les hommes seuls ont droit de prendre part à cet acte religieux, mais les femmes y sont représentées par des éphèbes masqués et portant une longue perruque noire. Les vêtements des danseurs sont bleus, couleur du ciel, et le chef tient dans sa main un peu de farine qu'il lance vers les quatre points cardinaux, pour charmer le sol et faire germer les mois- sons futures. Chaque édifice des pueblos a vers le centre un ou plusieurs réduits mystérieux, des estufas ou « étuves », dans lesquelles se pratiquent les saints mystères et que décorent des peintures archaïques d'animaux, d'astfres et de fleurs. Ja lis les Pueblos, soumis à des missionnaires qui étaient en : même tempjs leurs chefs et leurs instructeurs, paraissaient convertis au catholi- cisme. Des protestants, pasteurs et institutrices, essayent à leur tour de les christianiser; néanmoins ces Indiens ont conservé leur ancienne foi, et les rares voyageurs blancs qui ont obtenu leur confiance ou même sont devenus leurs « frères initiés », tels que Cushing et les deux Mendelief, ont pu assister et prendre part à leurs cérémonies, qui ont un caractère natu- riste et se rapportent au culte du serpent, au cycle des saisons et des âges de la vie. Dès Tannée 1873, les membres de l'expédition Wheeler avaient pénétré dans les estufas des Pueblos Vallatoa, dits Jemez par les Espa- gnols, et reconnu l'antiquité païenne des rites qu'on y célébrait; toute- fois ils répétèrent, d'après leurs informateurs espagnols, que ce culte mystérieux s'adressait à Montezuma et que le feu permanent de l'autel brûlait en l'honneur de ce personnage aztèque, inconnu des Pueblos. La division du travail, que les économistes anglais vantent encore comme une découverte de l'industrie moderne, prévalait depuis un temps immémorial chez les Indiens Pueblos. Chaque tribu, quoique parfaitement indépen- H PUEBLOS, APACHES, NAVAJOS. 73 dante, est unie aux autres par une solidarité complète d'intérêts. Ainsi les Jemez fournissaient les céréales, les Cochiti fabriquaient des poteries, d'autres filaient les étoffes, et les Moqui, poètes de ces nations, compo- saient des chants de guerre et d'amour. Et c'est précisément à côté de ces Indiens pacifiques, les plus civilisés de l'Amérique au nord de l'Anahuac, que vivaient les tribus de pillards les plus féroces, les Apaches, — Lipanes, Jicarillas, Mescaleros et autres, — Athabaskiens aventurés loin du lieu d'origine et qui, par l'aridité même de leur contrée nouvelle, étaient obligés de se nourrir aux dépens de leurs voisins des vallées. lia dernière retraite de ces hommes de proie, avant que le gouvernement fédéral les Ht interner, fut la sierra du Metzatzal, au centre de l'Arizona : dans la haute vallée du rio Tonlo, coupée de ravins abrupts, entourée de rochers caverneux, les guerriers se glissaient de grotte en grotte, insaisissables aux soldats américains qu'ils visaient à coup sûr. D'autres Athabaskiens, les Navajos, qui naquirent, dit leur légende, d'un épi de maïs, et qui vivent sur les plateaux entre le Rio Grande et le Colorado, ont su, mieux que les Apaches, s'accommoder au milieu, pour vivre non de rapine, mais de travail1. A demi civilisés, ils s'occupent avec plus de succès que leurs voisins espagnols de l'élève du mouton et savent en employer la laine pour fabriquer des couvertures dont la durée et l'imperméabilité dépassent tous les lainages de production européenne. En outre, ces couvertures sont teintes avec goût de couleurs éclatantes et solides, très appréciées par les étrangers. Peut-être qu'à l'époque de la découverte d'autres nations vivaient sur le territoire devenu celui des Anglo-Américains, car des guerres acharnées ont eu lieu entre peuplades et peuplades, et les massacres, les bannisse- ments, les adoptions de tribus pourchassées se sont succédé dans l'immense région comprise entre les deux Océans. Il serait donc bien difficile de suivre pendant les quatre derniers siècles la généalogie des indigènes et de leurs quatre cents peuplades, désignées chacune par de nombreux syno- nymes; on ne saurait non plus indiquer exactement pour ces diverses nations le territoire précis qu'elles occupaient. Les « Pieds-Noirs », ainsi nommés de la boue des rivières qui s'attachait à leurs jambes, n'ont-ils pas été refoulés du haut Minnesota jusque dans l'Oregon, et n'a-t-on pas vu, à une époque récente, une tribu de Nez-Percés se déplacer avec femmes et enfants, des bords de la Columbia à ceux du Missouri, à 2500 kilomètres de distance, fuyant de nuit et combattant de jour1? 1 E. A. Barber, Bulletin oflhe U. S. Geological Survey, vol. IV, n* 1, 1876. * Henri Gaullieur, Étude» américaines. xti. 10 I CHAPITRE III LES COLONS DES ÉTATS-UNIS, LES BLANCS ET LES NOIRS C'est en vain que dans nos pays d'Europe on essayerait de faire la part exacte des diverses races aujourd'hui fondues en peuples homogènes : non seulement on ignore dans quelles proportions elles se mélangèrent, mais on discute encore sur l'identité de populations qui figurent sons le même nom dans l'histoire. Aux États-Unis, la recherche des ancêtres blancs, d'origine européenne, est plus facile à tenter, puisque nous possédons, sauf quelques lacunes peu importantes, les annales de la colonisation depuis trois siècles ; mais si nous connaissons tous les éléments ethniques fondus dans le peuple américain, il serait imprudent d'affirmer dans quelle mesure ils ont contribué à former la masse de la nation et quels traits particuliers ils ont donnés à son caractère. En tout cas, on aurait tort de ne voir que des colonies anglaises dans les États- Unis, tels qu'ils existaient avant les grandes immigrations modernes. Le nom de république « anglo-saxonne » que l'on donne souvent à l'Union, est d'autant moins juste, que la Grande-Bretagne elle-même n'a pas été peuplée uniquement par les descendants des Angles et des Saxons, tant s'en faut, et que les Bretons et les Gallois, les Gaëls et les Ires sont des Celtes incontestés. Peut-être la race celtique se trouve-t-elle plus forte- ment représentée aux États-Unis que ne l'est l'élément germanique. Fleming ne compte aux États-Unis, sur plus de soixante millions d'habi- tants, que dix-huit millions d'Anglais ou descendants d'Anglais1. Quoi qu'il en soit, les Américains du Nord, si divers par l'origine, sont un peuple nouveau, modifié à la fois par le croisement et par un climat dif- férent de celui où vivaient leurs ancêtres. Dans l'artère du blanc d'Amé- 1 John G. Fleming, North-American Revicw, Àug. 1891 . 76 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. rique coule le sang du Français et de l'Anglais, de l'Irlandais et de l'Allemand, de l'Espagnol et du Scandinave, môle, quoi qu'il en dise, à quelques gouttes du sang des nègres et des Peaux-Rouges. Des Espagnols, Ponce de Léon, Pamphilo de Narvaez, Hernando de Soto et leurs compagnons, furent les premiers Européens qui, après la décou- verte de Colomb, foulèrent le sol des États-Unis actuels, mais seulement pour y mourir ou pour s'en échapper à grand'peine. Les immigrante proprement dits qui, à la date historique la plus ancienne, s'établirent dans le pays devenu aujourd'hui la république nord-américaine, furent, non des Anglais, mais des Français. Dès l'année 1562, le huguenot Ribaud, envoyé par Coligny, fonda une colonie sur les côtes sud-orientales du territoire encore appelé par lui « Floride », mais dénommé la « Caroline » lors de l'occupation anglaise sous Charles II1. Les émigrés construisirent leurs premières cabanes dans l'îlot de Charlesfort, peut-être voisin de Lemon-island', et situé sur les bords d'un des larges estuaires près desquels s'est élevée depuis la cité de Charleston; mais, réduits par la misère et les fièvres, les vingt-six colons qui restaient se décidèrent à fuir, et, s'aven- turant dans une grossière embarcation, furent longtemps ballottés par les flots ; enfin un navire anglais les recueillit dans les mers d'Europe. Deux années après, Laudonnière, autre lieutenant de Coligny, remonta dans la Floride le cours de la rivière de May, probablement celle qu'on appelle maintenant Saint-John, puis érigea sur un ilôt triangulaire le fortin Ca- roline; mais, dès Tannée suivante, les Espagnols se hâtèrent de réprimer celte invasion, faite sur un domaine qu'ils considéraient comme leur appartenant par droit de découverte. Arrivant avec toute une flotte et plus de 2600 personnes, soldats et matelots, Menendez s'établit solidement sur la cale, à San-Agustin, puis, ayant surpris le petit groupe des colons, il les fit égorger, «non comme Français, mais comme hérétiques». Trois ans plus tard, le gentilhomme landais Dominique de Gourgues vengea ces meurtres en s'emparant avec une petite bande des trois forts espagnols les plus rapprochés de l'endroit du massacre et en pendant les défenseurs, « non comme Espagnols, mais comme traîtres, voleurs et meurtriers3 ». Le poste de San-Agustin, — le Saint-Augustine des Américains, — existe encore : à l'exception des villes qui se sont élevées sur l'emplacement d'an- ciens villages indiens, Saint-Augustine est en «date la première cité des États-Unis cis-mississippiens. 1 Paul Gaflarel, Histoire de la Floride française. * George Bancroft, History of the United States. 8 Th. Parkman, Pioneers of France in the IS'orth World; — Paul Gaflarel, ouvrage cité. COLONS EUROPÉENS DU LITTORAL ATLANTIQUE. 77 En wrtu du « droit » de possession que la découverte du littoral atlan- tique de l'Amérique du Nord par les Cabot était censée lui conférer, le /yafbna'iriirs la ia gouvernement anglais s'attribua volontiers les côtes du territoire qui con- stitue maintenant les Étals-Unis, mais pendant près d'un siècle il n'ap- puya ses prétentions d'aucune tentative de culture. En 1584 seulement, le 78 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. courtisan Walter Raleigh reçut en fief une grande partie de la région cô- tière, à laquelle il donna le nom de « Virginie », en l'honneur de la reine Elisabeth; mais ses essais de colonisation, trois fois répétés, ne réussirent point : au commencement du dix-septième siècle, aucun Anglais ne vivait sur ce continent de l'Amérique septentrionale qu'habitent aujourd'hui tant de millions d'hommes appartenant à cette race. Ils ne prirent pied dans le pays qu'en 1607, c'est-à-dire quarante-cinq ans après le débarquement des Français sur les plages de la Caroline et de la Floride. Environ cent hommes, conduits par le cruel Wingfield, s'établirent alors sur le rivage d'une île située dans l'estuaire de la rivière James en Virginie, et fondèrent la ville de James town, qui d'ailleurs était trop mal placée pour durer, et dont il ne reste plus aujourd'hui qu'un débris d'église. Les premiers colons étaient des ouvriers, des aventuriers bourgeois sans profession, et les recrues des années suivantes qui vinrent renforcer la population virginienne appartenaient aux mêmes classes de la société. La famine, les maladies, la guerre décimèrent les émigrants, si bien qu'en 1619, douze ans après la fondation de Jamestown, on ne comptait pas plus de six cents personnes dans la colonie. Mais à partir de cette époque la population s'accrut rapidement, grâce à la culture du tabac, que l'on introduisit des Antilles. Les concessionnaires se firent expédier des ports anglais des cargaisons de jeunes filles garanties honnêtes, qui furent ven- dues en adjudication publique, chacune au prix de 1200 à 1500 livres de tabac. Tous les colons, hommes et femmes, étaient d'origine anglo- saxonne, irlandaise ou écossaise. Les propriétaires songèrent bientôt à se faire remplacer dans le travail de la culture; avant même d'employer des noirs importés des Antilles, ils utilisèrent les bras des blancs asservis. Ces « engagés » (indented ser- vants) étaient des esclaves temporaires, qu'on achetait comme des bêtes de somme. Des agents s'occupaient de recruter ce bétail humain dans tous les ports d'Angleterre, et le livraient à tant par tête; parfois ils complétaient le chargement du navire en volant des hommes et des femmes dans les rues; enfin, le gouvernement anglais lui-même alimentait cette traite des blancs en expédiant à la Chesapeake les prisonniers capturés pendant les guerres civiles. Des traitants munis de pleins pouvoirs faisaient la chasse à l'homme. En outre, l'Angleterre déportait des malfaiteurs dans les colonies américaines et les vendait au plus offrant. On le voit, la population de la Virginie se composait des éléments les plus divers. Plus de quarante ans après la fondation de la colonie, lors de la révolution d'Angleterre, un nombre considérable de « cavaliers », COLONS EUROPÉENS DU LITTORAL ATLANTIQUE. 79 nobles ou bourgeois, émigrèrent en Virginie, et plusieurs se firent une place parmi les grands propriétaires; mais en 1660, lors de la restaura- lion des Sluarts, la plupart reprirent le chemin de la mère patrie. Quoique l'expression de « premières familles de la Virginie » (fint families of Virginia ou par abréviation f. f. V.) soit devenue proverbiale, il est certain que la grande masse de la population blanche de la Virginie est d'origine plébéienne; elle descend surtout des premiers colons et de la foule des domestiques engagés. Ce qui par-dessus tout contribua à faire de rétablis- sement une colonie aristocratique, c'est l'emploi des noirs à l'agriculture1 ; dès Tannée 1620 un premier navire de traite avait débarqué sa cargaison sur les bords de la rivière James. Devenus maîtres de troupeaux humains, jouissant d'une vie luxueuse, les planteurs, les juges et les représentants de districts se figurèrent aisément être descendus des plus antiques familles de la Grande-Bretagne ; ils se disaient squircs, et leur État garde encore orgueilleusement le nom de Old Dominion. Tandis que la colonisation des terres virginiennes avait été confiée par le roi Jacques à une société de gentilshommes courtisans, que leurs feuda- taires d'Amérique prirent pour modèles, les régions du nord, voisines du Canada et déjà nommées Nouvelle-Angleterre, avaient été concédées à une compagnie de marchands, résidant pour la plupart à Plymouth et à Bristol. Ceux-ci firent plusieurs tentatives, infructueuses aussi, pour l'exploitation de leur domaine. Le premier établissement, qui devait avoir dans l'his- toire de la nation une importance plus grande encore que celui de la Vir- ginie, date de 1620. En cette année mémorable, cent deux émigrants, martyrs de leur foi, qui avaient dû fuir d'abord en Hollande et qui cin- glaient vers l'embouchure du Hudson sur la barque le Mayflower, débar- quèrent par erreur sur un rocher de la Nouvelle-Angleterre. Neuf années plus tard, trois cents autres puritains atterrissaient dans le voisinage, à Salem, qui commande au nord l'entrée de la baie de Boston, et la prise de possession se faisait de proche en proche. Grâce à l'éloignement de la mère patrie, les émigrés jouissaient de l'inestimable privilège de pouvoir se gouverner eux-mêmes ; mais, sectaires farouches, les puritains de Plymouth et du Massachusetts tentèrent de constituer une démocratie théocratique sur le modèle juif. lies membres fervents de l'Église avaient seuls les droits de citoyenneté ; les lois s'appliquaient à tous les actes de la vie, publics et privés; la répression pénale était terrible. L'intolérance devint si grande, que les dissidents, obligés de s'enfuir, allèrent fonder des * Auguste Cartier, Histoiw du peuple Américmn, 80 NOUVELLE GËOGRAPHIE UNIVERSELLE. colonies dans le Rhode lsland ; d'autres essaims firent naître les établisse- ments du Gonnecticut et du New Hampshire. La dureté du régime puritain, ajoutée à la rigueur du climat et à l'infertilité du sol, n'était pas faite pour attirer les étrangers : aussi, jusqu'à l'époque des grandes immigra- tions modernes, la population de la Nouvelle-Angleterre resta très homo- gène. Elle se composait presque uniquement d'Anglo-Saxons, mêlés dans une faible proportion aux descendants de presbytériens écossais et irlan- dais, et d'un très petit nombre d'engagés, recrutés au hasard comme ceux de la Virginie. Quelques huguenots français s'établirent dans le Massa- chusetts après la révocation de l'édit de Nantes; mais, comparés à la masse des colons, leur nombre fut presque insignifiant. Des nègres furent aussi importés. On dit qu'après avoir débarqué les « pèlerins », le May- flower alla chercher en Afrique un chargement de noirs pour le marché des Antilles1. Le même navire servit à porteries hommes libres et des esclaves pour les trafiquants de chair humaine : ainsi se préparait le con- flit qui devait un jour ensanglanter le sol américain. La population de l'État de New York est beaucoup plus mélangée que celle de la Nouvelle-Angleterre et de la Virginie. En 1615 déjà, plusieurs années avant l'arrivée des puritains dans le Massachusetts, les Hollandais avaient bâti sur le fleuve Hudson le fort d'Orange, à l'endroit même où se trouve aujourd'hui la cité d'Albany, la capitale de l'État. En 1623, trois cents Flamands de langue française, originaires d'Avesnes, furent amenés par Jean de Forest à l'île de Manhattan, là où se trouve aujourd'hui New York; puis des colons hollandais arrivèrent à leur tour, et, grâce à l'appui du gouvernement métropolitain, finirent par substituer le nom de Nieuwe Amsterdam à celui de Nouvel le-Avesnes que portait la cité naissante, deve- nue Y Empire City du Nouveau Monde * . Le nombre des habitants de la Nouvelle-Amsterdam s'accrut d'abord avec lenteur; mais, vers le mi- lieu du dix-septième siècle, les facilités commerciales qu'offrait le port du Hudson et la tolérance religieuse pratiquée par les Hollandais atti- rèrent des colons de divers pays d'Europe, juifs, huguenots français, luthé- riens allemands, suisses, italiens même. Des Anglais et des puritains de la Nouvelle-Angleterre vinrent aussi chercher un asile dans les possessions hollandaises, dont l'importance grandissait rapidement. Après un demi- siècle d'existence, la colonie tomba aux mains des Anglais ; mais, jusqu'au commencement du dix-huitième siècle, les colons hollandais, et même les protestants français, restèrent supérieurs en nombre aux immigrants 1 N. Hawthornc, English Note-books. * Virlet d'Aoust, Compte rendu de la Société de Géographie, 1871, n° 12* COLONS EUROPEENS DU LITTORAL ATLANTIQUE. 81 anglo-saxons. A partir de cette époque, les arrivages de la Grande-Bretagne firent prédominer l'élément britannique, mais, par suite de l'attraction du commerce, l'État de New York est celui qui a toujours offert dans sa population le chiffre le plus élevé d'habitants nés dans les diverses contrées du continent d'Europe et en Irlande. On y compte au moins un quart d'étrangers non anglais, auxquels il faudrait encore ajouter les des- cendants de ceux qui se sont établis dans le pays depuis deux siècles et demi. Quant à la colonie de New Jersey, le voisinage de la grande cité dont la sépare le fleuve Hudson en a fait, au point de vue ethnologique, un véritable district de l'État de New York : on y trouve des représentants de tous les pays d'Europe; mais la première population se composait presque uniquement d'Anglais, les uns quakers, les autres puritains. Les habitants de la Pennsylvanie ont une triple origine : ils descendent de quakers anglais, d'émigrants du nord de l'Allemagne, presque tous protestants, et d'Irlandais presbytériens venus de Belfast et de la région environnante. L'élément anglais représenté par les quakers était peu im- portant par le nombre, mais il garda longtemps l'influence prépondérante. Lorsque la guerre de l'Indépendance éclata, les Allemands ne formaient pas moins du tiers de la population totale, évaluée à 50000 individus. Quelques descendants de Suédois qui s'étaient établis sur les bords du Delaware, des paysans écossais, enfin des condamnés expédiés par le gou- vernement britannique, entraient aussi pour une certaine part dans le nombre des habitants de la Pennsylvanie. Il en fut de même dans le Mary* land, qui dès l'année 1690 avait pleinement reconnu le principe de la tolérance. Cet État, qui, près de la Chesapeake, confine au Delaware, et par ses plaines occidentales se rattache à la Pennsylvanie, se relie ethno- logiquement à ses deux voisins : à l'est domine la population d'origine anglaise, à l'ouest les familles de descendance germanique sont fort nom- breuses. La Caroline du Nord est, de toutes les parties de l'Union, celle dont les habitants à peau blanche, de souche britannique et irlandaise, ont le mieux gardé la pureté de leur race ; seulement de petits groupes d'Allemands et de Suisses ont fait souche à New Berne et sur d'autres points des rives de la Neuse ; des Écossais du Nord débarquaient souvent à Wilmington et, jusqu'à une époque récente, des groupes de la langue gaélique s'étaient maintenus dans les pinières de l'intérieur1. Depuis la guerre de l'Indépendance, l'im- migration étrangère vers cette partie de la république Américaine a presque 1 Fr. Law Olmsled, Visil to the Slave States. xn. il 83 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. entièrement cessé, et nombre de pays européens, la France notamment, ont une population beaucoup plus cosmopolite que la Caroline septentrio- nale. Quant aux Caroliniens du Sud, leurs ancêtres étaient d'origine très variée : puritains anglais, presbytériens d'Ecosse, Irlandais, Hollandais de Nieuwe Amsterdam, Allemands, convicts et engagés de diverses prove- nances, ont constitué la société première de la colonie ; des planteurs de la Barbade, débarqués près du cap Fear, amenaient avec eux leurs ateliers d'esclaves. Des milliers de protestants français, chassés de la Saintonge, du Languedoc, du Poitou, de la Touraine, vinrent aussi chercher une nouvelle patrie dans ce pays, dont un de leurs coreligionnaires et compatriotes avait le premier tenté la colonisation. La plupart des Français s'établirent à Charleston et, plus au nord, sur les rives du fleuve Santee. Leurs des- cendants entrent pour une forte part dans la population actuelle de l'État ; mais on ne peut en évaluer le nombre, car une foule de noms de famille ont pris une forme anglaise ou même ont été simplement tra- duits. La plus méridionale des treize colonies originaires, la Géorgie, fondée en 1732 par Oglethorpe, n'eut point une population première aussi bariolée que celle de la Caroline du Sud : elle se recruta presque uniquement d'immigrants anglais, écossais, d'Allemands de Salzbourg et de Suisses; les « frères moraves » constituèrent dans la province une importante communauté. Pas plus que les colons des autres États des bords de l'Atlantique, les Géorgiens ne sauraient être considérés comme des représentants de la race anglo-saxonne. Le Kentucky, le Tennessee, territoires qui appartinrent primitivement à la Virginie, sont parmi les régions des États-Unis celles où le fond bri- tannique est le plus pur. Les colons les plus entreprenants qui avaient pénétré dans le cœur des Alleghanies en remontaient les vallées parallèles vers le sud-ouest, et en suivant ces longues dépressions ils finirent par atteindre le haut bassin de la rivière Tennessee. Mais, directement à l'ouest, les avant-monts des Appalaches et les terres en pente qui des- cendent vers l'Ohio étaient recouverts d'une forêt continue qui parut long- temps infranchissable. Enfin, en 1766, d'aventureux pionniers se taillèrent un sentier dans la forêt, bientôt suivis par d'autres, et, après une longue lutte contre les Indiens, réussirent à se maintenir en colonies permanentes sur le « sol sombre et sanglant » du Kentucky. Les descendants de ces premiers colons, renforcés par d'autres Virginiens, résident encore dans le pays, et, si ce n'est le long de l'Ohio et surtout à Louisville, ils ne se sont guère mélangés avec d'autres Américains et avec des colons venus directement d'Europe. COLONS EUROPÉENS DES ÉTATS DU CIS-MISSISSIPP1. 83 Dans le bassin du Mississippi et les régions qui s'étendent jusqu'aux rivages du Pacifique, les immigrants de souche anglo-saxonne eurent pour devanciers, comme dans la Floride, des Français et des Espagnols. Par la région des Grands Lacs, les trappeurs et les pionniers français et métis H* H. COLOMB PB1TÇ1IBES DK L'iVTÉHIiOB AD DIX-If ClTliME SIÈCLE. fort ou [wMmenent fr«n(âis avaient çà et là fondé quelques villages dans les péninsules que baignent leHuronet le Michigan, sur les bords du Wabash, de la rivière des Illi- nois; ils avaient même franchi le Mississippi, remonté le Missouri et com- mencé l'exploitation des mines de plomb; puis, quand ils se furent établis dans la Louisiane, en 1699, ils avaient rattaché leurs possessions du nord 84 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. à celles du sud par des fortins construits de distance en distance sur les falaises de la rive gauche. Tout le territoire anglais du versant atlantique se trouvait ainsi complètement entouré par un immense demi-cercle de solitudes que la France revendiquait comme siennes à cause des rares campements qu'avaient fondés ses colons et que reliaient des pistes incer- taines. Au delà du bassin mississippien, sur le littoral du Texas, dans les vallées du Pecos et du Rio Grande, enfin sur les côtes de la Californie, tous les habitants de race blanche étaient des Espagnols ou des créoles de langue castillane, et de nos jours encore les habitants du New Mexico se disent en majorité descendants des compagnons de Cortès. Mais, sauf dans cette contrée, en certains districts du Michigan, de rillinois, du Missouri et dans la Louisiane, les groupes de population pure- ment latine sont depuis longtemps noyés par le flot des Américains propre- ment dits. Mais tous les fortins qu'ils avaient fondés servirent de points d'appui au peuplement, abrégeant de plusieurs années l'œuvre initiale de la colonisation, par l'introduction des cultures et la pacification des Indiens. Lorsque les colonies de versant atlantique eurent définitive- ment assuré leur indépendance et que, débarrassées du fléau de la guerre, elles purent songer à développer les immenses ressources de leur territoire, les agriculteurs franchirent par milliers et par milliers les chaînes de mon- tagnes et les forêts qui pendant cent années avaient servi de barrière à la colonisation anglaise et redescendirent dans les fertiles régions du bassin de l'Ohio. Au sud, les Virginiens s'établissaient dans le Kentucky et don- naient naissance à cette race énergique de pionniers devenue célèbre par son courage tranquille, sa présence d'esprit, son génie pour les strata- gèmes. Au nord, les habitants de la Nouvelle-Angleterre, les gens de New York et de la Pennsylvanie colonisaient les territoires du « Nord-Ouest >>, devenus aujourd'hui les États de l'Ohio, de l'Indiana, du Michigan, de 1*11- linois. A cette époque, les familles des puritains du Massachusetts, les fer- miers du Connecticul et États voisins se distinguaient par une riche progé- niture : aussi l'émigration se portait-elle de ces régions vers les campagnes de l'ouest en un véritable fleuve humain. Jamais migration guerrière ne fut comparable à ce mouvement libre et pacifique de toute une nation en marche. Combien semble misérable en proportion l'expansion coloniale officielle, quand elle est dirigée par des fonctionnaires chargés de choisir les terrains, de régler le peuplement et de légiférer sur les écarts pos- sibles des futurs habitants ! Les Canadiens français ne voyaient plus que des Bostoniens parmi tous ces colons de langue anglaise qu'ils rencon- traient de l'autre côté des Grands Lacs. On a calculé que vers 1850 le COLONISATION DU BASSIN MISSISSIPPIEN. 87 tiers de la population blanche des États-Unis, soit huit millions d'hommes, comptait parmi ses ancêtres une ou plusieurs des quatre mille familles qui se trouvaient dans les colonies puritaines vers le milieu du dix- septième siècle. Et leur part d'influence sur les destinées de l'Amérique, comment l'évaluer? Absurdes et fanatiques, les « ancêtres pèlerins » l'étaient sans doute, mais ils avaient tout risqué, non pour aller chercher l'or ni pour s'enrichir par les productions des denrées coloniales, mais pour con- quérir la liberté de croire, de vivre, de s'administrer à leur manière. Le grand mouvement d'émigration qui, depuis la fin des guerres du premier Empire, entraîne les déshérités et les aventuriers d'Europe vers le Nouveau Monde, « refuge ordinaire des désespérés », disait Cervantes, a notablement changé la composition ethnologique des populations qui se répandent dans les contrées mississippiennes. Les Allemands et les Irlan- dais accourus en foule, les Anglais venus directement de la mère patrie ou refluant du Canada vers les États-Unis, les Canadiens français de la Nouvelle-Angleterre et des États riverains des Grands Lacs, les Scandinaves établis au Wisconsin et dans les États voisins, enfin les Russes, les Ita- liens, les Portugais, les Açoriens, qui débarquent de plus en plus nom- breux, ont profondément modifié par les croisements le sang des pion- niers « bostoniens ». En 1848, l'occupation de la Californie et la décou- verte des mines d'or introduisirent d'autres éléments encore dans la circulation de la vie américaine : aux représentants de tous les peuples d'Europe se sont mêlés des Mexicains, des Péruviens, des Chiliens et autres créoles de souche semi-indienne; les Kanakes des îles Sandwich, les Tagal des Philippines, les Malais de la Sonde, sont également entrés comme ingrédients chimiques dans ce mélange des races, et quoique les Chinois et les Japonais se tiennent généralement à l'écart, cependant ils contribuent aussi pour leur part à l'expérience de « miscégénation » qui s'accomplit aux États-Unis en des proportions colossales. Les israélites, très rares aux premiers temps de l'immigration, sont devenus dans les dernières années un des éléments ethniques qui s'accroissent le plus rapidement, et chaque ville a déjà sa colonie fortement groupée de juifs allemands et russes. Bien plus, pour compléter la bigarrure des races et des peuples, des milliers de Tsiganes, pour la plupart des Gypsies d'An- gleterre, ont débarqué dans le Nouveau Monde pour y continuer leur existence nomade. Les mélanges entre les divers éléments de population, même entre les diverses races, ajoutent encore de nouveaux groupes à ceux qui se sont rencontrés sur le territoire des États-Unis, venant de taules les contrées de la Terre. 88 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. En présence de cette multitude de races et de sous-races, et dans l'igno- rance presque complète où l'on se trouve au sujet de la productivité rela- tive des familles de provenances variées sous les divers climats et pendant les générations successives, il est donc absolument impossible de supputer la vraie proportion des éléments ethniques dans le peuple des États- Unis. Il faut se borner à faire le dénombrement des colons nés en pays étranger : les autres, entrés déjà dans l'immense laboratoire de la société américaine, font en réalité partie d'une nation tout à fait nouvelle, ayant ses défauts et ses qualités, ses traits distinctifs, son individualité véri- table. Néanmoins, sans vouloir dresser de statistiques précises, on peut encore essayer de classer la population des États-Unis par grandes masses, correspondant à une certaine division du travail dans l'ensemble de la nation. Les gens de la Nouvelle-Angleterre, ceux auxquels on donne spéciale- ment le nom de Yankee*, sobriquet algonquin des premiers colons anglais, étendu depuis sans raison à tous les Américains du Nord, étaient, avant l'invasion de leurs États par les colons irlandais et franco-canadiens, les représentants les plus purs de la race dite « anglo-saxonne », c'est-à-dire de la nationalité anglaise transplantée dans le Nouveau Monde. Le nom de New-England donné à l'ensemble de leurs États était parfaitement jus- tifié. De tous les Anglo-Américains, ceux do la Nouvelle-Angleterre res- semblent le plus aux Anglais par les manières, les traditions, les usages domestiques, témoignent le plus d'affection filiale à l'ancienne mère patrie, entretiennent le plus de relations cordiales avec leurs cousins de l'Ancien Monde et professent le plus grand respect pour le précieux trésor de la langue commune. Mais, si puissants que soient encore les liens de consanguinité et de sympathie, des changements considérables se sont accomplis en trois siècles dans la population de la Nouvelle-Angleterre sous l'influence d'une nature différente et d'un nouveau genre de vie. Pris en moyenne, les « Bostoniens » sont plus maigres, plus élancés que les An- glais, ils ont les traits plus arrêtés, d'un contour plus précis, les lèvres plus minces, les mouvements plus saccadés, plus d'âpreté nerveuse, quoique, en commun avec les autres Américains, ils soient relativement calmes et maîtres de leurs émotions : de là le sobriquet de white-livered ou de ce gens à foie blanc » qui leur a été donné par leurs compatriotes du Sud. D'ailleurs, quelles que soient la part de l'origine première et celle du milieu dans lequel ils se sont développés depuis l'arrivée du Mayflower, les Néo-Anglais sont incontestablement les premiers parmi les Américains PEUPLEMENT DES ÉTATS-UNIS, YANKEES. 89 du Nord : c'est à eux qu'appartient l'hégémonie intellectuelle et morale. La liste des auteurs américains témoigne de 1 énorme prépondérance de la Nouvelle-Angleterre dans le monde de la pensée, de la littérature et de l'art; pour les applications pratiques de la science à l'industrie, les Yankees se tiennent aussi au premier rang. S'ils laissent un peu dédaigneuse- ment aux autres Américains le rôle le plus important dans les grossières compétitions électorales, dans les fonctions politiques et les tumultes popu- laires, ils ont eu plus d'une fois la part décisive dans les grands mouve- ments historiques de la nation : à eux surtout est due l'œuvre de l'indé- pendance. La première révolte éclata dans leur cité principale; dès les commencements de la lutte ils avaient reconquis leur liberté et ils allaient la porter à leurs voisins : le petit État yankee du Massachusetts eut à lui seul plus de soldats républicains que tous les États du Sud réunis1. C'est aussi à l'influence morale de la Nouvelle-Angleterre que la république nord-américaine est principalement redevable de sa reconstitution par l'abolition de l'esclavage. Ainsi, dans les deux grandes crises nationales, les Yankees ont été les initiateurs. Leur importance relative dans l'en- semble de la nation ne peut que diminuer depuis que le reste de la contrée s'est peuplé et que les centres de la culture, du commerce et de la richesse se sont déplacés ; cependant les États du Nord gardent encore indirectement leur suprématie, par l'essaimage incessant de leurs familles dans les pays nouvellement colonisés et par la spécialité qu'ils ont prise dans l'œuvre générale de l'instruction publique : ce sont les États de la Nouvelle-Angleterre qui fournissent d'instituteurs, d'institutrices et de manuels pédagogiques le reste de l'Union. De même que les familles de la Nouvelle-Angleterre ont essaimé dans les autres contrées des États-Unis et principalement dans celles qui s'éten- dent directement à l'ouest, de même les Yirginiens ont peuplé de proche en proche les États du Centre, Kentucky et Tennessee, puis ont largement contribué à la colonisation du Trans-Mississippi. De huit à dix millions d'hommes auraient des Yirginiens pour ancêtres, quoique dans l'État originaire la population blanche comprenne seulement un million d'indi- vidus. Mais cette œuvre de colonisation aurait eu pour conséquence, d'après Shaler*, d'appauvrir le tronc primitif, d'amoindrir sa force physique et sa virilité morale. Le départ des jeunes et des vaillants, laissant derrière eux les faibles, les malades, les gens sans initiative, aurait été funeste à la race 1 Adolf Douai, Land und Leutc. i The Sommer' $ Journey of a Naturaliêt, Atlantic Monthly, September 1878. XYI. 12 90 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. première. Quoi qu'il en soit, on ne saurait parler de dégénérescence pour les descendants de ces émigrants virginiens, notamment pour les habitants des hautes vallées du Tennessee et de ses affluents. La population du Ken- tucky jouit même d'un véritable renom pour sa beauté, sa force et son adresse. Ces contrées, celles du Nouveau Monde qui ressemblent le plus aux régions doucement ondulées de l'Europe occidentale, sont également celles où la souche européenne a poussé ses plus beaux rejetons. L'Améri- cain du Centre n'a pas la même raideur d'aspect que le Yankee ; débon- naire et bon enfant, il n'a rien de fanatique dans la physionomie, aucune âpreté rigide dans les mœurs, mais il est également actif, inquiet et changeant, également prompt au gain et plus encore à la dépense. Les principaux contrastes entre Américains et Américains sont ceux que pré- sentent avec les agriculteurs du Nord les fils des planteurs, les « créoles », notamment ceux de la Louisiane, et les « petits blancs » du Sud ; mais ces contrastes proviennent surtout du genre de vie si différent qu'ils ont suivi, par suite de la diversité des conditions sociales. A première vue, les Cali- forniens se distinguent aussi des Américains de l'Est et du Centre par plus d'aisance, de gaieté, d'entrain et de liberté morale. L'élément irlandais était naguère beaucoup plus distinct dans la société anglo-américaine qu'il ne l'est aujourd'hui. Après la grande famine, l'immigration se fit en bloc, pour ainsi dire. L'exode des malheureux fuyant l'île maudite se composait presque uniquement d'Irlandais catho- liques, portés à se grouper ensemble par la communauté de la race, des souffrances et de la religion. En 1880, année de la plus forte immigra- tion, 190 000 fils de la « verte Erin » débarquèrent aux États-Unis, et l'on comptait à cette époque dans l'étendue de la République 1 855 000 indivi- dus nés en Irlande et 4 529 000 nés en Amérique d'un père irlandais. Le nombre des colons originaires de l'île et résidant en Amérique dépasse actuellement de plus du double celui des insulaires restés dans la mère patrie. Par un phénomène très remarquable, de chimie ethnique, les Irlandais, presque tous agriculteurs en Irlande, changent généralement de travail en arrivant aux États-Unis. Tandis que les cultivateurs allemands continuent de se livrer à l'exploitation du sol et se répandent dans les villages et les hameaux, du littoral au Mississippi, les Irlandais préfèrent rester dans les grandes villes ou leurs faubourgs ; ils travaillent comme portefaix, manœuvres, débardeurs, terrassiers, puis, quand ils ont gagné quelques piastres, ils deviennent artisans, entrepreneurs, commerçants, et, prenant part avec passion à la politique locale, ils participent égale- ment à la curée des places. Quant aux femmes, elles s'engagent dans les AMÉRICAINS DU NORD, IRLANDAIS. 91 familles américaines comme help$9 « aides » ou domestiques, et, par le mariage avec des compatriotes ou des Américains, entrent successivement dans la société libre; elles aussi restent pour la plupart dans les cités et contribuent à grossir la population industrielle et commerçante. Ainsi, par un contraste frappant, l'Irlande agricole, aux populations éparses, fait naître de l'autre côté de l'Océan une Irlande essentiellement urbaine. Mais cette Erin nouvelle perd peu à peu son ancienne cohésion : la mère patrie dépeuplée ne lui envoie plus chaque année qu'un faible contingent de colons nouveaux ; les mariages, les entreprises, les intérêts d'affaires fondent les éléments irlandais dans le monde anglo-américain, et depuis que le culte catholique a des adhérents de toute langue et de toute race aux États-Unis, la religion a cessé d'influer pour le maintien de la natio- nalité irlandaise. On a constaté dans presque toutes les parties de l'Union que les Irlandais se sont toujours rangés politiquement à côté des escla- vagistes, sans doute en haine des nègres qui leur disputaient le travail. Pendant la guerre de Sécession, les Irlandais de New York et des autres grandes villes du Nord furent ceux qui, par leur attitude, encouragèrent le plus les gens du Sud à leur longue et tenace résistance. L'élément germanique aux États-Unis se décompose en deux parts bien distinctes : les descendants d'anciens engagés introduits pendant le régime de la domination anglaise et les Allemands immigrés librement depuis 4848, l'une des années climatériques de l'histoire. Presque tous les Ger- mains de la première immigration étaient originaires de la Souabe et de la vallée du Rhin. Dès que William Penn, à la fin du dix-septième siècle, eut acheté aux Indiens les terres destinées à devenir un jour la province colo- niale, puis l'État de Pennsylvanie, des Rhénans, des paysans de la Forêt- Noire et de la Rauhe Alp, répondant à l'appel qu'il avait fait à « tous les malheureux et opprimés », vinrent s'établir autour de lui. D'autres émi- grants, venus de la même contrée et dans les mêmes conditions d'extrême pauvreté, suivirent ces pionniers de la colonisation. Un grand nombre voyageaient en mendiant le long du Rhin jusqu'en Hollande, où ils s'en- gageaient pour un service de plusieurs années auprès d'un capitaine de navire, qui les revendait sur les marchés d'un port américain. En 1709, un terrible hiver réduisit à une extrême misère les popu- lations rhénanes et palatines, dont le territoire avait été déjà dévasté par la guerre, et l'occasion sembla favorable à la reine Anne pour recruter des travailleurs à ses colonies d'outre-mer. Les fugitifs accoururent en foule, bien plus nombreux qu'on ne s'y était attendu : jusqu'à 32 000 Alle- mands faméliques vinrent camper près de Londres, sur les landes de 92 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE Blackheath. Le gouvernement n'avait point fait de préparatifs pour les recevoir, ni pour les protéger contre des travailleurs rivaux, ennemis- nés de l'étranger. Des bandes les attaquèrent avec violence et nombre d'entre eux durent se disperser, mourir de faim et de fatigue sur les chemins. Ceux qui étaient catholiques furent impitoyablement renvoyés sur le continent. D'autres, par milliers, expédiés de droite et de gauche, dans le nord de l'Angleterre, aux îles Scilly, en Irlande, allèrent mendier du travail ou des terres qu'on leur refusait presque partout. Seulement un tiers des émigrants, environ dix mille, virent enfin, après plus d'une année d'attente, s'accomplir la promesse royale et furent transportés en Pennsylvanie en qualité d' « engagés », c'est-à-dire d'esclaves temporaires '. Des entrepreneurs spéciaux, désignés par le nom de *ouLdriver$, « mar- chands d'âmes », devinrent les commissionnaires de ce trafic, et chaque ville avait son marché où les malheureux exposés étaient vendus pour des périodes variables de deux à dix années. Jusqu'à la guerre de l'Indé- pendance, et même dans ce siècle-ci, on vendit ainsi des « engagés » : la raison principale qui fit discontinuer le trafic est que ces travailleurs, ne différant point de leurs maîtres par la couleur de la peau, pouvaient s'enfuir trop facilement. La plupart servaient chez leurs propres compa- triotes. C'est à des Allemands des districts orientaux de la Pennsylvanie que furent loués en servitude temporaire les soldats prisonniers hessois vendus par leurs souverains à l'Angleterre*. Sans doute les colons allemands de la Pennsylvanie et du Maryland, de provenance libre ou asservie, étaient mieux groupés que les immigrants d'autre origine ethnique, et ils eussent suffi pour constituer une nation nou- velle s'ils avaient eu la moindre solidarité et la conscience de leur force ; mais, trop humbles de nature et de religion, trop humiliés aussi par la fortune pour revendiquer leur descendance avec quelque fierté, ils cher- chèrent presque tous à s'élever en se fondant avec les maîtres du pays, les Anglo-Américains. D'ailleurs ils n'avaient plus avec leur patrie aucune relation de politique ni de commerce, à peine quelques correspondances de famille; la civilisation leur venait tout entière par leurs voisins de langue anglaise. Aussi la plupart oublièrent-ils leur parler après la pre mière ou la deuxième génération ; la proportion est très forte de ceux qui changèrent jusqu'à leur nom, soit en le traduisant en anglais, soit en le remplaçant par un sobriquet, un surnom personnel ou une dénomination 1 Franz Loher, Geschichte und Zustânde der Deuischen in Âmerika. * G. von Rath, Penmylvanien, IRLANDAIS, ALLEMANDS. 93 empruntée à la terre, de sorte qu'il serait impossible actuellement de connaître la force numérique des anciennes familles d'origine allemande qui peuplent les États du Centre, notamment la Pennsylvanie et le Mary- land. Ceux qui ont gardé leurs noms germaniques et conservé le patois originaire l'ont tellement mélangé de termes anglais, imposés par les nouvelles conditions de leur existence, qu'un compatriote arrivé d'Alle- magne ne parvient pas à le comprendre. La littérature amusante est riche en livres bizarres écrits dans ce jargon qui n'est ni allemand ni anglais et qui donne lieu aux plus plaisantes méprises. Seulement depuis le milieu du siècle quelques Dutchlanders des anciennes colonies ont été ramenés par les patriotes de la nouvelle immigration dans le giron de la nationalité germanique consciente ou même agressive. Les immigrants allemands venus en foule depuis 1848 dans toutes les parties de la République, agriculteurs, industriels, commerçants, gens de professions libérales, avaient dans leurs rangs assez d'hommes d'initiative et de valeur pour se distinguer aussitôt par leur travail dans l'ensemble de la nation américaine. En majorité, ils sont devenus les compatriotes des Yankees par l'usage plus ou moins fréquent de l'anglais et par leur participation à la vie sociale et politique; mais ils s'en distinguent par le caractère, les mœurs, et, du moins pendant la première géné- ration, forment une sorte de nation dans la nation. Ils sont restés en rela- tions constantes avec la mère patrie et contribuent pour une très forte part au commerce qui se fait entre Hambourg et New York, ainsi qu'entre les autres ports des deux contrées. Ils ont introduit aux États-Unis des fêtes et des cérémonies allemandes, chantent en chœur les hymnes natio- naux, cultivent leur littérature native et la développent dans les écoles, les théâtres, les journaux et les livres ; ils agissent même puissamment sur l'opinion publique et se la rendent favorable, ainsi qu'on put en juger pen- dant la guerre franco-allemande de 1871. À la suite de ces événements, 1 étude de la langue allemande se répandit rapidement dans les écoles amé- ricaines : même dans un État qui avait été territoire français, le Missouri, l'enseignement en devint obligatoire, et c'est vers les universités d'Alle- magne que se dirigent la plupart des étudiants américains qui vont à l'étranger; pour l'étude de la peinture, Paris est le principal centre d'appel. Les évaluations relatives à la proportion des Allemands qui vivent dans la république anglo-américaine varient singulièrement, par suite de la dif- férence des définitions. Pour plusieurs patriotes, sont Allemands tous ceux qui en Amérique naissent de parents germains ou même qui comptent 94 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. des immigrants germaniques parmi leurs ascendants : ainsi s'expliquent ces chiffres de six, même de dix millions d'Allemands mentionnés dans certains ouvrages comme peuplant les États-Unis. D'autres écrivains, moins exagérés dans leurs prétentions, classent parmi les Allemands tous les habitants des États-Unis qui ont gardé leur nom de famille et peuvent encore s'entretenir plus ou moins dans l'idiome primitif. Le calcul le plus raisonnable réserve le nom d'Allemands aux immigrants pro- prement dits et aux membres de leurs familles dont l'allemand est resté la langue usuelle. Ceux-ci sont fort peu nombreux, tant la puissance d'attrac- tion de la société américaine s'exerce avec énergie sur les nouveaux venus; tous les enfants, on peut le dire, pensent d'abord dans la langue du pays1 ; la plupart des immigrants s'américanisent vite, si bien qu'en peu d'an- nées ils parlent toujours anglais, même dans le cercle intime du foyer. Toutefois, en l'absence de statistiques spéciales fondées sur la déclaration même des citoyens, on peut évaluer approximativement à deux millions cinq cent mille hommes la part de l'élément germanique aux États- Unis'. Les israélites, qui sont d'ordinaire comptés parmi les Allemands ou parmi les Russes, devraient être énumérés à part; ils sont probable- ment au nombre de cinq cent mille, et leurs colonies, presque toutes urbaines, s'accroissent rapidement depuis que les rigueurs gouvernemen- tales rendent la vie très difficile aux juifs de la Russie. En comparaison des Irlandais et des Allemands, les autres nations d'Europe n'ont contribué que pour une part beaucoup plus faible au peuplement des États-Unis. Les colons venus directement de France, surtout à New York, en Californie, en Louisiane, ne sont pas même aussi nombreux que les descendants des émigrants français du dix- septième siècle, plus ou moins mélangés avec la masse de la population américaine. Ils sont surtout très inférieurs aux Franco-Canadiens par l'influence intime et profonde sur la race; mais ceux-ci ne sont pas des immigrants dans le sens proprement dit. Ne s'éloignant que faiblement de 1 Wilhelm Liebknecht, Ein Blick in die neue Welt. * Immigration allemande aux États-Unis de 1820 à 1890 : 1820 à 1830 6 751 individus. 1831 à 1840 152 454 * 1841 à 1850 434 626 » 1851 à 1860 951 667 » 1861 à 1870 822 077 » 1871 à 1880 757 628 » 1881 à 1890 1457 000 » Ensemble de l'immigration. . 4582 203 individus. ALLEMANDS DES ÉTATS-UNIS. 95 leur lieu d'origine, trop étroit pour leur action, ils élargissent simplement leur domaine, en suivant le mouvement qui entraîne vers l'ouest les habitants de la Nouvelle-Angleterre : l'ébranlement général qui déplace les Yankees les déplace également et ils viennent en multitude se substituer à ceux qui sont partis soit avec le désir de revenir, dans le lieu natal, soit pour s'établir dans une nouvelle patrie, mais toujours en communications faciles avec les parents et amis laissés à l'autre côté de la frontière politique. La partie septentrionale du Maine se trouve dès maintenant annexée au domaine ethnique franco-canadien de la province de Québec ; en quelques districts du Vermont et du New Hampshire limi- trophes du Canada l'élément d'origine française est également prépondé- rant : et chaque ville industrielle de la Nouvelle-Angleterre a sa colonie canadienne, bientôt divisée en deux fractions, des américanisés et des « Jean-Baptiste » restés fidèles à leur branche d'érable, symbolique de la nation. Dans le Michigan, l'Indiana, l'IUinois, le Wisconsin, le Minnesota, le mouvement d'expansion de la race franco-canadienne s'accomplit de la même manière, quoique à un moindre degré, comme le débordement d'un lac \ Les immigrants Scandinaves, Suédois et Norvégiens, Danois et Islandais, sont devenus relativement nombreux dans les dernières décades, ajoutant une force très précieuse à la population agricole des États froids du nord, tels que le Wisconsin et le Minnesota. De même les Italiens, qui naguère se dirigeaient seulement vers l'Amérique du Sud, ont appris le che- min du continent septentrional, et leur esprit d'entreprise, l'àpreté au gain que leur a donnée la misère, leur extrême sobriété, leur facilité d'acclimatement en font des colons naturels pour toutes les parties de l'Union; partout ils ont accaparé le commerce de détail pour les fruits. Mais la grande époque de l'immigration est passée : l'accaparement des terres et l'équilibre relatif de la population, répartie désormais dans toutes les parties de l'immense domaine, doivent avoir pour con- séquence de réduire constamment l'afflux des immigrants, et tandis que la foule des arrivants diminue, l'ensemble de la nation s'accroît : les nouveaux venus se perdent d'autant plus vite dans l'océan d'hommes qui les entoure. 1 Français et Canadiens aux États-Unis en 1891, d'après une évaluation approximative : Descendants des colons français et noirs « créoles D de la Louisiane . . 80 000 Immigrants français 100 000 Franco-Canadiens 820 000 | Ensemble 1000 000 i 96 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Toutefois, si la population blanche devient de plus en plus homogène, il reste un élément ethnique, d'une importance considérable, avec lequel la fusion a si peu été faite, que la plupart des Américains blancs n'y pensent même pas sans horreur : cet élément est celui des Africains, nombrant déjà aux États-Unis sept à huit millions d'hommes, soit un neuvième de l'ensemble. Ceux-là ne vinrent point spontanément, comme la plupart des autres immigrants : ce sont des fils d'esclaves apportés par les négriers et vendus comme bétail. Dans leurs pre- mières expéditions sur les côtes de la Floride et dans le Nouveau-Mexique, les conquérants espagnols amenaient des esclaves. A leur tour, les colons anglais s'empressèrent d'en acquérir : dès l'année 1620, les Virginiens recevaient, « par une heureuse dispensation de la Providence », leurs pre- miers nègres d'un navire hollandais, et bientôt après, le commerce, fait presque exclusivement par des marins anglais, se régularisa dans toutes les colonies britanniques de l'Amérique du Nord. Toutefois la vente des Africains se fit surtout dans les établissements situés au sud du Dela- ware, c'est-à-dire là où le sol, divisé en grands domaines, produisait le tabac et autres denrées coloniales. On évalue à trois cent mille le nombre des Africains qui, jusqu'à la guerre d'Indépendance, furent transportés, soit directement d'Afrique, soit de la Jamaïque ou de la Barba de, dans les colonies anglaises au nord de la Floride. Par le croît naturel cette popu- lation asservie aurait atteint, à cette époque, un demi-million d'hommes, dont les neuf dixièmes au sud de la ligne de Mason et Dixon1. Il semblait que la déclaration de principes qui proclamait « tous les hommes libres et égaux » eût dû avoir pour conséquence l'abolition de la servitude des noirs, mais il n'en fut rien. Les rebelles, il est vrai, firent un reproche à la Grande-Bretagne de leur avoir imposé la traite des esclaves, mais ils la continuèrent à leur profit; les armateurs du Rhode Island devinrent les vendeurs de la denrée humaine à la place des mar- chands de Liverpool et les planteurs du Sud ne cessèrent de s'appro- visionner en travailleurs africains : le recrutement des ateliers de nègres se faisait par achat, tandis que dans les régions septentrionales la libre immigration des ouvriers blancs suffisait à l'extension du travail. La pre- mière parmi les anciennes provinces la Pennsylvanie prit des mesures pour supprimer l'esclavage: en 1780, elle abolissait la servitude pour les enfants à naître. Les autres États du Nord l'imitèrent successivement par des lois différentes, et même il fut décidé que le territoire du « Nord- 1 George Bancroft, ouvrage cité; — Tucker, History ofthe United State*; — Auguste Cartier, De l'Esclavage dans ses rapports avec V Union Américaine. • TRAITE DES NOIRS, ESCLAVAGE. 97 Ouest » formerait plus tard plusieurs nouveaux États libres; mais rien ne fut changé aux conditions des nègres dans les États du Sud, et le gou- vernement maintint la liberté de la traite jusqu'en 1808. Après cette date, le trafic continua secrètement ', et le commerce des esclaves ne fut assimilé à la piraterie qu'en Tannée 1820 : jusque vers le milieu du siècle, des cargaisons de nègres cubanais furent débarquées sur les plages des Flo- rides et de l'Âlabama. Le croît naturel de la population africaine par l'excédent des naissances sur les morts permettait aux planteurs de main- tenir leurs cultures, leurs richesses, et par conséquent leur pouvoir, sans importer de nouveaux ouvriers. La différence des institutions, du genre de vie et des intérêts entre les États esclavagistes et les États libres, coïncidant avec une limite territo- riale nettement tracée de Test à l'ouest, devait avoir pour résultat de donner à la question de l'esclavage une importance capitale, d'en faire même la question unique et de subordonner à ce fait majeur tous les autres faits de la politique contemporaine. La lutte devint incessante dans le Congrès, et peu à peu les politiciens du Sud, qui, dans les premiers temps de la lutte, avaient encore quelque honte à se poser en défenseurs des institutions serviles, devinrent plus énergiques dans leur résistance, plus audacieux à l'attaque. En 1820, ils réussirent à faire entrer le Mis- souri dans l'Union comme pays à esclaves ; il est vrai qu'ils s'engageaient en échange à ne jamais demander l'introduction de travailleurs nègres dans les territoires situés au nord du 36° 50' de latitude. Ils le deman- dèrent néanmoins : chaque nouvelle extension du domaine de la Répu- blique occasionnait un nouveau débat et de leur part une nouvelle agres- sion. Les représentants du Nord eurent à céder jusque sur les questions de droit intérieur : un vote de 1850 assurait aux 113000 propriétaires du Sud la restitution de leurs esclaves fugitifs, et même une décision célèbre de la cour suprême déclara « le nègre sans aucun droit que le blanc fût tenu de respecter ». Plus unis que leurs adversaires, plus habitués au commandement, les gentilshommes planteurs avaient pris l'habitude de la victoire dans les débats législatifs. Mais les triomphes oratoires et juridiques ne leur suffisaient pas : il eût fallu surtout accroître leur domaine pour tenir tête aux communautés du Nord, si merveilleusement prospères. La France et l'Espagne avaient cédé la Louisiane et la Floride, l'une et l'autre terres d'esclavage ; l'ascendant < Importation des noirs en 1818 : 14 000. (Fr. Kapp, Die Sklavenfrage in den Vereinigten Staaten.) *n. 13 98 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. politique des planteurs leur avait fait conquérir le Missouri; de patientes invasions, des tentatives de colonisation souvent repoussées, puis la diplo- matie et la guerre ouverte, leur valurent l'annexion du Texas, contrée plus vaste que la France. Néanmoins ces accroissements de territoire les laissaient toujours dans une évidente infériorité en industrie et en richesse. De là ces tentatives des « flibustiers » du Sud dans l'île de Cuba et dans l'Amérique Centrale, tentatives qui plus d'une fois furent sur le point de réussir, mais qui finirent par se briser contre la résistance des popula- tions locales, des puissances étrangères, et surtout contre le refus de complicité chez les concitoyens du Nord. Il ne restait plus aux escla- vagistes qu'à rompre leur lien politique avec l'Union ; c'était la guerre, mais les « chevaliers du Cercle d'Or » s'y préparaient depuis longtemps, et lorsqu'elle éclata, ils eurent l'avantage de l'attaque. Toutefois les éléments de la résistance s'étaient graduellement amassés dans le Nord, non seulement par le conflit des intérêts, mais aussi par la constitution d'un parti d'abolitionistes, réclamant la liberté des noirs. Des conflits locaux avaient eu lieu, au Missouri, dans le Kansas; même John Brown et quelques-uns de ses amis avaient tenté d'insurger les nègres en pleine Virginie; l'opposition croissait à mesure que les « codes noirs » devenaient plus cruels et que les esclavagistes, non contents d'utiliser le travail de leurs nègres, en arrivaient à proclamer cette exploitation comme un principe sacré, conforme à la volonté divine et aux données écono- miques. Les églises même avaient dû prendre parti : oubliant que Wesley avait défini l'esclavage comme « l'ensemble de tous les crimes », la plu- part des wesleyens du Sud, ainsi que les membres des autres sectes, ne voyaient aucun mal à se faire éleveurs d'esclaves et s'interdisaient toute propagande religieuse, tout acte de fraternité envers les noirs asservis. La vie politique commune devenait de plus en plus difficile aux deux groupes d'États, les passions s'exaltaient, les contradictions monstrueuses tolérées dans la Constitution par les fondateurs de la République arrivaient à leur règlement définitif, la guerre à main armée. La seule lecture de la carte suffisait néanmoins pour annoncer d'avance l'insuccès fatal de la tentative de « sécession » faite par l'aristocratie des États à esclaves. En effet, la contrée dont ils voulaient faire un empire distinct n'est séparée des États libres du Nord par aucune limite naturelle; de part et d'autre, race, langue, religion se ressemblent : la seule différence était suscitée par les intérêts d'une classe, faible mino- rité dans la nation. Dès que la vallée du Mississippi, fleuve qui descend à travers le territoire entier, eut été conquise jusqu'à son issue vers la 1 ESCLAVAGE DES NOIRS, GUERRE DE SÉCESSION. 99 mer, cen était fait de la Confédération des esclavagistes : elle devait se rétrécir et se fondre dans l'étreinte des armées qui l'envahissaient de tontes parts. Du reste, la population des États vainqueurs, celle du nord- ouest de la République et de la région comprise entre les Grands Lacs, FOhio et le Mississippi, avait non seulement une forte prépondérance numérique, mais aussi la supériorité que donnait aux combattants une meilleure instruction, plus d'initiative et l'habitude du travail. De leur initiative directe les nègres ne prirent aucune part à la guerre : nulle part ils ne se levèrent en insurgés, mais on évalue à trois cent mille environ le nombre de ceux qui s'enrôlèrent ou que l'on fit entrer dans les rangs des soldats du Nord. Émancipés aujourd'hui, mais n'ayant pas reçu avec la liberté la terre qui eût pu les maintenir dans une réelle indépen- dance, lancés dans la bataille de la vie sans alliés et prenant pour devise une expression proverbiale du Sud : Root, hoq, or die! « Fouille du groin, porc, ou meurs! », pourvus du droit de vote, mais n'osant guère s'en servir, si ce n'est dans quelques États du milieu, tels que la Virginie, ils se trouvent dans cet état incertain et périlleux de l'affranchi qui a tout à craindre encore de ses anciens maîtres. D'autre part, ils sont tellement nombreux, surtout dans les terres basses, voisines de l'Atlantique et du golfe Mexicain, qu'ils inquiètent aussi les propriétaires blancs. Les noirs ne constituent, il est vrai, qu'un neuvième de la population nord-américaine, mais dans la partie qu'ils habitent ils ont en maints endroits l'égalité ou même la supériorité du nombre. La réconciliation est loin d'être faite, car à la différence de la position sociale, toujours si grave entre propriétaires et prolétaires, s'ajoutent les contrastes de la couleur et les rancœurs du passé. La vue même du nègre rappelle au planteur l'humiliation de la défaite. Récemment, on se demandait également si une autre question de race ne mettrait pas en péril les destinées des États-Unis : on parlait souvent des Chinois comme si une véritable invasion des jaunes allait disputer aux blancs le territoire à peine conquis sur les Peaux-Rouges. Il est certain que le mouvement d'immigration des Chinois sur la côte du Pacifique se pro- duisit avec une rapidité singulière pendant les années qui suivirent la ruée des mineurs blancs ; bientôt San-Francisco et chaque ville du versant occi- dental des Rocheuses eurent leur quartier chinois, dédale de rues mal- propres et d'odeur fétide, où des boutiques garnies et aménagées comme celles de Canton et de Changhaï s'appuient contre de lourdes bâtisses amé- ricaines. Les Chinois semblaient pulluler dans les quartiers pauvres et chaque navire de l'Extrême Orient en apportait d'autres par centaines. On 100 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. se demandait si l'Amérique ne serait pas promptement envahie par une race nouvelle, lorsque les « Célestes » arriveraient en familles pour séjour- ner, et non plus seulement comme immigrants temporaires. Il est vrai que ces coulies des bords du Si-kiang n'étaient point des travailleurs libres, venus à leurs frais : recrutés par les « cinq compagnies », que représen- tait une « sixième compagnie » à San-Francisco ! , ils arrivaient presque tous fortement endettés et le meilleur de leurs petits gains servait à payer les frais usuraires du transport, auxquels s'ajoutait, en prévision, le retour futur, soit à l'état vivant, soit dans un beau cercueil. Rendue fort difficile maintenant, et devenue même presque impossible par l'effet d'une législation rigoureusement prohibitive, l'immigration des Chinois en Californie ne menace plus de bouleverser les conditions écono- miques des États-Unis ; mais le fait du moment n'a qu'une importance secondaire : la chose capitale est qu'une expérience concluante ait été déjà faite et qu'un exode de Chinois dans le Nouveau Monde, par millions et par millions, soit reconnu comme une éventualité possible. En forçant les portes de l'Empire du Milieu et en obligeant le gouvernement de Pékin à recevoir et à protéger les « diables étrangers », les marins de la flotte américaine et les diplomates qui l'accompagnaient s'engageaient par cela même à bien accueillir les « Célestes » sur leur propre territoire. Ils ne sont point fidèles à leur engagement, par mesure de salut public, disent-ils, car ces travailleurs chinois sont, par leur facilité d'accommoda- tion au milieu, par leur adresse, leur sobriété, leur économie et leur esprit de solidarité corporative, trop dangereux pour que les ouvriers blancs puissent même tenter de soutenir leur concurrence. Ce conflit d'intérêts, joint à la haine de race qui se manifeste toujours instinctivement entre gens différents d'aspect, de couleur et de langue, explique les mesures prises contre l'immigration chinoise en Amérique; mais ne peut-on pré- voir le jour où les capitalistes intéressés à l'arrivée de ces Asiatiques ne seraient plus des négociants de Canton, mais bien des manufacturiers ou des syndicats américains brassant d'énormes affaires, et spéculant sur le bon marché de la main-d'œuvre? L'immigration chinoise recommen- cerait, en de tout autres proportions, et du même coup se produirait le mouvement inverse de l'émigration blanche, à moins de révolutions san- glantes changeant l'équilibre social. Quoi qu'il en soit, on ne saurait parler d'isolement économique ou poli- tique en un temps où il suffit d'un mois pour se rendre de l'Extrême Orient 1 Hepwoiih Dixon, The White Conquest. PUISSANCE DES ÉTATS-UNIS. 105 en Europe en passant à travers le territoire américain. Les États-Unis par- ticipent à toutes les oscillations du grand océan des peuples et ne peuvent si tenir à l'écart, malgré les énormes fossés qui les limitent à Test et à l'ouest. Du moins représentent-ils dans l'ensemble du monde une puis- sance telle que nul autre État ne pourrait songer à se mesurer avec eux. Presque sans armée et ne disposant que d'une marine militaire de second ordre, ils n'ont rien à craindre des nations dont les forces sont le mieux organisées pour l'attaque, et même ils peuvent se dispenser de mesures défensives, sachant bien que jamais invasion ne se portera vers leurs côtes ou du moins qu'ils sauront facilement parer au danger. Cette insouciance même fait leur force. Non seulement l'unité politique des Étals-Unis n'est plus menacée, comme elle le fut pendant la guerre de Sécession, mais s'il existait un péril, ce péril serait plutôt d'ordre inverse: c'est la trop rapide expansion du territoire nord-américain qu'il faudrait craindre, si pareil accroissement en étendue devait s'accomplir d'une ma- nière non spontanée, mais par conquête brutale ou par achat des contrées et des populations qui les habitent. Depuis la guerre du Mexique et le traité de Guadalupe Hidalgo, par lequel les États-Unis s'accrurent soudain de si vastes domaines, le peuple américain, satisfait d'acquisitions de cette importance, n'a point cédé à la tentation d'en faire de nouvelles ; mais la question n'en a pas moins été constamment discutée : à diverses reprises, les politiciens et les journaux ont demandé l'annexion de la péninsule Californienne ou des îles Havaii, du Canada ou de Terre-Neuve, de Cuba ou de Saint-Domingue, de la baie de Samanâ ou du Môle Saint- Nicolas. D'ailleurs, telle est la puissance politique des Anglo-Américains que, s'ils appliquaient leur volonté à cette expansion matérielle de leur domaine, ils ne manqueraient certainement pas de réussir à souhait. Auront-ils la sagesse de ne pas faire montre de leur force, donnant ainsi un exemple aux autres États, chez lesquels l'avidité des conquêtes faciles est souvent en proportion des difficultés intérieures? On peut craindre que ce calme majestueux ne se maintienne pas toujours, alors qu'on voit des personnages politiques, non contents de revendiquer « l'Amérique pour les Américains », s'agiter pour la constitution d'une « Pan- Amérique », dont l'hégémonie appartiendrait à la République anglo- saxonne. Du reste, l'unité et la puissance politique des États-Unis n'empêchent point que l'équilibre intérieur ne soit encore instable. La population est très inégalement distribuée sur l'ensemble du territoire et il en résulte des conditions démographiques différentes dans les divers États. i04 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Les deux tiers des habitants se sont groupés dans l'angle nord-oriental de la contrée, qui n'embrasse pas le quart du domaine et qui, surpeuplé en comparaison des autres parties du sol national, est devenu urt pays d'émigration. Ces régions à peuplement inégal présentent des contrastes de toute nature, dont le principal provient de ce que les communautés atlantiques du nord-est possèdent non seulement la prépondérance en densité de population, mais aussi l'hégémonie que donnent les capitaux, le commerce, l'industrie, les affaires. Là sont projetées les entreprises pour tout le reste de la contrée et là reviennent les bénéfices : Wall Street, la rue des financiers de New York, est, plus que le Capitole, le siège du véritable gouvernement de la République. Le pouvoir politique appartient à cette étroite aristocratie de l'argent, bien qu'elle ne l'exerce pas d'une manière directe, et c'est au profit de ses usines et de ses monopoles qu'ont été votées les lois qui condamnent les populations au renchérissement général de la vie. Ainsi les États-Unis ont, de par l'inégal peuplement des difficultés toutes spéciales pour arriver à constituer l'homogénéité nationale, et ces difficultés sont encore accrues par la différence des éléments ethniques en présence. Les habitants aborigènes, les Peaux-Rouges, ne sont assimilés que pour la moindre part, et, si ce n'est pour un petit nombre de tribus favorisées, les populations nord-américaines n'ont su que pousser devant elles, ou même exterminer, les premiers occupants, pour se mettre à leur place. A l'égard des nègres et des gens de couleur, les difficultés sont autres, mais plus graves encore, puisqu'il s'agit d'une population vingt- cinq fois supérieure à celle des indigènes primitifs. Pour écarter toute cause de lutte, il ne faudrait rien moins que persuader aux nègres de coloniser l'Afrique ou rejeter graduellement dans les Antilles les millions d'hommes appartenant à la race méprisée. Enfin, si les étrangers, pris en masse, sont presque universellement admis en qualité de futurs con- citoyens, la tolérance des natifs n'est pas universelle et l'on parle de choix à faire parmi les expatriés de l'Ancien Monde ; des rencontres san- glantes ont fréquemment démontré que l'alliance des races n'est pas encore faite dans la commune patrie américaine. Nos contemporains des États-Unis ont ces grands problèmes à résoudre, sans compter ceux que présentent tous les pays industriels, par suite de l'antinomie du capital et du travail. La terrible guerre qui ensanglanta le sol américain pendant quatre années n'a écarté qu'une partie des PUISSANCE DES ÉTATS-UNIS. 105 dangers et Ton peut craindre que d'autres conflits non moins formi- dables ne se produisent entre tant d'éléments hostiles. Quoi qu'il en soit, on ne saurait douter du grand avenir de cette fraction si éner- gique de l'humanité qui s'est emparée de l'espace du Nouveau Monde compris entre les Grands Lacs et le golfe du Mexique et qui, dans la durée d'un siècle seulement, est devenue la plus puissante et la plus riche de toutes les nations. L'histoire de l'Amérique donne comme un éblouis- sement. Peuplé de sauvages, chasseurs ou n'ayant qu'une agriculture radimentaire, ce' pays n'était pas même compté comme appartenant au domaine du monde civilisé, et voici qu'en l'espace de quelques géné- rations la contrée a pris le premier rang pour l'accroissement de la popu- lation et de l'industrie, pour l'énergie et l'intensité du progrès matériel ; quant à la conscience de sa force, le peuple américain la possède à un tel degré, que son gouvernement peut se permettre d'en abuser parfois, comme il l'a fait vis-à-vis de l'Angleterre, en soutenant, contre tous les précédents diplomatiques, voire contre le bon sens, que la mer de Bering est une « mer fermée ». Sans doute ce peuple des États-Unis, dont la croissance a été merveilleuse, n'est qu'un composé, à proportions diverses, de tous les éléments ethniques de l'Europe ; mais ces mélanges mêmes, ainsi que la différence du milieu et les nouvelles conditions créées par un autre point de départ historique, ont donné à l'Américain une singulière originalité de type. De même que leur guerre civile fut unique dans l'histoire des dissensions nationales, de même résoudront-ils peut-être d'une manière imprévue les redoutables questions économiques et sociales qui se posent maintenant dans le monde civilisé Le poète le plus original de l'Amérique, et à cet égard un des meilleurs représentants de sa race, Walt Whitman, s'adresse Gèrement dans une de ses strophes aux « Nations Étrangères » : ce J'ai appris, dit-il, que vous cherchez à comprendre l'énigme du Nouveau Monde; vous demandez qu'on vous explique notre démocratie d'athlètes. Voici mes poèmes : vous y trouverez réponse à vos questions1! » L'homme parle fièrement et ses paroles méritent d'être écoutées, car nul ne saurait mieux que le poète comprendre l'idéal profond qui se cache sous les apparences et les vulga- rités du dehors ; mais après avoir lu ses œuvres inégales, tantôt merveilleu- sement inspirées, tantôt froides comme un acte judiciaire, on reste encore hésitant et l'on se demande si le prophète n'a pas trop grandi son peuple en lui donnant une mission que malgré sa jeunesse et sa force il ne sau- 1 Ltùvet of Grau ; Inscriptions, p. 1 1 . inf 14 106 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. rait remplir à lui seul. Sans doute l'Amérique, tard venue parmi les nations, est Tune de celles dont l'exemple sera le plus utile et la part d'action la plus large dans l'œuvre commune ; mais en dehors de la soli- darité entre hommes de toute race et de tout continent l'accomplissement d'aucun progrès se peut-il concevoir? CHAPITRE IV LES APPALACHES ET LES ÉTATS OU VERSANT ATLANTIQUE I LES APPALACHES. Le relief des montagnes atlantiques commence bien en dehors du territoire des États-Unis : les plissements du Labrador et de Terre-Neuve, prolongeant leurs saillies des deux côtés du détroit de Belle-Isle, appar- tiennent au système qui prend le nom d'Àppalaches dans le territoire de la république Américaine. Mais le large estuaire et le golfe du Saint- Laurent interrompent les chaînes, et Taxe appalachien proprement dit a son origine dans les monts de la Gaspésie orientale, les Chikchak, qui développent leurs longues croupes au sud du Saint-Laurent, puis, s'éloi- gnant du fleuve sous le nom de monts Notre-Dame, pénètrent dans l'État du Vermont pour former la chaîne des Green Moun tains. De l'extrémité canadienne des Àppalaches, au-dessus de la baie de Gaspé, jusqu'au centre de l'État d'Alabama, où les dernières crêtes des monts s'affaissent sous les couches crétacées et tertiaires de plaines presque horizontales, la dis- tance, sans les inflexions diverses de la rangée majeure, est de 2100 kilo- mètres. L'orientation moyenne de la chaîne se dirige du nord-est au sud-ouest. Le système appalachien se compose d'un grand nombre de fragments secondaires, tous différents par la direction, la forme et le relief, mais se répartissant en groupes bien délimités, du nord, du centre et du sud. Le groupe septentrional, dans la Nouvelle-Angleterre, le plus ancien, — car ses massifs appartiennent aux formations siluriennes et dévonieunes, bien antérieures aux roches qui constituent la plupart des autres monts atlantiques, — est aussi de beaucoup le moins régulier d'allures; le long 108 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. travail des érosions, aériennes, glaciaires et aqueuses, en ayant sculpté les cimes et les pentes pendant une incalculable série de cycles ter- restres : montagnes du Maine, ceintes à la base par des labyrinthes de lacs; massifs affrontés des Green Mountains et des White Moun tains, que sépare la profonde vallée du Connecticut; rangées du Taconic et du Hoosic, qui se développent du nord au sud, parallèlement à la dépression par laquelle s'écoule le fleuve, toutes ces rugosités du sol constituent autant de saillies bien distinctes, mais reposant sur un socle commun, qui s'incline d'un côté vers le Hudson, de l'autre vers l'Atlantique. A l'ouest, la brèche continentale qu'empruntent les eaux du Hudson est une véritable cou- pure : une montée de 60 mètres seulement unirait le flot marin au Saint-Laurent par le réservoir du lac Champlain, et une deuxième poussée de la surface marine, à 75 mètres plus haut, réunirait le bassin du lac Ontario à celui de la rivière Mohawk et du Hudson par-dessus le seuil de partage1. C'est dans cette espèce d'île triangulaire, limitée au nord-ouest par le Saint-Laurent, au sud par le Mohawk, à l'est par le Champlain et le Hudson, que se dresse, rayé de crêtes parallèles, le plateau montueux de l'Adirondack, petit massif détaché des Appalaches du nord. La partie médiane du système appalachien commence dans l'État de New York avec les monts Catskill et les Highlands. Elle n'a d'abord qu'une faible largeur relative, puis s'étale sur un vaste espace dans la Penn- sylvanie, se plissant en de nombreux remparts d'une remarquable régula- rité de forme, de hauteur, de direction et d'escarpements : tous ces murs parallèles se ressemblent et les rivières qui se déversent dans l'Atlan- tique les découpent en tronçons d'une faible longueur. Le nom collectif que l'on donne à cette partie du système appalachien est celui de monts Alleghanies, tandis que la chaîne principale, la plus rapprochée de l'Atlantique, porte l'appellation de Blue Ridge ou « Crête Bleue ». Entre les deux bassins de la rivière Roanoke, tributaire de l'Atlantique, et de la Kanawha, affluent du Mississippi par l'Ohio, les inégalités de la chaîne, détours et diramations, indiquent le commencement des Appalaches du sud, ceux où se trouvent les dômes culminants du système, couronnant les Black Mountains et les Smoky Mountains, les « Noires » et les « Fumeuses ». Tandis que dans leur orientation générale les Appalaches du nord et du milieu sont légèrement infléchis, de manière à présenter leur convexité au nord-ouest, vers la dépression du Saint-Laurent et le bassin de l'Ontario, les Appalaches du sud se reploient légèrement en sens inverse, 4 1 D'après Logan. Les évaluations diffèrent de quelques mètres suivant les auteurs. SYSTÈME DES MONTS APPALACH1ENS. 109 Bans la plupart des chaînes de montagnes, les sommets dominateurs s'élèvent vers le centre du système. Il n'en est pas ainsi dans les Àppa- laches. Les pics suprêmes se dressent symétriquement vers les deux extrémités, au nord dans les montagnes Blanches, où le mont Washington atteint la hauteur de 1916 mètres, et au sud-ouest dans le groupe de Mitchell, ou le Black Dôme, le « Dôme Noir », arrondit sa croupe à 130 mètres plus haut. Les monts Alleghanies, vers le milieu du système X* 18. — AXE DU SYSTÈME APPALACUIEN, AU SUD DE LA SU8QUEHA35A. Ouest de Paris 6S" Ouest de Greenwich 1 s 11 000 OM C. Perron Sou kil. appalachien, n'ont pas même un millier de mètres en altitude moyenne. Par un contraste analogue, la plus haute des rides n'est point la saillie médiane, mais celle qui se redresse immédiatement au-dessus des plaines du versant atlantique : Blue Ridge, la chaîne orientale, se maintient comme la crête appalachienne par excellence sur une longueur de plus de 500 kilomètres. Une vallée longitudinale, large et profonde, ouverte du nord-est au sud-ouest entre des chaînes parallèles, a pu faire dire que, du moins dans les Alleghanies, l'axe positif d'une arête centrale est rem- 110 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. placé par un axe négatif, c'est-à-dire par un vide, où coulent les rivières affluentes de l'Ohio et de l'Atlantique. Les strates supérieures qui se développaient jadis vers le milieu de Taxe, à deux ou trois fois la hauteur actuelle des monts, étaient moins dures que les roches comprimées des plissements synclinaux, et ce sont elles qui, pendant le long travail d'éro- sion, ont fini par disparaître, laissant en saillie les anciens fonds1. Cepen- dant les Àppalaches ressemblent à la plupart des autres systèmes oro- graphiques par la forme du socle : les plateaux qui leur servent de base à l'ouest présentent leur plus grande largeur vers la partie centrale et non aux extrémités du nord et du sud; les hautes terres d'appui s'avan- cent au loin clans le bassin de l'Ohio. Étudiés en détail, les divers fragments de l'ensemble appalachien forment autant de petits mondes à part. Dans l'État du Maine, les « Hau- teurs des Terres », qui servent en partie de limite internationale aux États- Unis et à la Puissance, sont, ainsi que leur nom l'indique, plutôt un faîte inégal qu'une chaîne de montagnes se rattachant par une arête régulière aux monts canadiens de Notre-Dame. Au sud de la Hauteur des Terres le sol se relève peu à peu vers le centre de l'État, et sur un socle d'environ 200 mètres, rayé de vallées où dorment des lacs d'eau pure, s'arrondissent des croupes de formation silurienne ayant en moyenne de 600 à 1000 mètres de hauteur. Le Katahdin ou Ktaadn (1642 mètres), mont de granit presque complètement isolé dans un cercle de vallées lacustres, commande un immense horizon de forêts. Vers la mer, les roches silu- riennes, qui recouvraient l'ossature granitique, disparaissent, et la roche cristalline reste seule, découpée en promontoires et en falaises. Quelques roches éruptives bordent le littoral en presqu'îles et en îles : telle Mount Désert, dont le plus haut morne atteint 660 mètres. A l'ouest du Maine, les montagnes Blanches ou White Mountains, nei- geuses en effet pendant une grande partie de l'année, continuent le faîte principal, mais en prenant un aspect de chaîne beaucoup plus caracté- risé. Ces monts constituent le massif culminant des Appalaches du nord; ils correspondent symétriquement au massif des Black Mountains, à l'autre extrémité du système orographique. L'altitude de ces fiers sommets, ceux des États-Unis qui sont le plus fréquemment gravis, leur a fait donner les appellations des hommes fameux de l'histoire américaine, Washington, Lafayette, JefTerson, Madison, Adams, Monroe, Franklin, et souvent on désigne l'ensemble de ce massif comme la « chaîne des Présidents » (Pre- 1 Warren Upham, Popular Science Monlhly, Sept. 1891. MONTAGNES DE LÀ NOUVELLE-ANGLETERRE. 111 tidenlial Range). Le plus haut des sommets, auquel on a réservé le nom du « Père de la Patrie », s'élève presque isolé près de la frontière du Maine. Avec cette tendance naturelle qu'ont tous les peuples à l'exagération, les habitants du littoral évaluaient au dernier siècle à plus de 3000 mètres la hauteur de la montagne1; d'après Pickering*, elle est exactement de 1918 mètres. Une de ses parois se dresse à plusieurs centaines de mètres en hauteur verticale; sa base est échancrée par de profonds ravins ou notckeSy dans lesquels serpentent les chemins d'accès ; une voie ferrée esca- lade en ceinture les pentes de cet observatoire central de la Nouvelle- Angleterre. De la cime on voit à l'ouest tout l'alignement des pitons infé- rieurs et, par-dessus la vallée du Connecticut, la chaîne des montagnes Vertes; au nord-ouest on discerne à l'extrême horizon la cime bleue du Katahdin et la mer resplendit au sud-est. Vers le sud se succèdent de hautes terres formant bordure le long de la vallée du Connecticut : on y distingue les mornes du Sunapee (1413 mètres), du Monadnock (1133 mè- tres), du Kearsage (996 mètres), monts isolés, mais ayant appartenu à un ensemble orographique dont les cimes ont été partiellement nivelées par les glaces, tandis que les moraines ont comblé les vallées. La plus haute croupe dans l'intérieur du Massachusetts est le Wachusetts (615 mètres), dont le nom a la même origine que celui de la contrée. La vallée du Connecticut fut jadis bornée par un rempart de rochers dont les fragments, le Tom à l'ouest, le Holyoke à l'est, ont reçu le nom de mon- tagnes, quoique n'atteignant pas 400 mètres. D'origine volcanique, le Holyoke se termine par un faisceau de trapp columnaire, du haut duquel on contemple un des panoramas les plus fameux de la Nouvelle Angleterre. Si les montagnes Blanches doivent être considérées comme le prolonge- ment des saillies dont le Katahdin est le sommet dominateur, les montagnes Vertes ou Green Mountains du Vermont continuent avec plus de régularité la chaîne canadienne des monts Notre-Dame; elles appartiennent par conséquent à la chaîne majeure du système appalachien, dont les pre- mières saillies commencent avec le continent lui-même au sud du golfe de Saint-Laurent. Les montagnes Vertes n'ont pas l'orientation normale des Àppalaches : au lieu de se profiler du nord-est au sud-ouest, elles s'ali- gnent plutôt du nord au sud. Très inférieures en altitude aux montagnes Blanches, puisque leur sommet principal, leMansfield, n'a que 1328 mètres, elles se développent sur une beaucoup plus grande longueur en chaîne 1 Friedrich Ratzel, Die Vereinigten Siaaten von Nord- America. » Appalachia, December, 1886. 112 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. continue; elles se poursuivent même, mais sous d'autres noms, jusqu'au littoral maritime. Les hauteurs du Massachusetts, roches de marbre cris- tallin dites Berkshire Hills, d'après le comté qu'elles dominent, appar- tiennent à ce prolongement des Green Mountains. Un nœud montagneux, dont le piton principal est le Old Greylock ou ce Vieux Grison » à la double pointe (1068 mètres), dresse ses rochers de marbre blanc au-dessus de vallées profondes où naissent les premiers affluents du Housatonic : des opes ou « perspectives » qui s'ouvrent à tra- vers les forêts des pentes montrent un magnifique horizon de lacs, de bois et de campagnes ondulées. Deux chaînons prennent leur origine dans ce massif et prolongent vers le sud leurs crêtes parallèles, le Hoosic (Hoosac) à l'est, et le Taconic (Taghkanic) à l'ouest, également beaux par leurs combes de verdure, également fréquentés pendant la belle saison par la foule des visiteurs. Le Hoosic est la chaîne de montagnes que traverse le plus long souterrain de voie ferrée (7650 mètres) qu'il y ait dans l'Amé- rique du Nord. De même que le Taconic, il est formé de roches sédimen- taires anciennes reposant sur l'ossature primitive. Les problèmes de géo- logie soulevés à propos du « système taconique » ont tellement divisé les esprits et provoqué tant de passions entre les savants, qu'une carte d'Emmons, gravée à 3000 exemplaires, qui représentait le « taconique » de l'État de New York, ne vit le jour qu'après une trentaine d'années : elle avait été cachée par des personnes inconnues, intéressées probable- ment à maintenir des idées opposées dans la science1. Les Highlands ou « Hautes Terres », qui continuent au sud-ouest la chaîne du Taconic et dont le Hudson a percé le barrage par un défilé sinueux, vont se con- fondre avec les alignements peu élevés des Àppalaches de l'est dans le New York et le New Jersey. Des bandes étroites de roches éruptives, disposées en longs remparts, se montrent dans le voisinage des côtes, sur le rebord oriental des Àppalaches : telles sont les Palimdes ou « Palissades » qui dominent l'estuaire du Hudson, à l'ouest de New York, et le séparent des plaines marécageuses du Passaic. Les Àdirondacks s'élèvent comme une pyramide très émoussée dans l'espace triangulaire formé par le Saint-Laurent, le lac Champlain et la vallée du Mohawk. Des trois côtés les pentes se redressent insensiblement vers ce massif dont les croupes n'ont qu'une faible altitude au-dessus du socle de rochers. Le piton culminant, le Tahawus ou mont Marcy, atteint 1667 mètres. De même que dans les Hautes Terres' du Maine, les lacs et 1 Jules Marcou, Notes manuscrites. MONTS ADIRONDAKCS. 415 laguets sont si nombreux dans les Âdirondacks, que les montagnards ont l'habitude de charger leurs barques ou cdrries pour passer d'une vallée à une autre. On s'étonne de voir les gens escalader les monts avec ce bizarre H° 19. — MASSIF DES ADIRONDACKS. 77° j*v Ouest de h ans 75°50' 75*30' Ouest de Ijreenwich 75° se daprèaVSerplanck Col vin C. Perron Canal 1 : 1800 000 ■4 BOkil. outillage de bateaux et de rames ; mais ils connaissent si bien la topo- graphie de la contrée, qu'ils font la plus grande partie du trajet par eau. Arrivés à l'extrémité d'un lac qui emplit un fond de vallée, ils n'ont qu'à gravir un ressaut ou à franchir un isthme étroit pour recommencer leur navigation4. Emmons a proposé de réunir les principaux chemins * Verplanck Colvin, Adirondack Wildemess. xn 15 414 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. lacustres par de petits canaux et de supprimer ainsi les portages entre le haut bassin du Hudson, le Champlain et le Saint-Laurent. Les plus beaux sites ne sont pas dans le cœur de la montagne, mais sur le pourtour, là où la plaine contraste avec les escarpements. Telle est la « Porte des Àdirondacks » (Gâte ofthe Adirondacks), superbe écluse par laquelle la rivière Au Sable, dont le courant roule en effet un sable fin, s'échappe de la région des montagnes pour se déverser dans le lac Cham- plain. Peu de défilés ont un aspect plus grandiose. Les parois de rochers, verticales ou même surplombantes et formées d'assises régulières, les unes en saillie, les autres en retrait suivant leur force de résistance aux agents d'érosion, se déploient en vastes cirques aux tournants de la rivière; des coupures brusques dans les murailles ouvrent de distance en distance des échappées vers les forêts sombres. Ces grands bois sont menacés de des- truction complète par les bûcherons : ce qui les sauvera peut-être est que les premières eaux de la rivière Hudson jaillissent des monts Àdirondacks : aussi a-t-on projeté de « tabouer » toute la région en la revendiquant comme propriété nationale; l'État de New York a déjà fait l'acquisition d'une grande partie des montagnes et cherche à s'entendre avec les autres propriétaires, surtout avec les sociétés de chasse et de pêche, pour empê- cher le défrichement des hautes vallées. La conservation des forêts per- mettrait de maintenir la régularité du régime fluvial. Au delà du Mohawk, dans l'angle formé par les deux fleuves, les pre- mières collines appalachiennes, les Helderberg Hills, n'ont qu'un très faible relief; mais plus au sud les Catskills ont l'aspect de montagnes. Ces hauteurs portent encore un nom donné par les coloris bataves, prédéces- seurs des Anglais dans la contrée. La rivière Catskill ou «des Chats», qui se déverse dans le Hudson à la base orientale de ces montagnes, fut ainsi désignée d'après les nombreux chats sauvages qui parcouraient les forêts riveraines. D'accès difficile, couvertes de bois épais, les hau- teurs des Catskills furent longtemps évitées par les colons qui peuplèrent les bords du Hudson et du Mohawk. Les cartes les représentaient comme un massif informe sans allures bien déterminées : on pouvait seulement reconnaître qu'elles appartenaient, par leur position sur l'axe appalachien , à la grande chaîne orientale des États-Unis. Mais depuis 1862 l'explo- ration attentive de ces monts, faite d'abord par Arnold Guyot et ses élèves, puis complétée par d'autres géographes, a révélé peu à peu la vraie forme des Catskills et permis d'en dessiner des cartes précises, avec coupes et profils réguliers. Le fait capital, mis en lumière par Arnold Guyot, est que les Catskills MONTS CATSKILLS. 417 dirigent leurs chaînes précisément en sens inverse des chaînes appa- lachiennes normales. Tandis que l'ensemble du système et la plupart des fragments qui le composent sont orientés du nord-est au sud-ouest, les Catskills développent leurs crêtes dans la direction du nord-ouest au sud-est, parallèlement aux cours des rivières naissant dans leurs vallées, le Catskill, le Schoharie, l'Esopus. Cependant on constate ce phénomène bizarre, que les trois points culminants du massif, le Black Dôme (1354 mètres), le Hunter Mountain (1346 mètres) et le Slide Mountain (1402 mètres), sont alignés suivant Taxe des Àppalaches, du nord-est au sud-ouest, quoique appartenant à des chaînons différents. Dans leur en- semble, les Catskills, beaucoup plus élevés que tous les autres massifs du triangle limité par le Hudson, le Mohawk et le Delaware, se dressent comme une haute citadelle au-dessus des collines et des plaines environnantes. L'extrémité orientale s'élève fièrement en promontoires distincts, tandis que les parties occidentales du massif vont se perdre sous les couches on- duleuses des plateaux. Les chaînes parallèles, au nombre de trois, sont bien délimitées par les torrents intermédiaires : au nord, l'arête comprise entre la rivière Catskill et le haut Schoharie ; au centre, les monts Cats- kills proprement dits, limités par la même vallée du haut Schoharie et celle du haut Esopus; enfin, au sud de l'Esopus, la chaîne du Shanda- ken. Outre les portes ouvertes par ces vallées dans l'intérieur des mon- tagnes, quelques profondes coupures, d'où les torrents descendent en cas- cades, donnent accès vers les hautes cimes, coupoles de forme régulière et vêtues de forêts. Ces étroits défilés des rochers ont reçu des premiers voyageurs hollandais le nom de kloofs, les c/ottë* des colons actuels1. Au sud-ouest des Catskills, le système des Àppalaches semble d'abord s'interrompre ; mais les plissements du sol se relèvent peu à peu, com- parables à des vagues marines, sans haute saillie rompant l'uniformité de la crête. La première vague de pierre, dite South Mountain, « Montagne du Sud», ou First Belt, « Première Ceinture », développe sa longue croupe avec une hauteur moyenne de 300 mètres; puis vient la large vallée de Kiltatiny, qui constitue l'axe véritable du système appalachien, en se pour- suivant du nord-est au sud-ouest et en se relevant peu à peu de 50 à 180 mètres. Au delà se profile une autre saillie parallèle, la chaîne occi- dentale des Alleghanies, appelée aussi Kittatiny, comme la plaine médiane : c'est la « Montagne qui ne finit point ». Plus haute que la chaîne orientale, elle atteint par ses croupes supérieures une altitude de 400 à 500 mètres 1 Arnold Guyot, Phytical Structure and Hyptometry ofthe Catskill mountain région. 118 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. et présente un aspect assez fier, grâce au brusque relèvement des pentes, aux parois abruptes qui rompent çà et là l'uniformité des saillies, et aux forêts, du moins aux brousses qui recouvrent encore les rochers et con- trastent par leurs nuances foncées avec la verdure plus tendre des prai- ries et des cultures alternant dans la plaine. Le profil supérieur des chaînes alleghaniennes, quoique d'une grande régularité, est interrompu de distance en distance par des brèches soudaines : les unes, simples entailles qui ne découpent pas à une grande profondeur la masse ro- cheuse : ce sont les wind gap$ ou « portes des vents » ; les autres descen- dant jusqu'au niveau de la plaine, à la racine même des montagnes : ce sont les water gap$> les « portes des eaux », où les rivières passent de l'une à l'autre vallée. D'ailleurs les « portes des vents » ne sont que d'anciennes « portes de rivières » creusées à une époque lointaine, quand le travail d'érosion n'était pas encore aussi avancé qu'aujourd'hui. Ces passages furent abandonnés par les eaux courantes lorsque des brèches plus basses leur ouvrirent une issue plus facile * Si uniformes que soient les Àlleghanies dans leur structure générale, ils présentent dans leur chaîne principale plusieurs voussures secondaires formant autant d'alignements parallèles et séparées les unes des autres par autant de vallées, que des seuils intermédiaires divisent en dépressions distinctes. Les diverses voussures s'unissent en maints endroits comme deux rameaux d'un même tronc ; ailleurs elles se décomposent en ramifi- cations secondaires : les coupes transversales que les géographes dessinent des bords de l'Atlantique au versant mississippien offrent toutes quelques différences dans l'ondulation du profil montagneux. A l'intérieur des roches, les inégalités sont encore beaucoup plus grandes. Outre les plissements visibles, qui leur donnent dans l'ensemble une forme d'un rythme si étonnant, les Alleghanies montrent dans leur structure intime les traces d'autres mouvements qui restent cachés dans les profondeurs de la roche et que l'exploitation des mines a révélés aux géologues : ce sont les dislo- cations brusques, les failles qui, en certains endroits, ont fait glisser les couches jadis continues à des centaines et même à des milliers de mètres du lieu primitif. Dans la partie pennsylvanienne de leurs rangées, les Appalaches, coupés en tronçons par les deux branches de la Susquehanna, présentent dans leur ensemble une certaine convexité dont la flèche est dirigée vers le nord-ouest. C'est dans le territoire virginien, au delà des brèches où passe * Jacques W. Redway, Physical Geography of the United States. ALLECHAMES. 110 le Polomac, que le système de montagnes a sa plus grande régularité. L'ensemble du socle est plus élevé, la longue dépression intermédiaire, qui continue celle du Kittatiny et que l'on appelle en Virginie Gréai Valley, la « Grande Vallée ", est aussi d'une altitude supérieure et se poursuit sur une largeur moyenne de 25 à 30 kilomètres ; les chaînes parallèles, plus hautes également, dépassent un kilomètre par leurs croupes suprêmes : Mount Marshall, Ragged Mountain, Stony Man, Hawk's Bill se succèdent au sud du confluent des deux Shenandoah. Toute la contrée se trouve naturel- lement divisée en bandes longitudinales d'égale largeur : en bas, sur le 120 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. versant de l'Atlantique, la région des avant-collines désignée par le nom français de « Piedmont »; plus à l'est, la chaîne orientale ou Blue Ridge; puis la Grande Vallée, puis encore d'autres rangées, dont la principale, dominant les versants tournés du côté de l'Ohio et de ses affluents, est dite Cumberland Mountains ; la partie la plus abrupte des escarpements, noire de forêts, prend le nom d'Alleghany Front, « Façade des Alleghanies ». On peut en certains districts compter, sur une largeur de 50 kilomètres, jus- qu'à vingt saillies successives du sol ayant chacune des centaines de mètres en hauteur au-dessus des dépressions intermédiaires. Mais le socle exté- rieur, dans West Virginia, a perdu en maints endroits toute apparence de régularité : ce n'est qu'un chaos d'ondulations inégales comme la surface de la mer entre-choquant ses vagues sous les vents tournoyants d'un cyclone. La partie méridionale du système appalachien, qui se développe dans le Tennessee et dans la Caroline du Nord, n'a plus cette forme régulière qui rappelle la marche des chenilles processionnaires ou celle des troupes de soldats défilant par régiments et bataillons. Plusieurs chaînes s'unissent de manière à constituer des massifs à profil irrégulier; d'autres s'alignent suivant des orientations qui diffèrent de la normale, et leurs croupes se dirigent du nord au sud ou de l'est à l'ouest; quelques-unes se dressent isolément, limitées de tous les côtés par des vallées profondes. C'est là que le système appalachien présente la plus grande diversité d'allures et c'est aussi là qu'il est le plus fier d'aspect et que ses pointes, dômes ou plates-formes terminales s'élèvent le plus haut. La chaîne la plus rappro- chée de l'Atlantique, à laquelle l'usage maintient le nom de Blue Ridge, mais qui se divise en de nombreux massifs et chaînons aux appellations distinctes, porte les sommets dominateurs. Roan Mountain (1916 mètres) a pour rival du côté de l'est le plateau du Grassy Ridge ou de la ce Crête Herbeuse ». 'Les Montagnes Noires ou Black Mountains, ainsi nommées de leur végétation d'abies nigra et autres conifères à feuillage noirâtre, les « Fumeuses » ou Smoky Mountains, les Unaka, dressent leurs croupes à plus de 2000 mètres : le mont Guyot, dont le nom rappelle le principal explorateur de la chaîne, a presque exactement cette hauteur ; le Clingman's Dôme s'élève à 2017 mètres; le Mount Mitchell, bien limité à l'est et à l'ouest par de larges coupures, dépasse encore cette altitude, d'après la nouvelle carte topographique des États-Unis (2045 mètres). Toutes les montagnes sont boisées, à l'exception des sommets « chauves » ou balds, — appelés quelquefois bail» par corruption de langage1, — qui ont plus 1 James M. Safford, Geology of Tennessee. APPALACHES. 121 de 1500 mètres en altitude. La végétation de ces croupes qui paraissent pelées se compose de broussailles, de fougères, de groseilliers sauvages et autres plantes à baies, et plus haut d'herbes savoureuses constituant d'admirables prairies. Les balds de Roan Mountain, se prolongeant sur un espace d'environ 10 kilomètres, servent en été de pâturages pour les juments et les poulains de toutes les contrées a voisinantes * . Ces massifs appalachiens du sud, les plus remarquables par la beauté des sites et la variété des essences végétales, sont à peine connus en compa- raison des montagnes de la Nouvelle-Angleterre, moins élevées et moins riches par la flore arborescente, car la population des États méridionaux, blanche et noire, est encore peu dense et la force d'attraction des beaux sites s'exerce dans une large mesure en proportion de la civilisation des pays environnants. D'ailleurs les montagnes des Carolines et du Ten- nessee sont d'escalade très difficile : la basse végétation qui recouvre le sol et où dominent tous les arbustes du genre des rhododendrons, se presse en une masse tellement épaisse, que l'on ne trouve parfois aucun passage; si ce n'est les trouées que les ours ont faites au tra- vers du lacis des branchages en le brisant sous leur poids. Les chemins de fer et les routes qui pénètrent dans les hautes combes ou même fran- chissent les cols ne sont pas encore reliés en un réseau par des sentiers de montagnes. Mais chaque année agrandit le domaine des excursions et des études. Au delà des monts caroliniens, les chaînes s'abaissent rapidement; toute- fois en territoire géorgien, sur le prolongement des Appalaches, nombre de pics dépassent encore mille mètres de hauteur; les groupes de l'Enota, des Bald, Tray, des Blood Mountains, enfin l'Adams' Knob ont respectivement 4460, 1236, 1537, 1366 et 1093 mètres. Les diverses sources du Goosa, branche maîtresse de l'Alabama, naissent entre ces divers massifs et la vallée de cette rivière forme le trait physique le plus remarquable du sys- tème appalachien : on peut la considérer comme la continuation de l'axe majeur. D'ailleurs le Coosa et les rivières voisines coulent entre des escar- pements qui en maints endroits prennent l'aspect de montagnes : des deux côtés, les versants parallèles, qui correspondent par leurs saillies et leurs rentrants, se redressent d'un élan tel, qu'on les prendrait pour les socles de pics superbes; mais dès qu'on a dépassé l'arête supérieure, aperçue d'en bas, on se trouve sur un plateau presque horizontal ; en s'éloignant des vallées sur ces causses parfaitement unis, on perd bientôt de vue les 1 Mhcbell, American Journal of Science, 1839; — James M. Saflbrd, ouvrage cité. 122 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. vallées profondes et l'on pourrait se croire dans une immense plaine nivelée par les eaux de la mer. La vraie (in des Àppalaches, sinon dans la partie invisible des roches, du moins dans le profil extérieur, est celle où les plateaux de formation secondaire succèdent aux saillies d'origine ancienne qui constituent l'os- sature des monts jusqu'au golfe du Saint-Laurent. Toute la zone orientale du système appalachien consiste en granits et en formations azoïques ou paléozoïques d'une haute antiquité, ayant donné lieu à cette assertion si souvent répétée, que le Nouveau Monde est en réalité le plus ancien ; du moins y a-t-on trouvé des restes fossiles des âges les plus reculés. Plu- sieurs géologues croient avoir reconnu dans le gneiss lui-même une espèce de foraminifère, à laquelle ils ont donné le nom d'eozoon, « aurore de la vie »; mais, en admettant qu'il y ait eu méprise, le trilobile de Braintree (paradoxides Harlani), découvert dans les roches de la ban- lieue bostonienne, serait le premier animal connu de la faune terrestre tout entière1. Plus à l'ouest, diverses chaînes appalachiennes sont formées de couches siluriennes et dévoniennes, et toute la partie occidentale des monts appartient aux âges carbonifères. On sait de quelle importance capitale pour le peuplement et les progrès industriels de la contrée ont été les couches de combustible déposées entre les diverses assises de ces formations anciennes, couches d'autant plus précieuses que des veines de fer d'une extrême puissance et d'une qualité supérieure se développent en rubans le long de presque toutes les chaînes du système appalachien. Les charbons que l'on trouve à l'est des montagnes en de petits bassins elliptiques de la Virginie et de la Caroline du Nord appartiennent à l'époque jurassique. Ils se sont déposés en des conques du granit, et depuis leur formation ont été si profondément bouleversés, que l'exploitation en est très difficile. Bien différentes en âge, les couches d'anthracite que l'on a décou- vertes dans les Alleghanies du nord reposent sur des roches paléozoïques. Elles constituent des aires distinctes, disposées le long de chaînes, et restent séparées les unes des autres par de vastes espaces où le charbon s'était également déposé, mais dont l'érosion, poursuivie pendant de lon- gues périodes géologiques, a fait disparaître les assises. Les anthracites de la Pennsylvanie se prolongeaient autrefois vers le nord-est à travers le New York et le Connecticut et s'unissaient aux formations du même genre dans le Rhode Island : il ne reste peut-être pas un centième de l'immense couche de l'anthracite appalachien. Mais à l'ouest des montagnes, en dehors 1 Jules Marcou, Notes manuscrites. APPALACHES. 125 du théâtre des événements terrestres qui ont plissé, contourné et raboté les Alleghanies, les strates régulières des charbons bitumineux s'étendent en une vaste nappe continue dans la Pennsylvanie occidentale, l'Ohio, West Virginia, le Kentucky, le Tennessee et l'Alabama; la seule brèche considérable s'est formée au passage de la rivière Tennessee, en aval de Chattanooga. Des transitions graduelles se produisent de Test à l'ouest dans la composition des charbons. Tandis que les anthracites ne contiennent que de 2 à 5 pour cent de gaz et brûlent clairement, les charbons de l'ouest en renferment de 20 à 40 pour cent et répandent une fumée très intense. De là le contraste des usines employant les deux combustibles : dans la vallée de la Susquehanna elles ne salissent pas l'atmosphère; dans celle de la Monongahela, les cités industrielles employant la houille vomissent incessamment des nuages de fumée noire. Évidemment la dif- férence des deux matières provient de leur histoire géologique : les char- bons bitumineux, restés exactement dans l'état où ils ont été déposés, n'ont pas perdu leur composition primitive ; les charbons de l'est, au contraire, ont été si souvent dérangés ou même brisés, que les gaz, en s'enfuyant de la roche, ont transformé la houille en anthracite1. En outre, on ne trouve sur le versant oriental des monts aucune de ces nappes profondes d'huile ni de ces poches de gaz qui caractérisent la géologie souterraine du bassin supérieur de TOhio et dont la découverte a produit une si remarquable révolution industrielle dans ces contrées. II FLEUVES DU VERSANT ATLANTIQUE. Les eaux courantes qui descendent des Appalaches, d'un côté vers l'Océan, de l'autre vers le Mississippi et les Grands Lacs, continuent modestement l'œuvre géologique de la trituration et du déblayement des roches, com- mencée après le retrait des glaces qui couvrirent l'Amérique du Nord jusqu'au delà du Hudson. Depuis longtemps les géologues ont reconnu que les régions septentrionales des États-Unis furent recouvertes à une époque antérieure, et même à deux reprises, par une épaisse couche de glace, et ils ont constaté eh outre que ces amas cristallins en mouvement ont poussé devant eux de puissantes moraines et transporté de lourds blocs de pierre. Des observations de détail poursuivies avec méthode ont permis 1 Lesky, Geology of Pennsylvania; — G. von Rath, Pennsylvanien. 424 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de délimiter à peu près exactement la partie du territoire qui fut ainsi soumise à Faction des glaces et dont le sol primitif, du moins dans les plaines, a disparu sous les débris de roches apportées du nord. Sur le littoral de l'Atlantique, toute la Nouvelle-Angleterre, y compris ses pénin- sules et ses îles, appartient à cette zone et, d'après la hauteur des stries glaciaires observées sur les pentes des montagnes, on peut évaluer à plus de 500, peut-être même à 700 mètres, la puissance de l'ancien glacier qui s'étendait autrefois sur le Connecticut méridional1. Les débris entraînés dépassèrent la vallée profonde du Hudson, et, passant par-dessus le New Jersey, descendirent au loin dans la Pennsylvanie pour franchir les chaînes parallèles des Alleghanies et se déverser dans les couches supé- rieures de la Susquehanna occidentale. Telle roche de granit que Ton trouve dans le Massachusetts appartenait aux montagnes du New Hampshire ; telle autre pierre perchée sur une terrasse calcaire de la Pennsylvanie se détacha des Adirondacks ou des monts Notre-Dame. Dans la haute vallée de la rivière Allegheny sont épars, à plus de 570 mètres d'altitude, des blocs dont le massif originaire est au moins à 400 kilomètres de distance1. La période de transition entre les glaciers et les fleuves au cours régu- lier est encore loin d'être achevée dans la partie septentrionale des États- Unis. Au sud du Saint-John, qui appartient à l'Union par ses affluents supé- rieurs, et du Saint-Croix, qui en forme la limite nord-orientale du côté du New Brunswick, les rivières sont plutôt des enchaînements de lacs, unis par de simples déversoirs, que de véritables cours d'eau : la période lacustre, succédant à la période glaciaire, se continue dans le Maine. Chaque vallée, chaque combe a ses lacs ; de même chaque dépression des plateaux ou des terres en pente a ses flaques, ses marais ou tourbières qui se des- sèchent à demi pendant les sécheresses, se gonflent pendant les pluies et les temps de brouillard, si fréquents dans ces régions. Un éboulis, 1 érosion d'une berge, changent les effluents d'une rivière à l'autre, et fré- quemment les eaux s'épanchent de deux côtés à la fois, comme celles d'une vasque dans les fontaines monumentales. Tous ces lacs se ramifient en branches latérales dans les vallées qui découpent le massif montueux ; mais dans l'ensemble ils sont orientés du nord-ouest au sud-est, suivant la pente générale du sol, et les rivières qui s'en échappent, descendent de degré en degré, c'est-à-dire de lac en lac, perpendiculairement à la mer. De tous les cours d'eau qui découlent ainsi de la Hauteur des Terres, les plus 1 James D. Dana, American Journal. X. * T. G. Chamberlin, Bulletin of the United States Geological Survey, n° 58. FLEUVES DU VERSANT ATLANTIQUE. 125 abondants sont le Penobscot, dont les sources naissent sur le pourtour du mont Katahdin, et le Kennebec, qui naît dans le Moosehead, le plus grand lac du Maine, et que double le courant de l'Androscoggin, immédiatement avanl l'embouchure commune. Plus au sud coulent le Saco et le Merrimac, qui reçoivent leurs premières eaux des montagnes Blanches. Tous ces écou- lements qui passent de la forme de lacs étages à celle de rivières, four- nissent à l'industrie une force motrice considérable, cause première du groupement des populations et de la naissance des villes. Dans le Massachusetts et le Rhode Island le versant maritime est trop étroit pour que des rivières abondantes puissent le parcourir : elles ne prennent l'aspect de fleuves qu'à leurs embouchures, grâce à la marée. Mais à l'ouest des montagnes Blanches une large brèche permet aux eaux de la Hauteur des Terres de s'échapper vers le sud en une « longue ri- vière » : tel serait le sens du mot indien Auonektakat ou Connecticut, inter- prété aussi comme la « rivière des Pins ». Le cours de ce fleuve, depuis les frontières du Canada jusqu'à l'embouchure qui s'ouvre dans la manche de Long Island, dépasse celui de tous les autres courants de la Nouvelle- Angleterre. Sa vallée est déjà beaucoup plus régulière et les lacs étages de son bassin primitif se sont presque tous vidés, entre autres celui qui existait jadis en amont du défilé de Holyoke; mais les rapides et les cas- cades, avec leurs villes latérales d'usines, interrompent encore le cours flu- vial de distance en distance. Une autre rivière, qui se déverse aussi dans la manche de Long Island, à l'ouest du Connecticut, le Housatonic, offre un régime analogue1. Le Hudson, qui court parallèlement au Connecticut, est, au point de vue géologique, plutôt un reste de détroit maritime qu'une rivière. Il ne formait autrefois qu'une même nappe d'eau avec le lac George et le lac Champlain et s'unissait par ces magnifiques bassins avec l'estuaire du Saint-Laurent. L'ensemble de la dépression que parcourt le Hudson, dominé d'un côté par les Green Mountains, de l'autre par les Àdirondacks, constitue même une de ces vallées médianes des Àppalaches, telles que les longues rainures 1 Rivières principales de la Nouvelle-Angleterre, d'après Wells et autres : Longueur du cours. Bassin fluvial. Débit moyen. 480 kilomètres. 21 000 kil. carrés. 285 met. cubes par seconde. 360 » Penobscot. . Kennebec. . Àndroscoggin ,OA ,23500 n 312 » 320 » 150 » 3 500 » 48 » » Merriinac . . Connecticut . Honatonk.. . . 250 » 5 600 » 50 » » 275 » 12 000 » 150 » » 650 » 23 000 » 300 » » 126 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. dans lesquelles coulent la Shenandoah et la New River ; le lac Çhamplain, au lieu de se replier vers le sud-ouest avec le reste du système appala- chien, s'ouvre au sud pour communiquer avec la mer par une brèche latérale : comme tant d'autres traits du relief planétaire, la fosse con- tinue où se succèdent les lits du Çhamplain, du lac George et du Hudson doit son origine à des causes multiples. Le déversoir du Çhamplain et le Hudson, unis maintenant par un canal artificiel, forment l'axe central de la vallée. Le lac George, l'ancien Horicon, « Eau d'Argent », occupe une petite dépression latérale, parallèle à l'extrémité méridionale du lac Çhamplain et se déversant dans le bassin principal par une nappe plongeante de 10 mètres en hauteur, le torrent du Ticonderoga ou 1' « Eau bruyante» : près de là les Français avaient bâti le fort Carillon, ainsi nommé de la mu- sique des cascades, la citadelle la plus importante de ce territoire si sou- vent débattu entre Français et Anglais. Le lac est une des « merveilles » de l'Amérique du nord-est : à demi fleuve, à demi bassin, il serpente au pied des monts et des collines, variant à l'infini le paysage de ses plages et de ses promontoires, de ses iles basses ou rocheuses, nues ou boisées; l'eau transparente a jusqu'à 120 mètres de profondeur dans la vasque la plus creuse : on dit que sa pureté cristalline explique le nom de lac « Saint- Sacrement » donné par les Français : son eau était employée pour le bap- tême dans les paroisses du Saint-Laurent. Le Çhamplain, très allongé comme le lac George, serpentin comme lui et tantôt s'étalant largement dans un bassin circulaire, tantôt se rétrécissant entre des pointes de rochers, offre en grand des tableaux analogues à ceux du gracieux lac de l'Eau d'Ar- gent. Environ quatre fois plus long, il s'étend sur une largeur moyenne beaucoup plus considérable : son extrême profondeur est à peu près la même, 120 mètres. Découvert en 1609 par Samuel Çhamplain, il est resté par son extrémité septentrionale en territoire canadien, et la rivière qui s'en épanche, le Sorel ou Richelieu, coule en entier dans la province de Québec. La plus haute source du Hudson jaillit dans le cœur des Adirondacks, à 1510 mètres d'altitude, au pied du Tahawus : le petit lac d'origine a reçu le nom poétique de Tear ofthe Clouas, « Larme des Nuées ». Le tor- rent descend de cascade en cascade, entraînant dans ses flots des frag- ments de labradorites, bleu, vert et or, opalin. Des centaines de lacs unissent leurs ruisseaux au Hudson naissant; il devient bientôt fleuve et roule une masse d'eau considérable. Des rochers de marbre noir barrent sa route à Glen's Falls : il plonge en une superbe nappe de 25 mètres, dans LACS CHAMPLAIN ET GEORGE, HUDSON. 127 un ravin profond où des maisons ont maintenant remplacé les rochers et les arbres, puis, après une série de rapides, s'abat de terrasse en terrasse par de nouvelles cascades. L'endroit où il se réunit avec le Mohawk, presque à moitié distance de la source à l'embouchure, soit à 250 kilo- mètres environ de l'une et de l'autre, est un des points vitaux dans la géo- graphie du continent américain : les deux vallées qui se rencontrent à angle droit, l'une orientée vers les Grands Lacs, l'autre vers le bas Saint- Laurent, sont deux voies historiques trop bien marquées pour que le lieu de jonction n'ait pas toujours été d'une grande valeur stratégique, même lorsque le pays n'était habité que par des sauvages. Les Français et les Anglais, puis les Américains rebelles et les troupes royales, s'y heurtèrent fréquemment. Quand vint l'ère de la colonisation et du commerce, ce carre- four des branches maîtresses du Hudson eut un autre rôle, celui d'assurer la prospérité de New York. Les villes qui se succèdent sur les deux bords en une cité continue, témoignent des avantages que présente ce lieu privilégié. Le Mohawk, qui s'unit à angle droit avec le Hudson et lui donne son caractère fluvial, nait à l'est de la région lacustre des « Six Nations » et coule d'abord en des campagnes doucement ondulées entre des prairies et des bouquets d'arbres. Un courant venu du nord double ses eaux : c'est le Canada Creek, — Kanahta, « Eau d'Ambre», — fameux en Amérique par ses merveilleuses cascades, les Trenton Falls. L'eau plonge en cinq grandes cataractes, par glissements et rapides d'une hauteur totale de 95 mètres, dans un ravin profond empli de verdure. L'aspect des chutes et des mille paysages de la vallée profonde varie à l'infini ; les parois de la gorge, formées de calcaire silurien, se dressent comme des murs aux assises horizontales, variant d'épaisseur et coupées de fissures; le fond du ravin est comme pavé de dalles d'un bleu noir, que polissent les eaux d'inon- dation et que les érosions du flot détachent çà et là. Les Trenton Falls sont un lieu classique pour les géologues, grâce à leur richesse en fossiles appartenant à l'aurore du monde. En aval du confluent, le Mohawk, contournant la base des Adirondacks, plonge lui-même en cascades, utilisées par les usines de Little Falls, puis il coule en un courant paisible entre des rives herbeuses jusqu'à sa der- nière cataracte, celle de Cohoes, en amont de l'archipel d'îlots brisés entre lesquels s'unissent les courants du Mohawk et du Hudson. Mais la chute, haute de 24 mètres et large de 300, n'existe plus que pendant les crues : les usiniers l'ont mise en entier au service de leurs machines et divisée en mille canaux, qui, tout souillés, rentrent dans le lit fluvial, vomis par des conduites en bois ou en fer. 128 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Unis, les deux fleuves forment le Hudson proprement dit, le cours d'eau magnifique auquel on donne souvent le nom de « Rhin américain », mérité, moins par la poésie des mythes et par les souvenirs de l'histoire, qui d'ailleurs lui prêtent déjà leur enchantement, que par la beauté, le pittoresque et la variété de ses paysages : à cet égard, le Hudson n'a guère de rivaux. Pour l'activité du mouvement commercial et le va-et-vient des voyageurs, il égale aussi, dépasse même le Rhin; des lignes de fer le bordent des deux côtés, et les bateaux à vapeur, les remorqueurs de cha- lands, les voiliers de transport ou de plaisance, le sillonnent incessam- ment : un seul loueur traîne parfois jusqu'à cinquante barques. La marée ne remonte pas au confluent des deux rivières, mais elle se fait sentir à une petite distance en aval, du moins en soutenant le courant d'amont et en retardant sa vitesse. Jadis, lorsque l'outillage des transports n'était pas aussi développé qu'aujourd'hui, les navires de mer remontaient le Hudson avec le flot jusqu'à Hudson, à 185 kilomètres de la mer. Tous les hivers, le fleuve se couvre d'une dalle cristalline en amont du lit parcouru par les marées, et l'une des principales industries des riverains est l'ex- ploitation de la glace. Les traîneaux à voiles glissent à merveille sur ce champ de cristal à peine incliné. Le Hudson contourne les promontoires des Gatskills sans former de ra- pides. A la traversée de la chaîne des Highlands, il maintient encore l'égalité de son courant ; mais en amont de l'obstacle il s'étale en un véritable lac, puis se rejette à droite et à gauche par de brusques détours. Là était le barrage qui retenait les eaux du Hudson et les faisait refluer au nord vers le Saint-Laurent par le bassin du lac Ghamplain. La largeur moyenne du fleuve en amont et en aval est d'un kilomètre environ, mais au passage des Highlands il se trouve rétréci à 550 mètres. Du reste, le Hudson res- semble encore aux fleuves du Canada par son caractère inachevé : il a gardé un peu l'aspect d'un fjord par les irrégularités de ses rives coupées de baies et de criques; les berges n'ont pas encore été définitivement formées en maints endroits : c'est le travail de l'homme qui par la construction de digues laté- rales a donné au fleuve un profil plus régulier. La grande « baie » de Tappan, qui s'ouvre en aval des Highlands, est en réalité un lac allongé, découpé en plusieurs bassins par des promontoires rocheux. Plus bas, après avoir repris ses allures de fleuve, le Hudson passe à la base orien- tale des falaises de trapp dites Palisades ou « Palissades », probablement à cause d'anciens ouvrages fortifiés des colons hollandais. Ces roches, qui s'élèvent de 100 à 150 mètres au-dessus du courant, se prolongent sur un espace de 24 kilomètres presque en face de New York. Les piliers sont par FLEUVES HUDSON ET DELAWARE. 129 intervalles assez distincts pour former de véritables colonnades, mais des éboulis gazonnés réduisent leur hauteur de moitié. Au-dessous des Palisades, le Hudson, appelé North River par les marins, parce qu'il se trouve au nord du Delaware, — dit autrefois South River ou« rivière du Sud », — est déjà la baie de New York. Une de ses branches latérales, bayou sans profondeur et bordé maintenant d'un canal, creusé dans le roc, se détache du fleuve à Test pour rejoindre une autre moitié du grand port, East River, et se ramifier, en outre, par Hell Gâte ou la « Porte d'Enfer », vers la manche de Long Island. Le Hudson se con- fond avec les baies et les détroits de l'estuaire1. La prolongation sous- marine de la vallée hudsonnienne, phénomène analogue à celui que Ton constate d'une manière si évidente au « Gouf » de Cap-Breton, en face de l'ancienne bouche de l'Adour, se reproduit au large de l'estuaire du Hud- son, dans le bassin Atlantique. Ce fait a été reconnu pour la première fois par le géologue Dana, d'après les sondages du Coast Survey. Les cours du Delaware et des autres fleuves qui traversent les Âppalaches diffèrent beaucoup de ceux du Connecticut et du Hudson. Tandis que ces deux courants descendent directement du nord au sud entre les groupes de montagnes, le Delaware, orienté du nord-ouest au sud-est, coule vers la mer par une succession de brusques détours dans les vallées longitu- dinales et dans les coupures transversales des monts. Les premières sources du Delaware naissent dans les combes occidentales des Catskills et coulent d'abord au sud-ouest à travers de hautes plaines accidentées. Le fleuve semble se diriger vers la Susquehanna, mais une première brèche des montagnes lui ouvre un passage vers le sud-est : en aval son cours sert de limite à la Pennsylvanie, aux États de New York et de New Jersey. Un deuxième détour, très brusque, rejette le fleuve vers le sud-ouest, le long des escarpements orientaux du Kittatiny. Tout à coup une étroite fissure se montre entre deux parois de montagnes, au nord le superbe Tammany, au sud le Minsi, aux pentes plus adoucies, et le Delaware se jette dans ce défilé rocheux, d'environ 5 kilomètres, entre des murs de 300 et 400 mètres de hauteur, pour se reployer de nouveau à angle droit dans la vallée. Ce défilé, le plus fameux des water gaps ou « brèches fluviales », est devenu un lieu de villégiature des plus fréquentés : en été les visiteurs se pressent par dizaines de milliers dans ses hôtels, attirés par les forêts, les cascades, les points de vue de cette région vantée. 1 Longueur approximative du Hudson. . . . 500 kilomètres. Superficie du bassin 54 450 kilomètres carrés. Débit fluvial 410 mètres cubes par seconde. xvi. 17 130 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Le principal affluent du fleuve, le Lehigh, appelé aussi « Fourche occi- dentale » (West Fork oflhe Delaware), offre en miniature les mêmes acci- dents que le fleuve principal. Il procède aussi par brusques détours et franchit les monts Kittatiny par une cluse étroite, le Lehigh Gap, puis, se buttant contre les montagnes opposées, se replie au nord-est pour rejoindre le Delaware. Le courant uni des deux fleuves pénètre dans une nouvelle brèche et s'ouvre successivement passage à travers les saillies parallèles des avant-monts appalachiens. En aval de Trenton, où se for- ment quelques rapides, il se reploie encore vers le sud-ouest, dans les plaines basses du littoral, suivant une ligne qui fut peut-être un rivage marin, car elle semble continuer le littoral du Long Island Sound compris entre New York et New Haven. Dans cette partie de son cours le Dela- ware reçoit le Schuylkill, qui vient de traverser Philadelphie et dont l'embouchure est masquée par des îlots : d'où le nom de Schuyl Kili ou » rivière Cachée » que lui donnèrent les navigateurs hollandais. Au- dessous, le fleuve s'élargit peu à peu en estuaire, et se déverse par un long méandre dans la baie, qui reprend la direction du sud-est. Le Delaware donne accès aux navires de mer jusqu'à Philadelphie, aux bateaux à vapeur d'un faible tirant d'eau, jusqu'à Trenton1. La Susquehanna est plus considérable et d'un plus vaste bassin que le Delaware, car elle prend sa source plus au nord et s'unit à la mer plus au sud, après avoir décrit à l'ouest un cours de rayon plus étendu, mais vague- ment parallèle à l'autre fleuve par ses divers méandres. Cependant elle a moins d'utilité commerciale que le Delaware, d'abord parce qu'elle se trouve plus éloignée de New York et de Philadelphie, les foyers d'acti- vité du Nord-Est, mais aussi parce qu'elle ne débouche pas directe- ment dans la mer ou dans un estuaire tourné vers les grandes lignes de navigation : elle se déverse à l'extrémité de l'étroite et tortueuse baie de Chesapeake, qui se prolonge à plus de 300 kilomètres dans la direction du sud, s'éloignant ainsi des voies majeures du commerce*. D'ailleurs elle est moins navigable : son nom lenni-lenap aurait le sens de « Large et Plate », et en effet, dans presque tout son cours moyen et inférieur elle s'étale dans un lit d'un kilomètre en largeur, guéable de distance en dis- tance, parsemé de rocs, obstrué d'herbages, qui laissent à peine passer les radeaux et les barques. Il a fallu creuser des canaux parallèles à ses bords. 1 Longueur développée du cours du Delaware. . . 500 kilomètres. Superficie du bassin 29 500 kilomètres carrés. Débit fluvial 375 mètres cubes par seconde. * Friedrich Ratzel, ouvrage cilé. DELAWARE, LEHIGH, SUSQUEHANNA. 151 Fille des monts Catskills et des hauteurs riveraines du Mohawk, la Sus- quehanna coule d'abord dans la direction du sud-ouest, suivant la ligne normale de dépression qu'emprunte aussi, beaucoup plus à l'ouest, la haute vallée de l'Ohio, puis, après avoir reçu les affluents issus de plusieurs sillons parallèles, elle se retourne brusquement vers le sud-est pour rentrer par une brèche dans le cœur des montagnes appalachiennes. Soudain, buttée contre une paroi des Âlleghanies qui lui barre le passage, elle reprend la direction du sud-ouest pour s'unir à la branche occidentale de la Susquehanna qui, de son côté, naît dans les plaines de l'ouest, sur le Tersant missîssippien, et qui traverse les diverses chaînes parallèles des Appalaches par une succession de brusques défilés. Après la jonction des deux branches principales, le courant fluvial reçoit encore la Juniata, la rivière « belle et bleue » dont les écrivains ont célébré les paysages. De même que les autres rameaux de la Susquehanna, la Juniata franchit par des cluses successives les remparts des Appalaches. Les roches qui la dominent offrent la série de toutes les formations géologiques du sys- tème, entre les étages carbonifères de l'ouest, et à travers les roches silu- riennes de Taxe médian, jusqu'aux terrains granitiques de l'est. Mais, plus courte que les deux branches supérieures de la Susquehanna , la Juniata traverse l'épaisseur de la chaîne dans un espace beaucoup plus étroit et d'autant plus riche en contrastes. Un de ses hauts affluents, le Sinking Spring, naît au fond d'une grotte, puis jaillit d'une haute arcade, à l'ouverture de laquelle tourne un moulin ; au delà il s'engouffre de nou- veau, et de distance en distance on entend son murmure monter du fond des entonnoirs ; il reparaît encore, pour s'enfuir une troisième fois sous un haut rocher, d'où il s'élance dans la Juniata. Dans la plaine inférieure, la Susquehanna, large comme un bras de mer, coule directement vers l'extrémité septentrionale de la baie de Chesapeake, dont elle forme, pour ainsi dire, le prolongement. Naguère, le chemin de fer qui relie Phila- delphie à Washington était interrompu par le courant fluvial et des bacs à vapeur transportaient les convois de l'une à l'autre rive ; maintenant deux ponts viaducs parallèles franchissent le détroit, à demi-fleuve, à demi- golfe, entre les forêts riveraines 4. De même que la Susquehanna, la rivière Potomac se déverse, non dans l'Océan, mais dans la baie presque fermée de Chesapeake, véritable mer intérieure. Ce cours d'eau naît aussi dans les Alleghanies, à l'ouest de la 1 longueur développée du cours de la Susquehanna . 650 kilomètres. Superficie du bassin 63 400 kilomètres carrés. Débit fluvial. . . 800 mètres cubes par seconde. 15a NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. chaîne principale et s'échappe vers l'Atlantique par d'étroites brèches creusées à travers la montagne : il est probable que le courant fluvial, anté- rieur aux monts qu'il a percés, a graduellement approfondi l'issue à mesure que s'élevaient les assises reployées. En amont de son dernier défilé, le Potomac s'unit à une autre rivière considérable, la Shenandoah, elle-même formée de plusieurs cours d'eau parallèles, arrosant les plaines axiales d'entre-AUeghanies, et renvoyés de l'un à l'autre versant en de nombreux méandres. Au-dessous du promontoire de Harper's Ferry, qui sépare le Potomac et la Shenandoah, les seuils de rochers érodés par les eaux appa- raissent dans les deux lits pendant les basses eaux*. Mais il n'y a point de cascade en cet endroit : les dernières chutes se trouvent déjà dans la 1 Longueur développée du Potomac 480 kilomètres. Superficie du bassin 39 975 kilomètres carrés. Débit moyen 500 mètres cubes par seconde. POTOMAC, SHENÀNDOÀH, JAMES RIVER. 133 plaine côtière, à une petite distance en amont de Washington et du long estuaire en forme de fleuve qui découpe le littoral. Tous les autres cours d'eau qui s'écoulent dans la baie de Chesapeake, le Bappahanock, le Mattapony, le Pamunkey, le James River, l'Appoma- tox, le Nottoway, terminent aussi leur cours fluvial proprement dit par des cascades, au point de contact des terrains granitiques avec les plaines tertiaires du littoral, et s'ouvrent largement vers l'Océan par de sinueux bras de mer où remontent les eaux salées. Parmi ces rivières, une seule naît dans le cœur des montagnes, par delà le Blue Ridge : c'est le James River, dont les affluents, nés en des vallées parallèles, le rejoignent par de brusques détours au passage des défilés. Un de ces tributaires, l'un des plus faibles, passe sous un pont naturel de proportions superbes, arrondissant son arcade à 65 mètres au-dessus du torrent, avec une ouverture de 27 mètres. Dans la haute plaine où jaillissent les premières sources du James River, la chaîne semble interrompue ; un seuil à peine perceptible sépare le bassin du James River, fleuve du versant atlantique, et celui du New River, qui, par la Kanawha et l'Ohio, appartient au Mississippi. La rivière Staunton, haut affluent du Roanoke, prend naissance sur le même faite alleghanien. Tous les courants qui descendent des Àppalaches et de leur prolonge- ment méridional dans les Carolines et la Géorgie se ressemblent par la direction et le régime. Le Roanoke, le Cape Fear River, le Great Pedee, le Santee, le Savannah, l'Âltamaha et les moindres fleuves du versant coulent* normalement à la mer, c'est-à-dire du nord-ouest au sud-est, suivant l'in- clinaison du sol. Tous ont des eaux pures et de belles cascades dans leurs combes ' supérieures, tous cheminent lentement dans les plaines côtières et sont bordés de marais, ramifiés en bayous ou bien obstrués à leurs embouchures par des archipels bas et des cordons littoraux. La cataracte la plus grandiose parmi les nombreuses chutes de ces rivières est celle de Tallulah, — en cherokee la « Formidable », — dont les trois nappes successives interrompent le cours supérieur d'un affluent du Savannah, h la sortie d'une gorge des montagnes. À l'angle sud-oriental du système appalachien, les eaux courantes des- cendues des combes rayonnent en éventail, vers le sud-est, le sud et le sud- ouest, les premières dans la direction de l'Océan, les autres sur le versant du golfe Mexicain : les rivières de la Floride qui coulent dans l'espace angulaire ménagé entre les deux côtes ont un régime distinct et, à l'excep- tion de quelques petits cours d'eau, doivent être considérées plutôt comme des bayous d'origine océanique; de formation relativement récente, elles 134 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. présentent encore des caractères qui rappellent leur provenance et doivent être étudiées à part dans l'hydrographie maritime. Les côtes de l'Atlantique s'harmonisent avec les bassins fluviaux qui leur envoient l'excédent des pluies tombées et les débris menuisés des monta- gnes. Encore obstrués à une époque géologique récente par les langues de glace que projetaient les montagnes de l'intérieur, les estuaires dans lesquels se jettent les rivières du Maine ont maintenu leur dessin primitif, leurs falaises, leurs saillies de rochers, leurs îles et archipels de granit rayés par les glaciers : les masses cristallines qui remplissaient les détroits, ratta- chant les îles du littoral à la terre ferme, se sont fondues, révélant ainsi la configuration première du littoral; depuis, les grèves, plages ou bat- tures de galets, sables ou vases déposés pendant les âges contempo- rains n'en ont guère changé les contours. Mais à proximité de la mer le relief préglaciaire du sol est très modifié par les faîtes serpentins des kames ou longues croupes d'argiles, de sables et de graviers irrégulière- ment stratifiés, que les glaciers ont déposées et redressées dans le sens de leur mouvement et que les courants d'eau ont remaniées. Ces remparts sinueux, atteignant jusqu'à 20 mètres au-dessus des campagnes environ- nantes, se sont formés de la même manière que les eskers de l'Irlande et les âsar de la Scandinavie, et, comme eux, se confondent en maints endroits avec les moraines latérales ou frontales. D'autres dépôts laissés par les glaces dans leur mouvement de retrait ont été désignés dans la Nouvelle-Angleterre sous le nom de drumlins : ce sont des collines peu élevées, quoique à pente raide, qui affectent uniformément la forme lenti- culaire, et qui se suivent en processions parallèles, développant leur grand axe dans la direction que prenaient autrefois les nappes glaciaires. Toutes les collines verdoyantes qui s'élèvent au sud de Boston et de sa baie sont autant de drumlins ou buttes d'origine glaciaire. Enfin, d'innombrables petits lacs ou laguets, connus dans les États du Nord-Est sous le nom de ketlle ho les ou « trous-chaudrons», marquent l'ancien passage des glaciers. Ces cavités, les unes encore emplies, les autres desséchées ou comblées par les tourbes, doivent probablement leur existence à des glaçons ayant servi de noyau à des moraines : en se fondant, la masse cristalline, recou- verte de pierres et de graviers, laissait une dépression profonde dans les terrains glaciaires qui l'entouraient1. 1 G. Frederick Wright, The Ice Age in Norlh America. LITTORAL DE L'ATLANTIQUE, ANCIENS GLACIERS. 135 Au sud des côtes rocheuses du Maine, les plages basses de la Nouvelle- Angleterre paraissent avoir subi des changements très considérables par l'action glaciaire. Les îles situées au delà du cap Cod se trouvaient certai- nement sur le front du glacier. D'après Wright, la grande moraine d'avan- cée s étendait depuis la pointe occidentale de Long Island jusqu'à l'île de Xantucket; lorsque les glaces fondantes eurent délaissé ce cordon littoral, une autre moraine, parallèle à la première, se prolongeait au sud de Long Island Sound jusqu'à la péninsule du cap Cod. Un fond rocheux, point 5* If. FRONT MÉRIDIONAL DES ANCIENS GLACIEIIS DE LA NOUVELLE-ANGLETERRE. ' Ouest de Paris 72' 75* Ouest de Gneenwich m £ &e OÀ5™ eteSè/O™ baie de Casco, profonde et bien abritée, le meilleur port naturel que l'Union nord-américaine possède sur l'Atlantique : les schistes verticaux qui plongent dans la mer enceignent au sud-est de la ville un large espace où peuvent entrer les navires de 6 mètres de calaison et que la glace obstrue rarement; au large du port proprement dit, la rade, bien protégée par des îles nombreuses et défendue par trois forteresses, offre une profon- deur d'eau suffisante pour des vaisseaux d'un tirant dépassant 10 mètres; mais la crique du nord, plate et guéable, n'a point de bateaux : un viaduc de chemin de fer le franchit à l'entrée. Jadis elle entourait complètement le rocher, qui se rattache maintenant à la terre ferme par un isthme bas où passe l'aqueduc apportant à la ville les eaux pures du lac Sebago. Porlland, une des escales où viennent aborder en hiver les bateaux à t/e/Oà-tCT' efeWT. vapeur du Canada, — l'accès du Saint-Laurent leur étant interdit, — fait son principal trafic avec les Antilles et l'Amérique du Sud ; avec sa voi- sine Falmouth, elle expédie en Angleterre des milliers de homards vivants'. Au nord de Boston, Porlland est la ville dirigeante, non seu- 1 loaremenl de la navigation à Porlland en moyenne ; 2000 navires, jaugeant 1 800 000 tonnes. Cmnmerre extérieur en 1890 : 589 navires, jaugeant 200 796 tonnes. 466 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. lement dans le commerce et l'industrie, mais aussi dans la littérature el les arts ; ses habitants tiennent à cœur d'embellir leur cité par de beaux monuments, des statues, des avenues, des parcs et des jardins; le rocher se termine au-dessus de la mer par le promontoire de Munjoy's Hill, que Ton a eu le bon goût de laisser avec sa parure de blocs erratiques. Long- fellow est un des enfants de la métropole du Maine. Dans la partie méridionale de l'Étal, les deux villes de Biddeford et de Saco,*situées en face l'une de l'autre sur les bords du Saco et en aval de ses chutes, sont, comme Calais, Bangor et Lewiston, des agglomérations d'usines et des ports de cabotage. L'État du Maine possède aussi de nom- breuses villes temporaires, celles où se portent en foule les promeneurs et les baigneurs de New York, de la Pennsylvanie, de Washington pendant la saison d'été. Les régions lacustres et les forêts du nord sont parmi les plus visitées, mais aux portes mêmes des cités du littoral que de lieux charmants! On peut juger de la variété infinie des paysages et.de la facilité des excursions et des promenades par goélettes et bateaux, à la vue du merveilleux archipel de Casco et des remparts de rochers boisés qui s'avancent dans la mer en longues péninsules parallèles. La grande île de Mount Désert, sur la côte septentrionale, est la plus vaste et la mieux connue des baigneurs; des milliers de familles se croiraient déchues de leur caste si elles n'allaient visiter Bar Harbor ou telle autre station de Mount Désert à la mode, fallût-il même camper sous la tente dans le voisinage des grands hôtels1. II. — NEW HAMPSHIRE. Le New Hampshire, qui porte encore le nom d'un comté de l'Angleterre, ne touche à la mer que par son angle sud-oriental. Comme le Maine, il est en grande partie occupé par des montagnes, — d'où le surnom de Gra- nité State. — Le plus haut sommet de la Nouvelle-Angleterre s'élève sur son territoire ; à l'ouest, le fleuve Gonnecticut le sépare du Vermont, autre 1 Villes principales du Maine avec leur population en 1890 : Portland 36 425 habitants. Auburn 11250 J.. *™ } Bangor 19 105 a Biddeford 14443 \ ^^ Saco 6075 i 20518 ' Augusta . 10 527 » » HAINE, NEW HAMPSH1RE. Élal disposé en forme de quadrilatère et limité également, au rior(' Par 'a Puissance du Canada, au sud par le Massachusetts. De vastes forcis recou- vrent encore les pentes des monts : là se trouvent les « érablières » qui ali- mentent de sucre d'érable le marché de Boston. Organisé en colonie dis- tincte seulement en 1741, le New Hampshire, l'un des treize Étais primi- tif* de l'Union, est resté l'un des derniers en superficie et en population'. ' Ring du New Hampshire parmi les Élals et territoires de l'Union nurd -américaine : Superficie : 0305 milles carrés (24 100 kil. cair ). N" 43 Populalion en 1890:576 550 habilanls.. . . N' 55 Densité kilométrique : 16 habitants K- 16 108 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Environ le dixième de la population du New Hampshire se compose de Franco-Canadiens, groupés dans les villes industrielles ou remplaçant les Yankees dans les fermes abandonnées. De même que dans le Maine, les cascades des rivières et les facilités de la navigation ont été la raison d'être de la plupart des agglomérations urbaines. Ainsi Dover naquit au pied de la cascade du Cocheco, affluent du Piscataqua, et Portsmouth, le seul port de l'État, s'est élevée sur la rive méridionale du fleuve, qui s'élargit et se creuse en un estuaire bien abrité. Les grands navires y entrent sans peine; cependant Portsmouth, situé entre Portland et Boston, ne rivalise point avec le trafic de celui des deux grands ports et n'a guère qu'un mouvement de cabotage, d'environ 200000 tonnes chaque année. Le gouvernement possède un chantier de construc- tion précisément en face, dans la presqu'île de Kittery, appartenant au Maine. Portsmouth et Dover, fondées en 1623, sont les plus anciennes de l'État; c'est à Portsmouth que se publia dès 1756 la première gazette des colonies anglaises. La capitale actuelle du New Hampshire est Goncord, l'indienne Pena- cook, ville manufacturière située sur les deux rives du Merrimac et fameuse par ses carrosseries, ses filatures et ses carrières. D'autres cités d'usines se succèdent en aval à tous les rapides ou sauts du Merrimac : telle Man- chester, qui, sans mériter le nom que lui ont donné ses résidents am- bitieux, est pourtant devenue la première ville de l'État et un centre très actif pour la fabrication des cotonnades, des mousselines et des lai- nages, la construction des locomotives et machines diverses. Puis vient Nashua, qui utilise la force motrice d'un affluent du Merrimac, et d'autres groupes d'usines appartenant au même groupe industriel que les cités fameuses de Lowell et Lawrence, situées plus bas sur le même cours d'eau, dans l'État du 'Massachusetts J . A distance de la mer, les hôtels et les groupes de villas parsemés dans les montagnes du New Hampshire, et, plus au nord, jusque sur les fron- tières du Canada, contiennent souvent en été une population mobile beau- coup plus considérable que celle des cités de la plaine et du littoral mari- time. Ces lieux de plaisance, habités temporairement, sont parsemés par 1 Villes principales du New-Hampshire, avec leur population en 1890 : Manchester 44126 habitants. Nashua 19 311 » Concord 17 004 » Dover 12 790 » Portsmouth 9 827 » il < s i 1 H : * NEW HAMPSHIRE, VERMONT. 171 centaines sur les promontoires, dans les clairières des bois et sur les bords dos lacs et des torrents. Les montagnards n'ont guère d'autre labeur fructueux que celui d'accueillir et de soigner les étrangers ; cependant ils eiercent aussi quelques petites industries : près de la « brèche » ou « encoche » (notch) de Dixville ils fabriquent dans leurs cabanes le quart de tout l'amidon de pommes de terre que l'on prépare aux États-Unis. III. VERMONT. fc'État du Vermont, qui conserve, sous une forme légèrement modifiée, son ancien nom français, est, comme le New Hampshire, un espace qua- drilatéral limité par des lignes géométriques, sauf à l'est, où le lit du Connecticut lui sert de frontière, et au nord-ouest, où le lac Champlain le sépare de l'État de New York. Par sa limite du nord il confine au Canada. Ce n'est point l'un des États primitifs, puisqu'il fut constitué seulement en 1791, à la suite de longues dissensions : les montagnards du Vermont, occupant le territoire aux dépens des deux États du New Hampshire et de New York, s'étaient maintenus en une petite république indépendante et posèrent leurs conditions en acceptant le lien fédéral. Les Green Mo un tains ou « Montagnes Vertes » traversent l'État du nord au sud et le partagent en deux moitiés presque égales1. Le Vermont, quoique très riche en cascades et en rapides fournissant une force motrice énorme, n'a qu'une faible activité industrielle : c'est avant tout un pays de pâturages et de culture; ses moutons fournissent une laine très fine et l'on extrait de ses carrières de magnifiques maté- riaux pour les constructeurs de Boston et de New York. L'exploitation rudimentaire du sol a fini par épuiser les meilleures terres et la popu- lation agricole a dû émigrer en grande partie pour acquérir d'autres fermes dans les contrées vierges de l'Ouest : des propriétés par milliers ont été abandonnées dans cette région de la Nouvelle-Angleterre et celles que rachètent les étrangers sont destinées presque toutes à devenir des parcs de plaisance et non des terrains de rapport : l'agriculture pro- prement dite a réellement déchu dans ce pays. Vermont, ne touchant point à la mer, n'a de commerce extérieur qu'avec le Canada, surtout 1 Rang du Vermont parmi les États et territoires de la république nord-américaine : Superficie : 9565 milles carrés (24673 kil. carr.). N° 42 Population: 332 422 habitants en 1890 N° 36 Densité kilométrique : 13,5 habitants N* 21 t 172 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. par la voie du lac Champlain, sur lequel la navigation est fort active. De tous les États de l'Est, le Vermont est celui dont la population a crû le plus lentement; elle a même été presque stationnaire pendant les vingt dernières années. La diminution serait forte si les Canadiens, surtout ceux de langue française, ne compensaient les pertes en immi- grant comme ouvriers d'usines, garçons de labour et acheteurs de fermes. Ils accroissent notablement la population des comtés du nord-est, tandis que les habitants diminuent dans la plupart des autres. Le Vermont n'a point de villes considérables. La capitale, Montpelier, n'est privilégiée que par sa situation à peu près au centre de l'Etat, dans une combe fertile où coule le Winooski, tributaire du lac Champlain. Le centre le plus populeux, Burlington, s'élève sur la rive même du lac, et de ses terrasses on voit se prolonger au nord et au sud l'immense panorama des îles, des détroits, des golfes et des rivages, dominés par le massif des Adi- rondacks. Burlington est, surtout pour l'importation des bois du Canada, le centre du commerce lacustre; Saint Âlbans, situé plus au nord, à quelques kilomètres de la rive, expédie des beurres et des fromages. Rutland commande les passages au sud du massif principal des mon- tagnes Vertes, où l'on exploite des marbres blancs très appréciés; enfin Bellow's Falls, bourg industriel bâti au bord du Connecticut, fuyant en chutes et en rapides, est un des lieux importants de l'État. Vergennes, la plus petite agglomération des États-Unis qui ait reçu le titre de « cité », n'est qu'un humble bourg, malgré le « pouvoir d'eau » de ses rapides et sa rivière navigable, l'Otter Creek, affluent du Champlain '. IV. — MASSACHUSETTS. Le Massachusetts (Mos-Wactiusett) fut ainsi nommé, disent les étymolo- gistes, de la péninsule de Wachusett, sur laquelle Boston est construite et que l'on appelait, à cause de sa forme, Mos ou « Tête de Flèche » : de la station le nom passa à une tribu d'Indiens, puis à toute la colonie des blancs et se transmit à l'État. Une autre étymologie donnerait au nom 1 Villes importantes du Vermont, avec leur population en 1890 : Burlington 14 590 habitants. Rutland H 760 » Montpelier 4160 » Vergennes 3 850 » MASSACHUSETTS. 175 le sens de « Pays des Collines »\ Le titre officiel, qui distingue ainsi l'État de tous les autres, le qualifie de Commonwealth : c'est la « Répu- blique » par excellence. Un surnom fort connu de tous les Américains est celui de Bay Stalc : dans les premiers temps de la colonisation, les habi- tants vivant surtout de la pèche et du commerce, la « baie » les nourris- sait et l'emblème national était la morue. Les habitants du Massachusetts appellent aussi leur État Old Bay State — ce Vieil État de la Baie », — et avec une nuance plus affectueuse encore : the Mother State — « l'État Hère ». De là partit en effet l'initiative pour la guerre d'Indé- pendance; de là aussi la propagande des aboli tionistes du Massachusetts, qui, de proche en proche, détruisit l'institution de l'esclavage, tout en maintenant l'union entre les communautés républicaines du Nord et du Sud. A beaucoup d'autres égards le Massachusetts est l'État Mère : en proportion, il a beaucoup plus contribué que les autres États originaires au peuplement des territoires de l'Ouest; il a plus fait aussi pour propager les découvertes et les méthodes industrielles; enfin, l'enseigne- ment y a mieux progressé que partout ailleurs et les instituteurs et surtout les institutrices du Massachusetts se sont répandus sur tout le territoire américain. Sur 14243 Américains classés au nombre des « célébrités » dans le dictionnaire d'Appleton, 2686, un peu moins du cinquième, étaient originaires du Massachusetts1. Le « Vieil État de la Baie », petit par l'étendue depuis la perte du Haine, ne comprend qu'un étroit parallélogramme, à formes géométriques, entre les monts Taconic et la mer; cependant il s'évase sur le littoral, de manière à embrasser toute la côte, de l'embouchure du Merrimac à l'île de Nantucket et aux approches de la baie de Narragansett ; de décade en décade, il s'accroît quelque peu en étendue, grâce au dessèchement et à la mise en culture d'une zone de marais salants qui bordent le littoral. Mais si faible, en proportion des autres, que soit le territoire du Massa- chusetts, il est, avec le district de Columbia et Rhode Island, le plus populeux de l'Union ; sa densité kilométrique, de beaucoup supérieure à celle de la France, ne le cède que de peu à celle des îles Britanniques. Toutefois dans les dernières décades la population s'est jnoins accrue par l'excédent des naissances sur les morts que par l'immigration d'étrangers, notamment d'Irlandais et de Franco-Canadiens : les habitants, qui aimaient à se dire les 01s des « Pères Pèlerins », appartiennent maintenant à une 1 Schoolcraft, The Red Race of America. « Henry Cabot Lodge, Cenhtry, Septêmbcr 1891. 174 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. race d'origine très mélangée1. lie peuplement des villes manufacturières aux dépens des campagnes ne s'est pas accompli sans un recul de l'agri- culture. En 1890, une commission spéciale a constaté que 1461 fermes, comprenant 51 859 hectares, avaient été abandonnées *. Le Merrimac, qui pénètre du New Hamsphire dans la partie septen- trionale de l'État, traverse une région populeuse : des usines et des agglo- mérations ouvrières bordent chacun de ses rapides. Lowell, une de ces cités industrielles, rivalisant avec Worcester comme la seconde ville de l'État, dispose d'une force motrice énorme, grâce aux chutes du Merri- mac et de son affluent le Concord, représentant une puissance d'environ 20000 chevaux-vapeur : les principales usines sont des filatures, des fabriques de tissage et des teintureries, mais il n'est pas de manufactures que ne possède Lowell, le plus important groupe d'usines du Massa- chusetts. Il fut un temps où cette ville était dépeinte comme le Paradis des ouvriers, et surtout des ouvrières : aux débuts de la grande industrie en Amérique, les voyageurs célébraient en un style idyllique les joies du travail dans les usines de Lowell ; mais ses filatures ressemblent maintenant à celles des autres pays. Dans les premiers temps les ouvriers et les ouvrières se trouvaient entièrement entre les mains des directeurs de compagnies, qui leur fournissaient la demeure et l'entretien, les obli- geaient à observer strictement le « sabbat » et ne leur permettaient de fré- quenter ni théâtre ni aucun lieu de récréation. Cependant le bonheur de ces ouvrières privilégiées ne devait pas être complet, car le travail des filatures a été presque entièrement abandonné par les Américaines, que des Irlandaises, et surtout des Canadiennes de langue française rem- placent maintenant dans le « Paradis Perdu » \ Il en est de même à Lawrence, construite plus bas sur le Merrimac, que l'on a exhaussé au moyen d'une puissante digue pour mettre en mou- 1 Ëmigrants entrés au Massachusetts en 1890 : Des nés Britanniques 20 336 Du Canada 19 781 D'ailleurs. .» 11230 Ensemble 51 567 9 Rang du Massachusetts parmi les États et territoires de la république nord-américaine : Superficie : 8315 milles carrés (21565 kil carr.). . N" 44 Population : 2258 945 habitants en 1890 ÏN° 6 Densité kilométrique : 104 » » .... N° 3 Instruction publique (7859 écoles, 445 644 élèves) . N° 1 Production industrielle : 549 346 552 piastres. . . N° 3 3 Mrs. Harriet A. Robinson, Early Factory Labor in New England. LOWELL, LAWRENCE, SALEM, LYNN- 175 vement les roues de nombreuses filatures, fonderies et autres usines. Haverhill, qui succède à Lawrence, se trouve sur la limite de deux pro- vinces industrielles, celle de Lowell pour les cotonnades, et celle de Lynn pour la cordonnerie. Newburyport, située à la bouche du Merrimac, prend aussi part à ces deux industries ; son havre, où les embarcations ne trouvent que deux mètres et demi d'eau à marée basse, n'a plus qu'une valeur minime comme port de pêche et de cabotage. Gloucester, sur un redan de la cote protégé de la mer par le cap Ann, a pris une importance beaucoup plus considérable. Premier port commercial de la colonie lors de sa fondation, il est encore le premier pour la pêche du hareng et du maquereau et ne le cède qu'à Boston pour le nombre des bateaux armés1. Sa voisine Rockport exploite le granit de ses carrières, dont les débris lui servent à se construire de superbes jetées et brise-lames. Sur le rivage de l'Atlantique, défendue au sud et à l'est par le pro- montoire de Marblehead, Salem se dresse à la racine d'une péninsule de granit. Ce fut Naumkeag, 1' « Anguillère » des Indiens. Fondée en 1626, elle est la colonie mère du Massachusetts septentrional, et Boston, qui naquit quatre ans plus tard, ne fut qu'un de ses essaims. Cette antique cité des Puritains, s'employant comme Lynn à la fabrication des chaussures, était au siècle dernier, avec Marblehead, le groupe de ports le plus actif de la Nouvelle-Angleterre pour le commerce extérieur; elle eut le mono- pole effectif des échanges de la république américaine avec l'Extrême Orient : plus de cinquante navires appartenant à sa flotte marchande doublaient annuellement le cap de Bonne-Espérance. Un musée oriental, rempli d'objets curieux des Indes et de la Chine, rappelle cette période glorieuse de l'histoire locale. Salem est une des villes de l'Union citées pour leurs enfants illustres : entre autres Prescott et Hawthorne. Mar- blehead, l'annexe de Salem, a, comme elle, perdu son commerce et son havre; lieu de rendez-vous pour les régates, son port n'est plus guère fréquenté que par des bateaux de plaisance. Le gros de la population prend part maintenant à la grande industrie de Lynn et fabrique des souliers et 16 723 » 16 074 » 14990 > 14 050 » 15 947 » 8 202 » de Columbia) MASSACHUSETTS, RHODE ISLAND. miDufactures. Le Blackstone, petite rivière du Massachusetts qui pénètre dans la partie orientale de l'État, fait aussitôt mouvoir les usines de Woonsocket Falls, puis celles d'autres villes et villages jusqu'à Paw- tncket et Providence, l'une des deux capitales de l'État : à Pawtucket, presque englobée dans la cité grandissante qui l'avoisine, fut établie, m 1790, la première fabrique de cotonnades des États-Unis. Pendant nn demi-siècle, Pawtucket eut la prééminence industrielle, et maintenant 194 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. encore elle possède la filature la plus importante des États-Unis. La spé- cialité de la vallée du Blackstone est celle des cotons et des laines : nul cours d'eau, pas même le Merriraac, ne s'utilise mieux que le Blackstone comme force motrice. Un demi-million d'hommes peuple cet étroit bassin, Anglo-Américains, Irlandais, Canadiens français et Suédois. Providence, qui contient à elle seule, sans les faubourgs, plus du tiers de la population du Rhode Island et plus de la moitié avec sa banlieue, commença par être une colonie d'exilés. Fuyant les cruels puritains du Massachusetts, Roger Williams et cinq amis, coupables d'avoir expliqué au- trement que les pasteurs dirigeants les mystères de la foi, vinrent deman- der un asile aux Indiens Narragansett et fonder, en 1636, une colonie à l'endroit où la rivière Blackstone s'unit en estuaire à la grande baie méri- dionale et devient navigable aux embarcations de mer : là chaque citoyen devait avoir liberté absolue de culte religieux, et grâce à cette charte la ville nouvelle se peupla rapidement. Providence a l'avantage de ne pas être le damier d'une régularité parfaite comme la plupart des autres cités amé- ricaines : les premiers chemins et sentiers de la campagne environnante sont devenus les principales avenues de la cité; homme pieux, persé- cuté pour sa foi, Williams leur donna les noms des vertus cardinales. On projette (1891) de combler le bassin central du port ou Cove, devenu égout fangeux, et de le remplacer par une gare commune à toutes les voies ferrées. Providence, ville d'industrie, a non seulement des dateurs et des fabricants de machines et d'outils, mais aussi des bijoutiers ha- biles, et possède de belles collections artistiques et des bibliothèques. Elle passe pour être la cité la plus riche des États-Unis en proportion du nombre des habitants. Sa principale école, Brown University, n'est dé- passée dans la Nouvelle-Angleterre que par Harvard de Cambridge et Yale de New Haven. Les habitants de Providence ont aussi leur pierre sacrée, peut-être mythique, où le fondateur de la ville aurait posé le pied lorsqu'un chef indien vint lui souhaiter la bienvenue en l'accueil- lant par les mots de « What Cheer », devenus légendaires et qu'on emploie dans un sens patriotique, comme un mot d'ordre pour attester l'excel- lence de tout ce qui appartient au Rhode Island. La deuxième capitale, Newport, occupe l'extrémité méridionale de l'île qui a donné son nom à l'État et qu'un pont de pierre rattache maintenant à la terre ferme ; elle se compose en réalité de deux villes, l'ancien bourg de pêche et de commerce, et la cité nouvelle, entièrement formée de villas et de châteaux de plaisance. Le port, bien abrité, est un vaste bassin com- pris entre Rhode Island et Conanicut Island et parsemé d'îlots, qui sont PROVIDENCE, NEWPOKT. 195 pour la plupart des lieux de villégiature. Avant la Révolution, Newport avait un commerce considérable, de beaucoup supérieur à celui de New l'ork; il ne fait plus guère qu'un trafic de cabotage et les nombreux bateaui à vapeur qui vont et viennent transportent plus de promeneurs que de marchands; souvent des régates amènent à Newport des centaines ProronJevr-s de yachts. L'ancienne ville, défendue par le fort Adams, eut jadis une grande importance stratégique comme gardienne des entrées de Narra- panselt Bay et de Long Island Sound; elle possède un arsenal de l'Union et une école de torpilleurs. La ville nouvelle, bien autrement vaste, quoique moins peuplée, se prolonge au bord oriental et méridional de la falaise sur un espace d'au moins 5 kilomètres : c'est le rendez-vous esti- 196 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. val des « princes marchands », des hommes les plus riches et les plus fastueux de l'Amérique du Nord : la « société » de Newport constitue le cercle aristocratique le plus jalousement fermé des États-Unis ' . Les villas rivalisent de luxe, les jardins d'arbustes et de fleurs, les somp- tueux équipages défilent sur les avenues qui rayonnent autour du casino. Sur la place principale de Newport s'élève le Stone Mill ou ce Moulin de Pierre », tourelle ronde, à arcades romanes reposant sur de lourds piliers, et devenue fameuse depuis que Rafn et d'autres archéologues ont voulu y voir un monument bâti par les Normands, cinq siècles avant la découverte de Colomb : ce fut un moulin élevé au milieu du dix-septième siècle par le gouverneur*. VI. — CONNECTICUT. L'État du Gonnecticut ou de la « Longue Rivière » a, comme la plupart des autres divisions territoriales de la République, ses frontières délimi- tées par des lignes droites ; mais toute sa face méridionale baigne dans les eaux du Long Island Sound. Au point de vue du relief et de la distribu- tion géographique, l'ensemble du pays consiste en fragments de vallées parallèles descendant du Massachusetts entre des arêtes de faible élévation. De même que les autres États de la Nouvelle-Angleterre, le Connecticut est une région très industrielle, mais ses manufactures sont moins spéciali- sées. L'habitant se vante d'être le plus Yankee des Yankees, et le nom de Brother Jonathan, que les Anglais donnent familièrement aux Anglo- Américains, surtout à ceux du Nord-Est, appartint à un personnage du Connecticut, Jonathan Trumbull, ami particulier de Washington. En proportion du nombre des résidents, le Connecticut a vu naître le plus d'hommes connus à un point de vue quelconque dans l'histoire de l'Amé- rique 5, il prend le plus de brevets chaque année, et ce sont des inventeurs et des artisans du Connecticut qui contribuent pour la plus forte part à l'application des procédés industriels dans les autres États. Les machines à 1 Villes principales du Rhode Island en 1890 : Providence 132 146 habitants. » avec Pawtucket (27 653) et East Providence (8 422). 168 201 » Woonsockett 20830 » Newport 19 457 » f Palfrey; — E. N. Horsford, Ducovery of America by Northmen. s Henry Cabot Lodge, The Centui-y, September 1891. CONNECTICUT. { 197 égrener le coton, les revolvers, la préparation du caoutchouc témoignent do génie inventif de ces Yankees ; pour la fabrication des machines à coudre ils se placent aussi au premier rang. Les spécialités du Connecti- cut sont les mille objets dits y ankee notions ou ce articles yankees », parmi lesquels les .plaisants énumèrent les noix de muscade en bois : de là le nom peu honorable de Nutmeg State donné à l'État; on l'appelle aussi Freestone State, d'une pierre à bâtir qu'il fournit en abondance à New York. Si haut placé pour l'industrie, le Gonnecticut n'a qu'un faible com- merce avec l'étranger et ses armements pour la grande pèche ont beau- coup diminué : le port de New York est trop rapproché pour ne pas atti- rer la plus grosse part du trafic au long cours ; mais le cabotage avec la grande cité s'accroît d'autant et les bateaux à vapeur sillonnent inces- samment la manche de Long Island. New York contribue à l'accroisse- ment graduel de la population du Connecticut par le trop-plein de ses habitants, qu'elle refoule dans les villes et villages de sa grande banlieue1. La partie orientale de l'État a pour cité principale Norwich, bâtie au confluent de deux rivières qui forment ensemble le fleuve Thames et dont les cascades ont fait la prospérité locale : leurs eaux pures sont utilisées surtout pour la fabrication du papier. Tandis que Norwich, longtemps humble village, où l'on ensevelissait les chefs de la tribu des Mohicans, se développait presque soudain, New London, située à l'embouchure du fleuve, sur un sol bossue de roches granitiques, restait stationnaire ou même perdait de son importance. Fondée en 1646 et dénommée la a Nouvelle Londres » en souvenir de la « chère contrée native d'Angle- terre », elle a le grand avantage de posséder le port le plus vaste, le mieux abrité et le plus profond de la côte, à l'endroit où débouche le cours d'eau navigable baptisé Thames ou « Tamise » lors de l'établissement des colons anglais. Le loyalisme des fondateurs de New London ne l'empêcha pas d'être brûlée par les troupes royales pendant la guerre de l'Indépen- dance. Elle se releva comme port d'armement pour la pêche de la baleine, industrie ruinée désormais au profit des ports du Pacifique : ses bateaux ne dépassent plus guère les parages des alentours. La vallée maîtresse, celle du Gonnecticut, n'est pas moins peuplée dans l'État de ce nom que dans le Massachusetts; les villages industriels s'y succèdent en une zone continue jusqu'à la capitale, Hartford, située 1 Ring du Connecticut parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 4490 milles carrés (12 924 kil. carr.). N* 46 Population : 746 258 habitants en 1890 N* 29 Densité kilométrique : 57 habitants en 1890. . . N° 5 108 , NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. sur la rive droite du fleuve ; un grand faubourg lui fait face et de nom- breuses maisons de plaisance' la prolongent de tous côtés sur les collines ombreuses. Hartford, plus ancienne que New Lohdon, date de l'année 1656 comme ville anglaise, mais des colon» hollandais y avaient déjà fondé un 7i-t7 0u«t de IW» 74'B3 zk.'.^gV Vl ^Srljt 'J/?A- " ■ '* ■-'*:;■'•; ;-"■ - •'■'! MtWUNNR 3 IBt-^ ;-' : .. . •r^CB f ~^— tïsbCïv \ *■;,■. - ':'•. ^Ss. ■'"!■•':.■" /"^fef^"ï"41 ^P**pt ïî-I;^ l . i | '*/ V ^^ ] * \ 7Fg=^ &~^k)[ ?. ■ -y\j£li -=¥pi" \y^\ X? ;l^ \^ ^^-^rri -\* "^ v^ •^J^Hs"'**^' '''■w '•'■'\ *':*« ■V V-^^L-*: 3r^H%p "■À:* »M 7 ' 'ai <> '"''fc^-i"-'11'1"'^ ,J>. ./*'y 'y^Xs ••: r**"^ )% T •#? f W}M- ) ' / /. ^ A 0i__-~z ï '-^g^^/sÉ^ M& i5£~^ i a'tr Ûà 5 mètres cfc/0 'Tetmté air/à poste : là s'élevait le Suckeag des Indiens. L'une des cités les plus somp- tueuses des États-Unis, elle possède un capitole, édifice de marbre blanc orné de statues et de bas-reliefs, couronné d'un dôme resplendissant; jadis elle eut un autre monument, le Charter Oak ou « Chêne de la Charte », ainsi nommé parce qu'on y avait caché en 1686 une copie de la HARTFORD, NEW HAVEN. 499 charte octroyée par le roi et qu'un de ses gouverneurs voulait confisquer. L'arbre tomba, renversé par un ouragan, mais l'emplacement reste mar- qué par une plaque de marbre : le nom de Charter Oak est aussi popu- laire dans le Gonnecticut que celui de What Cheer Rock dans le Rhode Island : le « chêne » passe toujours pour le palladium des libertés locales. Hartford rivalise en richesse avec Providence, et c'est aux Étals-Unis le siège principal des banques d'assurance pour la vie ; ses librairies sont aussi florissantes. Son établissement le plus considérable est une fabrique d'armes appartenant à l'État. Au sud de Hartford, dans une vallée qui descend à New Haven, se succèdent les villes très actives de New Britain et de Meriden, cette dernière possédant l'usine la plus impor- tante des États pour l'électrotypie. Les marchands ambulants du Con- necticut qui parcourent toute l'Amérique du Nord viennent s'y fournir de vaisselle et de quincaillerie, dont ils ont presque accaparé la vente. Middletown, dans la vallée du fleuve principal, est une autre agglomé- ration d'usines ; elle possède en outre une université wesleyenne et d'autres grandes écoles. Le village de Saybrook, sur la rive gauche du Gonnecticut et à son embouchure, fut la première colonie anglaise de la contrée; mais les difficultés de la navigation par-dessus la barre du fleuve ont nui à la pros- périté du bourg. L'ancien fort qui défendait l'entrée a été rasé pour faire place à un chemin de fer; de même, l'école qu'on y avait fondée en 1701 fat transférée à New Haven, où elle devint le fameux collège de Yale. Main- tenant l'héritière de Saybrook, quoique privée du titre de capitale qu'elle partageait naguère avec Hartford, est la cité la plus populeuse de l'État et son marché commercial le plus animé. Pourtant son port, New Haven ou le « Port Neuf », n'a pas la profondeur d'eau suffisante pour recevoir les grands navires : plusieurs autres mouillages le complètent autour de la baie, West Haven, Fair Haven, East Haven ; le commerce de ces ports se fait surtout avec les Antilles. La ville proprement dite borde la rive septentrio- nale, sur la découpure la plus profonde du littoral, à l'isthme de la vallée verdoyante du Quinnepiack, que gardent à l'est et à l'ouest deux fiers rochers de lave. New Haven a reçu de ses habitants le surnom d'Elm City, «Cité des Ormes », bien connu maintenant dans toute l'Union, et d'ailleurs admirablement mérité, sauf pour les quartiers du port et de l'industrie, qui ressemblent à ceux de toutes les autres villes des États-Unis. Les vastes places sont ombragées d'ormeaux énormes, dont le tronc même s'entoure de feuillage à partir du sol, et ces avenues grandioses se continuent par de larges boulevards où des arbres de même espèce et de mêmes dimen- 800 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE. sions croissent au milieu des pelouses, abritant des maisons à baies et à varandes, revêtues de lierre, entourées de fleurs : nulle barrière, nul enclos, aucune défense, aucun avis déplaisant, aucune enseigne iudi- Sab/93 01*1 cotsvr-ertt ^e£?*5. quant les limites. It n'est pas de ville plus hospitalière d'apparence. Les jardins des alentours s'ouvrent au voyageur et l'invitent à cheminer dans leurs allées fleuries pour contempler la campagne aimable, où les usines mêmes se cachent à demi dans la verdure. Sur la place centrale ou NEW HAVEN, BRIDGEPORT, DANBURY. 204 Green de New Haven s'élève le tombeau de trois parlementaires régicides, qui avaient trouvé un asile dans la colonie naissante. Tout un quartier de la ville est occupé par les constructions éparses du « collège » de Yale, qui dispute à Harvard et à Johns Hopkins l'hon- neur d'être la première école des États-Unis. Ce collège porte le nom de Yale, en l'honneur d'un marchand qui, dans les temps difficiles de la création, lui fit cadeau d'une somme de cinq cents livres sterling. L'école puritaine, devenue l'un des établissements les plus riches du monde, possède un revenu annuel de 1500000 francs, et de nombreux palais pour ses musées, bibliothèques, salles de cours et de réunion, le logement des 120 professeurs et de ses 1300 élèves. La gloire de Yale Collège est son musée paléontologique (Peabody), où le géologue Marsh a réuni tous les échantillons de la faune fossile si remarquable récemment découverte dans les Montagnes Rocheuses et les Mauvaises Terres. Les pasteurs puri- tains, ou mieux les inquisiteurs de New Haven, avaient fait édicter les ter- ribles BlueLaws, les « Lois Bleues », qui prononçaient la peine de mort pour crime d'idolâtrie, d'impureté, de sorcellerie, de blasphème, de rébel- lion, et punissaient cruellement la « violation du sabbat » et l'usage du tabac, la « plante impure ». La partie occidentale du Gonnecticut appartient presque en entier au bassin du Housatonic, où les villes industrielles sont nombreuses, comme dans toutes les autres vallées riches en « pouvoirs d'eau ». Waterbury, de toutes la plus importante, s'élève sur le Naugatuck, affluent oriental du Housatonic. Le port de l'embouchure, Stratford, n'est qu'un humble village ; mais à l'ouest quelques cités actives se succèdent le long de la côte : telles Bridgeport, grand centre de fabrication pour les machines à coudre et les armes, puis les villes jumelles de Norwalk et South Nor- walk, et, sur un estuaire aux rives granitiques, Stamford, fameuses par leurs plages de bains et leurs parcs à huîtres plus encore que par leurs établissements industriels. Au nord du littoral, Danbury, qui fut la pre- mière en Amérique à fabriquer des chapeaux au siècle dernier, a gardé cette spécialité de travail1. du'Connecticut, avec leur population en 4890 : Haven. Hartford. . Bridgeport. Waterbury. laîoen. . 81 298 hab. 53 250 » 48 856 » 28 646 » 21652 » Danbury 19 585 hab. New Britain 19 006 » Norwalk 17 739 » Norwich 16 156 » NewLondon 15 700 » xn. 26 203 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE VII,, — NEW YORK. L'État de New York est la partie la plus puissante de la République, Y Empire State, par le nombre de ses habitants et l'activité de son commerce. Bizarrement découpé dans l'ensemble du territoire par des lignes géométriques, l'État, non compris la terre maritime de Long Island, a la forme presque régulière d'un triangle touchant l'Atlantique par son sommet, qui est l'île de New York, et bordé le long de sa base par deux des Grands Lacs et le Saint-Laurent. Le sol s'incline d'un coté vers la mer, soit par le Hudson, soit par le Delaware et la Susquehanna, de l'autre vers le bassin du Saint-Laurent, soit directement dans les lacs ou le fleuve, soit par l'intermédiaire du lac Ghamplain. Les deux faîtes principaux sont le plateau montueux et lacustre des Adirondacks et les chaînes parallèles des Catskills. La surface de la contrée offre mainte région fertile et l'intérieur du sol est riche en mines et en carrières ; mais l'État doit son importance aux deux grandes voies naturelles du commerce, celle du Hudson au Saint-Laurent par le lac Ghamplain et du lac Erie au con- fluent du Mohawk. New York est l'entrepôt indiqué pour les marchandises expédiées par les brèches de l'un à l'autre versant, et de ce premier avan- tage ont découlé tous les privilèges qui ont placé l'État à la tête de l'Union nord-américaine. L'ensemble de la fortune publique y représente une valeur totale supérieure à celle de tous les États du Sud réunis. A l'époque où se constitua la fédération des treize colonies primitives, le New York ne venait pour la population qu'au cinquième rang, après la Virginie, la Pennsylvanie, la Caroline du Nord et le Massachusetts; depuis 1820 il est au premier; cependant durant la dernière décade l'écart entre New York et la Pennsylvanie a diminué au profit de ce der- nier État1. De toutes les contrées du versant atlantique, c'est l'Empire State, l'ancienne patrie des Iroquois et des Mohicans, qui a gardé le plus grand nombre d'Indiens. Le reste des Six Nations est encore can- tonné dans la région des lacs allongés qui s'écoule dans l'Ontario par Rang du New-York parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 49 170 milles carrés (127 550 kil. carr.) N# 29 Population : 5 981 934 habitants en 1890 N* 1 Densité kilométrique : 47 habitants en 1890 N* 6 Commerce : 1 000 000 000 piastres (plus de 5 milliards de francs). . N* 4 Industrie : 1 800 000 000 piastres (plus de 9 milliards de francs). . N* 1 SARATOGA, TROY, ALBANY. 203 K* 45. — COHTLUKKT DU HQDSOH ET BU MOHAWK. 76*^0' Ouest de Paris ZZ*SL l'Oswego River ; l'autre réserve, celle de Saint Régis, se trouve sur la fron- tière canadienne. Ensemble, les Indiens en tribus étaient en 1890 au nombre de 5304 dans l'État. Les grandes villes se distribuent le long des voies naturelles qui par- tagent la contrée. La zone méridienne, qui réunit le Saint-Laurent à l'estuaire du Hudson, est celle où se sont for- mées les agglomérations les plus considérables, Albany avec les cités voisines, et New York. U semblerait naturel qu'un autre centre de population eût pris nais- sance dans la partie sep- tentrionale de la zone; mais de ce côté la force d'attraction appartient à Montréal dans le Canada, et la nature monta- gneuse des terrains entre lesquels les lacs Cham- plain et George sont enfermés n'a pas favo- risé la naissance d'une ville de premier ordre : la foule ne s'y presse qu'en été, dans les hô- tels et les villas des îles et des promontoires ; cependant le commerce de transit y est fort considérable !. Le lieu le plus fréquemment visité dans le triangle décrit par le Hudson supérieur et son affluent le Mohawk est le bourg de Saratoga Sp rings : pendant la saison, cinquante mille étran- 74* Ouest de Greenwich 73*30' C. Perron 1 ! M3 000 0 Mkil. 1 Mouvement de la batellerie sur le Champlam en 1890 : 1 082 250 tonnes. 204 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. gers se trouvent réunis dans ses hôtels de dimensions prodigieuses. Vingt-huit sources minérales, salines, sulfureuses, iodurées ou carbo- natées, y jaillissent du sol, non loin d'un petit lac, que les Indiens avaient appelé Saraghoga, la « Harengerie ». Jacques Cartier entendit par- ler en 1555 des vertus merveilleuses de ces eaux, et le premier blanc qu'y menèrent des Indiens amis y fut guéri en 1767. Quoique le pays ne soit ni pittoresque, ni fertile, la mode exige que l'aristocratie de la for- tune vienne faire étalage de luxe à Saratoga ; les courses y sont plus bril- lantes que sur tout autre hippodrome de l'Amérique, et pas une saison ne se passe sans qu'on célèbre dans ses hôtels plusieurs congrès, poli- tiques, scientifiques ou autres. Une belle avenue d'arbres, longue d'une dizaine de kilomètres, unit Saratoga à une autre ville d'eaux minérales, Ballston Spa. Pendant la guerre de l'Indépendapce, en 1777, les Améri- cains y capturèrent les forces du général Burgoyne. Le confluent du Hudson et du Mohawk est marqué par une poussinière de villes, ne formant en réalité qu'une seule et puissante agglomération urbaine, de 200 000 habitants. À l'ouest de ce groupe, une première ville, Amsterdam, portant encore le nom de ses fondateurs hollandais, est, comme sa voisine au nom indien, Schenectady, — « Au delà des Pins », — connue pour son beurre, ses houblons et surtout pour ses balais. Gohoes, cité d'usines, appelée quelquefois « Manchester de New York », fabrique du papier, des cotonnades et des étoffes de laine : en cet endroit le Mohawk tombait dans le Hudson par une chute dont toute l'eau a été captée pour le service des manufactures. Au sud du confluent, les villes se succèdent en une double cité riveraine, longue d'une ving- taine de kilométras. Waterford s'élève sur la péninsule même de la jonc- tion, en face de Lansingburg, aux innombrables villas parsemées sous les ombrages. La bourgade charmante se continue vers le sud, le long de la rive gauche, par la populeuse ville de Troy, que dominent, comme la cité de la Troade, un Olympe et un Ida, modestes buttes exploitées en carrières. A Troy et à ses puissantes usines répond, de l'autre côté du fleuve, l'amphithéâtre de West Troy. Puis viennent, sur la rive orientale, Bath et East Albany, Greenbush, faubourgs de la superbe capitale. Trois ponts traversent le fleuve entre la ville et ses quartiers orientaux. Albany est l'établissement le plus ancien des États du Nord : l'emplace- ment en avait déjà été reconnu en 1609, et, cinq années après, un comptoir hollandais se fondait sur la rive; puis en 1625 les Hollandais construisaient le fort Oranje, que les Anglais, après la conquête, débaptisèrent pour lui donner le nom actuel, pris dans leur famille royale. La « Maison d'État », I ALBANY, FLEUVE HUDSON. 207 bâtie en 1667, est le plus vieil édifice d'Àlbany, mais il reste encore plu- sieurs maisons de construction hollandaise, avec leurs bizarres pignons à degrés. La capitale d'un riche État ne saurait manquer d'avoir des musées, des collections importantes, de hautes écoles, un parc splendide; elle a tenu surtout à honneur d'édifier un beau palais pour sa Législature, monu- ment de granit qui a coûté plus de cent millions de francs : aux États- Unis il n'est dépassé en dimensions que par le Capitole de Washington et l'Hôtel de Tille de Philadelphie. Âlbany est une des cités dirigeantes de la politique américaine, et l'on peut dire que dès 1754 elle préludait à ce rôle, puisqu'un Congrès des colonies s'y réunit pour discuter l'union des diverses provinces, suivant un plan qui fut imité depuis dans la constitution fédérale. Gomme ville de commerce et d'industrie, Albany possède les grands avantages que lui donne la navigation sur le Hudson et sur le canal d'Erie : là se trouve l'entrée de cette grande voie de trafic1. D'énormes amas de planches et de poutres s'alignent sur les quais d'Al- bany. Des fonderies, des fabriques de machines, des brasseries, des minoteries sont les principaux établissements industriels de la capi- tale; West Troy a le grand arsenal de Watervliet, appartenant au gouver- nement de l'Union, et Troy, encore plus actif, presque toujours sous un ciel noir de fumées basses, est un monde d'usines aux produits les plus variés, des clous et des instruments de mathématiques aux loco- motives et aux navires de guerre. Au sud d'Albany, sur la rive gauche du fleuve, Hudson marque la tête de la navigation maritime. Là s'arrêta le pilote qui donna son nom au fleuve : les bancs de sable qui se trouvent en amont l'obligèrent à jeter l'ancre. Au siècle dernier, la ville eut un commerce au moins égal à New York : elle possédait une flottille considérable et ses armateurs équi- paient des navires pour la pêche de la baleine. En face s'élèvent les mon- tagnes Catskills, parsemées de villages et d'hôtels où, pendant la belle saison, se pressent parfois plus de cent mille visiteurs. Plus bas, sur la rive droite, les deux villes unies de Kingston et de Rondout, d'origine hol- landaise, se blottissent dans un vallon à l'issue du canal qui porte au Hudson les charbons de la vallée du Delaware. Des vignes croissent sur les pentes et donnent à cette partie du Hudson une certaine ressemblance avec le Rhin; un village de la rive gauche porte le nom de RhineclifT. Poughkeepsie, l'ancienne Apokipsink ou « Port Sûr » des Indiens Mohi- cans, est devenue grande ville par le seul fait de sa position, à mi-route 1 Mourement de la batellerie sur le canal dErie, en 1889 : 5370370 tonnes. 308 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. d'Albany à New York. Les jetées de son « port sûr » sont bordées do bateaux à vapeur et d'embarcations ; en outre, Poughkeepsie a pris une importance exceptionnelle comme escale entre la Pennsylvanie et le Massachusetts. Un pont, peu gracieux, traverse le fleuve, développant son tablier central avec une portée de 167 mètres : là passent les charbons pennsylvaniens à destination de la Nouvelle-Angleterre; il n'est plus né- cessaire de les entreposer à New York. Construite sur une terrasse d'une cinquantaine de mètres au-dessus de la rive gauche du fleuve, Pough- keepsie est elle-même dominée par le parc et les vastes constructions de Vassar Collège, le plus riche établissement universitaire destiné spéciale- ment aux femmes. Newburgh, qui succède à Poughkeepsie, mais sur la rive opposée, est une des cités historiques de l'Union : Washington y licencia l'armée après la victoire définitive. La colline qui barre le fleuve, au sud de Newburgh et de Fishkill, porte l'école militaire de West Point, fondée en 1802 : POUGHKEEPSIE, WEST POINT, NEW YORK. 209 tous les officiers de l'armée fédérale sortent de cette école, un des plus beaux endroits de l'Amérique, un de ceux qui doivent laisser dans la mé- moire des jeunes gens la plus durable impression. Au sud de West Point, le Hudson sort du défilé des Highlands, entre dans le lac Tappan, que dominent à Test les écoles et la grande prison de Sing-Sing, puis se rétrécit de nouveau au pied des Palisades. Des villas parsèment les sommets et le penchant des collines : on arrive, à Yonkers, dans la banlieue de New York. Nieuwe Amsterdam commença dans la même année que le fort Oranje, en 1614, cinq ans après l'exploration du fleuve par Hudson. Un fortin et quatre maisonnettes bâtis à l'extrémité méridionale de File de Manhattan S entre les deux estuaires de l'embouchure fluviale, tels furent les humbles commencements de la « cité Impériale », Empire City, qui, avec ses fau- bourgs, dispute maintenant à Paris le deuxième rang parmi les grandes agglomérations urbaines. Vingt ans plus tard, la petite colonie hollan- daise se protégeait par une barrière construite d'une rive à l'autre, sur le parcours de la rue actuelle dite Wall Street ou ce rue du Rempart », devenue le centre financier de l'Amérique. La ville grandissait lentement, et lorsque, conquise par les Anglais, elle changea son nom de Nieuwe Amsterdam pour celui de New York, elle n'avait que deux mille habitants; mais ceux-ci ont eu de nombreux descendants, compris sous le nom populaire de knickerbockers, que Washington Irving a popularisé en l'em- pruntant à une ancienne famille; l'influence batave, longtemps maintenue, se retrouverait encore dans l'aristocratie new-yorkaise. Actuellement la ville de New York proprement dite, à l'étroit dans son ile, qui n'a pas plus de 4 kilomètres en moyenne, entre la rivière de Hud- son et le bras de mer appelé East River ou rivière de Harlem, a dû se déve- lopper en longueur dans la direction du nord. Au delà du dédale irré- gulier des rues de la basse ville, les « blocs » réguliers, séparés par des rues parallèles se succédant de la première à la centième et à la deux cent vingtième, mais non encore (1891) construits en une cité continue, ont dépassé les terres basses du sud, puis les coteaux granitiques du centre et, franchissant l'estuaire d'East River, ont envahi le continent jusqu'à la rivière de Bronx. Là sont les limites officielles de la cité, embrassant une étendue de 106 kilomètres carrés et comprenant plusieurs ittanink en delaware, « Ue de la Puissante Beuverie » ou « de l'Ivresse » (Collections oftke New York H istorical Society, 2* série, vol. i)> m. 27 210 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. villes destinées à se fondre bientôt en une seule : Mo tt h aven, North New York, Melrose, Mo irisa nia, Tremont, Ford ha m, d'autres encore. Les villes annexes occupent une surface beaucoup plus considérable. À l'orient surtout, dans Long Island, la population, disposant d'un vaste espace le long d'East River et de la baie de New York, a pu s'épandre largement : Long Island City, et plus au sud une autre New York, Brooklyn, l'an- cienne Breukelen des Hollandais, occupent une grande partie du musoir occidental de 1' « Ile Longue », entre l'Atlantique et le détroit de Hell Gâte ou « Porte d'Enfer ». De l'autre côté, sur la rive droite du Hudson, plusieurs villes, appartenant politiquement à l'État de New Jersey, mais vivant absolument de la même vie que New York, s'échelonnent le long du fleuve, de la base des Palisades à la bouche du Hudson : ce sont Wiehawken, Hoboken, Jersey City, que d'énormes gares et entrepôts, avec un lacis prodigieux de rails, maintiennent en villes distinctes. Au sud de l'embouchure, la péninsule basse de Bergen sépare la baie de New York et celle de Newark, à laquelle viennent s'unir les estuaires du Hackensack et du Passaic : là aussi des villes nouvelles se sont fondées dans les vases, Greenville et Bayonne, probablement ainsi nommée par corruption de l'appellation précédente, Pavonia, donnée par le Hollandais Michel Pauw1; de même, un bayou voisin, à l'ouest de Staten Island, l'Achter Kill ou « Coulée de Derrière », est devenu pour les Américains Arthur s Kill, le « ruisseau d'Arthur » \ Un bayou plutôt qu'un canal, le Kill van Kull, sépare Bayonne de Staten Island, dont le pourtour, bordé de villages et de lieux de plaisance, appartient de fait, quoique non administrativement, à la grande cité. Une commission législative discute la question d'unir en une seule commune de 824 kilomètres carrés les cités de New York et de Brooklyn et les autres villes et faubourgs qui, dans les limites de l'État, gravitent autour du centre commercial de l'île Manhattan : par suite d'obstacles politiques, les villes de l'agglomération new-yorkaise situées dans l'État de New Jersey seraient laissées en dehors de la cité future. Toutefois ce projet soulève de grandes objections, surtout de la part de Brooklyn, qui ne veut pas consentir à perdre son individualité urbaine : la mauvaise administration de New York, légendaire aux États-Unis, n'est pas de nature à séduire ses voisines3 : elles ne gagneraient à l'union municipale que le futile avantage d'appartenir à la deuxième ville du monde par le • Voir carte de PaJairet, 1765. * Jacques W. Redway, Notes manuscrites. 5 Dette Je New York en 4889 : 730 470 000 francs. NEW YORK ET VILLES ANNEXES - Gtognphie Dni.creelle. t. XVI. P). I. Hachellc cl C'\ NEW YORK, BROOKLYN. nombre des résidents : l'union n'en existe pas moins, quoique non procla- mée par acte législatif. En 1891, l'agglomération de New York-BrOoklyn- New York en IBM. ïersey City, en y ajoutant les annexes jusqu'aux bords du Passaic et Sta- ten Island, ne comprend pas moins de 3250000 habitants. D'après le recensement de 1890, la seule ville de New York aurait été peuplée de 1 513 000 personnes; mais une épreuve de contrôle, pratiquée deux mois 212 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. après par les soins de la municipalité, constate que la population urbaine s'élevait à plus de 1 700 000 individus. New York présente les plus grands contrastes dans ses différents quar- tiers. La partie ancienne de la ville, où s'élèvent quelques monuments historiques et d'énormes constructions modernes à dix, quinze et même vingt étages, est un labyrinthe obscur, où la foule des négociants, des capi- talistes et de leurs employés se presse pendant le jour, mais où il ne reste la nuit que les gardiens des édifices, et, dans le voisinage, de nombreux misérables gîtant en des maisons malpropres, divisées en tenemenU ou « garnis ». Les rues fangeuses qui avoisinent le fleuve traversent aussi des quartiers insalubres, aux maisons banales, précédées de hangars, d'entrepôts et d'un long râtelier de docks noirâtres, aux formes inégales, construits sans aucun plan d'ensemble. Une grande rue maîtresse, le Broadway ou la « Voie Large », commence dans la ville basse, en coupant d'abord obliquement le damier des îlets quadrangulaires, puis se dirige au nord-est suivant l'axe de l'île Manhattan. C'est l'avenue monumentale du New York commerçant ; mais au delà d'une place ombreuse qui fut le cimetière des pauvres, le « Potter's Field », une autre « Voie Large » s'ajoute à Broadway comme rue maîtresse : la « Fifth Avenue », qui se continue en droite ligne vers l'extrémité septentrionale de New York sur une longueur de dix kilomètres. Ce boulevard, les riches marchands l'ont choisi exclusivement pour y bâtir leurs somptueux palais de marbre, de granit, de grès rouge ou autres pierres décoratives, les uns ornés de statues et de reliefs, les autres fleuris d'orchidées et d'autres plantes rares, drapés de lierre japonais, liane grimpante qui frémit au vent en révélant à demi les détails de l'architecture. Tandis que tant d'autres rues ont été changées en galeries à demi souterraines par les chemins de fer aériens, la Cinquième Avenue n'admettait naguère que les voitures élégantes. Cependant cette voie même, si jalousement gardée, se laisse graduellement envahir par le commerce : du sud au nord, hôtels, restau- rants, magasins remplacent peu à peu les palais. Parmi les édifices il en est de vraiment beaux, et certaines rues, entre autres l'avenue Madison, offrent un aspect qui satisfait absolument le regard : pas un motif archi- tectural de l'Europe et de l'Orient, classique ou moderne, roman, ogival, renaissance ou persan, qui n'ait été imité, et parfois avec succès. Le plus bel édifice de New York, et l'un des plus vastes, la cathédrale de Saint- Patrice, est en entier construite en marbre blanc. Plus de mille autres églises s'élèvent à New York et à Brooklyn, spécialement désignée par le surnom de City of the Churches, la « Cité des Églises », appellation qui NEW YORK, PARC CENTRAL. 213 du reste conviendrait à toutes les villes du Nord-Est : il n'est pas rare d'y compter une église pour mille habitants. La population de près de deux millions d'hommes qui se presse dans la ville proprement dite ne s'est pas mélangée d'une manière uniforme dans tous les quartiers. De même qu'il y a division des classes entre les ruelles sordides et les avenues somptueuses, de même il s'opère une certaine répartition par quartiers des nationalités diverses. Les Allemands sont en force sur de vastes espaces à New York et à Brooklyn; les Français et les Italiens, quoique peu nombreux en proportion de l'élément germanique, ont aussi des rues qui leur appartiennent; les 80000 Juifs pauvres habitent près de la basse ville, du côté de l'est, tandis que leurs frères plus fortunés se groupent dans le haut de New York, non loin du Parc Central. Les nègres sont confinés vers l'ouest, à côté des docks d'embarquement, et les Chinois grouillent à côté des juifs indigents, dans le voisinage immédiat du quartier général de la police. Quant aux Irlandais, on les rencontre partout; grâce à leur longue alliance avec le parti politique dominant à New York, ils ont longtemps presque monopolisé les fonc- tions subalternes, mais fructueuses, distribuées par la municipalité. Le milieu futur de New York sera le « Parc Central », long quadrilatère de pelouses, de bois, de rochers et de nappes d'eau, que l'on a ménagé entre des avenues parallèles : il n'a pas moins de 545 hectares et l'on pourrait s'y croire en pleine campagne, si l'on n'entendait le grondement des rues environnantes. Là vient aboutir le magnifique aqueduc du Croton, rivière captée à 64 kilomètres au nord de la ville et retenue en d'énormes réservoirs artificiels : tous ces travaux, destinés à fournir plus de deux millions d'hectolitres par jour, sont de dimensions colossales, digues, lacs, aqueducs et siphons ; la galerie souterraine d'amenée a 46 kilomètres de long. Un pont superbe où coule l'eau du Croton franchit la rivière de Har- lem entre la *ille et le continent ; un tunnel enfermant un autre tuyau d'alimentation passe dans le lit rocheux, au-dessous de la même rivière. Mais on a eu le tort de ne pas garantir les réservoirs supérieurs contre l'invasion de l'industrie, et de nombreuses usines (1891) polluent les eaux de l'aqueduc, au grand danger de la santé publique1. On songe à se procurer l'eau plus pure des lacs du New Jersey, qui serait ame- née par des travaux d'art plus considérables encore que ceux du Croton. Quant au système des égouts, il est des plus défectueux. Les ordures de 1 Capacité totale des réservoirs du Croton en 1891 : 1 883 700 mètres cubes par jour. 214 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. l'immense agglomération new-yorkaise, complètement perdues pour l'agri- culture, sont simplement jetées à la mer : des navires nocturnes les trans- portent en dehors des passes. D'après les règlements, le dépotoir sous- marin est situé à une douzaine de kilomètres au large de Sandy Hook et à cinq kilomètres au sud de Long Island ; mais il arrive souvent que les bateaux des égoutiers se vident plus près du port, et d'ailleurs, même à la distance réglementaire, les vagues reprennent une part considérable des débris organiques et les rejettent sur les plages, où les baigneurs se pressent en foule pendant quatre mois de l'année. New York et Brooklyn sont parmi les villes du monde où les communica- tions se font de la manière la plus rapide. Sur les principales avenues, orientées à New York du sud au nord, et de l'ouest à l'est à Brooklyn, des voies de fer élevées sur des échafaudages à colonnades portent dés trains, qui se succèdent à quelques minutes d'intervalle et font incessamment la navette entre les quartiers extérieurs et le centre commercial avoisinant le port. Outre ces diverses lignes urbaines qui transportent près d'un million de voyageurs par jour, d'autres lignes de rails, reposant sur le sol, même dans les entrecolonnements des chemins de fer élevés, sont parcourues par des convois que remorquent des machines fixes, et dans les mêmes rues des omnibus appartenant à des sociétés concurrentes prennent les voyageurs entre les stations. Sur le fleuve, des bateaux-bacs aux proportions énormes, et que la nuit on voit flotter comme des pyramides lumineuses, se déplacent constamment en rues mobiles d'une rive à l'autre. Mais, pour le grand trafic avec l'intérieur du continent, New York, par l'effet de sa situation insulaire, n'a pas (1891) toutes les facilités des autres cités d'Amérique : elle ne possède qu'une seule gare centrale, pourvue de voies parallèles tout à fait insuffisantes et ne communiquant avec la terre ferme, au nord de Harlem River, que par un pont tournant ouvert pendant plusieurs heures pour le service de la navigation. Les autres grandes stations terminales se trouvent en dehors de New York, sur la rive droite du Hudson, à Hoboken et Jersey City. Plusieurs ponts font communiquer l'île de Manhattan à la terre ferme par-dessus l'étroite coulée septentrionale de Harlem River. Mais sur les bras de mer qui avoisinent le port il n'existe encore qu'un seul viaduc, de proportions gigantesques il est vrai : le pont suspendu construit par Rœbling entre New York et Brooklyn. On travailla pendant treize années, de 1870 à 1885, à cette œuvre gigantesque, reposant sur deux piles et présentant une travée centrale de 436 mètres en longueur. Des deux piles, fondées sur le roc au-dessous des vases de l'East River, l'une a 15 mètres, il : I NEW YORK, BROOKLYN. 217 I autre 27 mètres de haut. Les navires d'une mâture de 40 mètres passent sous le pont, dont la longueur totale avec ses approches dépasse 1800 mè- tres. Les câbles énormes supportent à la fois une plate-forme pour les piétons, deux voies latérales pour les voitures, deux autres voies pour un chemin de fer à câble dont les convois sont utilisés chaque heure par vingt mille passagers dans les deux sens. On projette la construction d'un pont du même genre plus au nord, sur le même bras de mer ; des ingé- nieurs proposent en outre une œuvre autrement grandiose, celle de con- struire sur le Hudson River un pont suspendu d'une travée de 872 mètres. Depuis 1874 on travaille aussi au creusement d'un tunnel de chemin de fer qui passerait au-dessous du port, entre New York et Jersey City, mais le travail se trouve arrêté (1891) dans le voisinage de la rive orien- tale. En cet endroit le rocher se rapproche du lit vaseux et Ton recule devant les frais coûteux du percement. Ville de commerce, New York est, comme ville de science et d'art, cer- tainement inférieure à Boston, sa rivale; cependant elle possède de grandes écoles, Golumbia Collège, qui est une des principales universités d'Amé- rique, et Stevens Institute, sur la rive de New Jersey, où les études corres- pondent à celles de l'École Polytechnique de France. Les diverses biblio- thèques de New York, Astor, Lenox, la Mercantile Library, possèdent, surtout les deux premières, de précieux ouvrages relatifs à l'histoire de l'Amérique, et, dans le Parc Central, le musée métropolitain des arts, déjà trop étroit pour ses trésors, est très riche en tableaux modernes, sur- tout de l'école française; il contient aussi la fameuse collection cypriote recueillie par Cesnola. Non loin du musée se dresse un obélisque égyp- tien, une des deux ce aiguilles » que Cléopâtre fit transporter du temple d'Héliopolis à sa résidence d'Alexandrie. L'autre aiguille, qui gisait sur le sable au bord de la. mer, a été transportée à Londres, sur le quai de la Tamise ; elle en domine la muraille de granit. Le port de New York est un immense bassin d'une centaine de kilo- mètres carrés, se continuant au nord par les deux estuaires du Hudson et de l'East River; le canal peu profond de Kill van Kull fait com- muniquer le port avec la baie de Newark, accessible seulement aux navires d'un faible tirant d'eau et traversée à son entrée par un viaduc d'environ i kilomètres. Des îles parsèment la partie septentrionale de la baie de New York : Governor's Island, où jadis résidait, en effet, le gouverneur de la colonie néerlandaise ; Ellis Island, où l'on a construit un énorme édifice pour la réception des immigrants, souvent au nombre de dix mille à la fois ; Bedloe's Island, qui porte un ouvrage militaire, maintenant simple courtine XTL 28 218 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. à la base du piédestal que surmonte la statue de la Liberté éclairant le Monde, œuvre puissante du sculpteur Bartholdi, présentée au peuple améri- cain par le peuple français. Le passage dit Narrowt ou des « Étroits » réunit le port intérieur à la grande rade ou Lower Bay, qui projette à l'ouest la baie de Raritan et les ports d'Amboy, et présente une surface d'ancrage aussi vaste que celle du bassin intérieur ; mais le chenal, qui donne entrée au magnifique estuaire, n'a pas une profondeur naturelle suffisante pour les plus grands navires, et l'on doit en draguer les fonds chaque année pour lui maintenir de 8 à 9 mètres à marée basse. Il se recourbe presque à angle droit à l'ouest de Sandy Hook et contourne brusquement ce promontoire sableux pour atteindre la haute mer; une autre passe, moins profonde, s'oriente directement des Narrows vers l'Atlantique. Mais les « Étroits » ne sont pas la seule entrée du bassin de New York. La manche de Long Island, rétrécie à son extrémité occidentale par un labyrinthe d'îles et de presqu'îles, aboutit à un passage tortueux qui s'unit à Harlem River pour former la rivière de l'Est : ce passage, Hell Gâte ou la « Porte de l'Enfer », est ainsi nommé de ses remous et des écueils dangereux de gneiss sur lesquels se sont brisés par centaines les navires entraînés. Les ingénieurs ont fait sauter plusieurs de ces rochers au moyen d'explosifs placés en des galeries sous-marines, dont l'une était soutenue par 172 piliers. Lors du principal coup de mine, l'explosion par l'électricité de l'énorme charge, — 124000 kilogrammes de poudre et de dynamite, — produite d'un seul coup et par la main d'un enfant, était attendue des habitants de New York avec un certain effroi ; mais aucun accident n'eut lieu quand la gerbe d'eau prodigieuse, soulevant une masse de rochers brisés d'au moins 200 000 mètres cubes, s'élança à la hauteur de 90 mètres pour retomber dans le détroit. Toutefois l'œuvre n'est pas achevée, et le passage de Hell Gâte, profond de 7 à 8 mètres, ne donne pas encore accès aux grands transatlantiques. Des forts défendent les deux portes du havre de New York : l'un d'eux, presque ruiné, sur la rive orientale des Narrows, le fort Lafayette, servit de prison d'État pendant la guerre de Sécession. Le port de New York fait à lui seul plus de la moitié du commerce ' des 1 Mouvement commercial du port de New- York pendant l'année fiscale 1890-1891 : Importations 402 763 415 piastres. Exportations 367 838 329 » Ensemble du commerce maritime ... 770 601 744 piastres, soit 4 150 000 000 francs. PORT DE NEW YORK. 319 États-Unis ; c'est grâce à ce commerce que la cité est devenue la plus im- portante de la République. Les États-Unis regardent vers l'Europe, de même que la Russie regarde vers l'Occident, et c'est par la même raison que, dans les deux grands États, les deux cités maîtresses occupent une position analogue, pour ainsi dire, à la fenêtre de leur immense demeure. Les deux tiers des importations de la République et près de la moitié des exportations se concentrent dans le grand port américain : l'incom- parable voie commerciale, ouverte dans la direction de l'ouest par le Hudson, le canal de l'Erie et les Grands Lacs, donne à New York le rôle de distributeur général des denrées. Une forte part de matières premières importées de l'étranger se travaille sur place dans les manufactures de toute espèce que possède l'agglomération new-yorkaise. En outre , les immigrants se dirigent presque tous vers le port de New York1, et le va-et-vient des grands paquebots transatlantiques a pris surtout l'île de Manhattan pour point d'attache : on a vu jusqu'à neuf vapeurs de passagers partir en un même jour pour l'Europe. Mais ce commerce immense se fait presque exclusivement par navires étrangers ; le pavillon américain est un de ceux qu'on voit le moins flotter dans la partie du port réservée au com- merce extérieur1. Quant au trafic avec l'intérieur du continent par la voie dn Hudson, il est réservé au pavillon américain, et cette part est telle, qu'en l'ajoutant au mouvement des échanges maritimes elle donne au port de New York le premier rang parmi ceux du monde entier Ni Londres avec sa Tamise, ni Liverpool avec sa Mersey, ne peuvent se mesurer avec l'estuaire du Hudson3. Du reste, les oscillations du commerce provenant de l'ouverture de nouvelles voies ferrées, du changement des lois douanières 1 immigrants débarqués à New-York en 1890 : 405 6^4. Passagers amenés à New-York en 1890 par les transatlantiques : De cabine 99 189 D'entrepont - 371 595 Ensemble 470 784 * Part des pavillons dans le commerce extérieur de New-York en 1890 : Anglais 51,5 pour 100 Américains 15 » Autres 33,5 » 5 Mouvement de la navigation maritime avec l'étranger dans le port de New- York, en 1890 : Entrées 5 407 navires, jaugeant 6 258 222 tpnnes. Sorties 4947 » » 6 025 518 » Ensemble. . . 10 554 navires, jaugeant 12 283 740 tonnes. Mouvement de la navigation fluviale sur le Hudson, entre Albany et New- York, en 1890 : 18 ^82 596 tonnes. Ensemble du tonnage maritime et fluvial : 30 866 336 tonnes. 220 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. et fiscales, déplacent fréquemment telle ou telle branche du commerce, au détriment ou à l'avantage de New York : il n'a plus les importations de café et a perdu beaucoup de son ancienne importance comme port d'expédition des céréales1. Duluth et Chicago d'une part, Baltimore, Norfolk, Newport News de l'autre, exportent directement leurs denrées. Des parcs nombreux entourent la ville : Riverside, dans l'île même de Manhattan, offre du haut de sa colline, où l'on a placé le tombeau du général Grant, une vue admirable du Hudson et des Palisades. Près de Bronx, une vaste étendue de forêts, de coteaux, de lacs et de rochers a été découpée pour servir de parc; un autre, Pelham Bay Park, borde les eaux du Long Island Sound; Prospect Park est la gloire de Brooklyn. Les cimetières, notamment Woodlawn sur la terre ferme, et Greenwood dans Long Island, sont aussi d'admirables lieux de promenade, avec leurs ave- nues ombreuses serpentant sur le flanc des coteaux. De tous les lieux de plaisir vers lesquels se porte chaque dimanche* par dizaine de milliers, la population de New York et de Brooklyn, le plus animé est Coney Island, plage de sable fin qui se développe en croissant à l'angle sud-occidental de Long Island et que seulement une coulée marécageuse sépare de cette grande île. De ses pavillons et de ses belvédères, situés en face de Sandy Hook, on suit du regard les navires qui cinglent sur le tortueux chenal entre New York et la haute mer. Les hôtels de Coney Island, ceux de Rockaway, tous rattachés à Brooklyn par des voies ferrées, bordent l'es- tuaire sur plusieurs kilomètres de longueur et, les jours de fête, deux cent mille personnes du peuple et de la classe moyenne se pressent dans les restaurants et les théâtres de la plage. La ville d'origine française, New Rochelle ou la « Nouvelle Rochelle », fondée à la fin du dix- septième siècle, sur la rive septeiitrionale du Long Island Sound, par des fugitifs de la commune protestante, constitue une autre dépendance naturelle de New York comme résidence d'été; jusqu'à la guerre d'Indé- pendance, les registres de la Nouvelle Rochelle se tenaient en français1. Le conventionnel Thomas Paine mourut dans cette colonie de huguenots, en 1809. New Rochelle est en pays de rochers : pour se débarrasser de ces blocs granitiques, chaque paysan a construit une épaisse muraille de pierre autour de son champ. Mais que de falaises et de rocs isolés se dressent encore au milieu du feuillage, sur la rive et dans les eaux avoisinantes ! 1 Exportation des céréales du port de New- York : 1880, 40 800 000 hectolitres ; 1889, 13 780 000 hectolitres. 9 Glardon, Notes manuscrite*. NEW VORK, NEW ROCHELLE, BUFFALO. 221 Une de ces buttes marines, Glen Island, est un lieu d'amusement très fréquenté. La voie du Hudson qui a fait la prospérité de New York se complète par la voie du Mohawk venant du lac Erie. Le port de Buffalo, ainsi nommé des bisons qui paissaient dans les solitudes couvertes maintenant de multitudes humaines, s'élève à l'extrémité occidentale du canal de navi- gation qui réunit le bassin du Hudson à celui des Grands Lacs, et tout un collier de villes populeuses s'est formé le long de cette voie et des chemins de fer qui l'accompagnent. Buffalo est bâtie sur la rive orientale du lac Erie, à l'endroit même où le fleuve Niagara s'échappe rapidement en un courant d'eau pure, pour se bifurquer autour du Grand Island, puis des- cendre en une double cataracte dans sa profonde cluse d'érosion. Un îlot artificiel au milieu du fleuve indique la prise d'eau qui alimente les habitants de Buffalo. Des gares, des entrepôts, des élévateurs et autres grands édifices, entourés d'un labyrinthe de rails, enfin l'amorce du canal d'Erie, séparent la ville des plages lacustres et fluviales; seulement, au nord, les avenues d'un parc bordent le Niagara et se continuent vers l'est par de magnifiques boulevards ayant un développement d'environ 16 kilomètres. Un beau pont international franchit le fleuve entre Black Rock, le quartier septentrional de la ville, et la rive canadienne. Fondée en 1801, Buffalo n'eut d'abord que son importance stratégique comme gardienne de la frontière contre les Anglais et les Indiens; mais elle devint rapidement grande ville et centre industriel dès que le canal d'Erie eut été ouvert à la navigation, en 1825. Ce canal passe à Tonawanda1, d'où une branche latérale va rejoindre les laides usines de Niagara Falls, odieusement placées en face de la chute. Les spéculateurs de Buffalo projettent de profaner la cataracte bien plus encore, en y installant des machines pour la production de la force motrice nécessaire à leurs manu- factures. Bien moins important que les ports de Buffalo sur l'Erie, et de Niagara sur l'Ontario*, est celui de Dunkirk, situé à une centaine de kilomètres au sud-ouest, sur une crique du lac Erie; dans le voisinage immédiat de cette ville aux maisons éparses se trouve le village de Fredonia, fameux 1 Mouvement du port de Buffalo pour le commerce extérieur en 4890 : 4 936 navires, jaugeant 285 420 tonnes. Mouvement du cabotage, 6 750 437 tonues. MosTement du cabotage à Tonawanda, 4 046 895 tonnes. * Mouvement du port de Niagara pour le commerce extérieur en 4890 : 4 724 navires, jaugeant 495 946 tonnes. 'm NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. (tnns la géologie par ses puits de gaz naturel, qu'on utilisa pour l'éclairage des rues pendant de longues années avant de songer à explorer les pro- ■nètres ete-STcfs* fondeurs du sol dans les vallées de l'Allegheny el d'en faire jaillir la force et la lumière. Plus loin, vers le sud-ouest, divers petits bourgs et groupes BUFFALO, LOCKPORT, ROCHESTER. 225 de villas entourent le lac Chautauqua, où glissaient autrefois les canots des Erie ou « Chats ». Un des sites les plus charmants de ses bords a élé choisi comme le siège d'une « école estivale de philosophie », collège de vacances où des étudiants amateurs, parfois au nombre de plusieurs- milliers, viennent entendre l'enseignement des professeurs les plus célèbres des universités d'Amérique : les prairies qui entourent l'hôtel sont cou- vertes de tentes dressées pour la foule des auditeurs. Lockport, le « Port de l'Écluse », à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Buffalo, occupe le faîte de partage entre le bassin du Niagara et celui du Genesee; le canal d'Erie y descend brusquement par cinq doubles écluses de 17 mètres en hauteur totale : la chute d'eau a fait naître de nombreuses usines, surtout des minoteries, qui pourraient mériter à cette ville le nom de Flour City, « Cité de la Farine », donné plus souvent k la métropole du Genesee, Rochester. Fondée en 1812, cette dernière ville s'accrut rapidement par suite de l'ouverture du canal qui emporte vers New York les bois de la contrée, ses beaux froments, ses farines, les arbustes et les fleurs de ses pépinières et de ses jardins ' ; mais elle est devenue surtout un centre manufacturier très actif, grâce aux chutes du Genesee, jadis un des plus beaux spectacles de l'Amérique, mais captées maintenant, interrompues par des constructions de toute espèce, et ne paraissant remarquables que par l'énorme travail accompli dans ce monde d'usines qui se succèdent le long du fleuve. Les chutes sont au nombre de trois, comme celles de Portage, autre ville industrielle située à quelques kilomètres en amont : un pont traverse la gorge de Portage à 71 mètres au-dessus de l'abîme, en face de la cataracte supérieure. En aval de Rochester, le Genesee, coulant au fond de la gorge de cent mètres qu'il a lui-même excavée dans la roche, descend vers l'Ontario : le village de Charlotte, port de Rochester, s'élève à l'embouchure, sur la rive occi- dentale. La région des lacs qui appartenait aux Six Nations abonde en villes populeuses ayant succédé aux « longues cabanes » des Iroquois, désormais cantonnés en d'étroites réserves. Geneva, située comme son homonyme de la Suisse à l'extrémité inférieure d'un lac, le Seneca, vante ses villas, ses belles avenues, ses jardins; Ilhaca, à la pointe méridionale du lac Cayuga, ceint la base des constructions imposantes de l'université Cornell, richement dotée par le négociant qui lui a donné son nom; Auburn, à 1 Mouvement du port de Rochester pour le commerce extérieur en 1890 : 1 520 navires, jaugeant 335743 tonnes. 22i NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. l'issue du lac Owasco, sur les rapides de l'effluent, est une ville d'indus- triels et de carriers, que commande un rocher portant les restes de fortifications indiennes; la prison cellulaire d'Auburn a servi de « type » à beaucoup d'autres geôles dans les deux mondes. Syracuse, à l'entrée de l'Onondaga Creek dans le lac Onondaga, développe ses rues et ses boule- vards sur une vaste étendue : c'est « la ville du Sel », en même temps qu'une grande cité commerciale et le siège d'une riche université. Jadis la moitié du sel consommé aux États-Unis provenait des marais qui bordent le lac Onondaga et dont l'État de New York est propriétaire depuis 1795; maintenant ils en fournissent encore le cinquième : toute une rangée d'usines, avec canaux et chemins de fer, s'élève sur les prairies basses au nord de la ville1. Les Indiens Onondaga ou « Montagnards », qui con- naissaient la richesse de leurs salines, ont laissé dans le pays environ trois cents descendants, possédant une « réserve » au sud de Syracuse. Le con- seil général des Six Nations tenait jadis ses séances sur la rive orientale. A l'est, sur les bords du lac d'Oneida, il n'y a point de grande ville; mais Production du sel à Syracuse en 1862. ... 3 291 083 hecuililrcs. * t » 1887. . . . 2070422 • LACS DBS IROQUOIS, SYRACUSE, OSWEGO. 225 le village d'Oneida, fondé sur l'emplacement de wigwams indiens, est bien connu comme résidence des « perfectionnistes » ; ce qui reste de la com- munauté n'est plus guère qu'une maison de commerce pour la production el la vente des beurres, des fruits et des légumes. Oswego, le port de Syracuse, formé par la bouche de la rivière Oswego, canal d'écoulement qui réunit tous les affluents des lacs Iroquois, est la cité la plus considérable que possèdent les États-Unis sur les rives de l'Ontario; c'est un ancien poste français, qui fut souvent pris et repris pendant les guerres de frontières : le creusement d'une voie de raccorde- ment avec le grand canal d'Erie en a fait la voie principale d'entrée pour les grains et les vins du Canada. Son port est bien protégé par des jetées et l'on a proposé d'en faire le bassin terminal d'un canal de grande navi- gation qui rejoindrait le port de New York par le Mohawk et le Hudson, offrant un libre passage aux navires de mer1. Un autre port du lac Ontario, Sackett's Harbor, non loin de l'issue du lac par le dédale des « Mille Iles », a beaucoup moins d'animation, malgré ses avantages comme profondeur et sûreté : trop éloigné des voies commerciales, il n'est qu'une sorte d'im- passe. Sur le Saint-Laurent, en amont des rapides du Long Saut, la ville new-yorkaise d'Ogdensburg, l'ancien « fort de la Présentation », n'a pu acquérir non plus d'importance que pour le transit : le trafic de cette région se reporte vers la canadienne Montréal, située sur le fleuve à la tête de la navigation maritime1. Entre Syracuse, la ville centrale de l'État de New York, et le groupe des cités qui se pressent autour d'Âlbany, la capitale, il existe encore, dans la dépression où s'épanchait jadis le trop-plein du lac Ontario, deux centres industriels importants, Rome et Utica ; cette dernière ville est le point de départ le plus fréquemment choisi pour les fameuses chutes de Trenton, sur un affluent du Mohawk, pour les Âdirondacks du Nord, les « Milles Iles » et les bords du Saint-Laurent. Deux autres cités manufactu- rières et populeuses, Elmira et Binghamton, sont les lieux d'étape sur le chemin de fer direct de New-York à Buflalo par la haute vallée de la Susquehanna. Elmira, sur le Chemung, avoisine les admirables ravins ouglem de Watkins, qui s'ouvrent à l'extrémité méridionale du lac 1 Mouvement du port d'Oswego pour le commerce extérieur en 1890 : 3 658 navires, jaugeant 684 000 tonnes. Mouvement du cabotage : 694 118 tonnes. * Mouvement de k navigation à Ogdensburg en \ 890 : 1 220 navires, jaugeant 197 020 tonnes, in. 29 1 226 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Seneca; Binghamton, au confluent de la Susquehanna et du Chenango, sert d'entrepôt et de marché aux riches houillères voisines \ VIII. — NEW JERSEY. L'État de New Jersey, compris entre le New York et la Pennsylvanie, entre les deux fleuves « du Nord » et « du Sud », Hudson et Delaware, est un des plus petits parmi les États primitifs, mais un de ceux qui ont la plus forte population relative. Les trois principales lignes de fer qui réunissent New York à Philadelphie passent au milieu de son territoire et l'enrichissent comme dépendance des deux métropoles; en outre, l'État, grâce à une fiscalité moins âpre que celle de New York, est devenu le siège officiel de nombreuses compagnies financières dont les bureaux sont réel- lement de l'autre côté du Hudson . Les villes les plus populeuses de New Jersey sont ou bien de simples faubourgs des cités voisines comme Jersey City et Camden, ou bien des agglomérations urbaines gravitant autour de New York ou de Philadelphie par leur population, leur industrie et leur commerce. Des dizaines de milliers d'habitants du New Jersey ne le sont que pendant la nuit; leurs affaires journalières les amènent dans les métropoles d'outre-rive. Le New Jersey est aussi une annexe naturelle des deux grandes cités comme pays de villégiature : les maisons de plai- sance des New-Yorkais parsèment les collines du nord de l'État et les vallées pittoresques de ses rivières; la foule des citadins se presse en été sur ses plages. Les terres fertiles ou fertilisées du New Jersey sont en 1 Villes principales de l'État de New-York, avec leur population en 1890 : New York (recensement officiel : 1 515 301) . . 1 710 715 hab. Brooklyn et Long Island City 856 849 » Buffalo 255664 » Rochester 155 896 » Albany, avec Rath, Greenbush (East and North). 109 163 h Syracuse 88 143 » Troy, avec Watervliet et West Troy 85 665 » Utica 44 007 » Binghamton 55 005 » Yonkers 32 035 » Elmira 30 893 » Auburn 25 858 » Newburgh 23087 » Poughkcepsie 22 836 » Cohoes 22 509 » Oswego 21842 » Kingston 21 261 » NEW JERSEY. 227 grande partie cultivées par des jardiniers qui expédient leurs produits aux marchés métropolitains; de même les milliers d'usines qui se trouvent sur le sol du New Jersey ont New York ou Philadelphie pour marchés et appartiennent à des capitalistes de Tune ou l'autre ville. Ce petit État possède les principales poteries et les usines les plus actives pour la fabrication des soieries1. Sur la rive droite du Hudson, Hoboken et Jersey City, qui font face à New York, en dépendent absolument comme les vastes gares et magasins des voies ferrées, juxtaposées sur l'étroit littoral, au pied des collines; le fleuve unit pendant le jour les villes opposées par les rues flottantes de ses nombreux bateaux-bacs. Du moins les villes de la vallée du Passaic, éloi- gnées de la péninsule de Jersey City par de vastes marais, forment-elles des agglomérations distinctes. Newark ou la « Nouvelle Arche d'alliance », ville ancienne, puisqu'elle fut fondée en 1666 par quelques familles de puritains, a récemment empiété sur une partie de ces marais, mais les quartiers primitifs, ainsi que les faubourgs élégants, s'élèvent sur des collines qui furent autrefois le littoral de la mer. Newark, la plus grande cité du New Jersey et sa ville la plus industrieuse, a des ateliers pour la préparation du caoutchouc, des carrosseries, des brasseries, des filatures de coton et de soie, mais cette dernière branche du travail manufacturier est plus fortement représentée dans les villes de Passaic et de Patcrson, situées en amont, dans la même vallée : une chute d'environ 15 mètres fournit aux usines une force motrice de plusieurs centaines de chevaux- vapeur. De même que New York avance graduellement ses faubourgs vers les marais de Newark pour l'englober dans son immense enceinte, de même Newark gagne incessamment au nord et à l'ouest pour s'an- nexer les divers quartiers d'Orange, — dits vulgairement the Oranges, « les Oranges », — autre ville de travail, qui a la chapellerie pour industrie principale. Newark commerce directement avec New York, quoi- que les bancs de vase qui obstruent l'embouchure du Passaic y rendent la navigation difficile; cependant Bayonne, située à l'extrémité de la pénin- sule qui sépare les deux estuaires du Passaic et du Hudson, croit rapide- ment en importance et tôt ou tard finira par rejoindre Jersey City, malgré les fièvres qui, avec les brouillards, s'élèvent de la surface des marais voisins. Elizabeth, fameuse par sa fabrique de machines à coudre, et Hahway, 1 Ring du New Jersey parmi les États et territoires de la république nord-américaine : Superficie : 7 815 milles carrés (20 240 kilomètres carrés) N° 45 Population : i 444 933 habitants en 1800 N* 38 Densité kilométrique : 72 habitants N° 4 228 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. qui a pour spécialité la construction des voitures, communiquent aussi avec la baie de New York et sont les dépendances de la grande métropole. New Brunswick, autre ville d'ateliers et d'usines, se rattache également à New York, puisqu'elle est située à la tête de navigation du Raritan, qui se déverse dans la même baie que le Hudson, en dedans de la barre de Sandy Hook. Deux ports, Perth Amboy au nord, South Âmboy au sud, occupent l'embouchure du Raritan et font un commerce assez actif de poteries et autres produits de l'industrie locale. Avant que l'importance économique de la percée que commande New York dans la direction de l'Ouest et des Grands Lacs eût donné à cette ville une prépondérance défi- nitive, l'estuaire du Raritan était un rival sérieux du Hudson : il avait même l'avantage d'être plus facile d'accès pour les navires d'un tonnage moyen. Trenton, la capitale du New Jersey, ne se trouve plus, comme Newark et les villes du même district, dans la sphère d'attraction de New York : elle serait plutôt un satellite de Philadelphie, car elle est située sur le même fleuve, le Delaware, à la tête de la navigation, et les bateaux à vapeur vont et viennent incessamment entre les deux villes. Déjà fondée en 1680, Trenton ne grandit que lentement jusqu'au milieu du siècle, malgré les avantages de son rang comme chef-lieu d'un État et même comme siège temporaire du Congrès fédéral ; maintenant, la zone d'attraction d'entre Philadelphie et New York exerce sur les campagnes une force irrésistible et Trenton en profite comme station centrale entre les deux cités. Sur l'emplacement occupé aujourd'hui par les maisons Washington gagna en 1776 la bataille qui rétablit la situation des colonies rebelles, alors presque désespérée. La ville repose sur un banc d'argile épaisse qui lui à valu son industrie actuelle, analogue à celle des aborigènes de l'époque préhistorique : la capitale de New Jersey fournit les autres États de poteries. Le collège de Princeton, situé près de la ville du même nom, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Trenton, est l'université la plus célèbre de l'État, l'une des rivales de Harvard et de Yale : le géographe Arnold Guyot, le premier explora- teur scientifique des Àppalaches, y professa longtemps. De toutes les uni- versités d'Amérique, Princeton est celle qui a le plus de « filles », c'est-à- dire d'établissements fondés par ses élèves, parmi les écoles des États-Unis. Les autres villes notables du New Jersey sont des résidences d'été, bâties sur les plages marines que des marais ou des eaux courantes séparent en partie de la terre ferme : la foule s'y porte de toutes les cités de l'inlérieur pendant la saison et l'on pourrait alors compter un demi- TRENTON, PRINCETON, CAPE MAY, LONG BRANCII. 22» million d'hommes sur ces cordons de sable, presque déserts pendant les froidures hivernales : Long Branch, Atlantic City, Cape May. Cette der- nière ville de bains, ainsi nommée d'après le navigateur hollandais Carolis Jacobsen Mey, qui longea les côtes en 1614, termine la péninsule méridio- nale de New Jersey, entre la baie de Delaware et l'Océan. Long Branch, quoique sur le territoire du New Jersey, est, aussi bien que Coney Island, - une dépendance de la cité new-yorkaise, et durant la saison des bains y afflue la foule des oisifs, des malades et des fournisseurs. Vue de la mer, Long Branch paraît immense; ne se présentant naguère qu'en façade, elle formait un long boulevard, masquant des champs et des jardins parsemés de quelques maisons de paysans, et séparé de la terre ferme par la coulée du Shrewsbury : la ville de bains doit son nom à une « longue branche » de ce bayou. Maintenant l'arrivée des étrangers a 230 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. fail naître, en arrière de la façade marine, des quartiers permanents peu- plés pendant tout l'hiver. Sur la plage, la longueur des rangées de villes, villages, hôtels et chalets dépasse 30 kilomètres ; peut-être un jour se con- tinuera-t-elle jusqu'à la brèche de fiarnegat, qui fait communiquer la lagune intérieure avec la haute mer. Avant le milieu du siècle, quelques Pro/ô/K/eisr-à B H E3 Terres itassts maisonnettes, des phares, des stations de sauvetage étaient les seules con- structions de Long Branch, parfois dénommée « capitale d'été » de l'Union nord-américaine; maintenant la plage est bordée d'appontements et de quais, nécessaires pour empêcher les érosions. Les tempêtes ont souvent menacé les plages du New Jersey et les côtes balnéaires de ses bords. Le péril de l'immersion est d'autant plus pressant que le sol paraît se déprimer graduellement au-dessous du niveau de la mer. Vers le centre de la presqu'île, près du bourg de Vineland, plusieurs NEW JERSEY, PENNSYLVANIE. 231 colonies agricoles de Juifs émigrés ou chassés de Russie, comprenant sept cenls familles, sont en pleine voie de prospérité : les cultivateurs se livrent presque exclusivement à la production des légumes, des baies et des fruits pour les marchés des grandes cités voisines l . IX. — PENNSYLVANIE. La Pennsylvanie (Pennsyhania) avait déjà quelques colonies de blancs lorsque William Penn, pénétrant dans ses vastes forêts, la nomma ainsi en mémoire de son père : les Suédois et Norvégiens avaient fondé un Christiania sur le bord du Delaware, les Hollandais s'étaient établis à l'en- droit occupé de nos jours par New Castle, et des quakers anglais habi- taient la péninsule actuelle de Philadelphie. Une année après l'arrivée de Penn, des Gallois vinrent en nombre, puis s'accomplît la grande immigration allemande1. La Pennsylvanie est l'un des treize États primi- tifs et l'un des plus importants par l'étendue et par la position géogra- phique. Elle mérite son nom populaire, Keystone State, « État Clef de Voûte », non seulement par sa forme massive et rectangulaire, n'ayant de frontières naturelles qu'à l'orient, mais aussi par le territoire faîtier qu'elle occupe entre l'Atlantique et le bassin des Grands Lacs. Arrosée à Test et au sud-est par des tributaires de l'Océan, Delaware et Susque- hanna, elle confine sinon à la mer, du moins à un estuaire navigable; au nord-ouest, une étroite languette de son domaine est baignée par le lac Erie, tandis qu'à l'ouest et au sud-ouest elle verse ses rivières par le bassin de l'Ohio dans le Mississippi et le golfe du Mexique. Ainsi la Pennsylvanie a trois versants distincts et ce fut principalement dans 1 Villes populeuses ou historiques du New Jersey, avec le nombre de leurs habitants en 1890 : .Newark 181 836 hab. Jersev City .... 165 003 » 78 547 » 43 648 » Elizabeth 37 764 » 19 033 » Orange (the Oranges) . 18 844 » 13 028 » Union et autres. . . 24 985 » agglomération new-yorkaise . . 580 488 habitants. Camden et Gloucester, agglomération philadelphienne 64 877 » Trenlon 57 458 » New Brunswick 18 603 » * Shennan Day, Historical Collections of the State of Pertnsylvania. 232 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ses régions appalachiennes que s'établirent les premières voies de com- munication faciles, routes et canaux, entre les divers plans inclinés. L'État présente une étonnante variété de paysages et de terrains, grâce à sa division naturelle en trois zones, le littoral atlantique, le pays des montagnes et des vallées appalachiennes, et les terres occidentales, en partie recouvertes de débris glaciaires, qui s'inclinent vers le lac Erie et vers la vallée de l'Ohio. Pour le nombre des habitants, la richesse et même l'industrie, la Pennsylvanie n'a que le deuxième rang ; elle vient après l'État de New York, mais elle reste de beaucoup supérieure à la moyenne, puis- qu'elle contient à elle seule la douzième partie de la population des États-Unis. La valeur annuelle de la fabrication minière de la Penn- sylvanie dépasse celle de tout autre État, et pour la production du fer et de l'acier elle l'emporte sur l'ensemble de l'Union : l'abondance et la facilité d'exploitation des divers combustibles fossiles, houille et anthracite, la richesse des minerais de fer, les lacs souterrains de pétrole, les cavernes emplies de gaz inflammable et les gisements de sel gemme ont donné à la contrée une part prépondérante dans le travail minier et métallurgique, part qui vient de s'accroître encore par la légis- lation prohibitive que les fabricants pennsylvaniens ont su dicter au Con- grès. Les premiers colons se trompèrent sur l'industrie future de la société qu'ils fondaient : Vimm, Linum et Texlrinum, telle fut la devise qu'ils donnèrent à la Pennsylvanie1. Le fleuve Delaware, qui limite la Pennsylvanie à l'est, vers le New Jersey, n'a pas de grandes villes dans la partie supérieure et moyenne de sa vallée : les lieux les plus fréquentés de ses bords sont les groupes des villas et d'hôtels situés dans la brèche ou water gap ouverte par le courant dans la chaîne des Blue Mountains. La ville d'Easton, placée au confluent du Delaware et du Lehigh, s'élève sur les pentes d'une autre brèche avec ses faubourgs d'outre-rive, South Easton et Phillipsburg. C'est avec Âllentown, située plus haut dans la vallée du Lehigh, un entrepôt des 1 Rang de la Pennsylvanie parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 45 215 milles carrés (117 106 kilomètres carrés) .... N* 52 Habitants en 1890 : 5 258014 y 2 Population kilométrique, 45 habitants N° 7 Production du charbon fossile : 81 7190M) tonnes (58 p. 100 de l'Union) N* 1 » du pétrole (avec enclave de New York) 32 000 000 hcctol. N° 1 »> du fer (4712 511 tonnes de fonte) N« 1 Ensemble de la production industrielle N° 2 " de la richesse publique N* 2 I ' EASTON, MAUGH CHUNK, READING. 235 anthracites exploités de l'autre côté des Blue Mountains, par delà le Lehigh Gap : entre Easton et Allentown l'espace, d'environ 30 kilomètres, est presque entièrement occupé par une succession de hauts four- neaux et d'autres usines métallurgiques. Easton s'élève à l'endroit même où William Penn conclut son fameux traité d'alliance et de fraternité avec les Indiens Lenni-Lenap. En amont d'Allen town, le bourg de Bethlehem rappelle les missions des Frères Moraves, qui s'établirent dans la contrée en 1781; ils possèdent encore en cet endroit leur principale station d'Amérique. Mauch Chunk, le « Mont Ours » en algonquin, a reçu son nom d'une montagne conique, Bear Mountain, s'élevant à près de 200 mètres au-dessus de l'étroite vallée du Lehigh ; c'est près de là que les premières trouvailles d'anthracite ont été faites vers la fin du siècle dernier et que l'on en com- mença l'exploitation. La ville, à l'étroit dans sa gorge, développe son canal, ses deux longues rues, ses chemins de fer en rubans parallèles autour des escarpements rougeâtres du Mont Ours; chaque terrasse des hauteurs voisines porte son groupe de maisons ou d'usines. Le premier chemin de fer utilisé pour le transport du combustible, dès l'année 1827, escalade une montagne pour descendre de l'autre côté et gravir une troi- sième pente : ces espèces de « montagnes russes » ne servent plus qu'à l'amusement des visiteurs. Une des mines environnantes brûle depuis près d'un demi-siècle et le sol s'effondre en cratère au-dessus de l'incendie1. Les couches d'anthracite qui commencent vers Mauch Chunk appartiennent à un banc qui se prolonge au sud-ouest, parallèlement à l'axe des monts, et dont Pottsville, le chef-lieu de la haute vallée du Schuylkill, occupe à peu près le milieu. Reading, située également dans la vallée du Schuylkill, au point de con- Tergence de plusieurs vallées latérales, est une des. grandes villes de la Pennsylvanie : fondée par Penn, elle reçut le nom d'une ville anglaise, chef-lieu d'un comté, dont le nom, Berks, a été transmis au comté américain; mais la population dominante est germanique, sinon par la langue, car depuis longtemps l'anglais a prévalu dans les villes, du moins par l'origine. Les riches campagnes des alentours sont peuplées surtout de fermiers allemands, qui descendent des colons venus dans les premiers temps comme « engagés » ou travailleurs libres et parlent un jargon bizarre, mélange d'allemand et d'anglais, incompréhensible à la plupart de ceux qui parlent correctement l'une ou l'autre langue. Reading, de 4 Spécial Correspondent of Ihe Times, A Visit to the States. 256 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. même que les villes de la basse vallée du Schuylkill, Pottstown, Norris- town, est un lieu d'industrie active. Plus on se rapproche de Philadelphie et plus on voit se presser les fabriques de toute espèce, filatures de laine et de coton, hauts fourneaux et forges : d'un côté le voisinage d'une grande cité, de l'autre l'abondance du combustible ont fait surgir les villes et les villages en une rangée continue. Philadelphie (Philadelphia) , ou la « Ville de l'Amour Fraternel », rap- pelle par son nom même une des scènes touchantes de l'histoire améri- caine, l'arrivée de William Penn parmi ses « frères », les Indiens de la forêt. Débarqué en 1682 sur le Delaware, à l'endroit où se trouve aujour- d'hui la petite ville de New Castle, il recueillit en passant quelques colons suédois, puis remonta le fleuve jusqu'à la péninsule formée par la ren- contre des deux rivières Delaware et Schuylkill : c'est là qu'il fonda la cité nouvelle, destinée, dans son espoir, à servir d'exemple aux villes perverses de sa patrie. Encore au commencement du siècle on montrait l'orme de Shackamaxon, sous lequel Penn rencontra les aborigènes : le sol où s'élevait cet arbre, sur la rive gauche du fleuve, était depuis des siècles une terre neutre, un lieu sacré où les délégués de toutes les tribus du littoral entre le Hudson et le Potomac venaient allumer le « feu du conseil ». Une simple pierre, dans la partie la plus encombrée des quais de Delaware, marque la place de l'ancien ormeau. Le point choisi par Penn comme centre de la cité future se trouvait à peu près exactement à moitié chemin d'un isthme de trois kilomètres formé par deux courbes du Delaware et du Schuylkill ; au sud de cet isthme la campagne basse et plate allait se confondre au sud avec les marais du con- fluent, tandis qu'au nord se redressaient des buttes de gravier recouvertes de bois. Tout cet espace d'entre deux rivières disparaît maintenant sous les constructions jusqu'à cinq kilomètres au sud du centre marqué par Penn et jusqu'à une quinzaine de kilomètres au nord ; en outre, la cité, franchissant les deux fleuves, s'agrandit à l'est et à l'ouest par des quar- tiers nouveaux. Philadelphie, qui fut la capitale et la cité la plus populeuse de l'Union, est dépassée depuis 1822 par New York et depuis quelques années par Chicago ; néanmoins elle est une des grandes villes du monde par sa population, puisqu'elle a plus d'un million d'habitants et n'a que peu d'égales en superficie, pas même Londres, car elle peut se développer sans obstacles dans tous les sens : de son extrémité nord-orientale sur le Delaware, à l'extrémité du sud-ouest, sur le Schuylkill, on ne compte pas moins de 25 kilomètres à travers l'espace couvert de constructions. L'ac- croissement rapide de Philadelphie provient en partie de ce que la plupart PHILADELPHIE. des propriétaires de maisons sont en même temps propriétaires du sol : ils sont bien chez eux : de là le nom de City of Oie Homes, la « Cité du ètr-es $ mètres se su aktè I.H. Independence Hall G.C&re Chez soi », nom qui d'ailleurs n'est pas vrai pour les ouvriers, par cen- taines de mille, qu'attirent les usines de la ville immense. Sur des 238 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. lieues de longueur on voit, rue après rue, se succéder des quartiers sans fin de maisonnettes peu élevées ayant chacune son possesseur distinct et ses locataires. On donne aussi à Philadelphie le nom de Quaker City, d'après la religion de ses fondateurs1. Le carré central de Philadelphie, point de départ des quatre rues maî- tresses, est occupé par l'Hôtel de Ville, monument somptueux de marbre blanc, pour lequel on dépense, depuis 1871, de 2 à 5 millions et demi de francs par année. La tour, qui se dresse sur un côté de la cour du milieu, atteint (1891) 120 mètres au-dessus du pavé et doit un jour s'élever à 170 mètres; la statue de Penn, qui terminera cet édifice, plus haut que toutes les tours de cathédrale en Europe, n'aura pas moins de H mètres : les citoyens tiennent à honneur de signaler leur ville par un monument qu'on aperçoive de loin par-dessus les forêts et les collines. Philadelphie offre la régularité d'un damier, si ce n'est là où des chemins de fer vien- nent brutalement couper les rues et en modifier le tracé primitif. Mais si la cité offre une symétrie parfaite, elle ne peut se vanter d'être bien te- nue, et certains quartiers, surtout à proximité du port, sont de véritables cloaques. Aucun pont ne traverse encore le large Delaware pour rejoindre Philadelphie à ses faubourgs du New Jersey, Camden et Gloucester City, mais sur plusieurs points des viaducs pour chemins de fer, voitures et piétons, franchissent le Sahuylkill. L'un d'eux, le pont Girard, fut longtemps considéré par les ingénieurs comme un modèle de contrac- tions en fer. L'édifice le plus vénérable de Philadelphie est l'Independence Hall, le modeste palais, ombragé de beaux arbres, où les représentants des provinces rebelles signèrent la déclaration d'indépendance, le 4 juillet 1776 : on l'a transformé en musée historique. Un autre monument célèbre est une école de douze à quinze cents orphelins, temple corinthien entouré de vastes dépendances : on l'appelle Girard Collège, en mémoire du fonda- teur, négociant bordelais, qui légua dix millions de francs, des terres et des maisons à la ville de Philadelphie, où il avait fait sa fortune; une clause de la donation interdisait à tout prêtre, missionnaire ou ministre de secte quelconque la direction, l'administration, et même l'entrée du collège si libéralement doté. Philadelphie possède aussi une école univer- sitaire, une académie des sciences naturelles, de belles collections et un admirable jardin zoologique. 1 Superficie de la municipalité de Philadelphie 315 kilomètres carrés. » de Londres, dans les limites de l'état civil 305 » » » de Paris 78 » » PHILADELPHIE. 341 Philadelphie a gardé quelques-unes des prérogatives appartenant aux capitales : on y voit entre autres l'hôtel fédéral des monnaies, et l'une des iles qui masquent le confluent de Delaware et Schuylkill, League Island, d'une superficie de 240 hectares, sert d'arsenal et de chantier à la flotte américaine. Philadelphie est une des grandes cités manufacturières de l'Union, surtout pour la métallurgie, la construction des machines et des locomotives, la raffinerie des sucres, la fabrication des tapis, des étoffes et des meubles, les produits chimiques et la cordonnerie1. Enfin la fille occupe, après New York, un des premiers rangs pour le mouve- ment commercial : elle exporte des charbons, du pétrole, des grains, les produits de son industrie ; ses paquebots à vapeur et des flottilles de voi- liers caboteurs apportent des marchandises et denrées des Antilles, de l'Amérique du Sud et d'Europe; par le canal qui traverse le New Jersey, elle trafique directement avec New York*. Les rangées de bassins, de cales et de jetées sur les deux fleuves qui eDceignent Philadelphie dépassent 30 kilomètres en développement total. Le grand port de la Pennsylvanie a le désavantage d'être situé à près de 200 kilomètres de la mer et de s'ouvrir sur un estuaire orienté, non vers Test, dans la direction de l'Europe, mais au sud, vers des mers relativement désertes. Des canaux profonds mettent en communication le Delaware avec les ports de New York et de Baltimore. En aval de Philadelphie, quelques mot-ports bordent le Delaware. Sur la rive droite, l'un d'eux, Chester, d'où l'on expédie des beurres renommés, appartient encore à la Penn- sylvanie. Fairmount, le parc le plus beau de Philadelphie et l'un des plus admi- rables du monde entier, celui où l'on peut le mieux avoir l'illusion de se trouver dans la nature libre, loin de toute cité, se prolonge au nord-ouest de la ville proprement dite, sur les deux rives du Schuylkill et dans le ravin sauvage du Wissahickon. Il s'étend sur une superficie d environ 1200 hectares, et de la berge d'aval sur le Schuylkill à l'extré- mité de la gorge tributaire on compte 21 kilomètres; cependant le cercle des maisons se referme autour de cette campagne immense. C'est afin 1 Valeur de la production industrielle à Philadelphie en 1890 : 1 milliard de francs. 8 Commerce extérieur de Philadelphie en 1890 : Entrées 141 G navires, jaugeant 1410 640 tonnes. Sorties 1104 » » 1119 454 » Ensemble 3530 navires, jaugeant 3 530 094 tonnes. Valeur des échanges : 390 000 000 francs. Hotte commerciale de Philadelphie : 1035 navires, jaugeant 355 695 tonnes. XTi. 31 242 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de maintenir pures les eaux du Schuylkill pour l'alimentation de la cité que la municipalité a fait l'acquisition de la vallée du Schuylkill, et la butte du réservoir, dite Fair Mount ou « Joli Mont », a valu son appellation à l'ensemble du parc. Un barrage relève le plan d'eau pour rejeter une partie de la rivière dans les bassins, et les anciennes chutes ont été supprimées. Naguère les campagnes de Fairmount se trouvaient tout à fait en dehors de la cité ; maintenant les quartiers de Philadelphie se développent en demi-cercle autour du parc, au sud, à Test, au nord. Déjà Manayunk et Germantown font partie de l'agglomération grandissante, comprenant 200 073 maisons au 1er janvier 1890. Le quartier de Germantown fut un village distinct, puis une ville, l'une des premières qui naquirent aux États-Unis. Elle eut pour fondateur le missionnaire Pastorius, auquel Penn avait cédé 12000 hectares de terrain, « non pour qu'il en tirât des bénéfices terrestres, mais pour qu'il y donnât un refuge à ses compatriotes intègres, au jour où le Dieu vengeur verserait la coupe de sa colère sur l'Europe pécheresse. » Les premiers habitants de Germantown ou « Ville Allemande » étaient presque tous des Rhénans de Crefeld, qui introduisirent l'industrie du tissage dans leur nouvelle patrie. - La plus grande partie de la Pennsylvanie orientale appartient au bassin de la Susquehanna, non moins riche en anthracite que celui du Schuylkill. L'abondance et la facilité d'extraction du combustible ont même fait naître une des villes populeuses de l'État, Scranton, dans un creux de ce versant qui sans ses richesses minières n'aurait guère présenté d'avantages au colon ; la petite rivière Lackawanna arrose la vallée, mais ne peut servir au transport des anthracites, que des convois de chemins de fer emportent dans toutes les directions ou que l'on brûle sur place dans les centaines d'usines et d'ateliers qui se pressent autour des puits de mine. Ville stricte- ment manufacturière, n'ayant que sa population d'ouvriers, Scranton est de toutes les cités américaines celle où l'on a pris le moins souci de l'hygiène publique : elle ne possède ni places ni jardins, et n V d'autre parc que les riches campagnes des alentours dans une des plus riantes contrées de la Pennsylvanie. A une trentaine de kilomètres au sud-ouest, la rivière Lackawanna rejoint la Susquehanna à son coude oriental, corres- pondant à un méandre parallèle du Delaware. Là commence la gracieuse plaine du Wyoming, célèbre dans l'histoire de la colonisation par le « massacre » de 1778 ; les habitants de la vallée qui n'eurent pas le temps de s'enfuir furent scalpés, et le pays resta désert jusqu'à la conclusion du traité de paix avec la Grande-Bretagne. Deux des anciens habitants, PHILADELPHIE, SCRÀNTON. HARRISBURG. 243 Wilkes et Barré, revinrent alors dans la vallée de Wyoming et fondèrent la cité qui porte leur nom — Wilkesbarre : — après Scranton, c'est la plus populeuse de la Pennsylvanie du nord-est. La branche occidentale de la Susquehanna, dont les sources maîtresses jaillissent par delà le principal rempart des Âlleghanies, n'a de ville impor- tante qu'en amont du défilé où elle perce la chaîne : là s'élève Williamsport, centre du commerce des bois que lui apportent les ruisseaux tributaires en temps de crue. En aval de la jonction des deux Susquehanna, le fleuve traverse successivement plusieurs chaînons parallèles, puis, après avoir dépassé la cluse des Blue Mountains, passe sous les quatre ponts de Har- risburg, chef-lieu politique de la Pennsylvanie, mais Tune de ses villes secondaires, sauf pour l'industrie métallurgique : ses hauts fourneaux et fabriques de machines bordent la rive gauche de la Susquehanna sur une longueur de plusieurs kilomètres. Les usines sont alimentées en partie par la fameuse « montagne de fer » qui s'élève près de Cornwall, à une cinquantaine de kilomètres vers l'est, dans les chaînons des South Moun- tains : c'est nn massif à trois pointes consistant en un minerai ferrugineux dont la teneur en métal pur est environ de moitié; la valeur de la tonne exploitée dépasse à peine un franc. Les voyageurs montent au sommet de la colline par un chemin de fer en colimaçon. L'une des voies ferrées qui rattachent la capitale à Philadelphie a pour lieu principal d'étape la ville de Lancaster, l'ancienne Hickory Town, peuplée de Mennonites. A la fin du siècle dernier, à l'époque où le Congrès résidait à Philadelphie, Lancaster était la ville la plus populeuse de l'intérieur des États ; la route qui la traversait était le chemin suivi par les immigrants marchant dans la direction de l'ouest. La contrée est un immense jardin, les campagnes produisent le meilleur blé de la Pennsyl- vanie, celui qui alimenta le premier commerce d'exportation pour l'Eu- rope : longtemps le marché fut gouverné par les mercuriales de Lancaster. A I ouest, York, de l'autre côté de la Susquehanna, est aussi un centre de commerce agricole très animé. Carlisle, fondée à la même époque, à l'ouest de Harrisburg, dans la vallée du Conedoguinat, est connue par son école d'Indiens, où 360 garçons et filles, vivant en hôtes dans les familles de la cité, reçoivent pendant cinq ans une éducation pareille à celle des blancs, puis sont rendus à leurs tribus respectives. Au sud-ouest de Harrisburg, dans la région de plateaux ondulés qui sépare les versants de la Susquehanna et du Potomac, se trouve une petite ville, bourgade à peine, mais un des lieux les plus fréquemment visités de l'Union : c'est Gettysburg, la gardienne du champ de bataille où, 24* NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. en 1865, vinrent se briser les forces des confédérés, tandis que, le même jour, leur forteresse de Vicksburg, la clef du Mississippi, tombait entre les mains de Grant. Des pèlerins par dizaines de mille s'y succèdent pen- dant la saison d'été, et même les députations de soldats du Sud s'y ren- contrent fraternellement avec les vétérans de l'armée fédérale. Des monu- ments construits à grands frais s'élèvent sur les points où les conflits furent le plus sanglants, et chaque tombe est indiquée par une pierre de marbre blanc : des milliers et des milliers de ces blocs, en ordre comme les hommes d'un régiment, se voient de loin, brillant dans la verdure. Un chemin de fer pittoresque longe la tortueuse vallée de la Juniata, serpentant de cluse en cluse dans le pays qu'habitaient les anciens Tus- caroras, et vient se heurter, dans la région des sources, au mur des Alleghanies. Avant 1854 on traversait la chaîne au moyen d'un « portage» formé de deux plans inclinés sur lesquels des machines fixes remorquaient les convois : le faîte de partage, à Blair's Gap, se trouvait à l'altitude de 709 mètres. Une longue rampe en hémicycle et deux tunnels, passant sous la ville de Gallitzin, remplacent maintenant le portage; néanmoins la com- pagnie du chemin de fer a maintenu le centre de son réseau à cette ligne divisoire entre Ea&tern Pennsylvania et Western Pennsyhania, en y pla- çant ses grands ateliers de construction et de réparation. Cette ville de fabriques, située sur le versant oriental de la chaîne, est Àltoona, uni- quement habitée par les employés et les ouvriers des voies. Le versant occidental de la Pennsylvanie appartient presque en entier au bassin de l'Ohio. Les premières sources, alimentant l'AUegheny, Tune de ses maîtresses rivières, naissent dans la chaîne de moraines remaniées qui borde la côte méridionale du lac Erie, au sud même de la ville du même nom. L'excellent et vaste port d'Erie qu'entourent des brise-lames et la terre, jadis française, de Presqu'île, maintenant changée en île, exporte les huiles de pétrole et les houilles que lui envoie la région du haut Allegheny1. Corry, Warren, Titusville, Meadville, Oil City, Franklin sont les centres de production pour ces huiles naturelles, et dans le cours de la région on voit de toutes parts des échafaudages construits à l'ouverture des puits, sur les pentes des collines, le long des rivières, au milieu des prairies, même dans les villes, s'élevant à 8 ou 10 mètres en forme de pyramides tronquées. La même contrée, si riche en trésors souterrains, possède aussi de puissantes couches de sel gemme, découvertes à 500 et même 750 mètres de profondeur par les chercheurs d'huile. Le village de Warsaw et ses 1 Mouvement commercial du port d'Erie en 1890 : Entrées, 773030 tonnes: sorties, 498958 tonnes. Ensemble : i 271 988 tonnes. GETTÏSBVBG, ÀLTOONA, JOU.NSTOWN, PITTSBMG. 345 alentours produisent maintenant une quantité de sel supérieures celle de Syracuse, dans l'Etat de New York '. Près de soixante mille forages ont été pratiqués dans celte région de la Pennsylvanie occidentale. A la descente des Alleghanies, sur le chemin de fer de Philadelphie à Cincinnati et Chicago, Johnstown, sur la rivière Conemaugh, est déjà un petit PitUburg, avec ses usines métallurgiques vomissant le feu et la Devin de t. SIddi, d'iprfts une photographie. fumée. En mai i889, un débordement de la rivière, l'écroulement d'un réservoir de pèche rompant ses digues, puis l'incendie des gares et des convois, couvrirent soudain Johnstown et ses faubourgs d'un amas de boue et de débris fumants, sous lequel près de quinze mille personnes restèrent englouties. La ville se relève maintenant, et des milliers d'ouvriers, surtout des Polonais, Slovaques et Ruthènes, connus sous le nom général de « Hon- grois », ont comblé les vides dans les mines de houille et de fer. Au delà, les groupes d'usines se rapprochent de plus en plus jusqu'à Pittsburg. ' Production du sel à Warsaw en 1887 : 8 307 179 bectolilres. 2« .NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Cette grande cité, la deuxième de la Pennsylvanie par le nombre des habitants, et l'une des premières de l'Union pour l'activité industrielle, S* H. — nfeion Ht Nirns d'utils xt » eu. Ouest de Pari-, 8F 81* J /^BBIIpBlIIP^ ^^ \fc^>U^=;.£^^^g==j-|jyi|) y/ , ljJjp^|?<^C ^iiLltATy, U«[2W«lleJ « \*_ J 1 TAonville H. ^sjp ~\ /Mi r^'^l V .Petr&uim Cmlfï^— -^^^/^ / l Bt-L ^^_ HoJ^ÎIJê/^^X / j/ i j L^r\j^É" *'r*/&sœ3!& jK/TtSA /7s. / \Px*>&^ "****¥ /ÎwfoJltVnf -J~S** •W*-~*Ctari«n- -JjgS*'lty|S 41* }uest ds Greenwlch 80° 79* t d'origine relativement ancienne : dès le milieu du dix-huitième siècle s Anglais et les Français se disputaient l'angle de terre compris entre P1TTSBURG. 247 les deux rivières Allegheny et Monongahela, s'unissant pour former l'Ohio. Les Français vainqueurs fondèrent le fort Duquesne près de la pointe et par deux fois repoussèrent les attaques des Anglais; mais en 1758 ils durent évacuer la place, et le fort Duquesne prit le nom de fort Pilt ou Pittsburg : un petit fortin datant de cette époque subsiste encore au milieu du flot croissant des maisons. Les représentants des deux puissances qui s'étaient battus pour la possession de ce coin de terre n'y cherchaient que l'avantage d'occuper un poste stratégique et commer- H* 5 . — PITTSBURG. d âpre s divers documents C. Perron 1 : 800000 i- 0 -i 10 Ml. cial, à la jonction de deux rivières commandant une longue voie de navi- gation. Mais les découvertes des géologues ont révélé d'autres privilèges qu'on ne soupçonnait pas. Les puissantes couches de houille des vallées environnantes, les lacs de pétrole souterrains, et les nappes profondes de gaz combustible ont successivement développé l'élan de l'industrie locale. En 1812, s'ouvrirent les premières usines, et maintenant la ville entière avec son annexe d'Allegheny, de l'autre côté de la rivière de même nom, et tant d'autres faubourgs, n'est qu'une immense usine, aux innom- brables cheminées. C'est Fire City ou la « Cité du Feu ». D'aucuns préten- dent que le surnom de Smoky City ou ce Cité Fumeuse », qui lui fut aussi 948 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. donné, a cessé d'être justifié depuis que des conduites de gaz naturel amè- nent à grand nombre d'usines ce combustible sans fumée ; toutefois Pitts- burg reste encore (1891) une ville au ciel noir, à l'air presque irres- pirable, un « enfer » : des bords de l'Ohio, en face du confluent, on ne distingue que deux avenues brumeuses, et les ponts apparaissent comme dans un rêve. Quand, après avoir traversé l'une ou l'autre rivière par l'un des vingt ponts qui réunissent la ville à ses faubourgs, on escalade la crête opposée par l'une des nombreuses « ficelles » qui soulèvent pié- tons, voitures et camions chargés le long de la pente abrupte, on ne voit plus la ville à ses pieds : la fumée se déroule en tourbillons noirs au-dessus des coupoles et des tours. La statistique industrielle de Pittsburg témoigne d'une activité vraiment prodigieuse. L'extraction de la houille dans le district environnant s'élève chaque année à 20 millions de tonnes. Les 31 hauts fourneaux ont produit en 1889 plus de 1 200 000 tonnes de fonte et 53 autres usines ont fourni 11 millions de tonnes d'acier et 640 000 tonnes de fer laminé. Les 73 verreries donnent des produits évalués à 40 millions de francs par an. Le gaz naturel, amené par des conduits d'une longueur totale de 1810 kilo- mètres, éclairait en 1890 plus de 30 000 édifices de toute nature, et les 25 millions de mètres cubes brûlés pendant l'année dans les usines ont suffi à la même production que 8 millions de tonnes de charbon. Nul tra- vail que n'entreprenne le puissant outillage de Pittsburg et de sa voisine Àllegheny, à l'étroit au pied de sa montagne : après le fer et l'acier, le verre, les machines et les voitures et tant d'autres industries nouvelles, les lampes électriques, les objets d'aluminium, les produits chimiques de toute espèce! Pittsburg est même un chantier maritime : les navires qu'elle construit sont démontés et expédiés par fragments dans les ports de l'Atlantique; mais c'est au Mississippi surtout que sont destinées ses embarcations, chalands et bateaux à vapeur. Elle possède une flotte de commerce considérable et son trafic avec les escales de l'Ohio et des autres rivières du réseau dépasse celui de beaucoups de ports très actifs du littoral océanique1. Toutefois le mouvement des échanges par eau ne représente guère que le tiers du mouvement total de Pittsburg, Au sud- ouest de la grande ville, un bourg appelé Washington, comme deux cents 1 Mouvement commercial du port de Pittsburg en 1890 : Sur r Allegheny." 978 000 tonnes. Sur le Monongahel» 5 348 000 » Ensemble . 4 296 000 tonnes. PENNSYLVANIE, MARYLAND. 249 autres localités des Étals-Unis, a pris soudain une certaine célébrité comme on des centres de la production du gaz; un de ses puits a donné jusqu'à 22500 hectolitres par jour, soit 27 litres par seconde. Au sud-est, une agglomération considérable, Mac Keesport, occupe, sur la rive gauche de (a Monongahela, le confluent de cette rivière avec la Youghiogheny. A moitié chemin des deux villes se trouve Braddock's Field, prairie où la troupe anglaise commandée par Braddock, avec Washington pour lieute- nant, fut presque exterminée, en 1753, par les Français et leurs alliés indiens '. X — MARYLAND Le Maryland, jadis Terra Manx, ainsi nommé en l'honneur de la reine Henriette-Marie, femme de Charles Ier, est par la superficie l'un des petits États de l'Union; mais sa situation centrale, entre New York et les États du Sad, sur la frontière débattue avec tant d'acharnement pendant la guerre civile, en a fait une des régions historiques de l'Amérique du Nord, Ancien État à esclaves, il contient actuellement une population de couleur beau- coup plus forte que celle de la Pennsylvanie. La forme du Maryland est des plus irrégulières. Les comtés occidentaux sont disposés en une étroite bande, entre le cours du Potomac et la frontière pennsylvanienne : c'est la partie de l'État qui possède des mines de houille et de fer, ainsi que les campagnes les plus productives en céréales et en fruits. La région centrale comprise entre le cours du Potomac et la baie de Chesapeake est la 1 Villes principales de la Pennsylvanie, arec leur population en 4890 : Philadelphie 1 046 964 habitants. » arec Camden et Gloucester City (New Jersey). 1 111 139 » AUegheny 105 287 » ) Scranton 75 215 » Reading 58 661 » Erie 40184 » Harrisbnrg 39 685 » Wilkesbarre 37 718 » Lancaster 32 011 » Altoona 30 337 » Williamsport 27 132 >. Allentown 25132 » Johnstown 21 228 » York 20 805 » Hac Keesport 20 741 » Chesler 20 226 » Norristown 19 791 » xyi. 32 250 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. plaine ou se firent les premiers établissements et où les colons fondèrent ces plantations de tabac qui donnèrent une si grande réputation com- merciale à la contrée. Le Maryland comprend aussi, à Test de la baie de Ghesapeake, le district Eattern Shore, partie de la péninsule qui se pro- longe directement au sud, jusqu'à la pointe aiguë du cap Charles, sur un espace de deux degrés et demi en latitude. D'autre part, le Delaware occupe une moitié de la côte orientale de cette presqu'île et la Virginie en possède la pointe extrême. Les luttes des colonies entre elles sous la domination britannique eurent pour conséquence cette division bizarre de la péninsule; depuis la proclamation de l'indépendance américaine, ce partage entre les trois États a subsisté, et telle est la force des pré- jugés, créés gratuitement par le tracé de frontières fictives, que les citoyens des trois Étals respectifs groupés dans l'étroite langue de terre mêlent à leur patriotisme local quelque rivalité contre leurs voisins d'autre dénomination politique. La population du Maryland s'accroît, mais avec lenteur, et seulement au profit de sa grande cité commerciale, Baltimore1. Le port septentrional de la Chesapeake, Havre de Grâce, ne donne accès qu'à de faibles embarcations, le fleuve Susquehanna, qui se déverse en cet endroit dans l'estuaire, n'ayant pas assez de profondeur pour les gros navires; deux longs viaducs traversent l'embouchure. Plus au sud, Balti- more, qui a reçu, en l'honneur d'un lord, le nom d'un humble village de la côte méridionale d'Irlande, a pris rang parmi les grandes cités de la république américaine, la septième en considérant Brooklyn comme faisant partie de l'agglomération new-yorkaise. Dès l'année 1682, quelques colons blancs étaient déjà établis sur l'emplacement de la ville actuelle; mais celle-ci ne fut officiellement fondée qu'en l'année 1730, sur une péninsule basse au nord de la rivière Patapsco, qui s'ouvre en estuaire et va se mêler aux eaux de la grande baie de Chesapeake : de vastes marais qui entou- raient la ville naissante ont été comblés avec les débris des buttes gra- duellement déblayées. Aujourd'hui Baltimore a non seulement recouvert de maisons la péninsule et les bords des deux criques latérales, elle s'étend au nord et à l'ouest sur un espace d'au moins 20 kilomètres carrés et projette ses faubourgs comme des bras de pieuvre le long des avenues divergentes. Baltimore, métropole mais non capitale du Maryland, a pris le* 1 Rang du Maryland parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 12 210 milles carrés (31 624 kilomètres carrés). ... N* 41 Population en 1800 : 1 042 390 habitants K° 27 Densité kilométrique : 33 habitants N* 9 nom de Monumental City et se distinguait réellement parmi les cités amé- ricaines par le nombre et la grandeur de ses édifices, avant que les habi- tants de New York, Boston, Philadelphie, Albany, Washington se fussent piqués d'émulation. Son principal temple catholique est l'église prirna- liale des États-Unis. Une forteresse, Mac Henry, située sur la péninsule qui sépare les deux estuaires, tint la ville sous la gueule de ses canons pendant la guerre de Sécession, pour empêcher toute révolte des escla- vagistes : ce fut dans ses rues qu'eut Heu le premier conflit. Baltimore est une des villes les mieux alimentées d'eau pure : la rivière Gunpowder, retenue en une succession de lacs étages sur les hauteurs, emplit les réservoirs du parc de Druid Hill, qui commande le magnifique horizon de la rade et de ses rivages. L'industrie est fort active à Baltimore et dans ses faubourgs, mais la cité s'occupe surtout de commerce ; à cet égard, elle dépasse même Phila- delphie ; elle exporte des quantités énormes de céréales et de tabac, importe le café du Brésil, et le trafic des huîtres, d'une si grande importance aux 252 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. États-Unis depuis le milieu du siècle» a Baltimore pour marché principal1. Un bac à vapeur, assez vaste pour porter à la fois 27 wagons, prend des trains entiers sur une rive et les débarque sur l'autre rive de la baie1. La cité du Maryland a pris récemment un des premiers rangs parmi les centres universitaires de l'Amérique : l'école Johns Hopkins, ainsi nom- mée de son fondateur, a été richement dotée et de nombreux élèves la fréquentent ; un vaste hôpital se rattache à l'université. La capitale de l'État, l'humble Ànnapolis, située à l'embouchure de la Severn dans la baie de Chesapeake, au sud de Baltimore, fut autrefois la rivale de la cité voisine, mais elle n'a presque plus de trafic et son importance lui vient uniquement de son rôle législatif et de son école navale. Grâce à la proximité de Washington, Ànnapolis en est devenue l'escale maritime sur la baie de Chesapeake. Les petits ports de la côte opposée n'ont d'autres industries que le transport des fruits et la pèche des huîtres. Vingt mille marins, montant huit cents chaloupes et pos- sédant trois mille petits bateaux, s'emploient à l'ostréiculture et à la récolte des mollusques, de septembre en avril ; mais l'avidité des pécheurs a déjà dévasté un grand nombre de crassats et les huîtrières de la Chesapeake risquent fort de perdre le premier rang comme lieu de production. Les villages, presque complètement abandonnés par les hommes pendant la saison de la pèche, s'avancent au loin dans les eaux, montés sur pilotis. Crisfield, le plus grand de ces villages, sur la baie de Tangier Sound, s'appelle la « Venise » de l'Eastern Shore. Une des îles de ce littoral fut le premier point de la baie où s'établirent des blancs, en 1631. Dans la partie occidentale du Maryland, arrosée par le haut Potomac, la riche vallée de Cumberland, belle campagne parsemée de bois, cache des assises de charbon et des veines de fer dans les profondeurs du sous-sol : 1 Vente des huîtres à Baltimore en 1889 : 13 500 000 hectolitres. Flottille huîtrière dans les eaux du Maryland : 675 goélettes. Ensemble de la récolte dans la baie de Chesapeake : 30 000 000 hectolitres. 1 Mouvement des échanges à Baltimore en 1890 : Exportation 73 983 693 piastres. Importation 13140 203 » Ensemble 87 123 896 piastres (450 000 000 fr.) Mouvement de la navigation avec l'étranger : Entrées . . . 703 navires, jaugeant 845 239 tonnes. Sorties 873 » » 1124262 » Ensemble . , . . 1576 navires, jaugeant 1 969 501 tonnes. MARYLAND, DELAWARE. 255 la ville qui a donné son nom à la vallée est un groupe industriel en même temps qu'un centre d'agriculture. Des vergers entourent Hagerstown, autre ville de la région des Appa lâches, sur un petit affluent du Potomac : de loin on pourrait croire qu'une forêt recouvre la vallée. La population de Hagerstown et du haut Maryland descend pour une bonne part des immi- grants allemands du siècle dernier1. XI. — DELAWARE. Le Delaware, le plus petit État de la République après Rhode Island, a reçu, précisément à cause de ses faibles dimensions, le nom de Dia- mond State, ce État Diamant » , comme pour prétendre que le mérite des habitants est en proportion inverse de leur domaine. Il ne comprend guère que le quart de la péninsule limitée par les deux estuaires de la Chesapeake et de la baie de Delaware; c'est un étroit littoral, se déve- loppant à l'ouest de cet entonnoir maritime et séparé de YEastern Shore du Maryland par deux lignes géométriques, dans le sens du méridien et dans celui des latitudes. Sauf aux alentours de sa ville principale, le Delaware s'adonne surtout à la culture, et, toutes proportions gardées, dépasse tous autres États pour la production des fruits; ses pêches sont renommées. La population ne se presse que dans le voisinage du fleuve, ailleurs elle se disperse en fermes et en petits villages au milieu des vergers*. L'État a pour capitale le bourg de Dover, non loin de la côte occidentale de la baie Delaware; quant à la cité commerçante, Wilmington, on peut la considérer, avec New Castle, comme l'un des avant-ports de Philadelphie : elle est située sur la même rive du fleuve, à 35 kilomètres en aval et les bateaux qui remontent ou descendent le Delaware y font escale. Dans l'enceinte même de Wilmington se trouve la pierre de débarquement 1 Villes principales du Maryland, avec leur population en 1890 : Baltimore 435 547 habitants. Hagerstown 11698 » Cumberland 10 030 » Annapolis 7 624 » * Rang du Delaware parmi les États, territoires et districts de l'Union nord-américaine en 1890 : Superficie : 2050 milles carrés (5310 kil. carr.). N° 48 Population : 168 493 habitants N° 42 Densité kilométrique : 32 habitants N° 10 254 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. des premiers immigrants suédois, fondateurs de la colonie. Comme Phila- delphie, Wilmington est un centre manufacturier très actif1. XII. — DISTRICT FÉDÉRAL. De même que l'État du Delaware est encastré dans la partie occidentale du Maryland, de même le district fédéral, dit Columbia, a été découpé dans sa partie sud-occidentale : malgré sa faible étendue, il n'est pas la circon- scription des États-Unis la moins importante pour la population, l'indus- trie, ni surtout pour la fortune publique*. La cité de Washington, qui contient presque toute la population du dis- trict, n'est plus, comme on a l'habitude de le répéter, une vaste étendue champêtre, où se croisent en carrés et en losanges des avenues ombreuses, aux maisons clairsemées. Washington est devenue réellement grande cité, ayant, même dans la saison morte, près d'un quart de million d'habi- tants et en outre peuplée temporairement pendant la session du Congrès par des multitudes qui gravitent autour des législateurs. Les boulevards qui rayonnent de la place centrale dominée par le Capitole sont bordés pour la plupart de hautes constructions et la foule se presse dans les allées, des deux côtés des routes encombrées de voitures. L'avenue de Pennsylvanie, qui rejoint le Capitole à la Maison Blanche et aux ministères, présente, avec les boulevards voisins de l'Hôtel de Ville, le plus d'animation ; mais jusqu'à des kilomètres de distance se prolongent les rangées continues des maisons. Déjà l'ancienne ville de Georgetown, située au nord-ouest, sur la rive gauche du Potomac, se rattache à la cité mère, ainsi que les quar- tiers du sud-est qui bordent la rive droite de l'Anacostia, affluent oriental du fleuve ; le petit ruisseau du Tibre n'existe plus : ce n'est qu'un égout. Washington n'a guère de population industrielle en dehors des chan- tiers de l'État, et, à part de rares exceptions, elle n'a d'autres com- merçants que les fournisseurs du district immédiat. Mais comme ville d'hiver elle exerce déjà une attraction considérable sur la société du * Villes du Delaware, avec leur population en 1890 : Wilmington 61 437 habitants. NewCastle 4 010 » Dover 3 061 » * Rang du District fédéral parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie: 70 milles carrés (181 kilomètres carrés) . R* 50 Population en 1890 : 230 392 habitants N* 40 Densité kilométrique : 1 273 habitants N* 1 = 1 s 1 H îj WASHINGTON. 257 Nord, et ses vastes musées, ses grandes ressources scientifiques accroissent le nombre des hommes studieux qui s'établissent à demeure dans cette ville élégante et propre, la plus riche des États-Unis en jardins, en avenues et en bosquets. Désormais Washington ne peut que grandir encore : nul doute qu'elle ne prenne même de l'importance comme lieu distributeur des marchandises du Nord dans les États du Sud, avec lesquels elle communique par des voies divergentes. Le Capilole, centre politique des États-Unis, est édifié sur une colline peu élevée, dont les pentes douces descendent à l'ouest vers le Potomac, à l'est vers l'Ànacostia. La masse puissante de l'édifice se compose de trois corps de bâtiments : au nord le Sénat, au sud la Chambre des repré- sentants, et entre les deux de vastes nefs communes aux deux moitiés du Congrès. Au centre, une double colonnade circulaire, se dressant au-dessus des frontons, porte à 94 mètres de hauteur une coupole en fer terminée par la statue de l'Amérique. Le contraste des péristyles en marbre avec l'énorme dôme de métal parait bizarre, et dans l'ensemble le monument, trop long pour sa coupole, manque d'harmonie; cependant il impose par les dimensions, par la beauté des matériaux, les terrasses et les volées d'escaliers qui en appuient la base, le peuple de statues et les magnifiques ombrages qui l'entourent. À l'intérieur, des bas-reliefs, des peintures rappellent les principaux événements de l'histoire du continent, depuis le voyage de Colomb et la traversée du Mississippi par Hernando de Soto jusqu'à la victoire définitive sur les forces anglaises. Le palais contient (1891), outre les bibliothèques spéciales aux deux branches du Congrès, la grande bibliothèque nationale, la plus riche du Nouveau Monde. Malheureusement le manque de place ne permet pas d'utiliser à souhait ce demi-million de livres entassés dans les galeries et jusque dans les caves, et les hommes d'étude attendent avec impatience que Ton ait aménagé le nouveau bâtiment, situé dans le voisinage du Capitole, où l'on pourra non seulement transférer tous les trésors de la bibliothèque actuelle, mais encore loger trois autres millions de volumes. Un palais de ces dimensions n'est pas trop grand dans un siècle où l'amas de livres augmente de cin- quante mille chaque année, sans compter cinquante mille journaux et les documents par myriades. C'est à Washington que s'envoient tous les exemplaires de publications dus à la nation par les éditeurs. Le modeste édifice de la « Maison Blanche » (White Home), où réside le président des États-Unis, s'élève sur une belle pelouse, à 2400 mètres au nord-ouest du Capitole, et disparaît presque entre deux monuments énor- mes, le « Trésor » et un palais contenant divers ministères : ce dernier est m. 33 258 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE. la plus grande bâtisse de granit qui existe au monde. Washington possède beaucoup d'autres édifices 1res vastes pour les travaux de toute nature que demande l'administration d*un pays comme les États-Unis. Près de là s'élève là construction la plus haute (1891) du Nouveau Monde, un obélisque de marbre dressé en l'honneur de Washington au milieu des jardins qui bordent le Potomac : la pointe du pyramidion dépasse 169 mètres. La capitale, ville de luxe et la première à profiter des munificences du Congrès, est de toutes les cités américaines celle où se voient le plus de statues, presque toutes de généraux ou présidents : un des groupes, représentant Lafayette et ses compagnons d'armes, est l'œuvre de Mercié et de Falguière. La capitale ne pouvait manquer d'avoir un musée de tableaux, de statues et de bronzes, mais ses trésors les plus précieux sont ceux que renferment les diverses collections de la Smithso- nian Institution y ainsi nommée en l'honneur d'un riche Anglais qui légua les premiers fonds pour la création de l'établissement scientifique, destiné « à l'accroissement et à la diffusion des connaissances parmi les hom- mes ». Les galeries d'histoire naturelle et d'ethnologie sont admirablement classées : l'Institution Smilhsonienne est probablement le corps scientifique dont l'initiative se fait le plus sentir dans le monde et qui justifie le mieux les promesses faites à sa naissance. Le musée médical, qui possède une bibliothèque fort riche, publie le catalogue des œuvres de médecine le plus complet qui existe. Washington eut longtemps une réputation de ville insalubre. L'Obser- vatoire, situé à l'ouest, près des marais que forme le Potomac en amont de son confluent avec l'Anacoslia, était presque inhabitable; mais les terres basses ont été consolidées et transformées en parc; on a régula- risé le fleuve, et changé un estuaire vaseux en un port régulier où se remisent les bateaux à vapeur et les navires de cabotage. L'eau pure, amenée des chutes du Potomac, soit de 15 kilomètres en amont, alimente la ville en surabondance. Enfin, des plantations, qui comprenaient en 1887 plus de soixante mille arbres de 37 espèces différentes, ombrageant 200 kilomètres de rues, ont contribué à l'assainissement de Washington : au nord surtout s'étendent de beaux parcs, ceux qui entourent le 56/- diers Home ou Hôtel des Invalides et l'Université de Howard, établissement d'instruction supérieure fondé pour les jeunes nègres des deux sexes aussitôt après la guerre de Sécession. A cette époque, les fugitifs noirs des États du Sud arrivèrent en si grand nombre, qu'ils ont constitué le tiers de la population locale. Le « Pont Long » (Long Bridge), qui traverse le Potomac au sud du j WASHINGTON. 259 monument de Washington, des restes de forteresses au sommet des col- lines, et sur la rive droite du Potomac le cimetière d'Arlington, où sont enterrés seize mille soldats, rappellent la grande lutte dont la possession dé N* M. — WASHINGTON. 79**5" Uuest de Paria 79*15/ 'Réservoir d ^ %Suïtland ï^ï«^%î;^ Si1v'ër..Hil! •.te 381 50- 77V Ouest de GreenwcK 76*55' C. Perron. D'après Gannett. 1. Capttole; — 2- liaison Blanche; — 3. Smithsonian Institution; — 4. Nouvelle Bibliothèque; 5. Observatoire ; — 6. Monument de Washington. Jeûà*™ a/&+Teû*uefe/* \ : I60MP 0 6 kil. Washington était l'enjeu. La petite ville d'Àlexandria, située sur le bas fleuve, à six kilomètres au sud de la capitale, présente depuis cette époque an aspect lamentable de délabrement. A 12 kilomètres au delà, sur une colline d'où l'on contemple un vaste horizon de plaines et d'eaux, s'élève la 360 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. maison de campagne de Mount Vernon, où vécut et mourut Washington; elle appartient maintenant à une association de dames qui se sont donné pour pieux devoir d'embellir ce lieu de pèlerinage. Elles projettent la construction d'une « voie sacrée » de 22 kilomètres, qui traverserait le fleuve non loin de l'Observatoire et rattacherait directement Washington à Mount Vernon, bordée dans toute sa longueur d'arbres et de parterres fleuris. XIII. — VIRGINIE. La Virginie, à laquelle ses fils donnent encore le nom d'Old Dominion, pour revendiquer le privilège d'une antiquité relative et rappeler l'ancienne prépondérance politique, est fort déchue de son rang d'autrefois. Elle fut jusqu'en 1811 l'État le plus populeux de la République, et pendant la guerre de l'Indépendance son aristocratie donna le général en chef et les principaux personnages de la confédération naissante ; ensuite elle devint la « Mère des Présidents », les autres États lui reconnaissant une sorte de prérogative pour le choix des chefs de la République. Actuellement, la Vir- ginie n'est plus le premier des États, et même dans le Sud des rivaux l'ont dépassée1. De recensement en recensement, elle recule d'un ou de plusieurs rangs, et, pendant la guerre de Sécession, la partie trans- alléghanienne, différant de la Virginie proprement dite par les affinités géographiques, les mœurs et la population, se détacha du corps principal de l'État pour se constituer en souveraineté distincte sous le nom de WTest Virginia. Privée de ce riche territoire appartenant au bassin supérieur de TOhio, la Virginie reste encore un des puissants États du versant atlan tique; elle présente la plus grande variété de terrains, des rangées des Appalaches et de sa large vallée intermédiaire au « Piedmont » et aux campagnes basses et aux marais du littoral. On pourrait y cultiver toutes les plantes de la zone tempérée et des millions d'hommes s'y trouveraient à l'aise. Cependant ses plantations, travaillées pendant un ou deux siècles sans recevoir d'engrais réparateurs, ont en maints endroits épuisé le sol, et la transition du système de l'esclavage à celui du travail libre a ruiné une partie considérable de la population : de vastes étendues sont en friche. Après les céréales, la principale production est toujours le tabac, 1 Rang de la Virginie parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 42450 milles carrés (109945 kilomètres carrés). . . N* 55 Habitants en 1890 : 1655 980 N* 15 Population kilométrique : 1 5 habitants NQ 1 7 VIRGINIE. 261 qui, aux dix-septième et dix-huitième siècles, avait fait la prospérité des planteurs virginiens. Les arachides sont parmi les produits du jardinage les plus appréciés. Les gens de couleur représentent dans cet État les deux cinquièmes de la K* ST. — THÉÂTRE DE LÀ GUERRE DE SÉCESSION- EX VIRGntlE. Ouest de Pari Uuestde Greenwich . 78" 7* C. Perrno 1 : 3000000 ioo ka. population totale. Ils se distinguent en général par la stature et la force. A l'époque de la servitude, le croît annuel des familles nègres, exploité dans les plantations virginiennes comme le croît du bétail, alimentait un grand commerce pour l'exportation des esclaves vers le bas Mississippi. Mais les planteurs faisaient un choix : ils vendaient surtout les nègres les moins intelligents, dont ils voulaient se débarrasser, ceux qui ne pouvaient faire 262 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de travaux en dehors de la rude besogne des champs ; ainsi la sélection annuelle des émigrants forcés relevait graduellement la race. Les noirs ayant la plus forte valeur par leurs capacités et leurs métiers restaient autour de la demeure patrimoniale ou dans les plantations voisines, et d'ailleurs la plupart d'entre eux étaient plus ou moins apparentés à leurs maîtres, ainsi qu'en témoigne une notable atténuation de la teinte primi- tive. Les nègres du Lynchburg, au cœur de la Virginie, sont, dit Shaler1, « les plus beaux de tout le Sud ». La route de Washington à Richmond, la capitale de la Virginie, est celle dont la conquête fut si difficile aux armées fédérales pendant la guerre de Sécession : peu de territoires disputés, même en Europe, ont coûté tant de sang. Au sud du Potomac, Fredericksburg s'allonge au pied d'une colline dont les crêtes, occupées par les forces confé- dérées, défendaient le passage du Rappahanock. Plus au sud, dans une contrée doucement ondulée, coupée de bosquets et de vallons, le Wil- derness ou « Pays Sauvage », se livrèrent les sanglantes batailles de Spottsylvania Court House et de Chancellorsville, restées indécises. Le terrain fut disputé avec le même acharnement jusqu'à Richmond et à Petersburg. Richmond, le chef-lieu de la Virginie et l'ex-capitale de la confédération esclavagiste, de 1861 à 1865, n'est pas une des grandes cités de l'Union; en 1890, près d'un siècle et demi après sa fondation, elle ne contenait pas même une centaine de mille habitants ; toutefois elle n'a dans les États du Sud de supérieure en population que New Orléans et la dépasse en indus- trie manufacturière. Bâtie sur « sept collines » comme Rome ou Byzance, mais sur des collines aux doux renflements qui n'ont pas empêché la ville de développer ses rues et ses boulevards avec régularité, Richmond est une cité riante et pittoresque d'où la vue s'étend au loin sur la vallée de la rivière James et les campagnes riveraines. Elle a quelques beaux édifices, entre autres le Capitole, qui domine la cité comme un temple grec et où se trouve la statue de Washington par Houdon. Au nord-ouest, sur une colline du quartier élégant, Léonard Height, s'élève un autre monu- ment consacré à Lee, le héros de la guerre de Sécession. La ville occupe, sur la rive gauche du James, l'endroit de la vallée le plus favorable pour l'industrie et le commerce. En amont, la rivière descend d'une trentaine de mètres par une succession de rapides qui fournissent en toute saison la force motrice pour les minoteries et autres établissements industriels. 1 Atlantic Monthhj, September 1878. RICHMOND. 203 79*50 L'uest de 'a»-" 79'30' 4./'» -v* \ ("wV' - En aval, les eaux de l'Atlantique remontent dans le courant fluvial et portent les navires jusque devant les quais de la ville. Autrefois les ba- teaux ayant plus de 5 mètres de calaison ne pouvaient gagner Richmond ; mais le chenal, dragué ÎUS(IU*à 6 et 7 mètres s* M. — CAMP retranche de ricruond pendant la guerre de sécession. de profondeur, permet aujourd'hui l'accès aux bâtiments d'un très fort tonnage : un canal de navigation batelière contourne les rapides et pénètre au loin sur les plateaux par-dessus les rangées des Appa- laches. Richmond cen- tralise le commerce de l'État et possède une centaine d'usines où l'on prépare les diver- ses espèces de tabac, notamment le tabac à chiquer, spécialité de la Virginie. De nombreu- ses fonderies bordent aussi la rivière à Rich- mond et dans la ville industrielle de Man- chester, bâtie sur la ri\e opposée. Petersburg, à 55 ki- lomètres au sud, occupe sur l'Appomatox une po- sition analogue à celle de la capitale, en aval de chutes puissantes, que contourne un canal, et à la tète de la navigation maritime, par la rade de City Point et l'estuaire de James River. Elle a de grandes minoteries et fait un commerce actif d'arachides ; cependant le voisinage de Richmond porte tort à son industrie et à son trafic. Pendant la guerre de Séces- Dmwrtdie Cflt Je Lfenirtict"' Unionistes C Perron ,onfédër»> I : 470 000 1J kil. 26* NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. sion, Petersburg était le boulevard méridional du vaste camp retranché dont Richmond occupait l'extrémité septentrionale et les deux villes tom- bèrent en même temps aux mains des gens du Nord. Du côté de Test, la formidable position, également défendue par plusieurs lignes parallèles de remparts, était non moins bien gardée par les marécages et la malaria : le front oriental des ouvrages militaires se profilait en arrière de la fameuse bourgade de Yorktown, illustrée déjà en 1781 par la capitulation de Corn- wallis, qui mit un terme à la guerre d'Indépendance en assurant le triomphe des Américains. Embourbé avec son armée dans cette région marécageuse, Mac Clellan essaya vainement d'atteindre Richmond. Plus heureux, Grant, Sherman, Sheridan, obligèrent par les attaques combi- nées au nord et au sud les forces du général Lee à évacuer les deux villes disputées avec tant d'acharnement pendant quatre années. Les confédérés, réduits à une dizaine de milliers d'hommes, succombant à la fatigue et à la faim, battirent en retraite vers les campagnes libres de l'ouest, espérant atteindre Lynchburg, assise dans le fertile district du Piedmont, puis gagner les hautes vallées des Àppalaches ; mais, n'ayant pu lutter de vitesse avec l'armée fédérale, ils durent mettre bas les armes le 9 avril 1865, près du village qui sert de chef-lieu au comté d'Àppomatox. La guerre était finie. Lynchburg, si bien placée en beau et riche pays, sur une rivière accom- pagnée d'un canal et à l'issue de plusieurs cols qui la font communiquer avec les vallées parallèles des Appalaches, doit à cette position d'être le principal entrepôt des tabacs virginiens et un centre actif de manufactures. Cependant la vie se porte surtout dans la partie occidentale de l'État, dans la grande vallée alléghanienne où s'opère le partage entre le versant de la Kanawha par le New River et celui de l'Atlantique par le James River et le Staunton, branche maîtresse du Roanoke : en peu d'années les mines de fer et de houille ont transformé plusieurs villages, notamment Roanoke, l'ancien Rig Lick, en cités manufacturières. Au nord, la « Vallée » propre- ment dite, celle où coulent la Shenandoah et ses divers affluents, est un pays agricole fameux, habité par une belle population, d'origine écos- saise, allemande, anglo-saxonne. Il n'y a guère de vallée dans les Allegha- nies qui n'ait une ou plusieurs stations d'eaux thermales. La Virginie en possède le plus grand nombre, une trentaine : Warm Springs,Hot Springs, Sulphur Springs, Healing Springs, Rig Springs et autres noms analogues. Près de Luray, ville de la Shenandoah orientale, située en aval de Harri- sonburg, on a récemment découvert des cavernes, moins vastes que Mammoth Cave du Kentucky, mais plus variées d'aspect et d'une hauteur i s îl ,< i. , ■ \ ,\ V v vV ROANOKE, IIAMPTOX ROADS. S67 Je voûte plus considérable. A l'est du Mississippi et au sud des Grands I,ats on ne trouve plus de castors, dit Allen, que dans les districts de la Virginie. L'entrée de la baie de Chesapeake et de toutes *• » ses baies latérales, Sus- qnehanna , Potomac , Rappahanock, York, Ja- mes , Appomatox , est d'une importance straté- gique telle, qu'il a paru nécessaire de la défendre par une puissante cita- delle, quoique les che- naux soient déjà rendus difficiles par des bas- fonds et des courants perfides. La forteresse Monroc, située en face de l'entrée, dans la pé- ninsule de York, est l'ouvrage avancé d'un pays de trois millions d'habitants, où se trou- vent les cités de Balti- more, de Washington et de Richmond; aussi le maintien d'une garnison fédérale à Fort Monroe pendant toute la durée de la guerre de Séces- sion eut-il une influence c Perron capitale sur les péripé- p — | frofagurs ^^ UeS et les résultats de la atOé/0/nétres aie/0ifO- aë20"-et**de/,i lutte : dans les eaux . ""*°° , voisines, dites Hampton Roads,se livra le combat mémorable entre les premiers navires cuirassés, \c Merrimac et le Jfonttor. Un village de bains très fréquenté entoure à demi la citadelle, et dans le voisinage s'élève un vaste hôtel des invalides, avec jardins, pelouses, parc et cimetière national. Le gouvernement fédéral 208 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. a fait également choix de la péninsule pour rétablissement d'un collège des arts et métiers et d'une ferme-école pour les fils des nègres affranchis et les jeunes aborigènes. Les élèves noirs, au nombre d'environ 500, et les 150 Indiens travaillent à côté les uns des autres dans les ateliers et les champs, sans que professeurs ou conlre-ma tires aient jamais à intervenir; les jeunes Indiens, graves et dignes, ne demandant l'avis de personne, mais suivant respectueusement les conseils, se conduisent comme des hommes faits. Durant les vacances, la plupart des élèves vont b "HT""" ra travailler en des fermes éloignées. Plusieurs élèves, après avoir gagné leur vie à Hampton Collège, vont continuer leurs études dans quelque université. Récemment celle partie des basses terres virginiennes a vu naître un port de commerce très actif, Newport News, construit à une faible dis- tance à l'ouest du fort Monroe. Une compagnie de chemin de fer, dont ce havre est le lerminus maritime, lui a donné un outillage de bassins, de chantiers, de quais et de magasins qui en font une des cilés maritimes les mieux aménagées : on ne parle de rien moins que d'y établir le « pre- UAMPTON ROADS, ÏORKTOWN, JAMESTOWN. 269 nier port de l'Amérique1 ». En 1890, le bourg naissant a déjà exporté des céréales et autres denrées agricoles pour une valeur de 40 millions de francs; mais les navires étrangers n'en ont pas encore bien appris le che- min. Des spéculateurs rivaux ont jeté les yeux sur le port de Chandler ou ïorbmoulh pour l'aménager aussi en lieu de grande exportation. La bour- gade minée de Yorklown reprendrait ainsi son rang parmi les cités; m m quant à la première colonie des blancs sur le territoire virginien, James- lown, fondée en 1607, nul ne songe à la relever : elle était trop mal située dans son îlot marécageux. « Il est des lieux où les villes ne peuvent ooTemcnl de la navigation eilérieure a Newport News en 1890 : Entrées 48 navires, jaugeant 73 751 tonnes. Sorties 140 » j> 193 387 » Ensemble 188 navires, jaugeant 266138 tonnes. 370 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. naître! » a dilJefferson précisément en parlant de la colonie de Jamestown1. Non loin de là le village de Williamsburg, qui fut le siège du gouverne- ment jusqu'en 1780, est aussi resté presque désert. En face de Fort Monroe, sur la rive méridionale de l'estuaire, Norfolk, frefatàtovr» E3 efcÛëSm- /toi™ Portsmouth, Bcrkley, séparées par des bras de mer vaserfx et sans grande profondeur, bouches de la rivière Elizabeth, constituent un en- semble urbain, le deuxième de l'État par le nombre des habitants. Avant 1 Obtervalioiu tur la Virginie. NORFOLK, PORTSMOUTH. 271 la guerre de Sécession, Porlsmouth était la principale station navale des États-Unis, mais ce groupe de villes n'a maintenant d'importance que pour la navigation et le mouvement des échanges. Il s'y fait un commerce très fort de denrées agricoles et surtout maraîchères, légumes, fruits, ara- chides; pendant la saison, des flottes entières viennent prendre leurs char- gements de primeurs à Norfolk pour les marchés du Nord. Presque tous les bateaux à vapeur qui pénètrent dans la baie de Chesapeake pour en remonter les divers estuaires touchent à Norfolk, port de refuge ou de relâche pour les bateaux pécheurs si nombreux qui visitent les bancs de la Chesapeake1. La rivalité de NewportNews n'a pas empêché Norfolk de grandir rapidement en importance pendant ces dernières années : par les canaux de navigation qui traversent le Dismal Swamp et les autres marais du littoral, cette ville tient l'issue des campagnes riveraines de la Caroline du Nord que des flèches de sable et la chaîne redoutable des brisants séparent de la mer voisine. Même en plein marécage on rencontre çà et là des jardins bien cultivés, défrichés jadis par les nègres marrons qui se cachaient dans le Dismal \ XIV. — CAROLINE DU NORD. La Caroline du Nord (North Carolina), qui succède à la Virginie sur le littoral atlantique, prolonge cet État par ses divisions naturelles. S éten- dant aussi de la mer au versant transappalachien, elle présente des zones parallèles de terrains, différentes par le sol, le climat et les productions; mais dans l'ensemble la Caroline du Nord est moins féconde et d'aspect moins riant que la Virginie. De vastes plaines, anciens fonds marins, sont recouvertes d'un sable aride que traversent des routes planchéiées et 1 Mouvement de la navigation extérieure dans les ports de Norfolk, Portsmouth, Berkley en 1890 : Entrées 70 navires, jaugeant 84 850 tonnes. Sorties 109 » » 98 683 » Ensemble 179 navires, jaugeant 185 533 tonnes - Villes principales de la Virginie, avec le nombre de leurs habitants en 1890 : Richmond 81388 habitants. » avec Manchester 90 634 » Norfolk 34 871 » o avec Portsmouth, Berkley, etc. 52 038 » Petersburg 22 680 » Lynchburg 19 709 » Hoanoke 16 159 » Alciandria 14339 » 272 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. où ne poussent que des conifères : de là le surnom de l'État, TurperUm State. A Test la région des marais, des bayous, des bras de mer vaseui occupe une grande partie du littoral. Cette côte, dardant vers la mer les trois pointes sableuses des caps Hat te ras, Lookout, Fear, est, avec celle du Texas, la plus inhospitalière des États-Unis : le gouvernement fédéral fait choix de ces parages dangereux pour éprouver les qualités nautiques des vaisseaux de la flotte. Ces désavantages expliquent pourquoi la Caroline du Nord, plus grande que la Virginie, lui reste très inférieure en popula- tion, en industrie et en commerce. Mais ses habitants, de race anglaise mélangée avec des Celtes d'Ecosse et d'Irlande, ont beaucoup contribué par l'émigration, pendant la première moitié de ce siècle, au peuplement du Tennessee, du Mississippi et du Texas. La petite propriété est repré- sentée dans la Caroline du Nord par une énergique démocratie de vigoureux cultivateurs. On dit qu'une population devenue presque sauvage habite les régions les plus écartées des pinières, dans les barrent ou plaines sablon- neuses du littoral ' . La capitale, Raleigh, est une de ces villes secondaires dont on a fail choix pour le siège de la législature à cause de leur position centrale : elle a d'ailleurs l'avantage d'occuper un site des plus salubres dans une région forestière. La ville la plus importante de l'État, Wilmington, s'é- lève près de la mer, sur la rivière du Cape Fear, qui, malgré ses dangers, est le point le plus accessible de la côte*. Pendant la guerre de Sécession, Wilmington prit une importance considérable comme port d'attache prin- cipal des bateaux qui forçaient le blocus pour débarquer des munitions de * guerre et prendre des cargaisons de colon à destination des Bermudes et des îles Bahama. Ce commerce ne prit fin qu'après la capture des forts qui défendaient l'entrée de la rivière. New Berne, moins actif que Wilmington, est visitée par des caboteurs qui pénètrent dans l'étang de Pamlico pour charger des bois, des résines, de la térébenthine. À l'ouest de l'État, dans le cœur des Appalaches, Asheville, entourée de vergers, est le point de départ des escaladeurs de montagnes qui parcourent les hautes rangées dominées par le mont Mitchell. Des femmes et des enfants vont chercher dans les forêts environnantes, en septembre, des 1 Rang de la Caroline du Nord parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie 52 250 milles carrés (135 327 kilomètres carrés). N° 28 Population en 1890 . . . . 1 617 947 habitants N° 46 Densité kilométrique. ... 12 » N* 22 * Navigation du port de Wilmington en 1890 avec l'étranger : 361 navires, jaugeant 162670 tonnes. LES CAROLINES. 273 racines du ginseng, connu dans le pays sous le nom de sang. La contrée d'Asheville est la plus remarquable des États-Unis par la variété et l'éclat de sa flore; ses fleurs sont admirables et ses fruits excellents. Lors de l'ex- pulsion en masse des Cherokees, de 4856 à 1839, une petite tribu réus- sit à se maintenir à l'extrémité occidentale de l'État, dans une vallée des Smoky Mountains, presque ignorée des blancs; en 1890, cette tribu assez prospère comprenait 2885 individus, dont près de la moitié de race non mélangée. Le gouvernement leur a concédé une « réserve » en propriété collective1. XV. — CAROLINE DU SUD. La Caroline du Sud (South Carolina) est, des deux États juxtaposés, celle qui porte h bon droit ce nom de Caroline, puisque les premiers colons français s'établirent à Charlesfort, dans les îles de son littoral. Le blason de l'État, un latanier, a valu aussi à la Caroline du Sud l'appellation de Palmetto State. Elle ût partie des treize colonies qui conquirent leur indépendance sur les forces anglaises; toutefois les Anglais y enrôlèrent de nombreuses recrues, et dans l'ensemble la population resta assez indif- férente à la lutte. Les passions furent bien plus fortement excitées lorsque les États du Sud tentèrent de constituer une confédération gouvernée par les propriétaires d'esclaves; Charleston prit alors l'initiative de la rupture. Aussitôt après l'élection du président Lincoln, les Caroliniens du Sud proclamèrent la ce sécession » et s'emparèrent des forts et arsenaux que le gouvernement fédéral possédait sur leur territoire : une seule place militaire, près de Charleston, Fort Sumter, resta pendant quelques mois au pouvoir des hommes du Nord, et les premiers conflits de la guerre eurent lieu autour de cette forteresse. Les divisions naturelles de la Caroline du Sud sont les mêmes que celles des autres États du versant cisappalachien : une zone d'iles et de marais borde l'Atlantique, puis dans l'intérieur les terres se relèvent vers la base des Appalaches, et les mon- tagnes, les hautes vallées constituent une autre province agricole. Les Sea hlands ou « Iles de la Mer » produisent, mais en petite quantité, le coton à longue soie le plus apprécié dans le monde, et les terres humides 1 Villes principales de la Caroline du Nord, avec leur population en 1890 : \\ ilmington 20 008 habitants. Raleigh 12 798 » Asheville 10 455 » xvr. 35 274 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. du littoral donnent le meilleur riz des Étals-Unis. De même que dans les autres contrées jadis labourées par des esclaves, les plantations ont été en grande partie épuisées par une culture de pillage, et de vastes espaces ont été laissés en friche. D'ailleurs la guerre se propagea comme l'incendie sur ces campagnes, tuant, chassant ou ruinant les planteurs1 : une part notable des terres a passé entre les mains de prêteurs juifs. Parmi les plantations abandonnées il s'en trouve de très riches en nodules de phosphate, pierrailles qu'on ne savait employer autrefois que pour paver les routes, et qui servent maintenant à régénérer le sol appauvri; la superficie de ces terrains à nodules est évaluée à 5000 kilomètres carrés et la proportion des phosphates s'élève jusqu'à 5000 tonnes par hectare*. Quelques districts caroliniens, à la base des montagnes, ont d'autres gise- ments précieux, des sables aurifères, exploités avec profit depuis un demi- siècle. La race française est fortement représentée dans la Caroline du Sud par les descendants de réfugiés huguenots qui vinrent demander un asile au gouvernement colonial après la révocation de l'Édit de Nantes. Ils furent d'ailleurs fort mal accueillis par les colons anglais et durent réclamer pendant de longues années leurs droits à l'égalité sociale et politique avec les autres blancs ; maintenant la langue française n'est plus en usage et même la plupart des noms de famille français ont été traduits ou anglicisés. Avant la guerre, la population de la Caroline du Sud compre- nait une forte majorité de noirs, environ les trois cinquièmes des habitants. Ils sont restés les plus nombreux, et l'appui des gens du Nord leur valut la conquête du pouvoir politique; mais leur triomphe fut pas- sager, et des menaces, aidées par une savante manipulation des lois, ont permis aux blancs de reprendre en entier l'hégémonie gouvernementale5. La Caroline du Sud a pour capitale officielle la ville de Columbia, ombragée de magnolias et de chênes et bâtie sur la haute berge de la rivière Congarce, en aval de ses cascades : d'autres affluents rejoignent le cours d'eau et forment avec lui la rivière Santee, qui débouche dans l'Atlan- tique, au nord de Charleston. Cette dernière cité, construite sur une pénin- sule basse entourée de promenades et de quais, est la métropole de l'État 1 Évaluation de la fortune publique de la Caroline du Sud en 1860 : 490 000 000 piastres. » » » en 164000000 » » en 1890 : 152 000 000 » 2 Exportation du phosphate à Charleston en 1889 : 317 500 tonnes. 3 Rang de la Caroline du Sud parmi les États et territoires de la Fédération nord-américaine : Superficie : 30 750 milles carrés (79176 kil. carrés). ... fl* 29 Population en 1891 : 1151149 habitants N« 22 Densité kilométrique : 15 habitants N°18 CAROLINE DU SU». CHARLESTON. 275 et l'un des lieux historiques du continent. Elle a plus de deux siècles tTeiislence et devint à ses débuts un des centres du commerce américain pour l'exportation du coton et du riz, mais surtout pour l'importation d'esclaves amenés des Antilles*. Pendant la guerre de l'Indépendance, elle okOé/Omàtrvs fat attaquée deux fois sans succès par la flotte anglaise, et durant les quatre années de la guerre civile elle repoussa les assauts des forces fédé- rales. Elle eut aussi à souffrir d'incendies, d'inondations et de tremblc- 1 Mouvement de la navigation de Charleston avec I étranger en 1890 : Entrées. 153 navires, jaugeant 86 710 luîmes. Sorties \H » » 120 96» i> Ensemble 347 navires, jaugeant 207 679 tonnes. Mouvement total de la navigation avec le cabotage en 1880 : 732 navires, jaugeant 731 517 tonnes, ïilrar dM échanges maritimes en 1889 : 16 743 951 piastres. 376 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ments de terre. Mais après chaque désastre Charleslon se reconstruit : les planteurs y possèdent, pour la saison des bains de mer, leur demeure entourée d'arbres et de massifs fleuris. Les deui larges estuaires d'Àshley et de Cooper, baignant la ville au nord et au sud, se réunissent à l'est de la péninsule et forment une rade très sûre, qu'une barre tortueuse n'offrant encore que 3 mètres d'eau à marée basse sépare de l'Océan : on travaille depuis quelques années à la construction de jetées conter- ebûàJmètrM génies, appuyées, l'une de 4567 mètres sur Sullivan Island, l'autre de 5611 mètres sur Morris Island, et qui auront pour résultat espéré d'approfondir le chenal à plus de 6 mètres. Des forts, qui rappellent les événements de la guerre de Sécession, occupent les îlots et les pointes de sable. Un autre port de la Caroline du Sud, Georgetown, à l'embouchure du Great Peedee, n'est guère fréquenté que par les navires côtiers. Beaufort, dans l'archipel des Sea Isiands, possède un admirable ensemble de mouil- lages, compris sous le nom collectif de Port Royal; de grandes flottes CAROLINE DU SUD, GEORGIE. 277 pourraient y jeter l'ancre. Depuis quelques années cette ville est devenue la sérieuse rivale de Charleston pour l'exportation du coton et du riz par navires caboteurs1. C'est dans une île de Port Royal que les hugue- nots français débarqués par Ribault firent leur tentative de colonisation ; c'est aussi à Port Royal que s'établirent les premiers colons anglais et qne dut s'appliquer la constitution modèle imaginée par le philosophe Locke, charte qui d'ailleurs n'avait rien d'original : elle consacrait pure- ment et simplement le pouvoir des huit « seigneurs propriétaires », présidés par le palatin. Le majorât était institué de mâle en mâle et tout homme libre avait pouvoir absolu sur les nègres esclaves*. XVI. — GEORGIE. La Géorgie (Georqia), l'un des treize États originaires et le plus impor- tant de tous ceux qui se trouvent au sud de Mason's and Dixon's Une, a dépassé en population le Tennessee, distancé également la Virginie, et mérite ainsi le nom de Keystone of the South, « Clef de voûte du Sud », qu elle s'est donné en se comparant à la Pennsylvanie, la « Clef de voûte du Nord ». Elle occupe en effet une position géographique analogue sur un faite de partage et sur un double versant, celui de l'Atlantique et du golfe Mexicain. Toutefois elle ne touche à la mer qu'au sud-est, entre l'estuaire de la Savannah et celui du Saint Mary's. Au sud-ouest, l'État a pour limite, du coté de l'Alabama, la Chattahoochee, qui va se déverser dans le golfe du Mexique, mais le cours inférieur de cette rivière appartient à la Floride. La Géorgie, plan incliné qui commence aux derniers renflements des Appa- laches et qu'arrosent de nombreuses rivières divergeant en éventail vers les deux mers, est une des contrées les plus fertiles de l'Amérique du Nord et jouissait avant la sécession d'une grande prospérité. Éloignée du principal théâtre de la guerre entre Washington et Richmond, elle pouvait espérer d'être épargnée ; mais de toutes les régions du Sud ce fut au contraire la plus dévastée, car c'est à travers son territoire que se porta l'armée de Sberman pour couper en deux la confédération des États à esclaves. Après de terribles conflits pour la possession d'Atlanta, au nord-ouest de la 1 Mouvement de la navigation avec l'extérieur à Beaufort en 1890 : 167 navires, jaugeant 178 185 tonnes. * Villes principales de la Caroline du Sud, avec le nombre de leurs habitants en 1890 Charleston 54955 habitants. Columbia . . . . , 15 353 » 278 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Géorgie, l'armée fédérale se lança sur plusieurs voies parallèles dans la direction de Sa vannait, brûlant les villes et les fermes, ravageant les cam- pagnes, détruisant les ponts et les chemins de fer : tel un cyclone d'une largeur de cent kilomètres. On évalue à plus de 2 milliards de francs la valeur des richesses détruites pendant cette terrible marche. Depuis, la Géorgie a réparé ses pertes et sa population s'est accrue de moitié*. Atlanta, que les Géorgiens se sont donnée pour capitale depuis la guerre, N° 65. — MARCHE DE 8HERMAN. 86* Ouest de Paris ♦♦♦♦♦♦ Cavalerie 14?# corpa 157e corps i ■ 5800000 W-G-5-C-» \7?*corps C Perron SOT"8 corps I- 0 -I 100 kil. par un sentiment de reconnaissance patriotique en souvenir de sa longue résistance contre les armées du Nord, n'occupe point une position centrale comme la plupart des chefs-lieux d'États américains; mais, ainsi que l'a suffisamment démontré la campagne de Sherman, elle est le vrai centre stratégique de la Géorgie et tient avec Chattanooga la clef de tous les Étals compris entre l'Atlantique, l'Ohio, le Mississippi et le golfe du Mexique: de là son nom de Gâte City ; c'est la « Porte du Sud ». Elle commande, à 1 Rang de la Géorgie parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 59 475 milles carrés (15-4 040 kil. carr.) ... N° 20 Population en 1890 : 1 857 355 habitants N° 12 Densité kilométrique : 12 habitants N8 23 531 mètres d'altitude, les passages méridionaux des Appalaches et les origines des vallées qui divergent autour de ce centre hydrographique, tto le Mississippi, le golfe Mexicain et la mer des Bermudes. Les voies Jjprts les C*o£r*ph»B du Tr«nsco»l>nental Survey ferrées qui viennent se croiser dans Atlanta augmentent cette importance capitale de la cité, devenue maintenant la plus populeuse de la Géorgie, bien que les premières maisons en aient été construites seulement en 1845. La rivière Chaltahoochee, qui coule à une douzaine de kilomètres m nord-ouest, n'est d'aucune utilité pour la navigation dans cette partie de 380 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. son cours. Elle ne commence à porter des bateaux d'un faible tirant qu'à 200 kilomètres en aval, au pied des rapides de Columbus, utilisés pour la filature du coton et d'autres manufactures. L'université d'Atlanta, ouverte en principe aux blancs aussi bien qu'aux noirs, n'a d'autres élèves de la race européenne que les fils des professeurs. À une vingtaine de kilo- mètres au nord-est s'élève une puissante masse de granit, dite Stone Mountain et que l'on croit être le mont Olaimi des Creeks ; des murs d'en- ceinte enferment le plateau supérieur d'environ 800 mètres de circonfé- rence, probablement une antique forteresse; les cavernes des environs renferment des cadavres momifiés1. Deux autres villes, Maçon sur l'Ocmulgée et Milledgeville sur l'Oconee, situées non loin du centre géométrique de l'État, disputaient naguère à Atlanta le rang de capitale. De même que Columbus, sur la Chatlahoochee, elles se sont élevées l'une et l'autre à l'endroit où des rivières descendent en rapides de leurs vallées supérieures et où commence le cours navi- gable : avant la construction des chemins de fer, ces positions étaient indi- quées d'avance comme les lieux où devaient naître des cités industrielles. La ville d'Augusta, sur la rive droite de la rivière Savannah, en face de Hamburg, dans la Caroline du Sud, occupe une situation analogue et dispose pour ses filatures de coton d'une force motrice fournie par des chutes de 12 mètres en hauteur totale. Augusta se trouve à distance à peu près égale des deux ports de Charleston et de Savannah. Cette dernière ville, qui fut longtemps la plus populeuse de la Géorgie et qui reste du moins sa grande cité commerciale, est située sur la rive méridionale de la Savannah, ouverte largement vers la mer par un estuaire d'une trentaine de kilomètres en longueur. Elle est ancienne déjà, puisque ses premières maisons s'élevèrent dès l'année 1732, l'une des plus agréables aussi, malgré ses rues sableuses, et les beaux arbres qui ombragent ses demeures lui ont valu, comme à Cleveland et à d'autres, le surnom de Forest City. Le commerce d'exportation de Savannah, en coton, riz et denrées diverses, est fort considérable*, grâce à l'excellence du port, accessible aux navires de 6 mètres de calaison : il dépasse de beaucoup celui de Charleston, sa voisine et sa rivale. Les autres ports 1 D. C. Brinton, Guide-book to Florida. s. Exportation de Savannah en 1890 : 30 884450 piastres, plus de 150 raillions de francs. Mouvement de la navigation avec l'étranger en 1890 : Entrées : 06 1 navires, jaugeant 246 626 tonnes. Sorties : 350 » » 255 343 » Ensemble : ïll navires, jaugeant 501 909 tonnes. 1 1 : i ?i / qui se succèdent au sud, le long de la c&/* lieu, Jackson vil le, le porl de la rivière Saint John, le centre d'attraction pour les valétudinaires et les amateurs de pêche et de chasse qui parcou- rent les lacs et les bois de l'intérieur; les bateaux à vapeur remontent le Saint John jusqu'à Palatka, à 120 kilomètres en amont ; mais les navires de mer entrent difficilement dans le port de Saint John, que limite une barre n'ayant guère plus d'un mètre d'eau à marée basse : on travaille maintenant à l'approfondir à 4 mètres et demi par la construction de jetées convergentes. Le fleuve est plutôt une « chaîne de lacs », — d'où son nom 1 Rang de la Floride parmi les fiais et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 58 680 milles curés (151 981 kilomètres carrés). N« 22 Population eo 1890; 391 422 habitants N* 32 Densité kilométrique : 25 habitants V 37 280 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. indien Wi-la-ka, — unis par des coulées. Un de ces lacs a reçu l'appella- ' tion de Lake George comme la merveilleuse nappe lacustre de l'État de New York, et chaque année des milliers de visiteurs débarquent sous les ombra- ges de ses bords. Une des sources qui alimentent le Saint John par l'Ockla- waha est le Silver Spring, la « Font d'Argent », qui forme au sortir de la roche calcaire un bassin de 180 mètres en largeur et d'une transparence étonnante, où l'on voit les sables du fond à 20 mètres de profondeur; le courant de sortie donne accès aux grandes embarcations. Il verse par jour l'énorme quantité de 1350 millions de litres, soit de 15 à 16 mètres cubes par seconde; la température constante de son onde est de 10°,5 centigrades1. Le village d'Ocala, près de Silver Spring, est connu aux États-Unis comme le lieu d'où a été lancé le programme du nou- veau parti politique formé par l'alliance des fermiers. Des bosquets d'orangers entourent Jacksonville, de même que Saint Augustine, ville située plus au sud, sur le rivage de l'Atlantique. C'est le San Agostin des premiers colons espagnols, le plus ancien établisse- ment des Européens sur le sol des États-Unis du Gis-Mississippi : il date de 1564, mais avant cette époque il avait été habité par les Indiens, car les blancs construisirent leurs demeures sur d'énormes amas de coquillages et autres débris de cuisine s'élevant à près de 4 mètres au- dessus du niveau de la mer; toutefois ces terrains se sont affaissés el l'on a dû défendre la ville contre les érosions par un large quai, princi- pale promenade des habitants. Les blancs de Saint Augustine sont pour la plupart d'origine mahonaise et l'idiome local est encore l'espagnol, d'ailleurs très fortement mélangé de mots anglais. Les « Minorcains » venus à Saint-Augustine n'avaient point émigré librement. Recrutés par un spéculateur dans toutes les îles de la Méditerranée, et jusque sur les côtes de l'Asie Mineure, ils furent débarqués en 1768 dans la Floride, où ils fondèrent le bourg de Nova Smirna (New Smyrna) ; mais ils y furent traités d'une façon si cruelle par leur patron, qu'ils s'enfuirent et vinrent se réfugier à Saint Augustine. Au sud, la côte de la Floride jusqu'à sa pointe extrême, à 600 kilomètres de distance, n'a point de ville, seulement quelques villages de noirs, et des forts avec phares et stations de sauvetage. Le dessèchement des marais, déjà très avancé par le creusement d'un canal qui se dirige vers le Caloo- sahatchee, tributaire du golfe de Mexico, permettra de coloniser la contrée et de la transformer en un immense jardin ; les fourrés, où les porcs et 1 D. C. Brin ton, Guide-book to Florida. SEMINOLES, KEY WEST. 287 aulres animaux domestiques redevenus sauvages errent par milliers, se défrichent rapidement, pour faire place à des plantations d'orangers, de cocotiers, de henequen ou « chanvre de Sisal ». Quelques familles de Seminoles ou « Hommes Sauvages », ayant échappé à la déportation en masse en 1842, vivent encore en plus de vingt campe- ments dans les ilôts et sur les rives des Everglades ou Pai Oki, — le « Lac Herbeux », — dans la partie méridionale de la péninsule, non loin de Miami, le petit havre où quelques goélettes desservent leur faible trafic. Ils prospèrent comme agriculteurs et industriels, fabriquent de l'amidon, de la farine et du ce tapioca » avec les racines du koouti, tannent des peaux, importent pour leur usage des calorifères, des machines à coudre, des pianos, des horloges. Leur tribu s'accroît chaque année; ils n'étaient que 208 en 1880; dix années après, on en comptait près de 300, quoique les hommes soient proportionnement plus nombreux que les femmes. Malgré le genre de vie nouveau que leur impose la civilisation américaine, ces hommes fiers et beaux s'enorgueillissent de leur descen- dance comme membres des clans du Jaguar et de la Loutre et ne tolèrent aucun croisement de race avec les blancs ; ils résistent aussi très éner- giquement à toutes les tentatives des colons qui voudraient leur faire diviser la propriété commune de la tribu; ils comprennent que s'ils se laissent aller à découper leur patrimoine et à constituer la propriété privée, celle-ci leur sera bientôt ravie par quelques gros acheteurs et qu'ils iront grossir la masse des prolétaires1. De nombreux monticules épars dans les plaines de l'intérieur et des amas de coquillages sur le bord de la mer rappellent que le pays fut autrefois très peuplé. La forteresse gardienne des passages qui font communiquer l'Océan et le golfe du Mexique s'est élevée dans l'îlot de Key West, sur la chaîne de récifs qui prolonge la côte orientale de la Floride jusqu'aux Marquesas et aux Tortugas. C'est le Cayo Hueso des Espagnols, la « Caye de l'Os », ainsi nommée de ses roches blanchâtres. De faibles dimensions, 9 kilomètres sur 3, la caye ne dépasse que de 5 à 6 mètres le niveau moyen du flot ; cependant une ville considérable est née sur cet écueil. Key West a l'avan- tage de posséder un excellent port bien abrité, accessible aux navires d'un tirant de 6 à 7 mètres, et, grâce à sa position entre deux mers, elle est devenue un lieu d'escale obligé pour la plupart des lignes de bateaux à vapeur qui remontent ou descendent le courant golfier dans le canal de la Floride. Située en face de la Havane, à laquelle la rattache un câble 1 F. Higel, Twcnlieth Ccnlury, July 50, 1891. 288 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. sous-marin, Key Wesl participe au commerce de la grande ville espagnole' ; elle lui ressemble par ses villas ombragées de cocotiers, de magnolias, de manguiers et autres arbres des tropiques. Les Cubains sont fort nom- breux parmi les habitants de Key West, l'île étant pour eux un lieu de Fr-ofoncfavrs Sables 9t« couvrwê af=0*5^ o'sSà refuge et un centre de propagande pour les proscrits de toutes les Antilles : souvent des conspirations s'y sont ourdies, dont plus d'une favo- risée par le gouvernement des Etats-Unis, ayant pour but de préparer des changements politiques dans tes Iles voisines. Les Cubains réfugiés à ■ Mouvement du kl navigation avec l'étranger dans le port de Key West en 1890 : Entrées 287 navires, jaugeant 127 101 tonne*. Sorties 207 » » 134 477 * Ensemble. . . 584 natires, jaugeant 281 578 tonnes KEY WEST, GEDAR KEYS. 289 Key West lui ont apporté la fabrication des cigares, devenue fort active; eu outre, les habitants exploitent des salines, pèchent des éponges et des tortues, exercent la profession de naufrageurs ou sauveteurs, suivant les lemps et les circonstances. Pendant la guerre de Sécession, ce poste d'une si haute importance resta constamment au pouvoir de la flotte fédérale et lui servit de principal point d'appui pour le blocus des États du Sud. Les pécheurs espagnols de Cuba s'établirent temporairement sur les cayes des alentours. La côte occidentale, basse, obstruée de bancs et de vasières, n'a qu'un pétri nombre de ports où puissent mouiller les embarcations de fort ton- nage : l'un des moins mauvais, que Ton emploie surtout pour l'exportation du bétail à Cuba, est Tampa, ancien établissement espagnol longtemps délaissé, où viennent aboutir les principaux chemins de cette remarquable région de collines et de lacs innombrables dont l'origine est attribuée par Shaler à l'action du courant GoICer, coulant à cette époque dans un autre lit. Plus loin se montre Cedar Keys, près de la bouche du Suwanee, qu'a- limente à 70 kilomètres en amont la « Source des Lamentins », Manatee Spring, ainsi nommée des grands cétacés (tricheem manatm) qui venaient se baigner dans Peau bleue, à l'ombre des arbres; on voit encore les ossements de ces animaux à demi recouverts par les sédiments. Il a été question parmi les ingénieurs de creuser un canal de navigation maritime à la racine de la péninsule, entre Fernandina, à l'embouchure du Saint Mary 's, et Cedar Keys. On évalue à 221 kilomètres la longueur de ce canal, qui éviterait aux navires de la Nouvelle-Orléans à New York un périlleux détour de 900 kilomètres à travers des parages très dangereux, semés d'îles et de cayes : les naufrages annuels y représentent une perte de 25 millions de francs. Dans la Floride occidentale, la vieille cité espagnole de Saint Mark's (San Marco) n'est plus qu'une ruine depuis 1704, époque à laquelle une force anglaise, aidée d'une bande d'Alibamons, s'empara de cette forteresse et massacra ou réduisit en esclavage les Indiens Appalaches qui s'y trou- vaient, sous la direction de missionnaires espagnols : quatorze cents d'entre eux furent transportés dans les plantations de la Géorgie, près de Savan- flah'. Saint Mark's est le port naturel de la capitale, Tallahassee, et • d'une vaste région bien arrosée, qu'il serait facile de transformer en un merveilleux jardin : on y remarque en maints endroits des espaces anciennement défrichés que l'on désigne sous le nom d'Old Fieldx, % QnrieToix, Histoire de la Nouvelle- France. in. 37 3» NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. « Vieux Champs », et que les colons, noirs ou blancs, reconquièrent peu à peu pour la culture, certains d'y trouver des terrains d'une eitrème fécon- dité. A une vingtaine de kilomètres au sud de Tallahassee, prei de la rivière Saint Mnrk's, jaillissent d'une profondeur de 50 mètres les eaux, abondantes, froides et pures, du WakuIIa, réapparition de la ri vit d'Alachua engouffrée à quelque distance en amont. Wakulta, Silver Spri et Manalee Spring sont les trois sources merveilleuses de la Floride, cell pense-t-on, que cherchèrent les Espagnols, espérant trouver la fontai de Jouvence1. Le commerce de la contrée se porte plus à l'ouest, au port de l\ ' D. C. Brinlon, ouTrage cilé. sacola, situé sur la cote de la Floride occidentale; de même que Key West, c'est une place de guerre, utilisée des l'année 1695. Les Espagnols et les Français y avaient successivement élevé des fortifications, et maintes fois la place fut assaillie et prise : le havre, protégé contre tous les vents et accessible aux navires de 6 mètres de calaison, en fait un point slra- /r--.T.™ti-,-j tégique très important sur ce rivage si peu hospitalier. Depuis la guerre de Sécession, et surtout depuis que les houillères et les mines de fer de l'Alabama sont activement exploitées, Pensacola, que des chemins de fer relient aux États du Centre, devient un lieu prospère de commerce*. Na- 1 Muuvemenl «le U navigation avec l'étranger ù Pensacola en 1890 : Entrées 553 navires, jaugeant 395 702 tonnes. Sorties 579 n « 420 07 6 n Ensemble. . . 115'J navires, jaugeant 815 778 tonnes, 294 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. guère il n'exportait que des bois de construction; maintenant il expédie les fontes de l'AIabama et du Tennessee : Birmingham, l'emporium minier et manufacturier du Sud, en a fait son port principal. Àpalachicola, héritier du nom que portait autrefois la capitale des Palatzi ou Àppalaches, n'est qu'un bourg envasé, à la bouche de la rivière du même nom, continuation du Chattahoochee, cours d'eau qui rap- pelle le séjour des Indiens Uches, tribu alliée à la nation des Creeks, mais parlant un idiome différent. Le village de Chattahoochee, situé sur l'Àpa- lachicola, au confluent de la Flint et du Chattahoochee, fut cette « ville indienne » de Chata-houche que décrit Bartram1 comme « la plus grande » des cités indiennes, avec des maisons en charpente revêtues d'argile, couvertes en bardeaux de cypre; elle renfermait deux mille habitants*. 1 Travcls through Korth and South Caroline. 2 Villes principales ou historiques de la Floride, avec leur population en 1890 : KcyWest. 18058 habitants. Jacksonvillc 17160 » Pensacola 11 571 » Tampa 3 525 » Fcrnandina 5 207 habitants. Saint Âugustinc ... 3 051 1 Apalachicola. .... 3024 9 Tallahassee 2 933 » CHAPITRE V LE VERSANT DES GRANDS LACS ET DU MISSISSIPPI I RELIEF DU SOL La région naturelle des États-Unis qui fait partie de la dépression médiane de l'Amérique du Nord, entre l'Océan Polaire et le golfe du Mexique, est la zone la plus étendue de l'Union : les deux rebords exté- rieurs, Alleghanies et Rocheuses, limitent un espace d'environ 1500 kilo- mètres de diamètre moyen dans tous les sens, formant à peu près les trois cinquièmes de la superficie des États-Unis, moins l'Alaska. Sans doute cette immense contrée n'est pas également habitable; notamment dans les plaines du Transe-Mississippi, de vastes territoires, insuffisamment arrosés par les rivières ou par les eaux du ciel, ne sont utilisables que pour le parcours des bestiaux; mais presque toute la surface des États cis- mississippiens, le delta de la Louisiane et les terres qui s'étendent à l'ouest dans le bassin moyen du Missouri et de ses affluents sont d'une merveilleuse richesse naturelle; en ce prodigieux champ de labour, des centaines de millions d'hommes trouveraient aisément leur subsistance. L'avantage exceptionnel de ces régions consiste dans l'extrême facilité des communications : même avant la construction des chemins de fer, le bassin du Mississippi et les Grands Lacs offrait aux colons un réseau des roies naturelles supérieur à celui que possèdent les autres contrées du monde les plus favorisées. A ces chemins de navigation se sont ajoutées les lignes de fer, dont les mailles se resserrent chaque année. Le commerce naît dans les steppes désertes naguère, et de grandes cités se dressent, comme en un mirage, au milieu des solitudes. Bien que la capitale des 296 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. États-Unis et son groupe urbain le plus considérable, New York, Brook- lyn et Jersey City, se trouvent sur le versant atlantique, plus de la moitié de la population a franchi les Âlleghanies pour se porter dans le bassin du Mississippi, et de jour en jour l'écart s'accroît au profit de cette partie médiane de la République. Entre les deux rebords montagneux de la grande plaine, les fortes sail- lies du sol manquent presque complètement. Les Âppalaches ont pour contreforts à l'ouest des collines peu élevées, se développant en certains endroits par chaînons continus, tandis qu'ailleurs le sol ondule faiblement ou se parsème de coteaux arrondis. Cette région occidentale des monts, moins plissée et fissurée que celle de l'orient, se compose de roches renfermant les houilles bitumineuses, les gaz, les huiles, les sels, les minéraux de fer, richesse minière de la Pennsylvanie et de l'Ohio. Le relief principal, dans le bassin de l'Ohio, est formé par une longue et large croupe, que les géologues ont appelée Cincinnati Axis, « Axe de Cincin- nati », parce que la métropole de l'Ohio se trouve sur son parcoure : ces hauteurs se rattachent au faîte de partage des eaux qui borde la rive méridionale du lac Erie, et se dirigent vers le sud-ouest, parallèlement aux Alleghanies ; mais elles ne diffèrent que faiblement par leur aspect des autres accidents du sol, et les vallées latérales qui la découpent la rendent méconnaissable par endroits. Au delà du Wabash, les « prairies », qui se distinguent des régions de l'est par la prédominance de la végétation herbacée, n'ont point de collines, mais seulement de longues ondulations, que l'on a comparées aux vagues de l'Océan. Les plissements, souvent imperceptibles à l'œil, correspondent aux lignes d'eaux profondes; ils se forment toujours en amont des sources de rivières et se creusent peu a peu dans la direction des pentes f. A l'ouest des Alleghanies proprement dites, vers les sources du Green River, dans le Kentucky, s'étendent en plaines ondulées des strates de cal- caires carbonifères, recouvertes par de légères couches de grès et de terre végétale. Ces formations, percées de galeries nombreuses, se continuent au sud du Kentucky, dans le Tennessee, où elles occupent une moindre superficie. A l'ouest du plateau dit Cumberland Mountains, qui fait partie du système des Appalaches, mais dont le séparent les profondes vallées parallèles du haut Tennessee et de ses affluents, le sol s'abaisse et se déve- loppe vers le centre de l'État en ondulations irrégulières. Ce socle inégal porte le nom de Highlands ou « Hautes Terres », bien que son altitude 1 L. Lesquereux, Geology of Illinois; — Fr. Ratzel, ouvrage cité. BASSIN DU TENNESSEE. -297 ne dépasse pas une moyenne de 280 à 520 mètres. Soudain ces hauteurs se terminent par des escarpements en forme de promontoires, les couches de calcaires carbonifères s'interrompent, el l'on voit s'étendre à ses pieds une vaste plaine dont les strates supérieures ont été détruites par les *gents d'érosion ; le fond qui se montre est composé de roches siluriennes. Cette cuvetlc, d'une superficie d'environ 16000 kilomètres carrés, le « Grand Bassin » du Tennessee, parait avoir été un lac à une époque ancienne; elle en a les contours, avec criques et golfes, plages, caps el [wintes sableuses; les alluvions qui emplissent les creux en font la partie la plus fertile de la contrée'. Au sud-est, une région de hautes plaines, présentant le même sol léger et onduleux que les prairies de l'Illinois, s'étend sur le versant du Tombigbee. La zone des terrains calcaires qui limite le Grand Bassin à l'est se replie au sud, parallèlement au cours du Tennessee et va rejoindre à l'ouest une 1 Jam_* Saflbri, Geology of Tenneuee. 298 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. autre région de Highlands, plus basse que la première : elle n'a guère que 200 mètres de hauteur moyenne au-dessus du niveau de la mer. Bientôt la haute plaine s'incline vers l'ouest, recouverte par des couches d'origine tertiaire, et s'arrête brusquement en accores ou bluffs dominant d'une hauteur variable, de 20 à 60 mètres, la vallée d'alluvions dans laquelle serpente le Mississippi : ce fleuve coulant lui-même à une cinquantaine de mètres au-dessus de la mer, le rebord des plus hautes falaises mis- sissipiennes atteint donc une altitude de cent mètres environ1. Ces accores, évidemment d'anciennes rives érodées par le fleuve au moment où il rou- lait une masse d'eau beaucoup plus considérable que de nos jours, se composent de lits sablonneux revêtus de glaises avec des traces de lignites, et plus haut de graviers ferrugineux, recouverts d'argiles ténues, grises ou jaunâtres, enfermant des concrétions calcaires et, par endroits, les ossements de grands mammifères disparus : cette formation est analogue à celle du loess sur les bords du Rhin et dans les vastes plaines du Hoang- Ho. Les escarpements s'éboulent ravinés par les pluies et les changements de température ; en outre, la masse terreuse se Assure du rebord jusqu'à un kilomètre dans l'intérieur des terres ; des lézardes de dix et vingt mètres s'élargissent d'année en année, préparant la démolition graduelle des falaises, au profit de la plaine inférieure dont le Mississippi et ses eaux d'inondation reprennent les terres pour les déposer ailleurs en alluvions*. De l'autre côté de la large vallée, à 50, 80, et même 100 kilomètres de distance, des falaises analogues forment le rebord extérieur des plaines du Trans-Mississippi. Entre le grand fleuve et la base des montagnes Rocheuses, le plan des terres s'incline beaucoup plus régulièrement que dans le Cis-Mississippi : en certaines parties de cette région, la pente est si douce, que le sol parait horizontal. Dans la région du nord on constate que la plaine est inter- rompue par les terrasses ou gradins successifs qui s'élèvent par ressauts du niveau de la plaine à la base des montagnes Rocheuses, mais qui sont plus nettement marquées dans l'Amérique Anglaise que dans les Étate- Unis. Le premier gradin, très irrégulier, le Coteau des Prairies, dominant d'environ 240 mètres la vallée du Minnesota, est une ancienne limite rive- raine qui fut souvent rompue et qui présente maintenant des alignements de buttes et de berges argileuses. La deuxième terrasse, séparée de la première par la vallée de la « rivière à Jacques >>, James ou Dakota River, 1 Altitude de Memphis : 98 mètres. * Dalc D. Owcn, ouvrage ci*o. FALAISES DU MISSISSIPPI, MONTS OZAKK. 299 présente un escarpement continu d'un millier de kilomètres, formé à la cime de graviers qu'y apportèrent jadis les glaces, et, à la base, d'argile et de sables que les eaux déposèrent à l'époque de leur retrait : c'est le Coteau du Missouri, ainsi nommé du fleuve qui l'accompagne à l'ouest. Jusqu'à la distance de 1100 kilomètres des Laurentides, Dawson a découvert sur les terrasses des blocs provenant de ces monts canadiens. Les premiers voyageurs ont souvent décrit certains de ces « coteaux » comme des volcans ; bien à tort : les fumées qui enveloppent les pentes, l'odeur sulfureuse que l'on respire, les scories d'argile brûlée que l'on rencontre en maints endroits, proviennent, non de l'éruption des laves, mais de la combustion des lignites que renferment les terrains; les pierres ponces qui flottent sur le Missouri jusqu'en aval d'Omaha sont apportées, non des coteaux riverains, mais des lointaines Rocheuses1. Les couches de combustible, presque partout horizontales, se montrent sur les pentes aussi nettes que si elles avaient été faites au pinceau; allumées on ne sait à quelle époque, elles se consument lentement, calcinant peu à peu le sol et le transformant en une sorte de pouzzolane : d'où le nom de « Cotes Brûlées » donné par les voyageurs à plusieurs des collines fumantes*. Les « Coteaux » renferment aussi une espèce de stéalite rouge, que les Indiens disaient jadis être la chair de leurs ancêtres et dont ils se servaient avec révérence pour la fabrication de leurs pipes sacrées. Les carrières étaient considérées comme une terre sainte et, même durant les guerres les plus acharnées, les gens des tribus hostiles s'y rencontraient en amis; d'ailleurs la divinité même imposait la paix : les arrivants, dit la légende, y étaient toujours salués par l'éclair et la foudre, expression de la volonté redoutable des esprits31. Lors de sa visite, Nicollet entendit en effet gronder le tonnerre; mais depuis cette époque, disent les Indiens, la venue des « Visages Pâles » a brisé le charme. Au milieu des plaines quelques massifs rompent, par leur profil inégal, l'uniformité de la rondeur terrestre; mais le seul qui se développe sur une assez grande longueur pour former un système orographique distinct est celui des monts Ozark, orienté du sud-ouest au nord-est, dans le Ter- ritoire Indien et l'État de Missouri : il suit en moyenne la même direction que les Appalaches, toutefois ses allures sont beaucoup plus irrégulières que celles des chaînes du Cis-Mississippi. Vers leur extrémité du sud- 1 iules llarcou, ?iotcs manuscrites. 1 Nicollet, Hydrographical Basin of the Upper Mississippi; — Lewis and Clarkc, ouvrage âlê; — Hayden, Geological Report; — Th. Rooscvelt, Hunting Trip of a Ranchman. ' Nicollet, outrage cité; — J. G. Kohi, Kitschi Garni. 500 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ouest, les Ozark ont la forme d'un plateau raviné, élevant ses croupes à 300 ou 400 mètres en moyenne; mais plus au nord ils se décom- posent en chaînons parallèles dont les saillies atteignent 600 mètres. Le noyau cristallin de granit se montre çà et là, revêtu sur ses pentes de roches paléozoïques. Les étonnantes buttes de fer, situées vers l'extrémité nord-orientale des monts Ozark, paraissent d'origine éruptive. L'une d'elles, Iron Mountain, n'avait que 69 mètres de hauteur au-dessus du sol environnant; mais elle représentait alors une masse de 250 millions de tonnes de minerai : au-dessous du sol, chaque mètre d'épaisseur, dussent même les parois descendre verticalement dans l'intérieur de la terre, ajoutait 5 millions de tonnes au trésor métallique. Le Pilot Knob était plus élevé (177 mètres), de minerai moins homogène : le fer y alter- nait avec des couches d'ardoise \ L'une et l'autre montagne étaient jadis considérées comme inépuisables ; cependant elles ne sont plus que fai- blement exploitées, l'usine ayant déjà fondu le meilleur minerai. Sur le même alignement que les monts Ozark, d'autres massifs de forme irrégulière, désignés par le nom collectif de Wichita Mountains, s'élèvent dans le Territoire Indien et l'Àrkansas De même que les Ozark, ces hau- teurs ont un noyau sur lequel se sont étendues des couches siluriennes, et les unes sont disposées en chaînons, les autres se montrent sous forme de plateaux, analogues à ceux du Texas, dont la vallée de la Rivière Rouge les sépare. De leur côté, les hautes terres texiennes ne se prolongent pas uniformément en vastes étendues sans relief; elles présentent aussi, sur le prolongement des Ozark et des Wichita, des groupes de saillies et même des cônes isolés, se dressant comme des îles volcaniques au-dessus de la mer. L'espace légèrement incliné dans le sens de l'ouest à Test qui s'étend entre les montagnes Rocheuses, les plateaux du Texas, les Wichita, les Ozark et les Black Hills du nord, avant-monts des Rocheuses, fut occupé jadis par une ou plusieurs étendues lacustres, dont il reste de nombreuses traces. Les sables qui remplissaient les creux de l'ancienne mer intérieure d'eau douce, sur une épaisseur variable, atteignant en cer- tains endroits une cinquantaine de mètres, ont été redressés par le vent en forme de dunes, puis fixés par une végétation d'herbes aux racines traçantes. La plus grande partie du Texas est formée de plateaux qui se succèdent en énormes gradins, des bords du rio Pecos au golfe du Mexique. La plate- forme supérieure, brusquement coupée du côté du fleuve, atteint dans 1 Lillon; — G.-C. Swallow, Geological Survey of Missouri. i MONTS OZARK ET WICHITA, LLANO ESTAGADO. 301 sa partie occidentale près de 1500 mètres et s'incline doucement vers le sud et vers Test; son rebord, au-dessus de la deuxième terrasse, s'élève en moyenne à un millier de mètres. Dans son ensemble, c'est une pro- digieuse dalle de grès, à surface légèrement ondulée, mais sans brèches oi coupures profondes : aucune rivière n'interrompt le vaste plateau d'en- viron 70000 kilomètres carrés. Les premiers voyageurs espagnols, crai- gnant de s'y perdre, y érigèrent des jalons de distance en distance pour indiquer les directions à suivre entre les flaques d'eau, les puits, les lieux herbeux; de là le nom de Llano Estacado, « Plaines Jalonnées » ou « Staked Plains », donné à toute cette région déserte. Le deuxième gra- din, d'une hauteur moyenne d'environ 600 mètres, et formé, comme le Llano Estacado, de couches appartenant aux âges secondaires, présente un aspect plus varié que la terrasse supérieure ; les rivières qui y prennent naissance le coupent de plusieurs vallées parallèles, se dirigeant vers le sud-est, normalement à la côte ; des zones riveraines de végétation arbo- rescente accompagnent les cours d'eau, et les espaces intermédiaires présentent quelque verdure. Au-dessous, le troisième gradin, d'environ 200 mètres en altitude, fait déjà partie de la bande des terrains ter- tiaires, et une prairie naturelle le recouvrait avant que les planteurs s'en fussent emparés pour le mettre en culture; plus bas s'étend le dernier degré de l'énorme escalier, la zone alluviale de la côte actuelle. Une partie considérable du Texas et du Territoire Indien, surtout dans le Llano Estacado, est revêtue d'une formation gypseuse continue, probable- ment la plus étendue qui existe dans le monde : sa superficie est éva- luée à 600 kilomètres de long et 320 kilomètres de large, territoire plus grand que le tiers de la France, et son épaisseur dépasse 1500 mètres. En maints endroits ce gisement vraiment inépuisable de gypse est formé d'albâtre transparent; ailleurs il se présente en feuilles et en sélénite cristallisé; il s'en trouve aussi avec des veines, des stries, des mouche- tures multicolores provenant d'oxydes métalliques. Les ruisseaux qui éradent le plateau l'ont découpé en buttes coniques ayant chacune à la cime un gâteau de roche gypseuse aux parois verticales. Toutes les eaux qui traversent cette région se chargent d'une certaine quantité de plâtre : de là le goût amer et désagréable que les voyageurs trouvent à l'eau du rio Pecos, du Colorado, du Brazos, de la Canadienne, de l'Ar- kansas; quelques ruisseaux sont tellement saturés de gypse, que les ani- maux ne peuvent s'y abreuver ' . 1 Marcy, Report ofan Expédition to the Sources of the Brazos. NOUVELLE GÉ0GHÀPH1E UNIVERSELLE. ANCIENS GLACIERS, LACS ET FLEUVES. Les traits géographiques du littoral des Grands Lacs et des hautes vallées mississippiennes ont été singulièrement modifiés par l'action des glaces : les lacs ont changé de forme et les rivières de direction ; les faîtes de par- tage se sont déplacés ; la nature entière s'est renouvelée, mais sous le relief actuel on peut encore en maints endroits reconnaître le relief ancien. L'élude du sol, poursuivie par de nombreux géologues, a permis de consta- ter dans toute la partie septentrionale du versant mississippien quelles régions furent recouvertes par les glaces. L'immense nappe cristalline qui descendait des régions polaires s'étalait alors sur toute la contrée, cou- vrant les inégalités du sol comme le névé du Groenland cache l'île ou l'ar- chipel sur lequel il s'étale. Au sud des lacs Ontario et Erie, la limite des terrains glaciaires, à peu près parallèle à la rive méridionale des lacs, se dirige vers le sud-ouest, [mis, se reployant vers le sud, franchit la rivière TRACES DES ANCIENS GLACIERS, 505 Ohio à une petite distance en amont de l'endroit où se trouve actuellement la cité de Cincinnati. Des boues glaciaires, des blocs erratiques se ren- contrent en plein Kentucky jusqu'à 150 et 180 mètres au-dessus du lit de l'Ohio. Mais en deçà de Louisvillc la limite des apports glaciaires remonte vers le nord dans la vallée de Wabash, puis décrit une grande courbe dans la partie méridionale de l'Illinois pour franchir le Mississippi en Bîal de Saint Louis et embrasser à l'ouest du fleuve toute la vallée du Missouri. De même que dans ta Nouvelle-Angleterre, dans l'État de New York et la Pennsylvanie du nord, les traces du séjour des glaces sont faciles à reconnaître : stries des rochers, blocs erratiques, moraines frontales et latérales, kames, drumlins, lacs et trous-chaudrons. En certains districts du Minnesota et du Wisconsin, l'aspect du sol est tel, que la fusion des glaciers semble un phénomène tout moderne : on dirait que les lacs d'eau pure, avec les roches de granit éparses sur leurs rivages et la moraine d'aval qui les retient, étaient hier encore emplis de glace. Cependant une partie du Wisconsin sud-oriental, île de terre libre au milieu de la mer d'eau cristalline, ne montre aucun vestige de débris glaciaires1. En s'avançant vers le sud, les masses congelées devaient faire voyager su-devant d'elles les nappes liquides des lacs, qui occupaient les cavités 1 !". Wn*bi. The lee âge in Norlh America 504 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. produites par le plissement ou par les déchirures du sol. Ainsi divers indices ont permis de reconstituer une carte de l'époque où le front du glacier, comblant la moitié septentrionale des bassins qui contiennent les lacs Huron et Michigan, avait repoussé vers le sud les deui nappes unies de TErie et de l'Ontario : ensemble, ces mers intérieures, qui existaient déjà bien avant les glaciers, et que peuplaient dans leurs pro- fondeurs des organismes de provenance océanique, formaient un lac plus vaste que ne Test aujourd'hui le Supérieur1. Plus au sud s'étendait un autre bassin lacustre, à peine moins considérable, celui que le barrage de l'Ohio, à l'endroit où se trouve actuellement Cincinnati, avait formé en amont. Retenues par cet énorme rempart de glaces et de pierres, les eaux d'écoulement s'élevaient en arrière, pénétrant dans les vallées laté- rales et les changeant en golfes et en baies. A l'endroit où confluent de nos jours les eaux de l'Allegheny et de la Monongahela pour former l'Ohio, le lac, de 300 mètres en profondeur, emplissait la vallée jusqu'à la crête des collines riveraines*. D'après Wright, on retrouve les plages sur presque tout le pourtour de l'ancien lac de l'Ohio, et l'on peut essayer de le reconstituer par la pensée. Mais la transition géologique entre l'état lacustre et l'état fluvial de l'Ohio fut peut-être assez longue, par suite du va-et-vient des glaces, tantôt s'avançant au loin vers le sud dans l'intérieur du Kentucky, tantôt reculant au nord de manière à laisser un libre passage aux eaux de sortie. C'est ainsi qu'en Suisse le lac Moerill ou Merjelen se vide et se reforme tour à tour, tantôt s'ouvrant de force un canal sous le front du glacier d'Aletsch, tantôt se heurtant à un mur infranchissable de glaces et de débris. Pareil phénomène d'écoulement alternatif se serait accompli dans la vallée de l'Ohio, mais avec des proportions autrement grandes que celles de l'humble torrent. On com- prend ce que devaient être les débâcles d'un lac de 50000 kilomètres carrés comme le réservoir de l'Ohio, entraînant dans sa crue des frag- ments de glaces et d'énormes moraines que le flot réduisait en graviers et en sables pour combler les vallées et les golfes. Ce furent sans doute ces déluges, formés par l'écoulement rapide du lac, qui érodèrent les collines à droite et à gauche de la haute vallée de l'Ohio : les terrasses qu'ils ont laissées ne sont point horizontales comme les plages d'un lac, mais régulièrement inclinées dans le même sens que la coulière du fleuve5. Les cours d'eau furent déplacés comme les lacs par le mouvement 1 A. T. Drummond, The Great Lake Basin of the Saint Lawrence. * Claypole, Transaction of the Edinburgh Geological Society. 3 T.-C. Charaberlin, Bulletin of the United States Geological Survey, na 58. TRACES DES ANCIENS GLACIERS, des glaciers : tel réservoir se vidait, tel autre se comblait; tel fleuve était refoulé dans sa vallée en sens inverse de son cours primitif, renversant son courant vers le nord ou vers le sud. Lors de l'avancée des glaciers, les eaux se trouvaient naturellement repoussées dans la direction du sud. C'est ainsi que la rivière Rouge, aujourd'hui la branche maîtresse du Nelson, qui va se jeter dans la mer de Hudson, se déversait au sud par la «liée du Minnesota et devenait l'affluent du Mississippi. De même le lac 506 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Michigan s'épanchait au sud-ouest par la rivière des Plaines, et par ce cou- rant faisait partie du versant mississippien, comme le Minnesota; enfin, à l'autre extrémité du bassin, le Maumee, tributaire de TErie, et le Genesee, TOswego, affluents de l'Ontario, étaient refoulés au sud, et par l'Ohio des- cendaient également au Mississippi. Mais lorsque la débâcle des glaciers se fut accomplie et que les lacs qui lui succédèrent, — tel le grand lac Agassiz, dont le Winnipeg n'est plus qu'un faible reste, — se furent vidés, quand les amas de terre des anciennes moraines eurent été remaniés par les eaux pour former de nouvelles buttes ou remparts de matériaux gla- ciaires, chaque cours d'eau eut à chercher une nouvelle voie par le seuil le plus bas de la plaine bouleversée. Depuis l'époque où se fondit l'immense champ de glace qui recouvrait cet autre Groenland d'une couche de plusieurs centaines, de plusieurs milliers de mètres peut-être, le relief de la contrée a été profondément modifié par les érosions; cependant on trouve encore en beaucoup d'endroits les moraines terminales des anciens glaciers aussi régulières qu'aux jours de leur formation. D'innombrables réservoirs lacustres, surtout dans le Minnesota et le Wisconsin, sont restés au fond des creux, dans l'espace limité au sud par le front des moraines : tels les « dix mille » lacs parmi lesquels le Mississippi et la Rivière Rouge du Nord prennent leur origine, telles aussi les nappes d'eau parsemées au sud du lac Supérieur et celles du Wisconsin méridional, le profond Devil's Lake et les laguets dont l'isthme intermédiaire porte la cité de Madison; dans l'Iowa, les lacs glaciaires ainsi formés ont reçu le nom de walled Iakes, « lacs maçonnés », la moraine inférieure qui les retient étant comparée à un rempart de maçonnerie1. Les drumlins ne sont pas moins communs dans ces régions mississippiennes que dans 1» Nouvelle- Angleterre et gardent beaucoup mieux leur physionomie primitive1. Quelques-uns contiennent des terrains aurifères, qui proviennent, comme les blocs amoncelés, des massifs granitiques du nord : cà et là ils sont assez riches pour rémunérer les mineurs. La berge riveraine de sable et de gravier qui borne au sud le lac Erie et le lac Ontario et qui constitue le faîte de partage entre ces grands lacs et le versant mississippien, est une des formations géologiques où l'action des glaces et celle des eaux ont diversement collaboré. Cette berge se décompose en divers endroits d'une manière évidente en trois gradins distincts, indi- quant les états successifs du niveau lacustre : leur altitude varie entre les 1 Charles White, Geological Survey of loxca, * G. F. Wright, ouvrage cité. LACS DE L'ANCIENNE RÉGION GLACIAIRE. 307 limites extrêmes de 30 et de 67 mèlres. Lors des premiers lemps de la colonisation, les colons utilisaient ces plates-formes naturelles pour réta- blissement de leurs routes. Un travail géologique analogue se retrouve à l'ouest du Mississippi, pour les terrasses ou gradins successifs des a Coteaux »9 qui s'élèvent par ressauts du niveau de la plaine à la base des montagnes Rocheuses, mais qui sont plus nettement marquées dans l'Amérique anglaise que dans le territoire de l'Union. Les affluents que la plaine médiane des États-Unis envoie aux Grands Lacs ne représentent qu'une faible quantité d'eau : le Saint-Louis, source du Saint-Laurent, le Menominee et la rivière du Renard — Fox River — qui se jettent dans la baie Verte du Michigan, le Saint Joseph, le Grand River, le Muskegon ou « Marécageux » de la péninsule du Michigan oriental, le Maumee, tributaire oriental de l'Erie, sont les cours d'eau relativement faibles qui appartiennent au système des Grands Lacs. Le Genesee, l'une des petites rivières qui s'écoulent dans le lac Ontario, est remarquable par son analogie avec le fleuve puissant qui l'avoisine, le Niagara, déversoir du lac Erie. Il coule d'abord d'un flot égal dans une plaine peu accidentée, puis, arrivé au bord de l'escarpement préglaciaire, de formation silu- rienne, qui décrit une immense courbe au sud du lac Ontario, au nord du lac Hurtra et à l'ouest du lac Michigan, il plonge comme le Niagara dans une gorge profonde, érodée graduellement par les eaux. Les trois premières cataractes ont une hauteur totale de 79 mètres et les parois de la cluse d'aval s'élèvent à 120 mètres. Plus bas, la rivière serpente de nouveau dans les plaines, puis, dans la ville même de Rochester, s'abat d'une deuxième arête en trois chutes successives ayant ensemble 62 mètres de hauteur. Les cascades, les gorges, les bois qui descendent jusqu'à l'eau sur les talus et dans les valleuses, apparurent en merveilleux paysages aux premiers voyageurs; les usines, les échafaudages, les cheminées, les ponts ont tout changé et enlaidi. Quelques laguets emplissant d'étroites vallées orientées du sud au nord versent leur excédent liquide dans la rivière Genesee : ce sont les restes d'anciens fjords qui firent partie de la mer primitive d'Ontario et que les glaciers, puis les amas de moraines, qui, au point de vue politique appar- tiennent à l'État de New York, quoique situés dans la plaine médiane, séparèrent du bassin principal. D'autres lacs, beaucoup plus considérables, ont participé à l'histoire géologique des bassins remaniés par les glaces : ce sont les lacs Iroquois ou des « Six Nations », longues et tortueuses nappes d'eau reflétant sur les deux rives les pentes de coteaux verdoyants. bans l'ensemble, ces lacs présentent l'aspect d'un faisceau en éventail, aux 308 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. branches divergentes, du nord au sud-ouest, au sud et au sud-est. Le premier lac, à Test du Genesee, se nomme Canandaigua, puis viennent le Keuka ou Crooked Lake, — « lac Tors », — le Seneca, le Cayuga, — en iroquois le « Marécageux » — : c'est le plus long de tous, son déve- loppement total dépassant 60 kilomètres du sud au nord. L'Owasco, le Skaneateles, l'Otisco, l'Onondaga, l'Oneida se succèdent au delà dans la i direction de l'ouest à l'est. L'Oneida, le plus large des lacs, est aussi l'un des moins profonds; il n'a que 18 mètres d'eau, tandis que les lacs allongés, ayant conservé leur caractère de fjords, sont restés beaucoup plus creux dans leur cavité médiane : le Skaneateles a 97 mètres de profondeur, le Cayuga 120, la Seneca 150; aussi ces réservoirs ne gèlent-ils que rarement. Les lacs s'écoulent tous au nord, dans l'Ontario, à contresens de la pente générale du sol, puisqu'ils sont séparés du grand lac par une berge faîtière et que les vallées maîtresses de la Susquebanna les entourent au sud. Un court effluent sort de chacun des lacs Iroquois et va rejoindre une rivière qui coule de l'ouest à l'est, parallèlement à la rive méridionale de l'Ontario, dont elle fit autrefois partie, lorsque le lac était repoussé plus avant par les glaces. Au confluent de l'Onondaga, cette rivière se rejette brusquement au nord et, grossie de l'affluent de l'Oneida, coule en droite ligne vers l'Ontario sous le nom d'Oswego, l'ancienne Ghouegem ou ce Noire » des Iroquois. A l'est du Mississippi, les affluents indépendants du golfe Mexicain ont, au sud-ouest des Appalaches, une aire d'écoulement d'une superficie con- sidérable. Le premier fleuve qui se déverse dans le golfe du Mexique, à l'ouest de la péninsule floridienne, est la Chattaboochee, — la rivière des Houchees ou Uches, — qui naît dans le massif méridional des Appalaches et coule d'abord dans la direction du sud-ouest, soit dans le prolongement même de l'a$e montagneux. L'eau claire coule sur des cailloux de granit aux cristaux brillants, puis descend en cascatelles de terrasse en terrasse et dans les plaines inférieures : unie à la rivière Flint, elle prend d'après les anciens riverains le nom d'Apalachicola, — en creek, la « rivière des Appalaches, » — et, comme les fleuves de la Caroline et de la Géorgie, s'unit à la mer par des eaux basses qu'obstrue à demi un seuil d'allu- vions. Les vases apportées par le courant et distribuées au loin dans la baie sont reprises par la houle marine, qui en construit au large une flèche régulière, percée çà et là de passes étroites et changeantes. L'Alabama, dont le bassin occupe presque tout l'espace compris entre LACS DES IROQUOIS, APALACMCOLA, ALABAMA. 309 la Chattahoochee et le Mississippi, se forme aussi dans les massifs de montagnes qui terminent les Appalaches et, de la source à l'embouchure, oe cesse, malgré ses vastes méandres, de suivre la direction moyenne du sud-ouesl : les saillies du sol et les arêtes bordières des plateaux qui limi- lent de part et d'autre les vallées fluviales ont une orientation régulière qui continue exactement l'axe montagneux. Le fleuve, coulant d'abord sous le nom de Coosa, prend celui d'Alabama vers le milieu de son cours et va se jeter dans la baie de Mobile par un delta ramifié dont les alluvions gagnent rapidement sur les eaux de la baie. La rivière Tombigbee, gonflée par le Tuscaloosa ou « Guerrier noir », s'unit maintenant à l'AIabama 310 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE par un lacis de bayous latéraux; jadis c'était un courant indépendant, ayant son embouchure distincte. L'un et l'autre cours d'eau sont accessibles aux bateaux à vapeur', qui en remontent les eaux brunes à une grande 1 Itégime des fleuves Chattahoochee ou Apiilachïcola, Coosa, Alabama ou Mobile : ChtlUhoochec. Alibun*. Longueur du cours développé. . . ] 030 kilomètres 1 360 kilomètres. Superficie du bassin 49 000 kilomètres carrés. 112 G00 kilomètres carrés. Débit fluvial par seconde 600 mètres cubes. 1500 mètres cubes. Longueur des cours navigables. . . 560 kilomètres. 750 kilomètres. MISSISSIPPI. 511 dislance dans l'intérieur des plaines : les accores du rivage sont tellement élevées, que du pont des navires on ne voit pas les campagnes ; il semble qu'on navigue sur un canal entre des berges taillées de main d'homme. Des rivières moins abondantes, la Pascagoula et la rivière des Perles (Pearl River), parcourent la région des grands pins, dans l'État du Missis- sippi, et se déversent dans l'estuaire des eaux basses limité au sud par les cordons littoraux et les îlots sableux du delta mississippien. Le Mississippi, le grand fleuve des États-Unis, est un type des puissants cours d'eau. Il ne prend point sa source dans les glaciers de hautes mon- tagnes comme la plupart des rivières à vaste ramure, et l'ensemble de son courant n'offre que de faibles dénivellations : d'une pente presque égale, il dessine, de ses lacs d'origine à ses bouches terminales, une parabole de courbure très allongée. Suivant l'axe du continent, le Mississippi coule dans la grande plaine médiane qui partage en deux toute cette partie du monde; il est par excellence l'artère fluviale de l'Amérique du Nord, et les contours de son bassin coïncident avec les traits principaux du relief continental. À l'occident les montagnes Rocheuses et le plateau d'Utah, à l'orient les plissements parallèles des Àppalaches sont les rebords exté- rieurs de la dépression qui s'étend de la mer des Glaces au golfe du Mexique, et dont la partie méridionale est arrosée par les eaux missis- sippiennes. Les autres courants qui prennent leur source dans le voisi- nage de celles du Mississippi, pour s'écouler ensuite lentement de lac en lac vers l'océan Glacial, pourraient être considérés comme une conti- nuation du grand fleuve : ils en sont, à vrai dire, le complément géo- graphique, prolongeant son cours en sens inverse. D'ailleurs, la superficie en kilomètres carrés ne permet pas de connaître la valeur relative des régions terrestres : il serait absurde de comparer les plateaux arides de ITtah et du New Mexico, ou les solitudes à demi submergées de l'Atha- haska et du Grand Nord, revêtues de tourbes ou de glaces et balayées par le terrible vent polaire, à la fertile contrée dans laquelle se déroulent les méandres mississippiens ; ce n'est donc pas l'étendue, mais l'ensemble des influences et la puissance totale de production des territoires qu'il fant considérer pour en apprécier la véritable importance. Ainsi le Mac- kenzie, ni la rivière Rouge du Nord et le Nelson, ni la Columbia n'égalent le Mississippi, malgré la masse de leurs eaux. Le Saint-Laurent lui-même occupe un rang secondaire; son bassin est beaucoup moins étendu que celui du fleuve majeur, et d'ailleurs les Grands Lacs canadiens auxquels il 312 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. sert de déversoir appartinrent au Mississippi pendant de longs âges : on peut dire que, géologiquement, ils lui appartiennent encore. En outre, le Saint-Laurent suit une direction transversale au continent : ce n'est que l'artère du Canada oriental. On a longtemps discuté et l'on discute toujours pour savoir si, en aval du confluent, le nom de Missouri ne reviendrait pas de droit aux eaux communes de la grande dépression nord-américaine. Les géographes qui voudraient débaptiser le Mississippi n'ont été frappés que d'un fait d'im- portance secondaire, la distance de la source à l'embouchure, exprimée en lieues ou en kilomètres. La géographie ne se confond pas avec la géométrie : la longueur du cours, la masse des eaux ne sont pas les faits primaires quand il s'agit de classer les fleuves. L'histoire nous apprend que le déplacement des tribus ou des peuples et le va-et-vient du trafic suivant des lignes maîtresses sont les raisons principales du maintien de la dénomination du fleuve sur un long parcours; mais ces mouvements historiques et commerciaux sont déterminés surtout par la direction des bassins, l'inclinaison générale des pentes et les facilités des migrations et des échanges. A ce point de vue, le bas Mississippi continue évidemment le haut Mississippi et non le Missouri. La ligne de division naturelle dans l'ensemble des États-Unis pour le climat, les cultures, les populations, est celle que trace le cours du Mississippi : d'un côté du fleuve s'étend l'Est, de l'autre l'Ouest du territoire nord-américain. Du lac Itasca jusqu'à la mer, le grand cours d'eau, « méridien en mouvement », suit la coulière médiane du bassin, tandis que le Missouri descend obliquement à l'axe de la contrée. En outre, la vallée du Missis- sippi garde les mêmes caractères physiques, ou du moins en change par transitions très ménagées : savanes ou prairies, forêts de pins ou forêts de « cyprès », les rives offrent toujours le même horizon, autant que le per- met la différence des latitudes, tandis que les hautes montagnes d'où jaillis- sent ses torrents, les sombres défilés du Missouri et ses puissantes cataractes, les scories et les laves de ses rives donnent à ce dernier cours d'eau une physionomie pittoresque tout à fait distincte. Géologiquement le Missouri est un fleuve à part jusqu'à son arrivée dans la dépression centrale. Le Mississippi descend du point de rayonnement d'où s'écoulent les eaux des plaines ; le Missouri prend son origine sur un faîte de divergence monta- gneux, comme les rivières voisines, Columbia, Colorado, rio Bravo del Norte. Le nom de Missouri-Mississippi que l'on donne fréquemment au fleuve nord-américain serait donc parfaitement justifié au point de vue strictement géographique; mais dans ce cas ne faudrait-il pas aussi ajouter SOURCES DU MISSISSIPPI. 3)3 à cette appellation collective celle de l'ûbio? Ce fleuve, descendu des Allephanies, fait plus qu'équilibrer le courant venu des Rocheuses par la valeur de son bassin, la fécondité des campagnes riveraines, la popu- lation des villes et le mouvement des échanges. Le langage populaire a bien fait de s'en tenir au nom de la branche aiiale dans l'ensemble du réseau; toutefois ce nom a été légèrement mo- difié. Mai Sepe, Mm Sipi ou « Grande Eau », sont des mots algonquins, appliqués à plusieurs rivières de la Puissance Canadienne aussi bien qu'au fleuve majeur des États-Unis. La désignation parut trop simple à Chateau- briand, qui la transforma en Meschacébé, avec te sens imaginaire de ■ Père des Eaux », reproduit souvent dans le langage poétique. Jadis les tribus riveraines connaissaient le fleuve sous d'autres noms, empruntés à leurs propres idiomes. Cavelier de la Salle, qui te premier, en 1682, eiplora le Mississippi, de la région des Illinois au golfe du Mexique, l'avait appelé Colbert; Joliet lui avait donné le nom de Buade, en l'hon- neur de son protecteur Frontenac. Les Espagnols avaient eu connaissance bien avant cette époque du rio del Espiritu Santo et l'avaient entendu nommer par les indigènes de douze appellations diverses. Après les époques glaciaire et lacustre, le haut Mississippi a dû souvent changer de source maîtresse, suivant les oscillations du climat, les assèche- ments des mares et des lacs, les éboulis, la croissance des tourbes et des forêts, les travaux des castors et les mille phénomènes qui modiûent le 314 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. N° 79. — LAC DITASCA. Ouest de Paris 97*»o niveau du sol dans une région à déversoir incertain et partiellement inondée. Depuis 1832, on connaît d'une manière précise le lieu actuel de l'origine fluviale, au pied du faîte, à peine indiqué, de la « Hauteur des Terres ». Divers laguels, qui ont donné lieu à des discus- sions passionnées pour la priorité de découverte , sont les sources les plus éloignées de l'embouchure où s'amassent les eaux naissantes du Mississippi proprement dit. Des ca- naux sinueux obstrués de joncs s'écoulent de ces mares dans un lac ramifié connu par les Odjibeways sous le nom d'Omochkos et que les voyageurs ca- nadiens ont traduit par « la Biche ». Son premier explorateur scientifique , Schoolcraft, l'appelle Itas- ca, mot qui paraît être algonquin, comme beau- coup d'appellations géo- graphiques à même ter- minaison * : c'est probable- ment à tort qu'on accuse Allen, le compagnon de Schoolcraft, d'avoir gro- tesquement extrait ce nom d'un latin de fantaisie; la carte de l'explorateur Ni- collet, publiée par Abert en 1843, le reproduit sans mentionner cette légende improbable. Sur le faîte des plus hautes sources le niveau du sol est évalué à 511 mètres, bien que le lac Itasca ait son niveau à 480 mètres seulement. Le petit ruisseau qui s'en épanche pour couler «471 10 0 *-. •v . * '- • '•? ;>/■/•*•*• 471 10 . ». •• ••. . •• w i » . f ». ... V ■'$fî^::'-*W* o* < 95V Ouest de Greenwich 95* D'après la carte officielle de 1886. 1 : 130000 C. Perron. 5 kil. 1 Jacques W. Redway, Note$ manuscrites. HAUT MISSISSIPPI. 515 dans la direction du nord, comme s'il allait rejoindre la rivière Rouge et la mer de Hudson, est le courant initial du fleuve qui va se déverser à plus de 5000 kilomètres au sud dans le golfe du Mexique, suivant une déclivité moyenne d'environ un décimètre par kilomètre. À son origine, le Mississippi, innavigable aux canots et large de 4 mètres seulement, coule à travers des prairies humides, couvertes de riz sau- vage, de joncs et d'iris, et dominées par des dunes de faible élévation où croissent les pins et dont la rivière vient de distance en distance effleurer la base. Les lacs se succèdent dans la vallée, qui se recourbe à l'est, puis au sud, suivant la direction normale du sillon de partage nord-américain ; de droite et de gauche accourent d'autres cours d'eau, sortis également de lacs et de mares parsemés sur le plateau granitique. C'est la région des portages, où sauvages et métis passaient du versant mississippien à celui de la rivière Rouge du Nord ou à celui des Grands Lacs canadiens, en portant leurs bateaux par-dessus les seuils, et que l'on traverse maintenant par des voies ferrées. De petites chutes de quelques mètres en hauteur, Pokegama, Little Falls, puis des rapides, indiquaient naguère les degrés successifs du plateau, mais la physionomie du fleuve en était à peine changée, et les cascades ne mêlaient que peu d'écume aux eaux tranquilles; main- tenant les inégalités du fleuve ont été rachetées au moyen de barrages qui retiennent les eaux en de vastes réservoirs d'alimentation pour soutenir le courant pendant la saison des maigres. Les deux principaux bassins sont ceux du lac Winnibigoshish et du lac Leech ou de la « Sangsue ». Ensemble, les quatre réservoirs, terminés en 1890, ont une superficie de 7974 kilo- mètres carrés et contiennent une masse liquide d'environ deux milliards de mètres cubes. La limite du cours supérieur est définitivement marquée par les chutes de Saint-Antoine (Saint Anthony Falls), qui sont plutôt un ensemble de rapides et de cascades ayant une hauteur totale de 20 mètres, sur une lar- geur d'environ 500 mètres. La corniche du haut de laquelle s'élance le courant se compose de plaques d'ardoise reposant sur un grès friable. Cette roche ne peut donc opposer qu'une faible résistance à l'action des eaux, et naguère la chute reculait très rapidement vers l'amont : des amas de blocs détachés des assises supérieures et tombés en désordre au milieu des eaux bouillonnantes témoignent de la vitesse avec laquelle s'accomplis- sait l'érosion. La ville industrielle Minneapolis, et son faubourg oriental Saint Anthony, qui utilisent de part et d'autre la force motrice du fleuve, seraient donc obligés de remonter vers le nord avec la cataracte elle-même si les ingénieurs n'avaient, en 1856, arrêté l'érosion de la 516 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. chute au moyen de digues et d'écluses. Cent soixante-seize années aupa- ravant, Hennepin, le premier blanc qui vit les saults, en laissa une description suffisante pour faire reconnaître leur emplacement; l'arête de la cataracte se trouvait alors à 514 mètres en aval du seuil actuel. Si le recul s'est toujours fait dans les mêmes proportions, sept mille huit cents ans se sont écoulés depuis que le Mississippi s'unissait au Minnesota, en plongeant d'une arête de rocher au pied de la falaise qui porte aujourd'hui le Fort Snelling1. Un petit torrent voisin forme la chute de Minnehaha, T « Eau frissonnante », célébrée dans les vers de Longfellow. C'est au barrage de Saint-Antoine que commence le Mississippi indus- triel et commercial. En aval, les rivières affluentes se succèdent très nom- breuses : à droite, le Minnesota, « Eau Blanchâtre » ou « Nuageuse », ou Saint Peter, le Wapsipinicon, le Cedar, le Turkey, l'Iowa, le Skunk, le Desmoines; à gauche, le Saint Croix, le Chippewa, le Wisconsin ou le « Brun* », le Rock River, et la « rivière des Illinois. » Toutes ces eaux grossissent tellement le Mississippi, que, bien avant sa jonction avec le Missouri, il offre la même largeur que de Saint-Louis au golfe du Mexique. Cependant son cours est interrompu de quelques rapides, ceux de Rock Island et des Moines, — jadis des Moins ; — il s'embarrasse aussi de bancs sableux, et sa profondeur est à l'étiage de 120 centimètres au plus. Sur les rives, de petites falaises calcaires alternent avec des prairies basses, qui furent des lacs ou des méandres du fleuve graduelle- ment comblés ; les sombres forêts de pins du plateau d'origine ont fait place à des arbres aux feuillages plus clairs. Parmi les affluents du grand courant, trois rappellent spécialement l'ancienne période lacustre, caractérisée par un déversement des eaux en directions opposées. Ces rivières sont le Minnesota, le Saint Croix, lllli- nois. La plus haute source du Minnesota naît à 578 mètres sur le versant septentrional d'une nappe d'eau dite lac Travers, qui pendant les saisons pluvieuses s'épanche à la fois des deux côtés, vers le Mississippi et vers la rivière Rouge du Nord, par la vallée de Brown, commune aux deux versants. L'aspect général de la vallée du Minnesota, beaucoup Irop large pour la rivière qui se glisse dans ses fonds, semble indiquer qu'un grand courant venu du nord, peut-être du Winnipeg canadien, passait autrefois dans ce canal ; le seuil actuel de partage ne se compose que de débris glaciaires remaniés par les eaux ; en réalité le Minnesota ou Y « Eau 1 Winchell: — Wright, ouvrage cité. 2 Le « Torrent Sauvage » d'après d'autres étymologistes. . I RIVIÈRES MINNESOTA, SAINT CROIX, DES ILLINOIS. 319 Nuageuse » fut autrefois le grand fleuve dont le Mississippi actuel n'étail que l'affluent. La vallée du Minnesota est la coulière primitive de la contrée, tandis que celle du Mississippi, encore inachevée, coupée de seuils rocheux, date de l'époque postglaciaire. Des terrasses de graviers, sur les hauteurs du versant mississippien, même à 360 mètres au-dessus du fleuve actuel, témoignent de l'abondance des eaux qu'épanchèrent autrefois les glaciers fondants ! . La rivière Saint Croix, humble torrent dans un vaste lit, fut l'émissaire du lac Supérieur, à l'époque où ce bassin, refoulé au sud par les glaces, mais encore fermé du côté de l'est, s'épanchait sur le versant du golfe Mexicain. Quant à la rivière des Plaines, branche maîtresse de l'Illinois, le fleuve des Indiens Illini ou des « Hommes » par excellence, elle appar- tient pour ainsi dire au bassin des Grands Lacs aussi bien qu'à celui du Mississippi. La vallée supérieure, sur un espace de 150 kilomètres, est une ancienne fosse riveraine du lac Michigan : un cordon littoral, jadis percé de brèches, sépare cette étroite lède de la nappe actuelle du grand lac et de tout le système hydrographique du Saint-Laurent. Arrivée à la dépression transversale dont la cité de Chicago occupe l'extrémité, la rivière des Plaine; hésite entre les deux versants presque horizontaux avant de des- cendre vers le Mississippi et s'étalait naguère en de vastes .marais à la pente incertaine : même un bayou, le Calumet, refluait à l'est vers le lac Michigan. Un canal navigable, creusé dans cette dépression à moins de 3 mètres au-dessus du niveau lacustre, à 177 mètres au-dessus du golfe du Mexique, unit maintenant le port de Chicago au cours du bas Illinois, où des bateaux d'un tirant d'eau moyen peuvent voguer en tout temps; même avant la construction de ces travaux d'art, de petites embarcations passaient, après de longues pluies, du lac Michigan dans le Mississippi par la rivière de Chicago. Lors de grands orages, on vit la rifière des Plaines se déverser comme un déluge dans le lac Michigan, emportant en dérive les bateaux de Chicago et renversant les ponts. En aval du confluent, la rivière des Illinois coule dans un lit beaucoup trop large pour son volume actuel, simple filet en comparaison de l'ancien émissaire du lac Michigan. Joli et avait donné au courant de l'Illinois le nom de rivière « Divine », non à cause de la vénération que professaient les indigènes pour ce cours d'eau à double versant, mais par simple allu- sion flatteuse au surnom de Mme de Frontenac*. 1 F. Wright, ouvrage cité. » Francis Parkman, La Salle; — Gabriel Gravier, Revue de Géographie, février 1880. 320 HODVELLE GÉOGRAPHIE l'NJVEfiSELLK. À 38 kilomètres en aval du confluent de l'Hlinois, une masse liquide autrement considérable, celle du Missouri ou du Missisouri', appelé aussi Petikanoui ou « Fleuve bourbeux » par les indigènes que visitèrent les premiers voyageurs fran- m* m. — sEmi. de u Hèlent ras illiwis çnïs , rejoint le courant ATAïr la satmmtm n* MKioo. mississippien, à plus de ■ 2000 kilomètres de ses sources sur le plateau la- custre. Le Missouri même naît à 4847 kilomètres de la jonction, dans le cœur des montagnes Rocheuses, à l'ouest des chaînes ma- jeures et par conséquent du faîte continental. 11 ne parvient à rejoindre le Mississippi que par des cluses profondément creu- sées à travers les reniparts des monts; les vallées ne semblent nullement avoii été indiquées d'avance par les dépressions ou les plis- sements du sol primitif : ce sont plutôt des percées dont la direction, tout à fait indépendante de celle des axes montagneux, coupe transversalement les noyaux granitiques et les couches successives des roches dé- è " ' " J, kli posées plus lard et recou- vertes çà et là par les épanchements de matières ignées. Le courant supérieur du fleuve, com- mençant dans un petit lac des plateaux montueux, non loin de l'une des sources de la rivière colombienne dite Snake River, n'est pas désigné sous le nom de Missouri; c'est le Red Rock River, qui s'unit au Big Hole a*cJ2SÂi*m l&vfarqtr^sv ' Alexandcr Mackeniie, Voyages dam l'intérieur de l'Amérique septentrionale. SOURCES DU MISSOURI. 331 et à d'autres torrents pour former le Jeflerson, la branche maîtresse du fleuve; mais, à l'exemple de Lewis et de Clarke, qui découvrirent cette région des sources missourieunes au commencement du siècle, les habi- tants du Montana n'appliquent l'appellation de Missouri pour désigner le Jeflerson que dans la plaine alluviale où ses eaui se réunissent à deux autres rivières, le Madison et le Gallatin. Ces noms patriotiques ont été conservés, mais on a oublié ceux des affluents mis sous le patro- nage des vertus et des sciences, tels que Wisdom, « Sagesse », Pbilosophy et Pbilanthropy. A l'est du Confluent, des escarpements calcaires en forme de tours super- posées dominent le lit commun, issue de l'ancien lac où les courants se déroulent entre les îles boisées. Des trois « fourches » (Three Forks) ou rivières affluenles, le Gallatin, la branche orientale, est la seule qui naisse 322 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. à Test de la grande chaîne; les deux autres courants, Madison, la rivière du milieu, Jeflerson, la rivière occidentale, prennent leurs premières eaux à l'ouest de la crête majeure. Les trois vallées se composent égale- ment d'une succession de bassins lacustres disparus, unis par des brèches d'érosion. Les masses liquides, beaucoup plus abondantes jadis, ont sculpté les cirques supérieurs, laissant dans les anciennes dépressions quelques terrasses étagées qui marquent le retrait successif des eaux gla- ciaires. Les terres déposées dans les fonds et renfermant les débris des roches érodées sont en maints endroits formées de couches à sables d'or : une seule combe tributaire du haut Jeflerson, l'Aider Gulch, a fourni plus de 150 millions en métal pur1. Pourtant la grande célébrité de la région des sources missouriennes ne lui vient point de cette Californie : ce sont les phénomènes naturels, eaux thermales, fumerolles, dépôts de sédiments siliceux et calcaires, geysirs ou jets intermittents de vapeurs et d'eaux brûlantes, qui ont valu à cette contrée le nom de « Terre des Merveilles » et qui l'ont fait circon- scrire comme un lieu sacré appartenant à l'ensemble de la nation. Depuis longtemps déjà on avait entendu parler vaguement des étonnantes fon- taines de celte région : sur la carte de leurs itinéraires publiés par Lewis et Clarke au commencement du siècle, les mots de « soufre, sources ther- males » marquent l'emplacement maintenant devenu si fameux. Un trap- peur, Couller, vit ces merveilles vers 1810, mais ses récits trouvèrent peu de créance et furent vite oubliés. Cependant un autre pionnier décou- vrit à nouveau 1' « Enfer de Coulter » en 1844, et depuis celte époque tous les blancs qui le parcoururent ajoutèrent quelques détails à la légende; mais les superstitieux Indiens ne les aidaient point dans leurs recherches : ils voyaient dans la danse des vapeurs celle des mauvais esprits. Enfin, en 1869, eut lieu la première exploration spéciale, celle de Cook et Folsom; puis, deux années après, un corps de savants, dirigé par le géologue Hayden, s'occupa de dresser l'inventaire des sources et autres curiosités naturelles, et leva la première carte sérieuse de la contrée. Quand ils furent revenus avec leurs albums de photographies, de plans, de dessins, ce ne fut qu'un cri d'admiration dans toute la société américaine, et le Congrès vota d'acclamation la mise en réserve du terri- toire comme propriété commune de la nation. Ce territoire occupe, sur le faîte de partage, entre le Missouri et la Colombia, plusieurs hautes vallées d'une altitude moyenne de 2250 mètres; il appartient aux deux versants 1 F. V. Hayden, Bulletin of Ihe V. S. Geological Suiveyt vol. H, n* 3. HAUT HlSSOUItl. 325 des mon Lignes Rocheuses et les phénomènes qu'on y admire proviennent d'un foyer volcanique souterrain dont l'action s'est fait sentir principale- ment sur le versant du Pacifique et qui doit être décrit spécialement dans l'orographie des Rocheuses. En aval de la jonction des Trois Fourches, le Missouri coule d'abord dans la direction du nord en prolongement des rivières affluentes, mais encore en deçà de la chaîne maîtresse des Rocheuses, appelée en cet en- droit Snow Mounlaius. La gorge de sortie, que Lewis et Clarke ont appelée la « Porte des Rocheuses » (Gâte of the Itocky Mountain»), s'ouvre entre des parois de granit se dressant d'un jet à près de 400 mètres au-dessus du fleuve. Le Ht du Missouri, encaissé entre ces sombres murailles, a tout au plus 150 mètres de largeur, et de loin en loin seulement on trouve eolre les rochers et le courant un point d'appui de dimensions suffisantes pour qu'un homme puisse s'y tenir debout. Mais à l'issue du défilé la tra- versée des monts n'est pas encore faile; le Missouri doit encore fran- chir les chaînons avancés par de nouvelles cluses ; là se trouvent les bar- 394 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. rages de rochers d'où le Missouri descend par une succession de cataractes. La série des sauts et des rapides, d'une hauteur collective de 50 mètres se développe sur une longueur d'environ 18 kilomètres, et la dernière cascade, the Great FalU est précisément la plus belle; elle plonge de près de 24 mètres en une seule nappe. Pendant la saison des crues, les bateaux remontent jusqu'à la base même de la chute, ils voguent aussi sur le cours d'amont jusqu'aux Trois Fourches ; mais la tête de la navigation ordi- naire,se trouve à 100 kilomètres plus bas, à Fort Ben ton, près de l'embour churedes rivières Teton et Marias, de l'Ours ou Bear River, à l'endroit où le fleuve, décrivant une dernière courbe vers le nord-est, à travers les «Mau- vaises Terres » et les avant-plateaux des Rocheuses, commence à s'orienter vers le Mississippi. Dans cette partie de sa vallée, en amont de soc con- fluent avec le Yellowstone, le Missouri reçoit plusieurs cours d'eau né*ea territoire canadien, Milk River, White Mud, Poplar, Big Muddy. La vraie frontière suit le renflement de croupes où sourdent ces rivières, les mon»' tagnes Cyprès et les Wood Mountains, jadis le refuge des Indiens Siotuu Le puissant fleuve que les trappeurs canadiens appelèrent « Pierre Jauoar» et dont les Anglo-Américains traduisirent le nom en celui de Yellowstatt constitue, après le Jeflerson et les « Trois Fourches », la branche maiUrçp|| de la haute ramure du Missouri : il est aussi plus connu, grâce aux iRJp» veilles du « Parc National » comprises partiellement dans son Hilifr Le Yellowstone l'emporte sur le Jeflerson par son origine sur un çûflf! des Rocheuses bien marqué comme centre de rayonnement des eaux, ttjfr deux bassins du Mississippi et de la Columbîa entremêlent leurs htM» vallées en dents de scie sur le faite irrégulier des deux versants ; mêfll il existerait des mares et des prairies Altran tes d'où les eaux s'épitt» chent en divergeant vers les deux mers opposées. Le col dit Two OcNtfH Pass ou « des deux Océans » est une de ces vallées d'érosion à doolie pente à peine indiquée. Des herbages spongieux, recouverts d'une nafipe lacustre pendant les pluies, occupent le faite presque horizontal du cal* haut.de 2465 mètres, et de part et d'autre, des montagnes de Testât A l'ouest, descendent des ruisselets, unis par leurs sources d'amont et bifurquant dans leur cours, de manière à former un losange d'eaux rantes autour des prairies de la cime : le torrent qui se forme au nord est l'Atlantic Creek, tributaire du golfe Mexicain par le Yellowstone, 1e Missouri et le Misssissippi ; le torrent du sud est le Pacific Creek, affluent du Pacifique par le Snake River et la Columbia*. Plus au sud, dans les 1 F. V. Hayden, The Two Océan Pats, Bulletin of the Geological Survey, vol. V, 1879 ( GriTurc Jt Boiter, d'iprès une pliolograpliie communiquée |ur H. Couvau MISSOURI ET YELL0WST01NE. 531 montagnes de Wind Hiver, où naît la rivière de même nom, l'une des branches maîtresses du Yellowstonc par le Big Ilorn, les hautes sources du Colorado, appelé en cet endroit Green Hiver, jaillissent à une faillie dis- tance des eaux du versant mississippien, pour descendre au sud vers le golfe de Californie; d'autres fontaines coulent à l'ouest vers la Columbia. Le pic intermédiaire. Union Pcak, ainsi nommé par Haynolds', doit être 1 1. A. llumphrrçi and II. L. Abbot, Phytict ami Hgtlrauliet o{ ihe Hitsiasippi Riter. 338 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. considéré comme le centre principal des États-Unis pour la divergence des eaux courantes. La source principale de la « Pierre Jaune », Upper Yellowstone, s'écoule au nord-ouest vers un bassin lacustre que des montagnes dominent de toutes parts : c'est le lac Yellowstone (2263 mètres), qui par sa forme semble être plutôt une réunion de lacs se ramifiant en éventail au sud et au sud-ouest; le lac Eustis, indiqué dans cette région par Lewis et Clarke, se trouve à peu près à l'endroit occupé réellement par le Yellowstone. Des îles, les unes plates, les autres montueuses, interrompent la nappe bleue par leurs masses de verdure; le sable de la rive se compose presque entière- ment de grains et d'aiguilles d'obsidienne et de petits cristaux dits « dia- mants de Californie1 ». Point de coquillages sur les bords de ce lac, pro- fond de 90 mètres ; on n'y trouve d'autre poisson que la truite. A la sor- tie, vers l'extrémité septentrionale du lac, le courant s'échappe par une gorge étroite entre deux plateaux de lave où les sources thermales jaillis- sent en fumées vaporeuses, puis glisse sur un plan incliné pour tomber par une succession de chutes grandioses au fond d'une cluse ou canon qui se creuse de plus en plus au-dessous du plateau et dans laquelle des torrents latéraux plongent également en cataractes. La chute supérieure tombe en nappe d'une hauteur de 43 mètres, puis à 800 mètres en aval le Yellowstone s'écroule d'un jet à 120 mètres de profondeur entre les murs d'une gorge qui se dressent à plus de 200 mètres. Plus bas, les parois du canon, formées de deux étages en retrait, s'élèvent en certains endroits à 800 mètres; des pins croissent en bordure sur l'arête, et s'accrochent aux corniches du rocher; des efflorescences de soufre recouvrent la pierre d'un jaune éclatant et se mêlent aux stries et aux nappes ferrugineuses multi- colores déposées par les eaux minérales qui s'épanchent des escarpements. Au-dessus de la cluse on reconnaît aisément les terrasses qui furent autre- fois les rives du torrent de sortie, après la fonte des glaces qui recou- vraient tout le bassin supérieur. Puis les montagnes s'abaissent à droite et à gauche et le Yellowstone entre dans les plaines, dominées au nord par les promontoires du Big Belt, au sud par ceux du Big Horn. D'après Raynolds, la rivière porte canot pendant trois mois, lors de la fonte des neiges, de la sortie des montagnes au confluent. En aval du Yellowstone, le Missouri est déjà, à plus de 2000 kilomètres du Mississippi, tel qu'il se montrera dans tout son cours inférieur; sauf la profondeur, qui s'accroît suivant la pente et qui finit par atteindre une 1 F. Hayden, Gealoyical Survey of Montana, etc., 1872. MISSOURI ET YELLOWSTONE. 529 vingtaine de mètres au confluent, les dimensions restent les mêmes : le fleuve garde son caractère dans la longue traversée des steppes et des prai- ries. Le lit majeur des crues, indiqué par des berges parallèles, distantes de plus d'un kilomètre, serpente dans la plaine, enfermant dans sa coulière an deuxième lit, beaucoup plus étroit, qui décrit ses méandres d'une rive à l'autre, tantôt en anses régulières, tantôt en sinuosités bizarres, accom- pagnées d'étangs, de fausses rivières, de bayous; des îles, des bancs de sable se succèdent; des bouquets, des lisières de grands arbres ombragent les rives, que baigne un courant permanent pendant de longues années, tandis qu'ailleurs les broussailles ou les herbes annuelles sont empor- tées par le flot du printemps. Les rivages de terre alluviale, formée des sables et des argiles que les torrents ont enlevés aux avant-plateaux des Rocheuses, changent de relief chaque année, et l'eau, sortie pure et transparente des cluses de la montagne, reste jaune du limon qu'elle porte incessamment des lieux aflbuillés aux bancs en formation. La pente générale du sol détermine l'orientation des affluents du Mis- souri. Entre les montagnes Rocheuses et la dépression médiane du con- tinent le versant est double : d'un côté, les terres s'inclinent de l'ouest à l'est vers la coulière du Mississippi; de l'autre, elles penchent du nord an sud, du faîte général de partage vers le golfe du Mexique. Le Missouri lui-même suit d'abord la première direction, puis, arrêté par la longue pro- tubérance dite Coteau du Missouri, il se reploie au sud et au sud-est, parallèlement au courant de son rival le Mississippi, et finit son cours en reprenant la direction normale de l'ouest à l'est. Les rares affluents qui rejoignent le Missouri sur sa rive gauche, tels que le Dakota — ou. James River, — et le Big Sioux, descendent du nord comme le Mississippi; les autres cours d'eau, beaucoup plus nombreux, qui entrent dans le Mis- souri par sa rive droite, dans le vaste demi-cercle qu'il décrit de Fort Benton à Kansas City, s'orientent de l'ouest à l'est, à l'exception du Little Missouri, qui coule parallèlement au Yellowstone. La rivière Cannon Bail ou des « Boulets de Canon » a reçu cette bizarre appellation à cause des concrétions globulaires de grès que roule son courant et qui recouvrent ses grèves. Les boules ont toutes les dimensions, de la balle de pistolet à celle d'énormes globes, d'une circonférence de plusieurs mètres; on en trouve de ramées comme des haltères, de forme aussi ronde que si elles avaient été fabriquées de main d'homme. Un autre affluent du Missouri, While River ou la « rivière Blanche », est ainsi nommé de la couleur laiteuse qu'il prend à son passage dans les « Mauvaises Terres ». En amont de cette rivière, notamment à Manda n, la débâcle des glaces, for- I n i1 .» I I I \ i 550 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. mant barrage aux tournants du fleuve, cause souvent des inondations destructives. À l'exception d'un seul, la Platte ou Nebraska, qui par ses affluenls du nord naît dans les plateaux intérieurs des montagnes Rocheuses, au milieu des espaces déserts et des « parcs » que limitent à l'est les pics du Colo- rado, tous ces tributaires du Missouri, BigCheyenne, White River, Niobrara, Kaw ou Kansas, c'est-à-dire la « Fumeuse », prennent leur origine à la base orientale de la grande chaîne des monts et s'écoulent par une pente égale, semblables par la faiblesse de leur débit et la longueur de leur sillon d'écoulement. La Platte, ainsi désignée par les trappeurs canadiens, d'un mot qui traduit le terme algonquin de Nebraska, est le type de ces rivières « plates » dont les minces nappes s'épanchent en un lit très étendu, for- mant une large zone de verdure, herbeuse sur les bancs, arborescente dans les creux, entre les deux plaines bordières à végétation plus maigre et plus rare. En maints endroits, la Platte n'a pas moins de 15 ou 16 kilo- mètres de berge à berge ; sa coulière forme le chemin de 850 kilomètres en longueur qui du bas Missouri se dirige vers les montagnes Rocheuses : les émigrants le prenaient jadis, poussant devant eux leurs convois de mules et leurs chars attelés de bœufs; maintenant un des chemins de fer transcontinentaux s'accote le long de la rive. Alimenté par ces rivières au maigre flot, dont quelques-unes en été ne sont que des chapelets de mares, le Missouri lui-même n'est pas, à son con- fluent avec le Mississippi, un fleuve aussi considérable que pourrait le faire croire la longueur de son développement, comparé à celui des autres cours d'eau du bassin : par la surface, il représente la moitié de l'aire mississip- pienne par l'écoulement seulement un cinquième, soit environ 5500 mètres cubes à la seconde, ce qui fait déjà le double d'un fleuve comme le Rhône, le sextuple de la Seine. Cependant la navigation n'utilise guère le Missouri que dans la partie inférieure de son cours : en hiver les glaces, et quel- quefois en été les sécheresses, par l'insuffisance des neiges fondues dans les vallées des Rocheuses, empêchent les bateaux à vapeur de remonter plus haut que le Niobrara. Le confluent des deux grands fleuves, Mis- sissippi et Missouri, offre un magnifique spectacle pendant la saison des crues, alors que les courants rapides, larges de plus d'un kilomètre chacun, se heurtent et mêlent leurs eaux en vastes tourbillons. La ligne j ondulée qui sépare le jaune Missouri du Mississippi bleu change ses courbes j et ses spirales selon la force et la direction des remous. Sur la zone même du confluent, l'eau missourienne, pesante d'alluvions, s'introduit sous l'eau plus limpide du Mississippi, puis, repoussée par le courant, MISSOURI, l'LATTK. remonte en gros Bouillons que l'on dirait solides et qui ont l'aspect de marbres diversement colorés, suivant la teneur du mélange. Longtemps les deui fleuves roulent côte à côte sans se confondre, et bien loin en aval du confluent on voit encore l'eau relativement pure du Mississippi ramper le long de la rive gauche. A la fin, l'union s'opère, et le courant, tout chargé d'argile en suspension, descend vers la mer comme une bouc liquide : c'en est fait de la transparence de l'eau. Pendant ie siècle, le 332 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. confluent des deux fleuves s'est déplacé d'environ 13 kilomètres vers le sud ' . En aval de la jonction, les courants unis des deux fleuves ne sont pas encore sortis de la région des collines. Après avoir passé, à 1910 kilomè- tres en amont des bouches, sous les travées des deux ponts de Saint-Louis, les derniers des quinze viaducs construits sur le Mississippi, la puissante masse liquide vient encore se glisser au pied de falaises calcaires qui rétré- cissent le lit fluvial, et dont quelques-unes s'élèvent à 60 mètres au-dessus de l'étiage : plusieurs de ces rochers, formés d'assises horizontales d'iné- gale dureté, présentent une série d'arcades superposées dont les pleins cintres sont profondément creusés dans le roc, tandis que les colonnes s'arrondissent en relief et avec symétrie sur la paroi. Ces colonnes pro- viennent de dépôts qui ont graduellement rempli les fissures verticales du rocher, encadrant ainsi les arcades excavées dans les couches friables et pareilles aux ouvertures régulières d'un monument. Les falaises de la rive droite, dont le Mississippi ronge la base, sont les escarpements extrêmes des monts Ozark, qui se prolongeaient autrefois vers l'est pour se rattacher aux ondulations du sol dans l'Illinois et l'Indiana, el que le fleuve a graduellement percés pour s'ouvrir un passage. À Grand Tower, roche en forme de tour qui se dresse au milieu même du courant, on voit à 40 mètres au-dessus du Mississippi la ligne circulaire d'érosion tracée par les eaux. Depuis Schoolcraft, tous les géologues ont admis l'hypo- thèse que le courant fluvial, retenu jadis par ce barrage de l' Ozark, s'éta- lait du côté d'amont en un vaste lac, couvrant jusqu'à Prairie du Chien les plaines du Missouri, de l'Iowa, de l'Illinois et du bas Wisconsin. Ce bassin se réunissait probablement aux Grands Lacs, Michigan, Huron et Erie, qui, de leur côté, étaient limités à l'est par les rochers du Niagara, ne livrant pas encore passage à la cataracte. Il fut un temps où les eaux de la mer intérieure, au lieu de s'épancher par le lit du Saint-Laurent, étaient entraînées par un autre Niagara, la chute mississippienne plon- geant du haut des rochers de l'Ozark. Cette chute aura graduellement reculé vers l'amont, comme recule aujourd'hui le Niagara, et en même temps le niveau du bassin lacustre aura diminué peu à peu, les deux cu- vettes du Michigan et du Mississippi se seront séparées, puis l'érosion complète du barrage aura fini par égaliser la pente et changer complète- ment le lac en fleuve. La disparition du vaste réservoir d'amont a modifié le régime du Mississippi, dont les eaux, clarifiées naguère dans le bassin, res- 1 Mark Twain (Cléments), Life on the Mississippi. MISSISSIPPI, 0II10. 333 lèrent troubles et jaunâtres et lurent soumises à un plus grand écart annuel entre les maigres et les crues1. Sur la rive droite s'élève le cap Girardeau, la dernière falaise de l'Ozark, et des bayous mississippiens s'échappent immédiatement en aval vers les terres basses du Saint Francis. Sur la rive gauche, c'est à Commerce, village insignifiant qui justifie peu son nom, que le Mississippi baigne la colline la plus méridionale de l'Illinois et passe pour la dernière fois sur un lit de rochers. En aval, la plaine, un moment interrompue par les étrangle* ments de Herculanum et de Grand Tower, recommence avec de plus vastes proportions qu'en amont de Saint Louis et déroule jusqu'à la mer, sur une longueur de 1800 kilomètres, la série triste et uniforme de ses grands bois. La bouche de l'Ohio inaugure dignement cette plaine d'allu- vions. Là le voyageur pourrait se croire transporté dans la mer au milieu d'un archipel. De quelque côté qu'il dirige son regard, il voit de vastes étendues d'eau allant se perdre vers l'horizon : au nord-ouest un bras du Mississippi, au nord un autre bras non moins large, à l'est le puissant Ohio, au sud le vaste canal où viennent se mêler les eaux des confluents. Les pointes et les iles vertes apparaissent dans le lointain comme les rives indécises d'un lac ou plutôt comme des forêts flottantes : la ville de traûc construite au milieu du dédale, Cairo ou « le Caire », s'est entourée en vraie citadelle de murs énormes qui la défendent pendant les crues contre l'envahissement des eaux. L'Ohio est, de toutes les rivières du versant mississippien, celle qui res- semble le plus aux rivières de l'Europe occidentale; aussi les premiers voyageurs français, heureux de retrouver des sites qui leur rappelaient ceux de la patrie, donnèrent-ils à l'Ohio, confondu longtemps avec le Wabous- kigon ou Wabash *, le nom de « Belle Rivière ». Les collines de ses rivages sont doucement inclinées et couvertes d'arbres des mêmes genres que ceux de l'Europe; les villes et les villages parsèment les bords, et les champs cultivés, les groupes de vergers se succèdent en paysages d'une grâce monotone. Le cours de l'Ohio se divise en trois parties nettement caractérisées. Dans la région supérieure du bassin, aucune rivière n'a pris le nom de fleuve; les deux branches, l'Allegheny et la Monongahela, — la « Mal En- gueulée » des anciens voyageurs français3, — sont considérées comme ayant également droit au titre de rivière maîtresse. La plus longue, l'Alle- 1 A. A. lluinphrcys and 11. L. Abbot, ouvrage cité. * J. G. Kohi, Geschichte der Entdeckung Atnerihas. s FVnin du Lac, Voyage dans le$ Deux Louisiane*. 534 NOUVELLE GÉOGUAPIIIE UNIVERSELLE. gheny, que rétrécissent en berges artificielles les scories rejelées par les usines riveraines, ne naît pas dans les montagnes du même nom; elle prend son origine dans le petit lac de Chautauque, près du lac Erie, mais à quelques centaines de mètres au-dessus de son niveau, et, descendant au sud par une succession de vallées étroites, s'unit à la seconde branche - de l'Ohio supérieur, la Monongahela. La grande cité de Pittsburg et d'autres villes industrielles se pressent au confluent, suscitées moins par les avantages commerciaux des voies navigables que par les richesses houillères de la contrée. Quant à la Monongahela, grossie de la Youghiogheny, elle recueille ses eaux de neige et de pluies dans les hautes vallées des Alleghanies, puis elle serpente dans une vallée comprise en entier dans les roches carbonifères : les couches apparentes du combustible se développaient naguère comme de longs rubans noirs sur la berge même de la rivière, et pouvaient être exploitées à quelques mètres des bateaux de transport. L'étude des terrains glaciaires dans le haut bassin de l'Ohio a démontré que la ligne de partage entre le versant du Saint-Laurent et celui du Mississippi a probablement changé par l'effet des glaces. Le faîte de séparation entre les eaux courantes borde main- tenant le lac Erie à la distance de 15 à 50 kilomètres seulement, tandis qu'avant l'époque glaciaire il en était deux ou trois fois plus éloigné. Même le Saint-Laurent avait alors le lac Chautauque pour tributaire1. En aval de Pittsburg commence le cours moyen de l'Ohio, entre des cam- pagnes qui recouvrent des formations dévonienne et silurienne. Des villes populeuses sont assises sur les bords, bâties pour la plupart à l'issue de vallées fluviales. Les affluents venus du nord, tels le Muskingum, le Scioto, les deux Miami, descendent comme l'Allegheny de la terrasse par- semée d'étangs qui longe la rive méridionale du lac Erie et qui se pour- suit à l'ouest jusqu'au sud du lac Michigan. Les rivières du sud naissent, comme la Monongahela, dans les hautes combes longitudinales de la chaîne des Appalaches ou du moins dans ses avant-monts. La Greal Kanawha, la plus abondante de ces rivières, traverse des régions sali- fères, de même que le Licking, l'affluent dont Cincinnati domine l'em- bouchure : ce nom de Licking, ainsi que le terme indien de Mahoning, rappelle les lickings ou lich, les « lècheries de sel » que visitaient autre- fois les mastodontes et les bisons : les géologues ont retiré de ces gisements d énormes quantités d'os fossiles. Lorsque les glaces formaient barrage à l'Ohio, à l'endroit où Cincinnati se trouve de nos jours, les eaux amassées 1 F. Wïighl, ouvrage cité; — G. von Rath, Pennsylvanie». OHÏO, LICKING, KENTUCKY, WABASH. 535 enamonl s'épanchèrent pendant longtemps au sud par les vallées du Lic- kinget du Kentucky1. Parmi les affluents méridionaux de l'Ohio, le plus connu est cette rivière de Kentucky, dont l'un des États fédérés a pris le nom. Elle s'unit à l'Ohio en amont des chutes de Louisville, qui marquent la limite naturelle entre le cours moyen et le cours inférieur du fleuve. Un banc de corail, dont les rameaux sont encore aussi aigus et ramifiés que s'ils venaient d'être formés, interrompt le courant par une succession de rapides dangereux, ayant ensemble un peu plus de 6 mètres de dénivella- tion sur un espace de 5 kilomètres en longueur. Pendant les hautes crues, ces rapides disparaissent entièrement; mais aux maigres la navigation devient impossible dans le lit fluvial, et l'on doit tourner les chutes par l'un ou l'autre des canaux riverairfs creusés latéralement à l'Ohio. Le corail de Louisville rappelle une époque bien ancienne de la Terre : c'est probablement à la (in de la période dévonienne que le courant Golfier, entrant par la large porte où passe actuellement le bas Mississippi, se diri- geait au nord vers la mer de Hudson*. Le long du cours inférieur la plaine s'élargit et devient complètement alluviale, les collines ne l'accompagnent plus que de loin ; les bouches des rivières affluentes se cachent derrière des îles et des péninsules boisées. Au nord, le principal tributaire est le Wabash, le « Ouabache » aux eaux calmes, qui porta si souvent les canots d'écorce des voyageurs canadiens ; au sud se déverse la « rivière Verte », Grcen River, gonflée par des ruis- seaux superficiels et par des courants souterrains, qui proviennent d'innom- brables cavernes et de la fameuse grotte du Mammouth. Green River prend sa source dans les campagnes gracieusement ondulées du Kentucky, mais les deux autres rivières qui, plus bas et sur la même rive, rejoignent l'Ohio, appartiennent à la région des Appalaches par leurs torrents supé- rieurs. Le Cumberland reçoit ses eaux des montagnes de même nom ; le Tennessee, d'après lequel est désigné l'un des États nord-américains, naît beaucoup plus avant dans le cœur des monts : les diverses rivières maîtresses qui le forment, Clinch River, Holston, French Broad, et qu'a- limentent les neiges des Roan Mountains et autres grands sommets, coulent d'abord dans les vallées longitudinales des Appalaches du sud et descendent au sud-ouest comme pour aller se jeter dans le golfe du Mexique : ces régions sont parmi les plus charmantes, les plus pittoresques 1 F. Wright, ouvrage cilé. 1 Nalhaniel S. Shaler, Aspects of the Earlh. 536 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. des États-Unis, mais aussi les moins visitées ; dans son cours supérieur le Clinch plonge sous une galerie naturelle de plus de 800 mètres en largeur, sur laquelle passe un chemin de fer. Après la jonction de ses divers affluents, le Tennessee continue de couler dans cette direction, puis brus- quement, au lieu d'entrer dans une dépression qu'emprunte une des eaux affluentes de l'Àlabama, il se reploie vers l'ouest, et décrit une vaste courbe vers le nord-ouest pour embrasser dans sa demi-circonférence celle du Cumberland, beaucoup plus étroite. Presque parallèles dans leur cours inférieur, les deux rivières débouchent dans l'Ohio à peu de distance l'une de l'autre. En aval, les eaux unies des divers courants ressemblent moins à une rivière distincte qu'à un estuaire du Mississippi, et quand l'Ohio confond enfin son onde bourbeuse avec celle du grand fleuve, il a déjà perdu tout caractère d'individualité. Les bassins du Tennessee, du Kentucky, et spécialement Green River, sont devenus fameux par les formations calcaires carbonifères dans les- quelles les eaux ont creusé le labyrinthe de galeries souterraines les plus vastes et les plus ramifiées que l'on connaisse. Quelques-unes seulement de ces cavernes ont été explorées, mais les recherches incomplètes ont suffi pour démontrer que le développement total des allées obscures creusées par les eaux dans le Kentucky, le Tennessee et l'Indiana dépasse de beaucoup le pourtour de l'équateur terrestre. Dans ces campagnes les eaux superficielles manquent : nulle part on ne voit de sources ni de ruisseaux, mais le sol mamelonné se creuse cà et là en bétoirs, dans lesquels fuient les filets liquides des averses, et qui communiquent avec les galeries souterraines. Toutefois, dans un grand nombre de fermes, ces gouffres, fort dangereux pour le bétail, ont été obstinés à l'entrée ou maçonnés de manière à former des réservoirs où s'amassent les eaux de pluie. Le creusement des cavernes fut certainement hâté par l'existence des forets qui recouvraient autrefois tout le pays : la pluie tombait à tra- vers le feuillage et suintait dans les couches décomposées des feuilles et des branchilles, s'y chargeant en abondance de gaz acide carbonique, — bioxyde de carbone, — qui exerce une action des plus puissantes pour dissoudre les rochers calcaires et ferrugineux1. De toutes ces grottes, la plus vaste et la plus connue a été désignée sous le nom de Mammoth Cave, la « caverne du Mammouth ». Elle s'ouvre non loin de la vallée que parcourt la rivière « Verte », Green River, tributaire de l'Ohio : une partie des eaux, fuyant par les fissures de la pierre, se 1 Nathaniel S. Sbalcr, ouvrage cité. owo, tehnesseb, grottes du kentucky. 337 perd dans les avenues souterraines. La galerie principale de Mammoth Care se prolonge à une quinzaine de kilomètres, mais l'ensemble du labyrinthe connu jusqu'en 1856 comprend plus de 200 allées, ayant une longueur totale de 240 kilomètres, et le vide des rochers représente un cube de 11 milliards de mètres cubes*. Salles à hautes coupoles, nefs ogivales ou à plein cintre, voûtes à pendentifs comme dans l'Mhambra, colonnades de stalagmites, groupes de statues gigantesques, fines broderies des roches, couloirs étroits et périlleux escaliers, cascades tonnantes, lues et torrents, la grotte du Mammouth a toutes les merveilles du monde souterrain; cependant elle n'a pas de dames aussi élevés que ceux de la grotte de Postoina et de plusieurs autres cavernes européennes; la plupart des galeries ont le plafond assez bas. Des mastodontes avaient leur retraite dans les antres du Kentucky, et peut-être leurs restes ont-ils valu à la grotte le nom qu'elle porte aujourd'hui, à moins que, suivant la mode des Américains pour désigner tout ce qui est grand, cette appellation de ' Dalr D. th.cn, Ceology of Kentucky. 558 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. « Mammouth » ne soit due aux énormes dimensions des souterrains. En des cavernes voisines on a découvert aussi des squelettes d'hommes et quelques débris de leur industrie, notamment des espèces de sandales. Lors de là période glaciaire, des amas de graviers apportés par les eaui ont pénétré dans les allées et en ont comblé plusieurs1. • Les habitants actuels de la grotte sont le siredon ou axolotl, analogue à ceux des lacs mexicains, et diverses espèces de poissons aveugles1. Chez les chologaster, la cécité n'est pas toujours complète : on en rencontre par- fois quelques-uns dans les fossés du Sud, qui voient imparfaitement; mais, dans les grottes, l'œil, devenu inutile, s'atrophie en entier. L'am- blyopsis, de teinte blafarde, probablement d'origine océanique, long d'un décimètre environ, a l'appareil visuel si peu développé, qu'on ne peut le découvrir que par l'autopsie, en enlevant une membrane épaisse qui le recouvre. Mais un autre sens remplace celui de la vue : les papilles nerveuses qui arment la tête avertissent l'animal des moindres mouve- ments du milieu dans lequel il se trouve. Une même transposition des sens a été observée sur tous les organismes de la faune invertébrée découverts dans la grotte du Mammouth : crustacés, insectes, arachnides, vers et myriapodes ; chez ces êtres devenus aveugles le toucher se montre extrêmement sensible. Certaines espèces ont encore des traces d'yeux ou de neris optiques, notamment celles qui vivent dans les régions des grottes les moins éloignées de la lumière; l'oblitération graduelle, puis la disparition de la vue se font diversement suivant les espèces. L'obscurité diminue aussi ou supprime les pigments colorés chez les habitants des cavernes : à quoi serviraient les yeux ou l'éclat des couleurs dans ce monde ténébreux? On a constaté un très grand contraste entre la faune des cavernes de l'Amé- rique du Nord et celle des grottes de l'Europe3. Les dernières sont de beaucoup les plus riches. L'Ohio est un cours d'eau fort peu régulier dans ses allures. En un même mois de deux années différentes, le débit du courant a parfois varié du simple à l'octuple. Souvent aussi les inondations sont redoutables, et sous le pont de Cincinnati on a vu le flot de l'Ohio, large de 500 mè- tres et profond de 18, descendre avec une rapidité de 10 kilomètres à l'heure. Dans une même année, le niveau des eaux peut varier de quinze, de vingt mètres, et même en 1887 la différence de niveau entre les hautes el les basses eaux atteignit 21 mètres 26, tant les extrêmes de tempéra- 1 Poussielgue, Tour du Monde, 1863. * Amblyopsi* spclœus, Typhlihthys subterraneus, chologaster comutus, chologaster Âgauizii. 5 À.-S. Packard, The Cave Fauna of Norih America. '»} 0H10, MISSISSIPPI. 541 ture et d'humidité réagissent sur le régime hydrologique du bassin : lors des inaigres de sécheresse, il n'y a plus, au fil du courant, que 60 centi- mètres d'eau1. On conçoit combien de pareilles variations peuvent être funestes : du jour au lendemain, la navigation s'interrompt sur l'Ohio et ses affluents, c'est-à-dire sur urïe longueur navigable que l'on évalue à H» M. — J0KCTI05 DIS RIVIÈRES AU CENTRE DE LA VALLÉE NI8SISSPPIENNE. 95" Ouest de Paris 90* 5? JSv' \?**^\s // , t\ S"\\ S \/^r/^L \\ 1 ( 39" xvL \ Y^^ \\ J$f ^^^^kb^Lj. iff ~7 VinceiWe* S^ ^^5^^^ .^^9k5aT_ K- # SwÊa ■ '^J^. j ^/ ' 7brriralia ( \ J 1 i(l_ 1 1 ^^""^"^^^ - V,"^"^ ^v\ S»i V'/^ 37- \ / Yv T^ J* - f £ "^^ lt • ykJ&fc' fi^. 37* 90a Ouest de Greenwîch 87* C. Perron 1 S «00 000 — I îoo kil. 3670 kilomètres. Aussi les oscillations de l'Ohio, toujours fort à craindre pour les riverains, causaient-elles les plus pressants soucis aux commer- çants américains avant que la construction de voies ferrées, si nombreuses, eût diminué dans une certaine mesure l'utilité des fleuves comme voies de transport. On n'a jusqu'à maintenant tenté de réaliser aucun des pro- jets élaborés, soit le creusement d'un canal écluse sur l'une ou l'autre Popnlar Science Monthly, April 1891 542 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. rive, soit la formation de bassins de retenue dans les hautes vallées. Lorsque l'un des deux confluents est en crue tandis que l'autre se trouve dans une période de basses eaux, la crue remonte le fleuve le plus bas : le reflux à contre-courant se reporte parfois dans le Mississippi jusqu'à Cape Girardeau, dans l'Ohio jusqu'au confluent du Tennessee. Au-dessous du confluent de l'Ohio, la plaine alluviale du Mississippi devient très large, et l'on dirait, à voir les nombreux lits qui se ramifient autour des îles, que déjà le fleuve s'essaye à former un delta. Jusqu'au con- fluent de la Rivière Rouge, il y a plus d'une centaine de ces grandes îles, que l'on désignait jadis par leur numéro d'ordre, pour s'épargner la peine de leur donner des noms ; mais la numération est devenue inexacte : d'année en année il faudrait la changer. Les îles se déforment selon la hau- teur des eaux et la direction du courant. Tantôt une de leurs pointes disparaît dans une crue, tantôt les eaux viennent y creuser un golfe, ou les alluvions y déposer un promontoire. Un banc de sable arrête une branche de saule qui se fixe; puis, chaque inondation apportant de nou- veaux limons et de nouvelles semences, le banc se recouvre en quelques années d'un bois de saules ou de peupliers, dont le feuillage supérieur s'étage en plans successifs, permettant ainsi de mesurer exactement l'âge de chaque poussée dé végétation. Ailleurs, c'est une île que le fleuve emporte après l'avoir déposée, et là où quelques jours auparavant exis- tait une forêt, on ne voit plus que des branches vertes frémissant à la surface. Comme exemple de la formation rapide des îles alluviales et de leur destruction plus soudaine encore, on cite l'histoire du bateau à vapeur America qui sombra dans le fleuve à 160 kilomètres en aval du bec de TOhio et qu'un dépôt sablonneux eut bientôt recouvert. Le sol s'affer- mit, les arbres y poussèrent en fourré, et pendant près de vingt années les bateaux de passage s'y alimentèrent de combustible. Une ferme y avait été fondée, lorsque deux crues successives vinrent faire disparaître toute trace de l'île et nettoyer la carcasse du vaisseau, que l'on retrouva à 12 mètres de profondeur, non plus à proximité de la berge fluviale où avait eu lieu le naufrage, mais au milieu même du chenal, à 800 mètres de la rive. Toute la région des plaines basses qui s'étend à l'ouest du Mississippi en aval de Cairo, et sur un espace d'environ 200 kilomètres du nord au sud, est parsemée de lacs et de marécages, parcourue de rivières paresseuses qu'arrête le moindre embarras d'arbres renversés et qui se reforment à droite ou à gauche dans le sol sans consistance. On répète d'ordinaire que ces terres à demi noyées, désignées sous le nom de Sunk Country ou OHIO, MISSISSIPPI. 343 « Pays Effondré », se sont affaissées soudain, lors du tremblement de terre de 1812, qui renversa le village de New Madrid, la Nueva Madrid que les Espagnols avaient fondée sur la rive droite du Mississippi, peut-être dans l'espérance d'y établir un jour la métropole de leurs possessions améri- «•87. — PATS EFFOKDIIÉ. 89' 30' Ouest de G reenwid 89*10' C Perron 1 : «18090 1- 0 ÎOkil. caines en dehors du Mexique. Les descriptions transmises par les contem- porains sur les phénomènes séismiques de la région feraient ranger les secousses parmi les plus violentes qui aient jamais eu lieu : on affirme que des collines s'engloutirent, que des lézardes longues de plusieurs lieues s'ouvrirent dans le sol tout à coup et se remplirent d'eau ; on dit 344 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. même qu'une large déchirure se serait ouverte à travers le lit du Missis- sippi et que l'eau d'aval rebroussa chemin pour aller emplir le gouffre, entraînant les bateaux qui descendaient le courant. Toutefois ces récils, transmis de bouche en bouche et que, dans ce territoire alors presque désert, aucune observation sérieuse ne put contrôler, permettent de croire à de grandes exagérations. Un fait est certain cependant : à l'angle nord- occidental de l'État de Tennessee, les éboulis qui barrèrent le cours de la rivière Reelfoot, amenèrent la formation rapide d'un lac, ayant plus de 100 kilomètres carrés, qui existe encore, entouré de bois et de marécages1. Même avant les secousses de 1812 la plaine du « Pays Effondré » était un ensemble de lacs et de marais, un delta intérieur, dont les mille bras servaient de régulateurs naturels au fleuve, de la sai- son des crues à celle des maigres. En effet, les eaux débordées se déversent latéralement dans les terres basses, et tous les étangs emplis sont alors autant de réservoirs tempo- raires, dont le flot se meut avec une extrême lenteur. Arrivée dans les marécages, l'eau continue de descendre vers les points bas; mais, arrêtée par les troncs d'arbres et les faisceaux de racines, divisée en mille filets, elle perd sa force d'impulsion, et seulement au bout de quelques semaines ou même de plusieurs mois, alors que le Mississippi a repris son niveau ordinaire, elle revient dans le lit du fleuve ou se reverse dans l'un de ses affluents. L'émissaire commun de toutes les eaux d'inondation entraînées dans le Pays Effondré et autres terres basses de la contrée est la rivière Saint Francis, qui, dans tout son cours inférieur, n'est qu'un bayou de la grande ramure des eaux mississippiennes : on évalue à 10000 kilomètres carrés la surface des terrains d'alluvions et de boues limités par les deux cours d'eau. Le retard que subit le flot d'inondation dans les réservoirs temporaires de ses bords l'allège peu à peu : pendant les crues le Mis- sissippi roule beaucoup moins d'eau près de son embouchure qu'au con- fluent de l'Ohio, à 2000 kilomètres en amont; malgré l'apport des cou- rants tributaires, il perd un cinquième de sa masse totale en descendant vers la mer : à la Nouvelle-Orléans, son débit de grandes eaux est moindre qu'à Saint-Louis1. 1 Dale D. Owen, Geology of Kentucky. * Débit du Mississippi pendant les crues : A Cape Girardeau, en amont du confluent de l'Ohio .... 28 082 mètres cubes. À Belmont, en aval du confluent de l'Ohio 33 506 » « A la Nouvelle-Orléans 27 260 » (Observations d'EUet, Physical Geography of the Mississippi River.) MISSISSIPPI, ARKANSAS. 345 L'Arkansas, auquel Joliel, son découvreur, donna le nom de rivière Baiiiv. s'unit au Mississippi à peu près à moitié chemin entre le confluent de l'Ohio et celui de la Rivière Rouge. Ce n'est pas un cours d'eau aussi paissant qu'on le croirait en voyant son tracé sur la carte. Bien qu'il ail 3500 kilomètres de long, il n'est pas assez abondant pour rester navi- gable pendant toute l'année, et même à son embouchure les baleaui à vapeur sont fréquemment arrêtés. La pluie qui tombe dans les prairies poudreuses de l'Ouest ne suffit pas à alimenter un courant considérable. Il prend son origine, comme le Missouri, dans le cœur des Rocheuses, au milieu d'un « parc » ou cirque élevé, que dominent les plus Itères mon- tagnes du Colorado, à l'est le Lincoln, au sud-ouest le Harvard ; immé- diatement à l'ouest, sur les versants opposés, naissent des ruisseaux qui se wrsent dans le Colorado par le Green et le Grand River. Coulant d'abord ta sud, puis à l'est, par des cluses profondes, l'Arkansas a déjà fourni les deux tiers de sa chute lorsque, à Pueblo (1434 mètres), il échappe à la région des montagnes pour descendre en serpentant à travers les steppes. Traversant une région analogue à celle du Missouri par la formation, la pente et le climat, il décrit aussi une courbe vague- ment parallèle à celle du grand fleuve des plaines septentrionales1, et ses 1 Friedrich Ratael, Die Vereinigten Staalen von Nord-Amerikn. 346 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. affluents, le Cimarron aux eaux rouges, la Canadian River, née au milieu des laves, ressemblent également aux tributaires du Missouri, tels que la Platte et le Kansas. Filets d'eau sans profondeur, ils se ramifient sur un fond de sable entre des berges, fort éloignées Tune de l'autre, qui enfer- ment aussi des bottoms ou « fonds » de terres fertiles, naturellement boisées. Ces cours d'eau plats ne sont navigables que pour les pirogues. Avant les pluies de printemps, le voyageur Boone trouva le lit de la Cana- dienne complètement desséché à 1200 kilomètres de sa source, c'est-à-dire à une distance aussi grande que celle des origines du Danube à Budapest. L'explorateur Gregg erra plusieurs jours avec sa caravane à la recherche de la rivière Cimarron, nommée, la « Fugitive » par les premiers voyageurs espagnols, parce qu'elle disparaît souvent et qu'on en cherche vainement les traces : il reconnut qu'il l'avait passée depuis longtemps, et que les sables l'avaient empêché d'en distinguer la coulière. Quant à la Canadienne, elle doit son appellation à des trappeurs franco-canadiens. Un des affluents de cette rivière a reçu le nom de Dry River ou « Sèche », parce que l'eau passe invisible au-dessous de l'arène du large lit; on trouve la nuit quelques flaques d'eau dans les creux, mais à la chaleur du soleil elles s'évaporent bientôt1 ; en certains endroits il serait dange- reux de traverser ces sables, presque aussi fluides que l'eau souterraine. A l'ouest du 100e degré de longitude, jusqu'à la base des Rocheuses, il est peu de rivières qui ne roulent une eau légèrement saline*. En arrivant près du Mississippi, l'Àrkansas entre dans une région basse analogue à celle du « Pays Effondré » et s'unit à la ramure d'une rivière qui lui vient du nord, apportant les eaux de White River et de Black River, la « Blanche » et la « Noire ». Là aussi, dans le delta commun de Mississippi, Ârkansas et White River, les courants se balancent dans un sens ou dans un autre, suivant la hauteur relative des crues et l'abais- sement des maigres dans les trois bassins. Le lacis des bayous chan- geants ressemble à ces engorgements où l'abondance du sang forme un réseau de fausses artères. En ces régions au relief indécis, la terre ferme et les eaux déplacent fréquemment leur domaine. Un village, Napoléon, situé sur la rive méridionale de l'Arkansas, à son embouchure dans le Mississippi, a disparu et l'on montre, en plein courant mississippiën , l'en- droit où il se trouvait autrefois". Les plaines qui s'étendent en face, de l'autre côté du Mississippi, appar- 1 ftaldwin Mollhausen. Vom Mississippi zum Fehcngebirgc. »J W. Foster, Missiscippi Valley, * Cléments (Mark Twain), Life on the Mississippi; — Redway, mémoire cité. MISSISSIPPI, ARKANSAS, YAZOO. 347 tiennent à une rivière d'un faible versant, qui pourtant est presque aussi abondante que i'Àrkansas : c'est le Yazoo, formé d'un grand nombre de paresseux bayous errant en des plaines qui paraissent avoir été une K* 89. — HAUTE VALLÉE DE LA CANADIENNE Juest de r3ris 107', I06'35' Uue?t de IjreenwicK 104*15' d après les £éo£raphes du Transcontinental Survey I : 815 000 C Perron 1- 0 -i 30 kil. étendue lacustre. Parmi ces bayous, plusieurs prendraient leur origine dans le Mississippi si des travaux d'art ne leur barraient le passage : ainsi le bassin fluvial du Yazoo constitue un delta intérieur du Mississippi. Un de ces canaux commençait jadis à une ouverture de la brèche mississip- pienne, dite Yazoo Gâte ou « Porte du Yazoo », et s'unissait au Sunflower, 548 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. affluent du Yazoo, puis au Yazoo lui-même, dont il doublait le volume; enfin il revenait vers le fleuve à 500 kilomètres de la prise d'eau supé- rieure. Des planteurs fermèrent cette « porte » par une prodigieuse levée, la plus forte des bords mississippiens, afin de dessécher les terrains d'en haut et les mettre en culture ; mais depuis cette époque les rivières d'en bas manquent tellement d'eau, que la navigation y est souvent difficile pen- dant de longs mois. Lors des crues, l'eau du Mississippi reflue au loin dans le lit du Yazoo et fait longtemps équilibre à son courant. Les détours semi-circulaires et presque entièrement annulaires sont très nombreux sur le cours entier du Mississippi, mais nulle part ils ne se suivent avec une régularité plus constante que dans la partie inférieure du cours moyen, entre l'Arkansas et la Rivière Rouge. Souvent, après un long détour de plusieurs lieues en suivant le fil du courant, les embarca- tions se retrouvent à une faible distance et en vue du point qu'elles ont quitté plusieurs heures auparavant. Des méandres de 25, même de 53 kilomètres en développement, comme ceux de Terrapin et de Palmyra, ne laissent pas même un demi-kilomètre de largeur à l'isthme qui sépare les deux courbes de l'amont et de l'aval. Aussi le faible pédoncule a-t-il été souvent rompu par les eaux qui ne cessent d'affouiller les terres meubles, et la boucle inachevée se trouve soudain changée en un anneau : le courant, cessant de décrire une longue courbe, se précipite par le canal rapide de l'isthme, et l'ancien lit n'est plus qu'un lac circulaire aux eaux tranquilles; Shaler lui donne le nom de moal> « douve », comme aux fossés délaissés qui entourent une ancienne forteresse. La coupure du lit se fait d'ordinaire non par la courbe d'en haut, d'où se précipite le flot, mais par celle d'en bas, où l'eau plonge par une chute soudaine : de ce côté l'érosion s'accomplit, avec une rapidité prodigieuse, par raflbuillement des berges déchaussées; on voit alors des hectares de terrain disparaître en quelques secondes, avec un bruit d'artillerie1. Plu- sieurs jours se passent sans que les bateaux à vapeur puissent remonter le formidable courant du raccourci. La plupart des lits nouveaux ainsi formés depuis que les Européens connaissent les bords du Mississippi, se sont ouverts sans l'intervention de l'homme : on peut citer entre autres le cut-offdu Horseshoe ou du « Fer à Cheval », qui se produisit, en 1859, à quelque distance de l'embouchure de l'Arkansas, évitant aux embarcations un détour de plus de 50 kilomètres. D'autres canaux ont en partie une origine artificielle : telles sont, en Louisiane, les brècjies qui 1 Waddel), Mississippi. MISSISSIPPI, YAZOO, RIVIÈRE ROUGE 549 portent encore les noms français de « Pointe-Coupée » et de « Raccourci ». Au premier abord, il semblerait fort simple de rectifier ainsi le cours sinueux du Mississippi pour abréger la longueur de la navigation ; toute- 11° 90. — CONFLUENT DE LARKANSAS. 93*40' Ouest de Pari 93*20* 9IW Uuest de Greenwich 91' D'après les ingénieurs fédéraux. C. PciTOIl. Digue. L'ancien emplacement de Napoléon est aujourd'hui recouvert par les eaux. 1 : 475 000 1J kil. fois le balancement du flot de l'un à l'autre côté de la vallée se fait d'une manière régulière, les méandres supprimés sont remplacés par d'autres, et les raccourcis obtenus sur un point se perdent bientôt ailleurs. L'aspect de la dépression mississippienne, avec son fleuve vivant au milieu et ses fleuves latéraux éteints, montre que le courant n'a cessé d'onduler à droite 550 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. et à gauche, en un mouvement continu. Les îles devenues péninsules, les presqu'îles se reportent d'une rive à l'autre, et par suite changent en même temps de juridiction : c'est ainsi que l'île 92, part de l'Arkansas, a été donnée par le fleuve à l'État opposé. Cependant une île de 1600 hec- tares, le numéro 74, entre les États Arkansas et Mississippi, n'appartient ni à l'un ni à l'autre domaine politique, et son propriétaire ne paye aucun impôt1. Cette mobilité du fleuve, serpent qui déroule ses anneaux, explique l'aspect des rivages. Il faut avoir voyagé dans les forêts vierges pour se faire une idée du silence des bords mississippiens dans la partie moyenne de son cours. On se figure assez généralement en Europe, et même dans la Nouvelle-Angleterre, que les rives de ce fleuve sont cultivées, et que les hameaux, les villages s'y succèdent sans interruption. Il n'en est rien : les forêts, les îles couvertes de saules, les pointes de sable se suivent avec une désespérante uniformité, et l'on peut voyager des journées entières sans voir sur le rivage une trace du séjour de l'homme. Les vapeurs gron- dants se rencontrent avec leurs populations de voyageurs, et remplissent un instant l'espace de mouvement et de bruit, augmentant encore par le contraste le mystère des forêts riveraines : quand ils sont passés, tout retombe dans la morne tranquillité de la solitude. Les berges ne sont stables que sur un petit nombre de points et n'offrent à l'homme et à ses travaux que de rares terrasses d'appui. Depuis que l'exploration scienti- fique du Mississippi a commencé, tous les voyageurs, Lyell surtout, ont remarqué que la rive droite, en aval de l'Ohio, est formée exclusivement d'alluvions, tandis que les falaises dominent la rive gauche. En un lieu seulement, près du village de Ilelena, voisin de la bouche du Saint Francis, le fleuve se rapproche assez des collines de sa rive droite pour qu'on puisse distinguer dans le lointain les hauteurs couvertes de forêts. A l'est, au contraire, le Mississippi vient se heurter quinze fois contre des rochers d'origine éocène : ce sont les « écores » des anciens voyageurs français. Sur chacune de ces collines, aux rouges escarpements ravinés par les pluies, ont pu s'établir des fermes, se construire des villages ou des cités ; on y trouvé çà et là quelques ruines, anciens postes militaires d'In- diens ou de blancs, auxquels les habitants actuels donnent le nom géné- rique de Soto-camps, comme pour faire hommage de tous ces travaux au premier Européen, Hernando de Solo, qui franchit le Mississippi'. 1 Mark Twain, ouvrage cite. 3 J. 0. Kohi, Geschichte der Entdeckung Amerikas. MISSISSIPPI. 351 Cherchant à expliquer cette tendance du fleuve à peser sur la rive gauche de sa vallée d'alluvions, Lyell ! l'attribue à la pression des grandes rivières 5° 91. — MÉANDRES DE GREEN VILLE •T Ouest de Pari» ry?r 33' 91*15' Dues*- de breenwich 91*5 C. Perron 1 : 350 000 -1 10 kU. Tenues de l'ouest, du Saint Francis à la Rivière Rouge, qui remplissent de leurs apports la partie occidentale de la vallée, rejetant ainsi le Mississippi vers l'est. Cette hypothèse est évidemment erronée : le volume de cours Visit to ike United $laU$. 3b2 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. d'eau à un faible débit relatif n'aurait pu, sur une longueur de 1800 kilo- mètres, rcjeler vers l'est une masse liquide au moins dix fois plus grande. Sous la pression d'une petite rivière comme l'Arkansas, le Mississippi serait- il forcé d'empiéter sur sa rive gauche, comme si le grand fleuve qui porte tant d'alluvions ne pourrait pas aussi s'emparer de celles de l'Ar- kansas et suivre son cours régulier vers la mer, en balayant les quelques bancs de sable ou d'argile que son affluent aurait déposés dans ses crues? Il semblerait naturel que le Mississippi empiétât sur sa rive droite, puisque le simple mouvement de rotation de la Terre autour de son aie devrait en effet, si d'autres causes n'agissaient en sens inverse, détourner BAS MISSISSIPPI, RIVIÈRE ROUGE. 353 le cours du fleuve vers sa droite, de même qu'en Europe il détourne celui de la Volga, et en Asie celui de l'indus1. Il n'en est rien cependant : l'embouchure du Mississippi est d'environ six degrés plus avancée vers Test que les lacs de la source. La cause en remonte certainement à l'ar- chitecture de la masse continentale. Les fleuves ont pour pente générale celle de la contrée qui les porte. De même que l'Àlabama descend au sud- ouest, en prolongement des vallées terminales des Àppalaches, et que, dans le Texas, tous les cours d'eau suivent l'inclinaison des plaines qui flanquent la base des montagnes Rocheuses, de même le Mississippi, retenu dans la dépression médiane de l'Amérique du Nord, entre les deux sys- tèmes de saillies latérales, a surtout été influencé dans son cours par les formations les plus puissantes. Tout l'espace compris entre les Rocheuses et le Mississippi peut être considéré comme un immense talus de débris, dont le fleuve longe la base en se dirigeant vers le golfe du Mexique. Le confluent de la Rivière Rouge (Red River), à 500 kilomètres de la mer, marque en même temps le commencement du delta. Ce grand tributaire, parallèle dans son cours à la Canadienne, au Cimarron, à l'Àrkansas, et confondu jadis avec un Rio Colorado tributaire de la Canadienne, ne naît pas, comme ces rivières, dans une vallée des Rocheuses, mais dans une crevasse des « Plaines Jalonnées » ou Llano Estacado : il jaillit au fond d une cluse, à 800 mètres de hauteur absolue, à 200 mètres au-dessous des corniches du rocher qui l'enferme. En coulant vers l'est, le ruisseau échappe au défilé pour entrer dans la steppe et se mêler à d'autres filets d'eau, comme lui presque tous salins : parfois le lit sableux reste à sec à plusieurs centaines de kilomètres de sa source. A l'endroit où elle s'unit au False Washita, la Rivière Rouge roule un flot permanent, mais non encore navigable. Après avoir reçu d'autres affluents, -elle se reploie vers le sud, et pénètre dans une région basse, parsemée de grandes nappes lacustres et parfois recouverte en entier par les eaux d'inondation. Le barrage qui retient ains; rivière et lacs n'est point un seuil de rochers, mais un amas de troncs d'arbres échoués en quantités prodigieuses, une accumulation de bois que les créoles français appellent « embarras » et que les Anglo-Américains ont désigné par le nom de raft ou « radeau », quoiqu'il ne flotte point et barre le lit dans toute sa profondeur, laissant d* nappes liquides le contourner ; il se compose, en réalité, non d'une niasse continue et compacte, mais d'une cinquantaine ou soixantaine de tas, ayant respectivement quelques centaines oh quelques milliers de * Von Raer, Bulletin de l'Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg, 3 fév. 18G0. m. 45 354 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. mètres en longueur et séparés par des intervalles d'eau dormante. Le courant amène à chaque crue d'autres arbres qui s'arrêtent sur le bar- rage et le font grandir d'année en année vers l'amont, tandis qu'en aval quelques troncs se détachent. L'obstruction, remontant sans cesse, s'avance incessamment vers le haut comme une digue flottante. En 1858, l'em- barras avait poussé son front supérieur à 650 kilomètres du confluent de la Rivière Rouge et du Mississippi; depuis 1833, il avait gagné de 50 kilomètres, avec une vitesse moyenne de 2 kilomètres par an. Les lacs refoulés cheminent aussi, recouvrant les prairies et ies forêts. La vaste surface occupée ' par le lac Caddo était encore une prairie à la fin du siècle dernier et les Indiens y chassaient le buffle. Le lac Bistineau s'est formé de la même manière, et les troncs des « cyprès », aux branches rompues par le temps, restent debout au milieu de l'eau noirâtre, emplie de débris putréfiés. L'embarras a changé définitivement la physionomie générale de la contrée; en certains endroits, les arbres pourris avaient perdu leur consistance ligneuse et, devenus terre végétale, alimentaient une forêt vivante. Pour rétablir la navigation, le gouvernement de la Louisiane fit, dès l'année 1828, commencer les travaux pour la destruction des embarras, qui obstruaient alors la rivière sur un développement de 200 kilomètres environ. Peu à peu on les réduisit au dixième de leur lon- gueur première, mais la guerre civile vint interrompre l'œuvre de dégage- ment, que l'on a reprise depuis, en se bornant à couper directement une voie navigable à travers la masse enchevêtrée des arbres. Actuellement le chenal de navigation est complètement libre jusqu'à Shreveport, à 450 kilomètres de l'embouchure de la Rivière Rouge1. Dans le Mis- sissippi même, d'anciens lits, complètement obstrués par les arbres, ont été délaissés par le fleuve, qui s'en creuse de nouveaux; mais il ne s'y forme plus d'embarras, quoique pendant les crues le courant continue de charrier des troncs d'arbres : les scieries échelonnées de distance en distance arrêtent les grosses pièces à leur passage, et vers le bas du Mississippi il ne reste plus que des branchilles, des herbes et des roseaux. On débarrasse aussi le lit de ses « chicots », les snags ou mwyer* des Américains, ces gros arbres échoués dans la vase, à demi cachés par l'eau boueuse, qui menaçaient les navires de leur tronc redressé ou d'une branche en pointe. En aval de l'embarras, la Rivière Rouge forme encore, près d'Alexandria, de petits rapides, difficiles à franchir pendant la saison des maigres, puis, 1 Jacques W. Redway, Notes manuscrites. RIVIÈRE ROUGE, ATCHAFALAYA, MISSISSIPPI. 555 après avoir reçu le Washita ou Black River, qui descend du nord presque parallèlement au grand fleuve, elle entre dans le dédale des canaux où s'affleurent les eaux jaunes du Mississippi et le flot brunâtre de la Rivière Rouge. Celle-ci n'est, dans l'histoire géologique, qu'un affluent temporaire du Mississippi. À une époque antérieure, elle n'atteignait probablement pas le fleuve majeur, et, le laissant à une centaine de kilomètres à l'est, s'écou- lait directement vers le golfe du Mexique par le large lit qu'emprunte de nos jours le bayou Tèche. Le Washita, et son prolongement Rlack River, se dirigeait aussi vers le sud en fleuve indépendant, se continuant jusqu'à la mer par le lit du bayou Àtchafalaya. Mais les "divagations inces- santes des cours d'eau ont fini par les réunir en un labyrinthe de canaux : comme un nœud rattachant le pied de trois tiges à ramure touffue, un lacis de bayous relie le Mississippi aux rivières voisines et marque l'en- droit précis où les eaux du triple courant se ramifient en branches distinctes vers la mer. Toutefois les trois cours d'eau ne se sont pas mêlés franche- ment et la scission tend à se faire de nouveau : déjà la Rivière Rouge ne communique plus avec le Mississippi que par un large canal auquel on a donné le nom de « Vieille Rivière » (Old River), et sans les travaux des ingénieurs la navigation finirait par devenir impossible entre les deux fleuves1. Fréquemment des bancs de vase ont fermé l'entrée de la rivière iui bateaux à vapeur du Mississippi. On a projeté d'arrêter par une digue l'effluent Atchafalaya, pour rejeter les eaux de la Rivière Rouge dans le chenal de la jonction. Mais les crues dérangent tous les calculs : parfois le courant du Mississippi se porte vers l' Atchafalaya, comme si le fleuve voulait descendre à la mer par la voie la plus courte*. Dans ces parages, les « tournants » ou remous du Mississippi, très redoutés des bateliers, modifient souvent de 50 à 60 centimètres le niveau fluvial par leurs vastes entonnoirs ou leurs bouillons de reflux3. Le nombre des bayous du delta mississippien qui, au lieu de revenir dans le fleuve, coulent librement jusqu'à la mer, change de siècle en siècle. Outre le Mississippi proprement dit, les branches actuelles du delta, en amont de la « patte d'oie », sont l'Atchafalaya, le bayou Plaqueminë et le bayou Lafourche : d'autres ont été supprimées par les travaux des riverains, désireux de conquérir des terres à la culture, en asséchant le sol trop humide de la contrée. Les trois bayous, dont le plus considérable est l'Atchafalaya, se ramifient également à la droite du courant principal, et 1 Bumrd, American Geographical and Statistical Society, October 1862. 1 Mark Twain, ouvrage cité. * WaddeD, Mûsûtippi. 556 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. vont de lac en lac, de marais en marais, rejoindre les eaux basses de la mer à l'ouest des passes. Jadis, sur la rive opposée, un autre large effluent, le bayou Iberville, se déversait dans le golfe du Mexique par les lacs Mau- repas et Pontchartrain, et y portait beaucoup d'eau pendant l'hiver1 : il aurait pu acquérir quelque importance comme voie commerciale si on avait eu soin de l'entretenir; mais de nos jours il reste oblitéré, sauf dans les périodes d'inondation. Il était déjà partiellement obstrué par des « em- barras » d'arbres lorsque le général Jackson le fit boucher, quelque temps avant la bataille de la Nouvelle-Orléans, pour empêcher les Anglais de re- monter par cette branche et de redescendre ensuite avec le courant du fleuve sur la métropole de la Louisiane. On a maintes fois proposé de rou- vrir ce canal ; mais il permettrait aux embarcations d'éviter le détour par la Nouvelle-Orléans et, pour cette raison même, ce projet sera tou- jours écarté par les négociants de la cité louisianaise. De Cairo à son delta, le Mississippi diminue constamment en largeur à mesure qu'il se rapproche de la mer. Entre le confluent de l'Ohio et celui de l'Àrkansas, la largeur moyenne du fleuve est, pendant les crues, de 1350, et à l'étiage de 1027 mètres; entre l'Àrkansas et la Rivière Rouge, le lit n'a plus, selon la hauteur des eaux, que 1232 ou 924 mètres de large; en aval de la Rivière Rouge jusqu'au bayou La fourche, la largeur est réduite à 906 ou 830 mètres; enfin, du bayou Lafourche à la bifurca- tion des passes, le Mississippi n'a plus que 746, ou même, à l'étiage, que 680 mètres de rive à rive. En revanche, la profondeur du fleuve ne cesse d'augmenter d'amont en aval : de l'Ohio à l'Àrkansas, le fond du lit se relève encore çà et là en seuils ayant au moins 3 mètres d'eau sur l'obsta- cle; mais l'épaisseur liquide est en moyenne de 15 à 26 mètres, puis elle s'accroît à 34 ou 39 mètres dans la partie inférieure du Mississippi, entre le Yazoo et les passes. Au pied de la falaise du « Grand Gouffre », — appellation française reproduite par les Américains sous la forme de Grand Gulf, — la sonde n'atteint le fond qu'à 64 mètres. L'accroissement du fleuve en profondeur suffît à peu près pour compenser sa diminution de largeur. Sa capacité reste la même, et d'ailleurs le lit fluvial, formé d'al- luvioiïs comme ses bords, se creuse suivant la pression du courant, de manière à maintenir une pente égale dans la nappe superficielle des eaux. Dans les plaines alluviales du Mississippi, on ne voit que de l'eau, des boues et de grasses terres déposées par les crues ; Humphreys et Abbot, les auteurs de l'ouvrage le plus considérable qui ait été écrit sur le Missis- 1 Bartram, ouvrage cité. BAS MISSISSIPPI. 357 sippi1, croyaient que le fond de la plaine fluviale, au-dessous des alluvions superficielles, se compose d'une argile tenace, « presque aussi dure que le marbre » et d'une origine probablement antérieure à l'époque éocène. D'après eux, les apports modernes du Mississippi n'auraient pas comblé la large plaine, d'environ i80 000 kilomètres carrés de superficie, qui s'étend de Cape Girardeau à Bâton Rouge ; celle-ci appartiendrait à une forma- lion antérieure. Cependant de nombreuses expériences de sondage et de forage faites dans le lit mississippien et sur les bords ont démontré que les eaux affouillent cette argile comme les alluvions plus fines de la surface, et qu'elle est de la même provenance* : le Mississippi l'a formée égale- ment ; mais combien de siècles ou d'âges se sont écoulés depuis que le travail de comblement a commencé, les géologues ne sauraient encore le dire. Un forage artésien poussé à New Orléans jusqu'à la profondeur de 178 mètres a traversé uniquement des couches alluviales, argiles et sables, avec les troncs d'arbres ensevelis dans les boues; de même les grandes profondeurs marines que la sonde révèle au sud des passes per- mettent de croire que la puissance des terres apportées est de beaucoup supérieure à celle que le forage a constatée : l'ensemble du delta repré- sente peut-être une masse alluviale d'un demi-kilomètre en épaisseur. D'autres fouilles, entreprises pour la construction d'une usine à gaz, ont mis au jour dix couches successives d'anciennes forêts, et dans une de ces couches, à la profondeur de 5 mètres, parmi des fragments de bois brûlé, gisait un squelette'. Les savants qui ont étudié les plantes et les coquillages fossiles retirés d'argiles profondes y ont reconnu, sauf quelques restes douteux, les débris d'organismes qui vivent encore dans les mers voisines, et qui se déposèrent sur le front du delta avant que le Mississippi eût poussé son embouchure plus au sud . Les fines argiles de la région du delta, moins ébouleuses que les sables plus grossiers des rives d'amont, servent à la construction de levées laté- rales qui résistent bien à la pression des eaux d'inondation, aussi longtemps que leur crête n'est pas dépassée par le flot et que des remous produits par quelque changement de courant n'en affouillent pas la base. La culture des alluvions basses eût été impossible si l'on n'avait tout d'abord ainsi protégé les champs : en 1717 déjà on construisit de premiers remparts d'argile autour de la Nouvelle-Orléans. Ces digues ou levées, hautes de 3 à 5 mètres en moyenne, mais plus saillantes et doublées par des 1 Hydraulic* of the Mississippi River. * James B. Eads, Physics and Hydraulics of the Mississippi River. 1 Bennet Doirier; — De Nadaillac, L Amérique préhistorique. 358 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. contre-digues aux tournants dangereux, bordent le fleuve à droite et à gauche sur une longueur totale de plusieurs milliers de kilomètres. Le long de la rive droite, la plus basse, elles forment un rempart presque continu de Cape Girardeau jusqu'en aval de New Orléans. Sur la rive gauche, que dominent çà et là les falaises, la ligne continue des levées ne commence guère qu'à la frontière méridionale du Tennessee. Mais ces digues, construites naguère par les différents États, sans plan d'ensemble, sont elles-mêmes des causes de désastre, car elles rejettent vers l'aval les eaux qui se perdraient en amont dans les marécages riverains, et la masse liquide accrue finit toujours, dans les années de grandes pluies, par trouver un point faible d'où un déluge se précipite dans les campagnes. Une statistique énumère quarante-cinq crevasses qui firent brèche dans les levées du Mississippi en aval du Saint Francis pendant l'inondation de 1858. L'histoire des « crevasses » est celle des fléaux de la Louisiane : que de fois une partie du Mississippi, détruisant ses digues, se fraya une nouvelle embouchure en noyant les cultures ! Ainsi la cre- vasse du Bonnet Carré, qui s'ouvrit en 1850, puis se rouvrit en 1859, laissant passer un fleuve d'environ 3000 mètres cubes par seconde, plus que le Rhône dans les eaux moyennes. Des embarcations, entraînées par le courant furieux, allèrent se briser dans la cyprière : on ne sauva qu'à grand peine un bateau à vapeur du naufrage. La nouvelle rivière coula plus d'un mois en 1850, et le Pontchartrain, de golfe marin qu'il était, se changea temporairement en lac d'eau douce ; les huîtrières de Biloxi et de la Passe Christiane furent détruites par les eaux fluviales. L'inon- dation de 1874 ouvrit quinze crevasses, et dans la Louisiane plus d'un million d'hectares, plantés en cotonniers, cannes à sucre et maïs, dispa- rurent sous l'eau. En amont de la Louisiane, la plaine s'est parfois trouvée inondée de falaise à falaise : en 1890, toute la vallée du Yazoo devint un lac temporaire; la crue s'étendait sur un espace de 175000 kilomètres carrés, le tiers de la France. Les buttes élevées par les Indiens étaient les seuls lieux de refuge pour les agriculteurs et le bétail. Les levées cessent avec les cultures, là où les rives, trop basses pour être labourées, n'ont plus à être défendues, attendant que les inondations suc- cessives les aient exhaussées par leurs dépôts annuels. Déjà le Mississippi coule en dehors du corps continental. La péninsule étroite d'alluvions qui sert de lit au courant se rétrécit de plus en plus, et les deux rives devien- nent de simples plages marines battues par la vague. Du haut d'un navire, on s'aperçoit facilement qu'on suit un fleuve d'eau douce coulant en pleine mer, et la véritable côte, restant plus à l'arrière, finit par dispa- DELTA DU MISSISSIPPI. 359 raitre à l'horizon du nord. Enfin le courant mississîppien s'étale eu un ' bassin polygonal et se divise en plusieurs branches, formant « patte d'oie ». Chacune des embouchures est séparée des autres par des golfes dont les plages sont encore plus minces que celles du fleuve principal avant son épanouissement en branches distinctes. Sur quelques points ces plages n'ont pas même une centaine de mètres en largeur, et pen- dant les tempêtes les vagues de la mer déferlent jusque dans le fleuve par-dessus le cordon littoral. Sur les bords il n'y a d'autre végétation que celle des grands roseaui (miegea macrotperma), dont les racines fibreuses donnent un peu de cohésion à la vase. Plus loin les joncs dispa- raissent, et le Hl du fleuve ne se révèle que par des rives d'une boue brunâtre dont le profil se modifie au gré des courants et des flots. En amont de la Fourche des Passes s'est formée déjà, sur la rive droite, une petite embouchure latérale, dite le « Saut » ou Jump, à cause de la rapidité avec .laquelle les eaux se jetèrent par cette porte, utile aux pécheurs d'huîtres qui se dirigent vers la baie de Baralaria. Mais, si l'on ne compte pas cette ouverture et d'autres petites brèches, il n'existe que 560 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ' cinq passes, celles du Sud-Ouest, du Sud-Est, du Sud, du Nord-Est et lu passe à l'Outre, ramification de la précédente : la déclivité moyenne de ces courants partiels, qui se hâtent vers la mer, est un peu plus Forte que celle d'amont entre la Nouvelle-Orléans et la Fourche des Passes. Tant que le fleuve fut laissé à lui-même et que *• «t. — AntrvioM mssijsnTOSïïs l'homme n'en dirigea pas' les eaui, tantôt l'une, tantôt l'autre des passes devenait la véritable embouchure : le courant les prenait et les délaissait tour à tour, em- pruntant une voie plus courte et plus inclinée après avoir projeté trop avant dans la mer l'embouchure précédente. Lors des premières tentatives de coloni- sation en Louisiane, la passe du Sud était la principale, puis elle s'oblitéra peu à peu. A la passe du Sud succéda en im- portance celle du Nord-Est, où se fonda le village de la Balize; à son tour, cette bouche s'obstrua en grande partie et les embarcations d'un faible tirant d'eau s'y hasardent seules. Depuis 1845, la passe du Sud-Ouest, sur laquelle les pilotes avaient aussi ancré un village dans les boues mobiles, resta pendant plus d'une trentaine d'années la voie principale des gros navires, tandis que la passe à l'Outre était le chemin naturel des bâtiments d'un moindre tonnage trafiquant entre la Nouvelle-Orléans et la Havane. Grâce au c Fsrron travail des ingénieurs, la bouche du Sud L _3 est redevenue la principale porte d'entrée , BM00M, du bassin fluvial. ,r ioiM. Les « barres » ou seuils d'alluvions qui s'élèvent entre le lit du fleuve et les profondeurs marines varient constamment de forme et de hauteur, suivant la force et l'abondance des eaux qui se rencontrent et dont le mélange amène le dépôt des troubles. Ainsi que l'ont établi de longues observations, ce sont les eaux salées qui précipitent les fines molécules argileuses conte- nues dans le flot mississippien : plus lourdes que l'eau douce du fleuve, DELTA DU MISSISSIPPI. 565 elles pénètrent au-dessous de sa nappe jaunâtre et la clarifient incessam- ment, en faisant tomber l'argile en une pluie continue1. Cette vase qui se dépose n'a d'abord qu'une bien faible consistance : on a vu souvent des navires franchir la barre avec un tirant d'eau de beaucoup supérieur, même de 2 mètres, à la couche superficielle de la boue profonde. Des voi- liers ont pu entrer dans le fleuve en fendant la vase à force de toile; mais depuis longtemps c'est la vapeur qui conquiert l'entrée. Les remor- queurs s'élancent vers la mer, s'attachent aux navires échoués, les traînent en grondant par-dessus la barre, puis, lâchant leur prise, vont en délivrer une autre. Sur le fleuve, de grands bâtiments, groupés quatre par quatre et rattachés ensemble par des amarres, semblent remonter le courant sous la pression d'une force mystérieuse; mais les souffles de vapeur et les sourds mugissements qui s'échappent du milieu de ces navires font deviner la machine imperceptible qui les entraîne, cachée derrière les carènes et les mâtures. A diverses reprises, le régime normal des barres a été brusquement modifié par l'apparition de cônes d'argile, les mud-lumps des Américains. La formation de ces buttes, dont les unes n'atteignent pas la surface marine, tandis que les autres la dépassent, même de quelques mètres, — jusqu'à 5 mètres et demi, — et s'étendent sur une surface de 12 hectares, s'explique par la fermentation des matières organiques entraînées dans le courant, puis recouvertes par les boues : l'odeur de gaz hydrogéné se répand dans l'atmosphère quand apparaissent ces pustules compactes, bourgeonnant à travers les vases du lit fluvial ; leurs argiles, attaquées par des substances chimiques, ont des nuances diverses, jaunes, rou- geâtres, bleues. Quelques-unes, percées de vrais cratères, épanchent de l'eau salée; d'autres ne contiennent que de l'eau douce1. C'est peut-être à un monticule de cette espèce que la pointe du delta mississippien dut au- trefois son nom de cabo de Lodo, « cap de Boue », des anciennes cartes espagnoles. Quoi qu'il en soit, telle ou telle passe peut être momentané- ment barrée par ces cônes argileux. Ainsi quarante-sept navires se trou- vèrent un jour bloqués dans la passe du Sud-Ouest, et l'un d'eux fut même en entier soulevé hors de l'eau5. Toutefois les buttes sont promple- ment démolies par le courant, qui rétablit la profondeur normale du che- nal. Les gisements de sel, les soufrières que l'on a découverts dans les îles voisines du delta, sont peut-être pour une part dans les réactions chi- 1 finswer. Notes manuscrite*; — Shaler, ouvrage cité. » Raymond Thomassy, Géologie pratique de la Louisiane. 3 E. R. Corthell, History of the Jetties al the Moulh of the Mississippi River. OUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. miqucs auxquelles est due la formai ion des cônes argileux. Dans une des mines de sel exploitées par les insulaires de la Petite Anse, on a découvert, à 5 ou 6 moires de profondeur, une natte de joncs et des os d'un grand proboscidien'. Les soufrières de Calcassieu, près de la rivière c/a O* 8 mètres de même nom, se trouvent à une profondeur de 135 mètres, reposant sur la craie; le puils a traversé aussi des couches pétrolifères. Actuellement la passe du Sud, choisie par l'ingénieur Eadspour devenir ta voie d'entrée du Mississippi, se prolonge en mer par des jetées paral- lèles : le seuil, qui n'avait pas en moyenne plus de 2 mètres 40, se main- ' De Nadaillac, V Amérique préhistorique. PASSES DU MISSISSIPPI. 565 tient à plus de 9 mètres depuis plusieurs années et livre passage aux navires du plus fort tonnage; le port de la Nouvelle-Orléans, jadis très difficile d'entrée et souvent périlleux, est devenu l'un des plus sûrs du Nouveau Monde. Pendant longtemps les adversaires du projet, reprenant la phrase de Yauban sur la nature « incorrigible » des fleuves qui se jettent dans une mer presque sans marées, réussirent à empêcher les travaux de correction. Non seulement les pilotes, intéressés à faire valoir leurs servi- ces, mais aussi les ingénieurs les plus fameux des États-Unis protestaient contre cette entreprise, qualifiée de « chimérique » ; ils eussent préféré l'ouverture d'un canal creusé à travers les marécages riverains et poussé jusqu'aux profondeurs marines par le chenal du lac Borgne. Ils citaient sur- tout en exemple l'insuccès des travaux entrepris sur la barre du Rhône; mais, tandis qu'à la bouche du fleuve français les jetées n'avaient pas été poussées jusqu'à la barre, celles du Mississippi ont été prolongées au loin dans la mer profonde, et les constructeurs ont eu soin de travailler promp- tement, pour empêcher la formation d'une barre nouvelle en aval du chenal déblayé. Grâce à la rapidité de l'œuvre, ils ont pu tenir tête au fleuve : en quatre années, le courant a déblayé lui-même une masse de boue évaluée à plusieurs millions de mètres cubes et l'a déposée, non a l'entrée, sur un seuil nouveau, mais au large, dans les abîmes marins où passe le courant du Golfe. Les matériaux employés dans cette œuvre colossale n'ont guère été que des fascines de saules, superposées en couches dans les jetées de l'embouchure et plus haut jusqu'à la Fourche des Passes, partout où il était utile de rectifier le lit. Depuis, le lest des navires, déchargé en quantités considérables sur les jetées, a permis de dresser au milieu des boues et des eaux un large piédestal insu- laire de granit, portant une cité nouvelle, dite Port Eads, en hommage au constructeur. La « superficie coulante » du bassin mississippien comprend un espace é\alué à 5214 700 kilomètres carrés, soit à peu près sept fois l'étendue de la France1. De la principale source du Missouri jusqu'à la bouche du Mississippi, à Port Eads, on compte approximativement 7200 kilomètres, autant que de l'équateur au centre du Groenland. La masse liquide varie d'après les saisons, mais l'oscillation du niveau et par conséquent le débit suivent en général une marche régulière pendant tout le cours de l'année. Vers le premier décembre, le fleuve commence à monter et la masse de ses eaux augmente jusque vers le milieu de janvier, époque de la première 1 Henry Gannett, Centut Bulletin, n* 47, Mardi 28, 4894. 366 NOUVELLE GËOGRAPHiE UNIVERSELLE. crue. Alors te niveau baisse lentement, puis il reste à peu près station naire pendant les mois de février et de mars. En avril et en mai, le Mississippi se gonfle de nouveau el, dans le courant de juin forme sa grande et redoutable crue, plus hâtive de nos jours qu'au commencement du siècle, à cause du déboisement de ses bords et du drainage des cultures riveraines', Aussitôt après, il baisse rapidement jusqu'à la fin de septembre : en no- vembre l'étiage est au plus bas. De Cairo au confluent de la Rivière Rouge, l'écart entre les hautes et les basses eaux varie de 16 à 10 mètres, tandis qu'à la Nouvelle-Orléans celte différence est de -5 mètres seulement. Le débit du fleuve peut, selon l'abondance des pluies, s'accroître ou diminuer dans la proportion de 1 au quadruple, de 8500 mètres cubes d'eau par seconde à 59 725 mètres. La moyenne de la portée est de 17 440 mètres cubes, soit environ le quart des eaux de pluie tombées dans l'immense espace qui s'étend des montagnes Rocheuses aux Alleghanies. Les diverses 1 Jacques W. Redway, Notes manvscrilei. PASSES, BASSIN DU MISSISSIPPI. 367 rivières qui contribuent à former le Mississippi roulent une quantité d'eau plus ou moins grande, suivant la nature du terrain qu'elles parcourent et la proportion d'humidité qui s'évapore. Le Missouri, qui traverse des formations en partie calcaires et caverneuses, et dont les plaines sont ba- layées par des vents froids, porte au Mississippi seulement du sixième au septième de l'eau tombée dans son bassin, tandis que le Saint Francis et le Yazoo, coulant l'un et l'autre dans un lit d'argile compacte, rendent au Mississippi 90 pour 100 de la pluie reçue par le bassin. D'après la carte de Humphreys et Abbot, qui résume les observations météorolo- giques faites sur tout le versant mississippien, il y tomberait une masse d'eau évaluée à 2550 milliards de mètres cubes, correspondant à une nappe de pluie épaisse de 750 millimètres1. On comprend quelle immense ramure un pareil ensemble de cours d'eau fournit à la navigation, qui varie du reste, dans les diverses parties de l'année, suivant la hauteur des eaux. De tous les grands fleuves du monde, le Mississippi est le plus utilisé pour la navigation intérieure et sert au mouvement d'échanges le plus considérable ; cependant les chemins de fer qui rattachent les villes riveraines aux ports de l'Atlantique lui enlèvent plus des trois quarts de son traûc normal : de petits cours d'eau, comme le Hudson et le Rhin, portent encore plus d'embarcations que lui1. En 1782, lorsque Je premier chaland, lourde gabarre dite « arche de Noé », descendit l'Ohio et le fleuve, de Pittsburg à la Nouvelle-Orléans, les douaniers ignoraient l'existence de la ville qui leur envoyait ces marchandises. Un bateau du .' Débit du Mississippi et de ses principaux affluents, en mètres cubes par seconde, d'après Hum- pèreys et Abbot : fiant Mississippi. . . 2950 met. cubes, soit 0,24 de l'eau (0",894) tombée dans le bassin. Missouri 5380 Ofaio 4400 Saint Francis ... 813 Arkansas 1790 Yazoo 1200 Rivière Rouge . . . 1610 Mississippi (sans la Rivière Rouge) . . 17 300 » » 0,15 0,24 0,90 0,15 0,90 0,20 )) » » » » (0-,550) (l-,054) (i-,044) (0-, 744) (1-,176) (0-,991) » 0,25 » (0»,772) » » 1 Développement moyen des voies navigables du réseau mississippien d'après Abert : Haut Mississippi et ses affluents Missouri et ses affluents Saint Francis, Big Black, Yazoo, affluents et bayous Ohio et ses affluents Arkansas, affluents et bayous Rivière Rouge, affluents et bayous Mississippi et ses bayous 2 200 kilomètres. 6 300 960 5 855 2 615 3 960 6740 » » Ensemble 28 630 kilomètres. 368 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Kentucky, portant 30 tonneaux de chargement en Louisiane, avait trente rameurs pour équipage : il descendait de Louisville en trois semaines, mais il lui fallait trois mois et demi pour remonter le fleuve1. Au débit fluvial correspond une quantité d'alluvions variable, mais tou- jours assez puissante pour aider à l'empiétement graduel des terres sur les eaux : en moyenne, la proportion de matières solides contenues dans l'eau du Mississippi atteint les trois millièmes; en tenant compte des périodes pendant lesquelles le fleuve a le plus de troubles dans son courant et en ajoutant à cette vase flottante les débris plus lourds entraînés sur le fond du lit, c'est au 1430e de l'eau que l'on évalue la part solide arrachée à la masse continentale et portée sur le littoral et dans la mer. Encore à une vingtaine de kilomètres après avoir franchi les barres, la nappe d'eau qui fut le Mississippi conserve sa couleur jaunâtre : du côté de l'ouest et du sud, elle se heurte au courant du Golfe, qui la rejette à gauche vers les rivages de la Floride. La ligne de démarcation qui sépare le courant fluvial du courant maritime est droite, inflexible, et comme tirée au cordeau d'un horizon à l'autre : vue du Mississippi, l'étendue bleue de la mer contraste tellement avec l'eau jaune déversée par le fleuve, que l'on croirait voir une terre lointaine. Sur la haute mer, la surface terne du Mississippi qui limite au nord les eaux salées semble un brouil- lard épais reposant sur les flots. Les calculs établis depuis Lyell par divers géologues sur les progrès du delta ne peuvent avoir qu'une valeur hypothétique, puisqu'on ignore la part d'alluvions qui se dépose sur les barres, l'importance des érosions et les changements qui se sont accomplis dans le climat et le régime hydro- graphique. Mais du moins peut-on essayer de comparer la proportion annuelle des alluvions à la masse des terrains d'origine fluviatile. Les apports du Mississippi s'élèvent chaque année à plus d'un cinquième de kilomètre cube par an, soit à un îlot de dix kilomètres en surface et de 21 mètres en hauteur. Or, en ne donnant aux dépôts du fleuve moyen que 50 mètres et à ceux du delta que 200 mètres en profondeur, l'en- semble des terres alluviales, de l'Ohio au delta, représenterait l'énorme quantité de 10545 kilomètres cubes, équivalant au total des boues appor- tées par le Mississippi pendant cinquante mille années. Toutefois de pa- reils calculs, reposant sur des moyennes et des hypothèses, donnent des résultats bien différents suivant les divers écrivains *. 1 Pierre Margry, la Navigation du Mississippi. 1 Durée présumée de la formation du delta, d'après Lyell : 100 500 années. ) >> » d'après Ellet : 22 220 » j Nouvelle Géographie Universelle. T. XVI. PI. U. DELTA D . 1 bur^ffr ttdotjrapbi* l&wiBtvrt&i mt,/'nittrr. Hachette et G''. Paris. 7 EHUvilk ;>-' \ j» j?V~ 4 BOUCHES DU MISSISSIPPI. 369 en soït, les cartes dressées depuis l'époque de la colonisation te constater de grands changements accomplis dans les con- ta. La comparaison de la carte de Pauger, faite en 1723, je la Commission hydrographique américaine leva en 1851, aidant cette période la barre s'était avancée de 1 1 kilomètres d'environ 87 mètres par an. Mais cette progression ne sau- îidérée comme le taux moyen des empiétements du delta, îuve oscille alternativement de l'une à l'autre des passes pour ic principale : tandis qu'à telle embouchure le progrès moyen même de 2 mètres par jour, ailleurs les vagues engloutissent graus délaissés. Il ne semble pas que l'avancement du delta i doive être évalué à plus de 20 mètres par an, soit 2 kilo- siècle. En outre, les envahissements de la terre sur l'Océan ]ue se ralentir, car les bouches du Mississippi atteindront *d du profond abîme où passe le courant du Golfe. A 18 kilo- l'entrée du fleuve, le lit maritime est à 270 mètres de 370 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. la surface et cette profondeur augmente rapidement jusqu'à plus de 1500 mètres. A l'ouest du delta mississippien proprement dit s'épanchent dans la mer quelques bayous qui appartiennent plutôt au réseau hydrographique du Washita et de la Rivière Rouge, et dont ie courant s'amortit dans un dédale de lacs et de marais. Le premier fleuve indépendant de quelque importance est la Sabine, autrefois Sabinal, ainsi nommé par les Mexi- cains des arbres tabinos, les « cyprès » des créoles français, qui croissaient sur ses bords. Le cours d'eau, qui servit longtemps de frontière aux Etals- Unis, se mêle au Neches dans un estuaire de faible profondeur, le lac MISSISSIPPI, FLEUVES DU TEXAS. 373 Sabine. Les deux rivières, de môme que les autres courants du Texas, Trinidad, Brazos, Colorado, Nueces, coulent dans la direction du nord- ouest au sud-est, suivant la pente générale du sol, qui s'incline de la base des montagnes Rocheuses vers le golfe du Mexique. Prenant leurs pre- mières eaux dans une région où les pluies ne sont pas abondantes, ces rivières n'ont qu'un faible débit, et leur valeur économique pour la navigation reste très secondaire : dans la partie supérieure de leur cours, le Brazos et le Colorado ne peuvent même servir à l'irrigation, à cause de la nature saline et gypseuse de leurs affluents. Le Brazos, comme le Mississippi, et probablement aussi par l'effet d'oscillations telluriques, ne cesse d'abandonner sa rive droite pour empiéter sur la rive gauche1. A l'ouest du courant, dans la plaine basse nivelée par les eaux, on reconnaît les anciens méandres du Brazos changés en lacs annulaires : les poissons et les coquillages que l'on y trouve sont les mêmes que ceux du fleuve*. Dans une partie de son cours, le Colorado est comme pavé d'huîtres perlières, dont quelques-unes renferment des concrétions de prix5. Aucune de ces rivières du Texas, barrées à leur issue par des seuils difficiles, ne roule une eau assez abondante pour que la navigation ait pu y prendre une importance sérieuse. Le fleuve dont le cours inférieur sépare les deux républiques nord- américaine et mexicaine a gardé ses noms espagnols, Rio Grande et Bravo del Norte. Il mérite en effet l'appellation de « Grand Fleuve », — la plus usuelle aux États-Unis, — par la longueur de sa vallée, car un seul cours d'eau américain, le Mississippi, le dépasse à cet égard. Son bassin est aussi très étendu, environ une fois et demie la superficie de la France, mais sa portée annuelle reste inférieure à celle de nombreux courants ayant un développement beaucoup moindre. Le torrent auquel on a conservé jusqu'à la source le nom de Rio Grande naît en un cirque des montagnes Rocheuses, dont les sommets neigeux ont en moyenne 4000 mètres de hauteur : le plus élevé est le Pôle Creek Peak (4207 mètres) ; d'étroites crêtes séparent le fleuve naissant d'autres vallées 1 Principaux fleuves du Texas : Dassin, Longueur. d'après Gannett. Débit approximatif. Sabine 720 kil. 52 900 kil. carr. 500 mètres cubes par seconde. Triait? 850 » 36 500 » 200 » » Brazos 1 460 » 458 480 » 450 » » Colorado 1 350 » 106 760 » 300 » » Nueces. ... 620 » 49065 » 400 » » 1 Frédéric Lecleic, Revue des Deux Mondes, 15 mars 1840. * PeUrmawït Mitlhei un g en, 1857, Heft XII. 514 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE. s'inclinant à l'ouest vers le Colorado californien, au nord vers l'Arkansas. Après avoir contourné à l'ouest, puis au sud le massif du Pote Creck, le Rio Grande s'échappe vers l'est par une succession de cluses, puis, à l'altitude d'environ 2450 mètres, i) entre dans le vaste bassin, jadis lacustre, dit San Luis Valley : là coulent les eaux d'un torrent qui, pendant la saison des neiges fondantes, reçoit des affluents en abondance de tontes les montagnes environnantes; mais le flot descendu de ces hauteurs ne suffit plus à remplir la vallée, il ne peut même surmonter le faible seuil de sables et de rochers qui le sépare de la coulière où passe le Rio Grande, et s'étale, soil en marécages salins, soit en véri- tables lacs, suivant la saison, dans la cuvette centrale de la plaine, à 2250 mètres d'altitude. Dans ces régions, il arrive aussi que le Rio Grande n'ait point d'eau : les sables de son lit servent de chemin" aui voyageurs. A la sortie de la grande plaine déserte de San Luis, étrange et monotone arène dans un amphithéâtre de montagnes aui formes variées, le Rio Grande reploie son cours dans la direction du sud, tout en suivant une nllée longitudinale entre des saillies parallèles de montagnes et ne s'abais- sât que par de faibles chutes. Au confluent du Galisteo, près de Santa Fé, il -est encore a 1610 mètres d'altitude ; au Paso del Norte, où le neuve cesse d'appartenir aux États-Unis sur ses deux rives et devient la limite entre les deux républiques, de langue anglaise et de langue espagnole, le rond de la vallée se trouve à 1150 mètres au-dessus du niveau de la mer, y uU.Hmimf- — .— quoique la longueur développée du Rio Grande, depuis sa source, soit déjà de 1*200 kilomètres. En aval d'EI Paso, le fleuve, se reployanl au sud-est, traverse la sierra Blanca par d'étroits défilés taillés dans la roche vive. U gagne ainsi un degré inférieur du plateau, où il reçoit son principal affluent mexicain, le rio Conchos, puis, après avoir décrit une grande courbe vers le sud, il perce d'autres chaînes de montagnes par une série de rapides, au milieu desquels ne pourrait se hasarder la moindre turque. Plus bas, une autre rivière, descendue des hauts plateaux du New 376 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE, Mexico et presque parallèle dans son cours au Rio Grande, vient mêler ses eaux argileuses et salines à celles du fleuve principal : c'est le Pecos, appelé aussi « Puerco » ou « Porc » à cause de l'impureté de son cou- rant. En aval du confluent, le canon recommence, plus étroit et plus sauvage, aux parois plus escarpées : les murailles calcaires, coupées eu assises et crénelées à la cime, s'élèvent jusqu'à 300 mètres de hauteur; des ruisseaux tributaires s'unissent au courant par des cluses analogues, ou tombent en cascades des brèches du rocher. Enfin, le fleuve a franchi les derniers barrages de son lit, et chemine d'un cours égal vers le golfe du Mexique, déroulant ses anneaux en longs méandres. Mais il ne s'unit point franchement à la mer par une large embouchure : ramifié en bayous latéraux, il s'étale en étangs, se glisse entre les cordons de dunes, puis retarde son flot en amont d'une barre sans profondeur, où ne s'en- gagent même pas les navires calant 2 mètres. La navigation du Rio Grande ne peut se faire que par de petits bateaux à vapeur et dans la partie infé- rieure, à 600 kilomètres, au plus à 850 kilomètres de l'embouchure. L'uti- lité du Rio Grande dans l'économie des États-Unis se borne à l'irrigation : tôt ou tard, ce fleuve et son affluent le Pecos transformeront des régions actuellement désertes en de fertiles campagnes. Les eaux surabondantes du printemps compensent largement les maigres de l'automne. Telles sont les variations du débit, que l'écart du niveau peut s'élever à une trentaine de mètres dans les cluses : même à El Paso, le Rio Grande fut complètement à sec dans l'année 1851 pendant plusieurs semaines. Après la saison des neiges fondantes il emplit la vallée de son courant majestueux1. III CLIMAT, FLORE ET FAUNE. Des gradations insensibles équilibrent le climat du versant atlantique avec celui du bassin central de l'Amérique du Nord : l'orientation du système appalachien, parallèlement à la direction normale des vents, facilite le mouvement des airs, de l'une à l'autre région climatique, sans brusques déviations. Dans la vallée du Mississippi et sur les côtes orien- tales des États-Unis, les oscillations de la température présentent des 1 Longueur du Rio Grande : 3000 kilomètres. Superficie du bassin, d'après Gannett : 353 570 kilomètres carrés. Débit approximatif : 750 mètres cubes à la seconde. RIO GRANDE, CLIMAT DE LA RÉGION MÉDIANE. 37? phénomènes analogues. De part et d'autre les sinuosités des courbes à tem- pérature égale en été et en hiver différent singulièrement des lignes isothermiques de l'année. Des deux côtés des Alleghanies, les étés des régions septentrionales sont plus chauds et les hivers des régions méri- dionales plus froids qu'à isothermes égaux ne le sont respectivement les mêmes saisons dans les contrées à climat insulaire, telles que la France et les Iles Britanniques. A cet égard, la partie médiane des États- Unis offre même des balancements très supérieurs à ceux du littoral atlantique*. Vers les sources du Mississippi et sur la hauteur des Terres du Minnesota et du Wisconsin, les températures estivales s'élèvent plus haut que dans la moyenne des contrées de la zone torride : c'est ainsi qu'à Fort Snelling, près de Saint-Paul, on aurait subi des chaleurs de 48 degrés centigrades à l'ombre (?), à peine moindres que celles du four saharien. D'autre part, les froids de ces régions du nord sont souvent excessifs, de beaucoup supé- rieurs à ceux de l'Europe occidentale sous les mêmes isothermes : on y sent la proximité de l'un des pôles de froid qui oscille dans les archipels et sur le littoral du continent, près de l'embouchure du Mackenzie. Ces froids sont tels, qu'ils abaissent notablement la moyenne de l'année au- dessous de la normale indiquée par les latitudes. D'après les recherches de Henry, l'écart qui se produit entre les températures réelles de l'année et celles que donne le calcul basé sur la 'rondeur de la Terre s'élève gra- duellement, dans la direction du sud au nord : sous le 25e degré de latitude, près de la bouche du Rio Grande, il y a coïncidence entre la ligne vraie et la ligne calculée, tandis qu'à la frontière commune des États-Unis et du Canada l'amoindrissement anormal de la température moyenne comporte plus de 8 degrés centigrades. Au confluent du Missis- sippi et du Missouri, que l'on peut considérer comme le centre météorolo- gique du bassin mississippien et en même temps de l'Union tout entière', 1 Températures moyennes et extrêmes dans le bassin médian des États-Unis : Temp- Extrême Extrême Latitude. moyenne. Été. Hiver. de chaud. de froid. Écart. Duluth (12 ans). . 46*48' 40,4 170,1 —120,1 570,2 —58o,9 760,1 Saint Paul (12 ans). 44° 55* 6o,7 190,6 —12o,6 370,8 -59o,5 760,5 Chicago (12 ans). . 41° 52* 9*,3 190,9 — 50,7 570,2 —10o,6 470,8 Saint-Louis (1 5 ans) . 38<> 37' 13o,0 25o,t — lo,7 41o,5 —27o,2 68°,5 Cairo (12 ans). . . 37° 14o,5 24o,5 2o,3 59o,5 —2lo,7 6lo,2 Meniphis(12 ans).. 55*8' 16o,2 25o,8 50,6 56o,7 -16o,7 55o,4 Vicksburg (12 ans). 52<>24' 18o,7 27o 10o,l 58o,5 —12o,2 50°,5 New Orléans (1 2 ans) 290 57' 2Qo,7 280 14o,4 55o,8 — 90,5 450,1 Moyenne thermométrique de toutes les températures des États-Unis : 11°,65. xn. 48 378 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. la moyenne des températures annuelles oscille entre 11 et 13 degrés; les variations du froid au chaud y atteignent 70 degrés dans les années ordinaires. Ces extrêmes, qui seraient déjà pénibles à supporter s'ils se produisaient régulièrement de l'hiver à l'été et de l'été à l'hiver, suivant un mouvement graduel, se font sentir d'une manière d'autant plus cruelle que les sautes de température sont parfois presque soudaines. D'après Loomis, on a con- staté des variations de 25 degrés en un seul jour : à Denver, que domine à l'occident la chaîne des montagnes Roeheuses, le mercure s'abaissa, le 15 janvier 1875, de 28°,66 en une heure, et même la chute de la colonne thermométrique aurait été de 20 degrés en cinq minutes au moment où une violente tempête passait à quelque distance à l'orient \ Ces brusques passages de la chaleur aux froidures ou bien en sens inverse, qui font, pour ainsi dire, osciller le climat du nord au sud ou du sud au nord, sont produits par le déplacement des « vagues » aériennes dans l'océan atmo- sphérique : de là les noms de « vagues chaudes » , — hot waves, — et de « vagues froides », — cold waves, — que les Américains donnent habi- tuellement à l'ensemble des phénomènes de chaleurs ou de froidures soudaines se faisant successivement sentir sur de vastes étendues. En jan- vier 1886, une vague froide, accompagnée de vents du nord, soufflant çà et là en tempête, se déroula sur tous les États du Centre jusqu'au golfe du Mexique, et les villes du sud situées dans une région déjà voisine du tro- pique virent toutes leur température descendre au-dessous du point de glace. A la Nouvelle-Orléans le thermomètre marqua — 9°,33; à Mobile, la température minimale fut de — 11°,66, de même qu'à Galveston, où la réfrigération de l'atmosphère atteignit 50 degrés en dix-huit heures. L'opinion commune est que les hivers rigoureux des États-Unis corres- pondent à des hivers doux dans l'Europe occidentale et les étés ardents à des chaleurs modérées. Cette opinion n'est pas toujours justifiée : on a souvent observé ce phénomène de balancement entre les climats des deux Hémisphères, mais on a aussi constaté parfois, des deux côtés de l'Océan, une remarquable coïncidence dans les oscillations du thermomètre. Une zone du bassin médian des États-Unis échappe partiellement à la violence des extrêmes de température : c'est la contrée riveraine des Grands Lacs, soumise à leur influence égalisatrice. En été, la température est adoucie de plusieurs degrés dans le voisinage du littoral ; en hiver, elle s'élève d'autant : la grande masse d'eau, où les oscillations de chaleur et « J. D. Whitney, The United States. CLIMAT DE LA RÉGION MEDIANE. 579 de froid ne peuvent se succéder que fort lentement, exerce son action de proche en proche, et jusqu'à des centaines de kilomètres de distance, sur toute l'atmosphère ambiante; cependant le lac Michigan gela, phénomène très rare, pendant l'hiver de 1871 à 1872. Le canal du Sault Sainte Marie, entre les lacs Supérieur et Huron, est fermé par les glaces en moyenne pendant 131 jours d'hiver. Le contraste bizarre des lignes isothermiques en hiver et en été montre d'une manière saisissante combien le climat normal se trouve modifié par les bassins de la méditerranée d'eau douce. En janvier, les couches de basse température se reploient régulièrement autour du lac Supérieur, tandis que deux lies de froid occupent le centre de la péninsule du Michigan et les plaines de l'Iowa, entre le Mississippi et le Missouri. En été, c'est le contraire : des îles de chaleur torride ont remplacé les zones de froidure dans le Michigan et l'Iowa, tandis que les isothermes se recourbent vers le sud, des deux côtés du lac Michigan, de manière à tracer dans les airs des lignes correspondantes aux contours du réservoir lacustre. La température moyenne de 20 degrés qui passe en juillet sur les côtes méridionales du lac Supérieur se trouve infléchie de 5 degrés, soit de 550 kilomètres, par la présence des eaux du lac Michi- gan; en moyenne, la température d'été est la même sur toute la côte occidentale du lac, de Milwaukee à l'embouchure de la Baie Verte1. Les pluies, comme sur le versant de l'Atlantique, sont plus abondantes dans les provinces méridionales, en proportion de la température moyenne : tandis que la précipitation d'humidité à la Nouvelle-Orléans est de 1274 millimètres par an, et de 1502 à Bâton Rouge, capitale officielle de la Louisiane, elle atteint seulement 999 millimètres à Saint-Louis et 700 à Milwaukee. Mais de l'est à l'ouest la diminution des pluies est encore beaucoup plus forte que du sud au nord. De la Nouvelle-Orléans au lac Erie, dans toute la zone d'entre Appalaches et Mississippi, la moyenne des pluies, — de 1300 millimètres à 700, — peut être évaluée à 1 mètre dans l'année, et dans la zone correspondante qui, du Texas au Dakota, longe la base des montagnes Rocheuses, la précipitation moyenne n'atteint certainement pas 40 centimètres. Les pluies les plus abondantes tombent au commencement de l'été, de mai en juin, dans presque toute la région mississippienne, excepté vers le confluent de la Rivière Rouge avec le fleuve principal, où les plus grandes averses ont lieu en décembre; mais là aussi juin est une saison pluvieuse; d'ailleurs il pleut tous les mois de l'année: c'est en janvier, en février qu'ont été constatées les plus longues périodes 1 WincheU; — Hann ZeiUchrifl fur Météorologie. 1873, Vin. 580 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de sécheresse1. Lors des chutes considérables de pluie, l'udomètre a souvent mesuré plus de 10 centimètres d'eau. La hauteur de la nappe liquide qui en 1889 tomba dans la vallée du Conemaugh, tributaire du Mississippi par l'ÀUegheny et l'Ohio, s'éleva à 159 millimètres en trente- deux heures : aussi la cité de Johnstown disparut-elle alors sous un déluge. Une pluie beaucoup plus violente encore tomba sur Àlexandria, ville des bords de la Rivière Rouge, en Louisiane : en un jour la chute d'eau atteignit 548 millimètres : c'est l'abat le plus fort dont fassent mention les annales météorologiques de l'Amérique du Nord \ L'abondance des averses n'est point en rapport exact avec le nombre des jours pluvieux : au contraire, la Louisiane, la contrée la plus humide du bassin mississippien, n'a que 92 jours de pluie en moyenne, tandis que les États du haut Mississippi el du littoral des Grands Lacs en ont une centaine, même 169 à Buffalo et 177 à Erie, sur les bords du lac de même nom. L'eau tombée ne se mesure pas non plus à l'humidité de l'air : ainsi l'atmosphère qui baigne les États de Michigan et de Wisconsin renferme en moyenne beaucoup plus de vapeur d'eau que celle des États du Centre; mais cette vapeur atteint plus rarement le point de saturation. Il n'est pas une contrée des États-Unis mississippiens qui soit complète- ment à l'abri des neiges; on a vu les nuages floconner même à la Nouvelle- Orléans et à Galveston sur les côtes du Texas; mais ils fondent aussitôt, tandis que dans la partie septentrionale du bassin la neige recouvre le sol pendant des mois, sur un ou deux mètres d'épaisseur : fleuves et lacs y sont en même temps revêtus d'une glace épaisse; en 1852, les représentants du district de Pembina furent obligés de se rendre à Saint-Paul en traî- neaux à chiens5. Les brusques refroidissements de l'air donnent au phéno- mène du verglas une fréquence et une intensité rarement égalées en Europe. Souvent des arbres se brisent sous le poids des gaines de cristal, merveilleusement frangées, guillochées, constellées, qui emprisonnent les feuilles et les rameaux. Les extrêmes de température, caractéristique du climat américain, favo- risent l'évaporation, surtout dans les plaines nues de l'Ouest; la séche- resse de l'air y devient telle, que même en plein soleil, le voyageur transpire rarement. Les pluies se produisent soudain, sans être précédées par une lente accumulation de vapeurs aériennes, et, sitôt l'averse tombée, l'atmosphère reprend sa pureté relative. Les brouillards, les rosées sont 1 Arthur Schott, Smithsonian Contributions to Knowledge, XIV. 1 Jacques W. Redway, The Physical Geography of Ihe United States. 5 J. Tassé, Les Canadiens de V Ouest. CLIMAT DE LA RÉGION MÉDIANE. 381 des phénomènes presque inconnus. Les herbes des prairies se flétrissent et sèchent sans rien perdre de leurs qualités nutritives, ce qui n'arrive point dans les États de l'Est, et la viande, découpée en tranches et placée à l'air libre, se corrompt très rarement, même en temps de pluie. La sécheresse de l'air ne serait-elle pas aussi, suivant une hypothèse acceptée avec faveur, la cause principale de ce tempérament maigre, sec et nerveux qui distingue les Américains de leurs ancêtres européens? De même qu'en Europe, on a constaté des oscillations de climat, des cycles pendant les- quels l'humidité s'accroit, d'autres où elle diminue. De 1886 à 1891, le manque d'eau s'est fait sentir, et les Grands Lacs, comme un gigantesque udomètre, ont mesuré l'amoindrissement : ils ont baissé de près d'un mètre1. On sait que récemment, en 1891, des spéculateurs, subventionnés par des subsides nationaux, se sont livrés près de Midland, dans le Texas, sur une haute plaine des plus arides, à des expériences pour la production artificielle de la pluie, au moyen de fusées en batterie et de ballons explosifs simulant une bataille par leurs détonations et le déchirement de l'air. Les expériences ont-elles réussi? Quelques-uns ont eu l'audace de l'affirmer; mais en l'absence de tout contrôle sérieux il serait difficile d'y croire : en pareille matière, une pluie plus ou moins tardive ne suffit pas; les résultats devraient être instantanés, constants et réguliers pour forcer la conviction *. Le vent dominant dans le bassin du Mississippi comme dans la région des Appalaches est le vent d'ouest : le mouvement général des airs se porte, en sens inverse des alizés, du continent nord-américain vers l'Europe occi- dentale. Seulement l'orientation de la vallée majeure dans le sens du nord au sud a pour conséquence de dévier les vents dans la même direction ; en outre, l'existence d'une méditerranée au sud de cette partie du continent a déterminé un va-et-vient de moussons et de brises alternant aussi dans le sens de la vallée. En Louisiane , au Texas, la mousson du golfe Mexicain souffle pendant les mois d'été normalement à la côte, avec une vitesse moyenne de 30 à 40 kilomètres par heure ; en hiver, les coups de vent du Nord, les redoutables nortes des côtes mexicaines, descendent avec violence 1 Proportion des pluies dans la région médiane des États-Unis : Bords des Lacs, Cleveland 0a,775 Vallée de l'Ohîo, Cincinnati 0*,937 Haut Mississippi, Pubuque 1*,022 Croisée des fleuves, Saint-Louis 0",999 Delta mississippien, New Orléans ... . 1",1274 * Simon Newcomb, North American Review, October 1891. Mi NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. des plateaux du Texas, contre-moussons fortifiées sans doute par le courant polaire qui souffle de la mer Glaciale, sans rencontrer en route aucune saillie de montagnes qui les détourne de leur voie. Sur le pourtour des Grands Lacs on a aussi remarqué le jeu alternatif des moussons irrégu- lières, portant en été des nappes d'eau vers les terres riveraines, et refluant de celles-ci vers les lacs pendant la saison d'hiver. Aux États-Unis la plupart des troubles atmosphériques participent de la nature des cyclones, mais sans offrir la même régularité dans leur mouve- ment de giration que les cyclones tournoyant en pleine mer. Les tempêtes proprement dites balayent souvent la surface des plaines, surtout dans les parties septentrionales de l'Union. Elles commencent dans le Grand Ouest et se développent dans la direction de Test suivant une courbe élégante tournant sa convexité vers le sud : leur voie la plus ordinaire traverse le Dakota et le Minnesota, le lac Supérieur, puis le Huron, et se con- tinue vers la mer par le Saint-Laurent, avec une vitesse moyenne, calculée par Loomis pendant quinze années, — 1872 à 1884, — de 45 700 mètres par heure ; mais en hiver, surtout en février, la translation de la tempête est souvent beaucoup plus rapide, même de 70 kilomètres à l'heure. En août, le déplacement se fait avec plus de lenteur ; toutefois il l'emporte, même dans cette saison, sur la marche des tempêtes européennes En hiver, les vents qui soufflent avec une formidable violence dans les régions du nord, accompagnés souvent d'un cortège de trombes, sont les blizzards si redoutés, qui glacent soudain les voyageurs et les enseve- lissent parfois sous des tourbillons de neige. Les cyclones qui déroulent leurs terribles spirales à travers les campagnes mîssissippiennes ont une autre origine : ils proviennent du sud-ouest, du sud ou du sud-est et se développent en arc de cercle à travers les plaines centrales pour gagner la mer en franchissant les Àppalaches ; cependant ils ne suivent pas toujours une marche régulière, de forme hélicoïdale, ana- logue à celles dont on trace le parcours dans les ouvrages classiques : Finley cite même des exemples de cyclones, — 1 sur 69, — dont le mouvement giratoire, au lieu de se porter normalement du sud au nord par l'est et du nord au sud par l'ouest, prend la direction inverse, c'est-à-dire de gauche à droite, comme les aiguilles d'une montre. Les chemins suivis par ces météores diffèrent beaucoup, mais ne se font pas sentir à l'ouest du Terri- toire Indien et du Kansas : nés dans le golfe du Mexique, ils décrivent leur courbe au nord de cette mer intérieure. Mai, avril, juin, juillet, sont les mois pendant lesquels l'équilibre des airs se montre le plus instable et les tournoiements de l'atmosphère, trombes, tornades, ouragans, se pro- CLIMAT DE LA RÉGION MÉDIANE 385 duisent avec le plus de fréquence; c'est presque toujours dans l'après-midi, de trois heures à cinq heures et demie, que Ton a observé ces tempêtes tournantes. Le mouvement du centre tourbilionnaire varie de 25 à 110 kilo- mètres par heure, mais la vitesse de l'air entraîné sur le pourtour de l'en- tonnoir, dans les trombes locales, monte parfois à un taux décuple, soit plus de 1000 kilomètres. Rien ne peut résister à une pareille force : les arbres sont arrachés, tordus par le vent, enlevés comme des fétus ; les maisons volent en débris dans l'air; les locomotives, poussées hors des rails, vont s'abattre dans les champs; les ruisseaux, aspirés, se dessè- chent; près de Jamestown, dans le Dakota, un laguet de 80 ares s'évapora soudain et Ton put en labourer le sol après l'ouragan1. Le sillage du cyclone, heureusement très étroit, est indiqué par les branches et les fragments de toiture qui planent dans le vide laissé derrière lui par le centre du tourbillon. Tel ouragan détruit des milliers de maisons et tue des centaines de personnes. Après des siècles, le voyageur peut encore reconnaître dans les forêts du Kentucky la trace d'un chemin frayé par un ancien cyclone. La fréquence de ces désastres donne à l'étude de la météorologie améri- caine une importance pratique exceptionnelle, et la grande étendue des plaines, la simplicité du relief général, la régularité que présentent certains phénomènes climatiques dans leur ordre de succession, ont facilité les recherches des observateurs : en aucun pays la prognose du temps n'a plus d'adeptes. D'après les tableaux officiels, les prévisions faites un jour à l'avance sont justifiées 84 fois sur 100. Celles que l'on télégraphie d'Amé- rique en Europe ont une moindre valeur, car les coups de vent et les cyclones qu'on a suivis dans leur marohe des plaines de l'ouest aux côtes atlantiques vont se perdre dans la mer, surtout dans les parages de la Xoarelle-Écosse et de Terre-Neuve; cependant les avertissements reçus de New York ont souvent permis d'éviter des naufrages dans les mers de l'Europe. Lors de l'arrivée de l'homme blanc, l'espace immense qui s'étend des Appalaches aux prairies de l'IUinois et aux grandes plaines d'outre-Missis- sippi, était, comme le versant atlantique, un océan de verdure parsemé de rares clairières. La forêt, dont la superficie égalait au moins celle de l'Italie, de l'Espagne et de la France réunies, et qui, par delà le Saint-Laurent, se « Ibthi&iel Staler, Aspects of ihe Earth. 384 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. prolongeait au loin dans le Canada, se composait presque uniquement d'arbres à feuilles caduques, chênes, hêtres et frênes, érables, ormeaux et tilleuls, noyers et châtaigniers, cerisiers, peupliers, magnolias, se succédant suivant une rotation naturelle. Au nord, au sud, cette forêt aux essences variées était limitée par une zone de végétation uniforme où croissaient surtout les conifères : d'un côté, vers le lac Supérieur, les pins blancs, de l'autre, dans les Appalaches du Sud, les pins « baumiers » (pinus bahamifera) , et vers le golfe du Mexique les pins jaunes (pinus palmlm) et les ce cyprès » (cupressm dhticha). Du côté de l'est se produisait un contraste analogue : là aussi les conifères dominaient; l'axe des Âlleghanies constituait la limite des aires'. Mais cette forêt des régions mississippiennes ne s'étendait point à l'ouest jusqu'aux montagnes Rocheuses; même dans les contrées du Gis-Mississippi de vastes surfaces étaient dépourvues d'arbres : l'État d'IUinois a pris le surnom de Prairie State, à cause de ses « prairies » * ou mers d'herbes naturelles parsemées de quelques bosquets, loin des rivières qui serpen- taient entre deux lisières continues de végétations arborescentes. Déjà l'État d'Indiana présente de vastes étendues herbeuses où le sol ne garde aucune trace de l'existence d'anciennes forêts : lorsque le chasseur à peau rouge parcourait ces contrées, les arbres y manquaient comme de nos jours. Ce n'est point à l'incendie qu'il faut attribuer l'absence de bois : après le passage du feu de nouvelles pousses auraient pointé dans les cendres. En plusieurs endroits, des causes spéciales expliquent la domina- tion des herbes : ainsi, sur les bords d'anciens lacs desséchés, la nature tourbeuse du sol, contenant des acides nuisibles à la croissance du tissu ligneux, convient à la végétation herbacée; ailleurs, la poussière provenant des roches décomposées produit une sorte de pâte une dans laquelle ne peuvent s'introduire facilement les racines des arbres5. Le climat détermine très probablement la prédominance des prairies. La limite orientale de ces étendues à végétation herbacée coïncide avec celle des régions où la moyenne des pluies est d'un mètre par an. Sans doute l'humidité de l'air et du sol à l'ouest de cette zone bien arrosée suffirait encore largement, comme en beaucoup d'autres contrées, à la croissance de grands arbres en forêts continues, et partout où le travail de l'homme intervient, il réussit à créer des vergers, des bosquets et des parcs; mais, laissée à elle-même, la nature s'accommode mieux des plantes herbeuses Charles Sprague Sargent, Siha ofNorth America, Mot prononcé perairer par les Américains. J. D. Whitney, ouvrage cité. CLIMAT, VÉGÉTATION DE LA RÉGION MÉDIANE. 586 et en propage spontanément les graines : le milieu leur est plus favorable et les semences des arbres sont étouffées parmi ces milliers de liges qui jaillissent soudain au printemps et que tuent les froids de l'hiver. En cer- tains districts, notamment dans le bassin kentuckien de Green River, des roairs Dm u ntGiON ïéduse. jg§ forêts ont conquis d'anciennes prairies'. De même, les plaines herbeuses dn Missouri, près de Saint-Louis, se sont spontanément boisées*. H n'eiisle plus guère de prairies dans leur état primitif : l'agriculture les a découpées en champs limités par des chemins, entourés de barrières ; nulle part on ne voit plus de ces mers d'herbes qui s'étendaient à perte de me sur un sol déroulé en forme de vagues, mais il en reste quelques :l Staalcr, Atpecit oflhe Earlh, unes. Expédition from Pittsburgk la the Rocky Mountain*. 586 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. îlots utilisés pour la production des foins. La prairie présente d'ordinaire une certaine monotonie d'aspect : composées, légumineuses, céréales entremêlent leurs espèces dans la même proportion ; mais elles sont plus ou moins hautes et fournies suivant la fertilité et l'humidité du sol: dans les fonds, un homme à cheval disparait en entier au milieu des herbes. La couleur dominante des fleurs est le rouge au printemps, puis le bleu lui succède en été et le jaune en automne*. Quand le vent souffle avec force, il relève les feuilles des légumineuses, au revers blanchâtre et velouté de poils : on voit alors la masse verdoyante onduler en longues vagues lamées d'argent. Certains districts rocheux du nord ont perdu leurs forêts lors des incendies allumés par l'homme ou par la foudre. Les plaines granitiques du Michigan, du Wisconsin, du Minnesota, dont la surface fut rabotée et polie par les glaces, ne laissent pénétrer les racines ligneuses qu'en d'étroits interstices. Aussi les troncs, ne pouvant résister aux violentes tempêtes, sont-ils renversés en désordre sur le sol, et en maint district on rencontre des barricades d'arbres entassés occupant des espaces considé- rables : on en a vu, près de Fort Snelling, qui s'étendaient sur une lon- gueur de 100 kilomètres et sur 15 à 20 kilomètres de largeur. Pour se débarrasser de ces obstacles infranchissables, les chasseurs y mettent le feu et l'immense bûcher flambe jusqu'à ce que la pierre même soit cal- cinée. De loin la roche nue révèle le lieu des anciens incendies1. A l'ouest du Mississippi, par delà les prairies, les étendues forestières n'ont pas une profonde épaisseur de fourrés comme les bois de la Virginie et du Kentucky : les espèces sont les mêmes, mais la physionomie générale diffère. Buvant moins de pluie, les arbres ne poussent plus autant de branches gourmandes ni de feuilles, leur profil est plus arrêté, plus régulier; le sous-bois manque, les lianes, suspendues de branche en branche, se font plus rares. Des nappes de gazon entourent les troncs; l'ensemble de la forêt prend l'aspect d'un parc. Plus loin, dans le voisinage des steppes occidentales, les arbres n'ont plus les dimensions ordinaires et succombent avant le temps. La ligne irrégulière de démarcation entre l'aire des forêts et celle des herbes, qui se découpe en baies ou s'avance en promontoires, suivant les contrastes du sol et les variations du cli- mat, se déplace de cycle en cycle, tantôt gagnant sur les steppes, tantôt reculant devant elles. Après une année de sécheresses persistantes, on * Friedrich Ratzel, ouvrage cité. * Georg Rudolph Credner, Ergdnzungshefl zu Petermann'ê Mittheilungcn, n° 56. r ^. > PRAIRIES ET FORÊTS. 589 traverse parfois sur la lisière de la plaine une des forêts restées debout, mais dépouillée de ses feuilles et complètement tuée par le manque d'humidité : elles seront dévorées par les insectes, tomberont en pous- sière, et la zone qu'elles occupaient augmentera l'étendue des contrées herbeuses. lie balancement des climats qui se révèle dans la flore spontanée des plaines d'entre Arkansas et haut Missouri fait varier aussi les avantages agricoles de la contrée. Quand prévaut la série des pluies abondantes, le climat est un des meilleurs pour l'agriculture, et la population s'accroît ; mais quand les années sèches se succèdent, les mauvaises récoltes se sui- vent également et les campagnards émigrent. Ainsi les études faites pour les recensements de 1880 et de 1890 ont prouvé que l'augmentation considérable des habitants du Kansas, du Nebraska et des deux Dakota1 s'était faite surtout dans les premières années, qui furent relativement humides, mais que le progrès diminua ou même cessa tout à fait, sur- tout dans le Kansas, durant les saisons sèches qui terminèrent la décade. Aussi les plantations d'arbres fruitiers et autres essences que l'on a faites au Kansas n'ont-elles qu'une existence incertaine : elles sont toujours me- nacées de disparaître à la suite d'une sécheresse prolongée. D'autre part, une série d'années humides accroît lentement par des semis naturels le domaine de la forêt. La frontière tracée par le climat entre les deux zones de végétation oscille incessamment. Grâce à l'extension de l'aire d'humidité dans la région comprise entre l'Arkansas et le rio Brazos, au sud du Territoire Indien, une zone fores- tière de 10 à 50 kilomètres en largeur, mais d'une longueur de plus de 600 kilomètres, se développe obliquement dans la direction du sud-ouest : ce sont les Cross Timbers, formés d'espèces de chênes à petites feuilles qui croissent dans un sol aride, à distance les uns des autres, interrompus par de vastes clairières à gazon clairsemé. Avant que la hache eût entamé ces bois et qu'on y eût construit des routes, même des voies ferrées, ils étaient assez accessibles déjà pour livrer passage au bétail ; les charrettes mêmes pouvaient traverser la région dans tous les sens : de là le nom de cross ou « traverse », donné par les premiers explorateurs. Les Cross Tim- bers constituent la frontière naturelle entre les terres fécondes de l'Orient, propres à la colonisation et à la culture, et les plateaux arides de l'Ouest, dont la population sera toujours fort rare : autrefois cette zone d'arbres établissait la séparation entre les Indiens agriculteurs et les Indiens 1 Accroissement décennal : de 1 581 675 à 2997 533 habitants, soit 191 pour 100. 590 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. nomades. On ne rencontre pas une seule forêt, pas un seul bois entre les Cross Timbers et les massifs boisés des montagnes Rocheuses, à 800 kilo- mètres de distance. Ce manque de végétation forestière est dû beaucoup plus à la porosité du sol qu'à la sécheresse de l'atmosphère et à la rareté des pluies ; toute l'eau qui tombe sur ces plateaux disparaît immédiatement dans les fissures de la roche et gagne les rivières serpentant au fond des canons1. Dans les États méridionaux, riverains du golfe Mexicain, trois zones forestières se partagent le territoire. Sur les terres infertiles qui domi- nent la rive gauche du Mississippi et qui s'étendent à l'est jusque dans l'Âlabama, croissent des pins aux troncs pressés, que les habitants consi- dèrent comme un rempart protecteur contre l'air empesté des marécages; pendant les années où sévissent les fièvres paludéennes, les habitants de la Nouvelle-Orléans et de Mobile se réfugient en foule dans les villages de plaisance bâtis sous leur ombrage. Au printemps, le pollen, soulevé par le vent, s'envole à des centaines de kilomètres, emplissant d'une odeur caractéristique l'atmosphère de la contrée ; même par delà le fleuve Mis- sissippi, il recouvre le sol, les marais, les rivières, en longues traînées, pareilles à de la sciure de bois. A l'ouest des pinières, les campagnes riveraines du Mississippi et de ses bayous, souvent inondées, sont de vastes « cyprières », comme les terres basses de la Caroline du Sud et de la Géorgie ; puis, à l'ouest encore, des bois alternent avec les savanes dans les terrains relativement élevés. Ces régions forestières, admirables de grâce, ressemblent à celles de l'Europe par leurs clairières et leurs avenues discrètes et tortueuses; mais elles les dépassent par la magnificence du feuillage et le groupement pittoresque des arbres. Quand on suit les allées ombreuses, le spectacle varie sans cesse, chaque nouvelle échappée offre au regard un nouveau paysage. Les chênes, les érables, les frênes, les magnolias, les copals, les saules, les peupliers de la Virginie sont groupés en massifs distincts, obéissant à leurs diverses lois d'association; les lataniers étalent autour des troncs leurs larges feuilles en éventail, et les grosses lianes des socos ou raisins sauvages se balancent entre les arbres comme des câbles suspendus entre les mâts, mais ne formant point comme celles de l'Amérique tropicale des réseaux inextricables de cordages. Partout on se promène aisément, si ce n'est dans les allées où les acacias entre-croisent leurs branches gar- nies de triples épines, et dans les fourrés de cannes sauvages où les ser- 1 Jules Marcou, Expédition de 1853, du Mississippi aux montagnes Rocheuses. PRAIRIES ET FORÊTS. 501 uenls seuls peuvent se glisser. Au delà de ces bois si variés s'élendent des « prairies », analogues à celles de l'IHinois, mais d'une horizontalité par- faite, et comparables à la mer : « aller au large, revenir du large ». dil-on du voyageur qui parcourt ces plaines d'herbes. On a donné le nom d' « île » à toute habitation qui s'y trouve entourée d'un bouquet d'arbres'. Pine Bsr/~rns A l'ouest de la zone des bois mississippiens, la région des steppes sépare complètement les aires correspondantes des Appalaches et des montagnes Rocheuses. Ces maigres prairies différent de celles du Cis-Mississippi : moins abondamment arrosées, elles ne se présentent point en mers d'herbes mouvantes; les touffes de plantes sont écartées et d'une teinte grise. Les composites sont les principales espèces dans la zone qui succède aux forets ; on y voit aussi l'herbe à compas (silpkium laciniatum), boussole rudimen- 1 Cfegnin, Proceedingi and Transaction* of tlie R. Society of Canada, 1887. 392 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. taire, dont la feuille, orientée par son rebord dans le sens du méridien magnétique, peut servir de guide aux voyageurs pendant les jours bru- meux1. Mais dans les grandes étendues qui se relèvent graduellement vers les montagnes Rocheuses, la plante qui donne à la contrée sa physionomie générale est une espèce d'armoise (artemi$ia tridentata) ; elle apparaît déjà sur les bords du bas Kansas, mais devient de plus en plus commune vers l'ouest, surtout dans les terres recouvertes d'efflorescences salines : pendant des journées entières, le voyageur en parcourt les champs illimités et l'air que Ton respire est tout imprégné de l'odeur de camphre et de térébenthine propre à cette plante*. Des cactus d'espèces différentes crois- sent aussi dans ces déserts, jusqu'aux bords du lac René (Rainy, de la Pluie) dans la Puissance Canadienne, mais ils ne caractérisent le paysage que dans les plaines limitées au nord par l'Ârkansas; grâce à ces plantes, la région des « Plaines Jalonnées » ressemble aux parties méridionales de l'Arizona et aux versants de la Sierra Madré mexicaine. Enfin le gramma ou « herbe aux bisons » forme un pâturage naturel en de vastes étendues du versant oriental des Rocheuses : la sécheresse de l'air conserve jusque dans le cœur de l'hiver le foin laissé sur pied et les animaux y trouvent une nourriture suffisante. Au nord, dans le pays des Sioux, une des prin- cipales ressources des indigènes est la « pomme blanche », psoralea escur lenta\ dans les districts où le gibier est devenu rare, les Indiens n'ont d'autre nourriture que ce tubercule durant les mois d'hiver. La « noix de terre », apios tubero&a, que l'on fouille en quantité dans tous les creux de vallée, est aussi un des aliments les plus recherchés. Les petits rongeurs en font des approvisionnements considérables dans leurs galeries souterraines, et, vers les commencements de l'hiver, les Indiennes se mettent à la recherche de ces terriers pour les dévaliser au profit de leurs propres familles. Au point de vue de la flore agricole, le climat des États-Unis, avec ses extrêmes de température, ses grandes chaleurs et ses fortes pluies estivales, présente de notables avantages. Les végétaux qui prospèrent dans le voi- sinage des tropiques sont attirés vers le nord par cette ardeur excep- tionnelle de l'été et se propagent ainsi en des régions où la moyenne de l'année est pourtant beaucoup plus froide qu'en d'autres contrées où ils ne pourraient pas vivre. C'est là un des caractères distinctifs de la vallée du Mississippi. La canne à sucre, le coton, le maïs et d'autres plantes qui 1 J. W. Foster, The Mississippi Valley. * Fremont, Narration of Exploration* and Adventures in Kansas, etc. r FLORE ET FAUNE DE LA RÉGION MÉDIANE. 395 n'appartiennent pas aux zones isothermiques correspondantes de l'Europe y donnent des produits abondants. Les grandes plantations cotonnières des États-Unis sont traversées par l'isotherme qui passe à Lisbonne, à Marseille et à Florence ; il en existe même sous les latitudes thermales de Londres et de Paris. Les « cannes sauvages » qui croissent dans les marais de la Louisiane formaient de véritables forêts jusque dans les bas fonds de l'Ohio et du Kentucky, avant que le cultivateur les eût fait disparaître. Le charmant colibri, la fleur vivante des tropiques, ne se laisse-t-il pas aussi tromper par les chaleurs et ne volc-t-il pas d'arbuste en arbuste jusqu'en plein Canada? La région des steppes occidentales, du Texas à la frontière du Canada et de la zone des cultures à la base des montagnes Rocheuses, a sa faune spéciale représentée surtout par les espèces qui fouissent dans la terre sableuse ou se cachent dans les trous des rochers : le loup même ou coyote (canis ochropus) se blottit en des garennes; il ressemble plus au chacal qu'au loup d'Europe. Parmi les nombreuses espèces de rongeurs, le mieux connu, mais en même temps celui qui a donné lieu à plus de légendes, est le « chien des prairies » (&permophilu$ ludovicianm), espèce d'écureuil qui vit d'herbes, de sauterelles et autres insectes ; il ne res- semble à certaines variétés de chiens que par sa queue touffue et son petit jappement de roquet : aussi les Américains l'appellent-ils barking squirrel, « écureuil jappeur ». Indigènes et colons affirment unanimement que les serpents à sonnettes, les hibous, les tortues, les grenouilles, les tarentules, même des lièvres habitent, en « familles heureuses ». dans les terriers du « chien des prairies ». Nombre de voyageurs, entre autres Bartlett, disent avoir reconnu de leurs yeux la réalité de cette cohabitation ; mais ils se demandent si les commensaux du spermophile ne se sont pas introduits dans sa demeure pour en manger les petits. D'ailleurs les hibous tro- glodytes se rencontrent surtout en grand nombre dans les garennes aban- données1. Les monticules qui s'élèvent au-dessus des galeries souterraines du spermophile ont en moyenne 9 mètres de tour et 1 ou 2 mètres de hauteur; un cheminet battu réunit les tertres les uns aux autres, témoi- gnage de la sociabilité des petits animaux. Leurs ce villes » s'étendent en quelques endroits à perte de vue, recouvrant des plaines entières; le courant des rivières ne les arrête pas toujours; les buttes longent les 1 Cous, The Birds of North We$t America. xïi. 50 594 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. deux rives de nombreux cours d'eau. Sur le Brady's Creek, dans le haut bassin du Colorado oriental, Bartlett et ses compagnons traversèrent pen- dant trois jours une de ces villes, qui n'avait pas moins de 96 kilo- mètres en longueur et où sans intervalle butte succédait à butte. En admettant que cette longue cité eût seulement 16 kilomètres en largeur et que chaque famille, de quatre individus, eût pour elle seule un espace de 100 mètres carrés, la nation du Brady's Creek aurait compris 60 mil- lions de spermophiles. Le petit animal, blotti dans sa tanière, résiste à l'invasion de l'homme; le gros gibier succombe. Une légende des Lenni-Lenap raconte celte des- truction du « Père aux Bœufs » et des autres puissants mammifères. Le Grand Esprit les foudroya pour sauver les nations indiennes, trop faibles pour lutter contre ces monstres : un seul évita la mort. Quoique blessé, il franchit successivement par bonds prodigieux l'Ohio, leWabash et disparut dans les forêts du Grand Ouest, où il vit encore en quelque caverne1. Les bêtes moyennes meurent à leur tour. Au commencement du dix-huitième siècle le bison peuplait plus d'un tiers du continent nord-américain. Il parcourait toute la région des montagnes Rocheuses, des bords du grand lac des Esclaves et du fleuve Mackenzie jusque dans le Chihuahua mexicain, au pied de la Sierra Madré. À l'est il paissait aussi par delà le Mississippi dans les prairies de l'illinois; on le chassait dans toute la vallée de l'Ohio ; mais il ne pénétrait pas sur le versant des Grands La&, ni sur les rives du Saint-Laurent. Au sud il ne parait pas avoir jamais dépassé beaucoup le bassin du Tennessee, et sur le versant oriental des Alleghanies on n'en trouve les restes que dans les régions élevées des deux Carolines f. Ainsi c'était un quadrupède essentiellement continental : nul chasseur ne le vit sur le littoral de l'Atlantique, ni dans le voisinage du Pacifique, sur les pentes occidentales de la Sierra Nevada. D'après Hornaday, les récils des anciens voyageurs au sujet du nombre prodigieux des bisons ne seraient pas exagérés. Il est certain que les grands troupeaux, paissant dans les prairies et les steppes de l'Ouest, mettaient quelquefois des semaines entières à traverser un district; les foules de ruminants succédaient aux foules, comme les pucerons dans un champ ravagé. Encore au commencement de 1871, à une époque où l'œuvre d'extermination était déjà bien avancée, la principale armée, qui parcourait le haut bassin de l'Arkansas, occupai! 1 De Nadaillac, Société d Anthropologie, A mars 1886. 2 F. A. Allen, The American Bisons, Mémoire of Ihe Muséum of Comparative Zoology, vol. IY, n* 10. FLORE ET FAUNE DE LA RÉGION MÉDIANE. 395 un espace évalué à 40 kilomètres sur 80 et l'on y comptait en moyenne de 36 à 50 individus par hectare : c'est donc par millions de têtes qu'il Zone* de diiptrition graduelle du ht* Ai.nl i 800. De MOU ù 16 DelWOi 1875. De I87S4 IBl». poque- aniérioure à 1800 jusqu'en 1890 : De lin» i 1850. IMareuprtiOii eu 185 fallait évaluer l'effectif d'un seul troupeau. Même la construction des chemins de fer avait déjà commencé que d'énormes bandes traversaient 396 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. encore les voies : sur le Kansas Pacific, des trains déraillèrent en essayant de forcer le passage à travers une troupe de bisons1. Les Indiens, qui vivaient de la chair de ces animaux, se gardaient bien de les égorger sans but : ils tuaient les bêtes dont ils avaient besoin pour leur approvisionnement, mais en s'excusant de ce meurtre auprès des manitous : pour eux, la conservation des troupeaux, garantie de leur propre existence, était sacrée. Les blancs, ennemis de l'indigène, ou du moins insoucieux de son bien-être, n'avaient point de scrupules pareils à l'égard de la grosse bête. Ils l'abattaient uniquement pour sa peau ou même pour la langue; s'ils daignaient manger de cette chair, il leur fallait celle de la femelle, plus délicate, dit-on ; comme le renard dans un poulailler, ils tuaient, tuaient par amour du sang. Certains modes de chasse étaient un pur massacre. Ainsi l'on cernait des bandes, dont chaque individu, obligé de s'enfuir par un étroit guichet de rochers ou de palis- sades, était frappé à coup sûr. Au commencement du dix-neuvième siècle, des bisons se rencontraient encore dans la vallée de l'Ohio; mais dès l'année 1850 on égorgeait les derniers de ces animaux qui se trouvaient à l'est du Mississippi, et vers le milieu du siècle on ne les voyait plus guère que dans la région des steppes du Far West, au pied des montagnes Rocheuses. Toutefois la poussée des colons augmentait sans cesse, et en même temps la redoutable précision de leurs armes. Puis les voies ferrées s'avancèrent dans les terrains de pâturage, parquant les bisons en domaines séparés. En 1869, l'achèvement du chemin de fer transconti- nental coupa définitivement en deux l'aire du bison, et les deux enclaves se sont rapidement rétrécies. Au 1er janvier 1889, il ne restait plus, d'après Hornaday, trois cents bisons sauvages dans tout le territoire des États-Unis, et de ce nombre les deux tiers se trouvaient dans le « Parc National », la réserve protégée du haut Yellowstone; ils sont un peu plus nombreui au Canada, dans les hauts bassins du Saskatchawan et de Peace River. Une nouvelle ère a commencé : après l'extermination vient l'élevage. On compte déjà dans les étables quelques centaines de bisons domestiques et les croisements avec des bêtes d'origine européenne ont créé des races nouvelles ; mais on a remarqué que presque tous les petits nés en servi- tude sont des mâles. Dans les États du Sud, un autre gros animal, le crocodile, est menacé de disparition. Depuis de longues années on n'en trouve plus dans le Mississippi : il en a été chassé par les bateaux à vapeur et s'est réfugié dans 1 The Extermination of the American Bison. FAUNE DE LA RÉGION MÉDIANE. 397 les bayous latéraux. La valeur croissante de son cuir, de ses dents et de l'huile extraite de sa chair en fait une proie de plus en plus appréciée1. En Floride on le recherche surtout parce que la tortue terrapin lui sert de commensal : les deux animaux passent l'hiver dans le même trou, et Ton s'empare d'eux au printemps, lorsqu'ils sont encore engourdis par le froid. A en juger par les expériences faites dans les ménageries, il serait facile de conserver la race en aménageant les marais pour y nourrir les crocodiles et les domestiquer comme les porcs; cependant il ne paraît pas que jusqu'à maintenant les « fermes » ou parcs à crocodiles dont les journaux entretiennent souvent leurs lecteurs aient acquis une réelle importance : l'extermination des sauriens se poursuit, chaque année de plus en plus rapide. On a fait aussi quelques tentatives pour rétablis- sement de « fermes » à castors. La fondation des villes, le peuplement du territoire et la destruction des grandes forêts ont modifié de mille manières l'ancien équilibre de la faune. Lorsque les pionniers franchirent les Alleghanies et pénétrèrent dans la vallée de l'Ohio, les vols de certaines espèces d'oiseaux étaient de prodigieuses dimensions : les individus s'y pressaient par myriades, obscur- cissant le ciel et tombant sur le sol comme la grêle. On peut se faire une idée de ces abats d'oiseaux en voyant en Louisiane, sur les bords du Mis- sissippi, les nuées de martinets, comme les moucherons sur un marais, qui traversent le fleuve le matin pour chercher leur nourriture dans les forêts de pins de la rive gauche et qui reviennent le soir sur la rive droite. Autrefois les exodes des pigeons duraient des journées entières ; on enten- dait sans cesse le bourdonnement de leurs ailes, l'atmosphère s'impré- gnait de leur odeur; quand ils s'abattaient sur les arbres, des branches se brisaient avec fracas; les oiseaux de proie les suivaient en foule, les fauves, ours, loups, renards, sarigues, couraient dans le sillage, dévorant les pigeons tombés, et les fermiers en nourrissaient leurs porcs1. Le fléau des moustiques et des cousins n'est nulle part plus redoutable que dans certaines parties du Minnesota et du Dakota, au bord des lacs et des rivières. Il n'est pas rare que des bœufs et des chevaux restés sans abri pendant les nuits d'été périssent de la piqûre des moustiques. Naguère les Sioux faisaient mourir leurs captifs en les soumettant, le corps nu, à l'exquise torture d'une nuit passée en plein air5. A l'autre extrémité du bassin fluvial, dansjes marécages de la basse Louisiane, les maringouins 1 Féaux de crocodiles utilisées dans l'industrie aux États-Unis : de 50000 à 60 000 par an. * Aadubon ; — Jonathan Franklin, Vie de$ Animaux. 1 Butler, The Great Lone Land. 398 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ne sont pas moins féroces que sur les marais du nord : pour vivre en cer- taines plantations au sud de la Nouvelle-Orléans, il faut, pour ainsi dire, passer son existence sous la gaze, ou, si Ton travaille aux champs, se badi- geonner d'argile : pour tous, la vie est un martyre. Des terres d'une extrême fertilité ont été abandonnées parce que le fléau des maringouins y rendait la culture impossible. IV LES ÉTATS ET LES VILLES DE LA REGION MÉDIANE VIRGINIE OCCIDENTALE. La Virginie Occidentale (West Virginia), État d'origine moderne, naquit pendant la guerre de Sécession. Ses habitants, refusant de se laisser entraîner avec la Virginie de l'Est dans la confédération rebelle, se groupè- rent pour constituer un nouvel État, qui, après deux années de discussions juridiques, finit par être admis dans l'Union au nombre des républiques souveraines1. D'une manière générale, West Virginia peut être considérée comme une région transalléghanienne; toutefois ses limites ne concordent point avec les divisions naturelles du sol et la rive gauche du Potomac lui appartient jusqu'à sa jonction avec la Shenandoah, sur le versant de l'Atlan- tique. Au nord elle possède aussi une étroite langue de terre comprise entre la rive gauche de l'Ohio et la frontière occidentale de la Pennsylvanie : c'est ce que les Américains, dans un langage imagé mais trivial, appel- lent le Pan Handle ou « Queue de la Poêle ». La Virginie Occidentale, contenue presque en entier dans le haut bassin de l'Ohio, est montueuse ou du moins accidentée dans toute son étendue. A l'est, elle comprend les chaînes parallèles des Appalaches, à l'ouest les collines entre lesquelles serpentent la Monongahela, la Petite et la Grande Kanawha. De même que les États limitrophes, Ohio et Pennsylvanie, la Virginie Occidentale est à la fois un pays agricole et minier; ses gisements de houille, de fer, de sel, lui donnent une importance manufacturière qui grandira d'année en année et en fera le prolongement industriel de la Pennsylvanie1. Située un peu 1 Rang de West Virginia parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 24 780 milles carrés (64180 kilomètres carrés) .... N* 40 Population en 1890 : 762 794 habitante W 28 Densité kilométrique : 12 habitants N* 24 * Production de la houille en West Virginia en 1890 : 6 251 880 tonnes. r FAUNE, POPULATION DE LA RÉGION MEDIANE. 599 en dehors des grandes voies naturelles de communication, si ce n'est par la Tallée de l'Ohio, qui la limite au nord-ouest, elle n'avait récemment encore qu'une population native : les étrangers y sont fort clairsemés. La ville la plus importante du versant atlantique de West Virginia est Martinsburg, sur un plateau ondulé, très fertile, qui s'incline au nord vers le Potomac. Mais le lieu le plus fameux est le bourg à demi ruiné de Har- per's Ferry, qui s'étage sur une colline escarpée entre les deux courants du Potomac et de la Shenandoah, se réunissant en angle aigu. Un pont traverse le fleuve en aval de la jonction et un canal borde la rive gauche pour apporter à Washington les denrées des vallées supérieures. Un demi- cercle de rochers boisés entoure la ville au nord et à l'est et domine le beau panorama des deux rivières sinueuses aux lits hérissés d'écueils. Harper's Ferry, point stratégique important, commande du côté de l'est les premiers passages des Alleghanies; l'Union y possédait un arsenal, dont John Brown essaya de s'emparer pour en faire le boulevard de l'insur- rection des nègres. Sa petite bande de vingt hommes fut bientôt détruite par la milice des planteurs, accourus aussitôt par centaines et par mil- liers, et lui-même, grièvement blessé dans une maison ruinée que l'on montre à la base de la colline, fut réservé pour une exécution juridique, accomplie près de là, dans le bourg de Charlestown, le 2 décembre 1859. Il n'est pas un mince commandant des troupes fédérales engagées dans la grande guerre qui n'ait sa statue sur les places de Washington ou des autres cités du Nord ; mais le lieu où tomba John Brown, dont « l'àme marchait devant les armées » et qui par son exemple fit plus pour la vic- toire définitive que toutes les combinaisons des généraux, reste un amas de décombres, ignoré de la foule. • Suivant la coutume générale, West Virginia a pris pour capitale une bourgade située au milieu de l'État, Charleston, sur la Kanawha. Cepen- dant cette localité, n'ayant d'importance industrielle que par ses salines et ses houillères, fut abandonnée pendant longtemps par les législateurs comme trop difficile d'accès : ils avaient fait choix de la cité de Whee- ling, d'ailleurs tout à fait excentrique, mais ayant le grand avantage de se trouver à la fois sur la rive de l'Ohio et sur la principale voie ferrée de Pittsburg à Cincinnati. Wheeling, dont le nom indien, signi- fiant « Tête », rappellerait, dit-on, quelque massacre, est une des cités industrielles qui gravitent autour de Pittsburg; d'autres villes d'usines lui font face du côté opposé de la rivière, dans l'Ohio. Des verreries, des fabri- (pies de clous sont les principales manufactures de Wheeling. Les villes qui bordent la rive de l'Ohio forment comme une longue avenue de manu- 400 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. factures ; elles se pressent surtout autour de Parkersburg et de Huntington. Un pont de plus de deux kilomètres en longueur avec les approches tra- verse l'Ohio en face de Parkersburg, à l'embouchure de la Little Kanawha1. II. — OHIO. L'État d'Ohio, ainsi nommé du fleuve qui le limite au sud-est et au sud en le séparant de la Virginie Occidentale et du Kentucky, est bordé au nord par le lac Erie ; mais ses autres frontières, à l'est vers la Pennsylvanie, à l'ouest et au nord-ouest vers l'Indiana et le Michigan, sont formées par des lignes géométriques. L'Ohio ne fut pas au nombre des treize États primi- tifs : lors de la guerre de l'Indépendance, la colonisation de la contrée avait à peine commencé ; cependant Anglais et Français s'étaient déjà disputé la possession du sol. En 1788 seulement, la première ville anglo-américaine, Marietta, s'éleva dans le territoire actuel de l'État, et en 1802 l'Ohio se constitua définitivement. Pendant quelques années après l'arrivée des colons, les guerres contre les Indiens retardèrent le peuplement ; mais dès la fin du dix-huitième siècle les progrès de la culture étaient rapides, et quand le mouvement d'émigration européenne eut commencé, le courant principal des cultivateurs se porta vers l'Ohio. Les terrains, bien arrosés et se développant en surfaces ondulées, sont fertiles et faciles à labourer dans presque toute leur étendue : le pays n'est,# de l'Eric à l'Ohio, qu'une succession de champs, de prairies, bosquets et vergers. La croupe la plus élevée de l'État, entre le Scioto et le Miami, atteint 470 mètres. Autour des villes, l'industrie manufacturière, alimentée par des houillères d'une superficie de 25 000 kilomètres carrés et pro- duisant pour 50 millions de francs en combustible, a mis en mou- vement des usines nombreuses et les barques se pressent aux escales de la rivière Ohio et du lac Erie ; des canaux navigables font communiquer le cours d'eau et les bassins des Grands Lacs. Dans l'espace d'un siècle, l'État a gagné plus de trois millions d'habitants : l'Ohio n'est dépassé 1 Villes populeuses ou historiques de West Virginia avec leur population en 1890 : Wheeling 34522 habitants. Huntington 10108 » Parkersburg * 8408 » Marlinsburg 7226 » Charleston 6 742 » Harper's Ferry . 1 250 » n OHIO, CLEVELAND. 405 pour le nombre des résidents que par le New York, la Pennsyl- vanie et rillinois. Les premiers immigrants furent pour la plupart des Yankees de vieille souche puritaine; puis des colons d origine étrangère, des Allemands surtout, se portèrent vers les villes en propor- tions considérables. Une espèce de châtaignier a valu à l'État son nom populaire de Buckeye State '. Dans TOhio, la cité principale des bords du lac, Tune des plus popu- leuses parmi les villes secondaires des États-Unis, se nomme Cleveland : du haut de sa terrasse, ancienne berge du lac Erie, elle domine la rade et la bouche de la petite rivière de Cuyahoga ou « Tortueuse ». Les rues, larges et droites, sont presque toutes ombragées d'érables, d'après lesquels on a dénommé la ville Forest City : un de ses boulevards, Euclid Avenue, passe pour la plus belle promenade urbaine des États-Unis, les ce Champs- Elysées de l'Amérique » ; mais ses hôtels sont autrement vastes que ceux de Paris, ses jardins plus somptueux, ses pelouses plus vertes et d'un gazon plus épais ; les maisons de plaisance, les bosquets et les jardins s'étendent en vastes faubourgs sur les collines. Encore en 1840, Cleve- land n'était qu'une villette de six mille habitants; elle se mit à grandir presque brusquement vers le milieu du siècle, et maintenant elle est l'une des « Reines de l'Ouest ». Son industrie, alimentée par les houillères voi- sines, est d'une grande activité, et ses marchands ont presque le monopole pour l'exploitation des sources d'huile ; les principaux bassins pétrolifères se rattachent à cette ville par des conduites souterraines. Le commerce de Cleveland ne le cède pas même en importance sur la méditerranée des Lacs à ceux de Chicago et de Bufialo. A son port, dit Cuyahoga, de la rivière qui s'y jette, se rattachent de nombreuses lignes de bateaux à vapeur, et par un canal qui traverse l'État du nord au sud et aboutit à Portsmouth, au confluent de l'Ohio et du Scioto, elle communique directement avec tout le réseau hydrographique du Mississippi : sa flotte, la plus considérable du littoral lacustre, s'accroît chaque années des nom- breux navires livrés par les chantiers ; son port, abrité par de longs brise- lames, comprend un espace de 74 hectares. Le mouvement des échanges avec les autres escales méditerranéennes des États-Unis dépasse un mil- Rang de rOhio parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 41 060 milles carrés (106 545 kilomètres carrés). ... * N° 35 Population en 1890: 5 666 719 habitants N° 4 Densité kilométrique : 34 habitants N° 8 Production houillère : 9976 787 tonnes !S* 5 » du pétrole : 18 705000 hectolitres N* 2 m NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Itard de francs'. En arrière de Cleveland, un superbe viaduc de chemin de fer, franchissant le large ravin du Cuy.ahoga ou du « Rien-Tors », domine In ville, les parcs, la rade, ses bateaux mouvants et le crib ou château de prise où s'engouffrent les eaux pures amenées en tunnel à la terre ferme. Le fameux et prospère collège d'Oberlîn, où garçons el jeunes filles, blancs el noirs, élevés ensemble, reçoivent la même édu- cation, est silué dans l'intérieur des terres, au sud-ouest de Cteveland. Sandusky, autre port du lac Erie, ne se voit pas du large; la ville longe le bord d'une baie presque fermée, que protège au nord-ouest une pénin- sule basse se rattachant par une série d'îles, d'îlots et de bas-fonds, au 1 Mouvement de la navigation de Cleveland avec le Canada en 1890 : 1663 navires portant 226 184 tonnes. Flotte commerciale du port de Clcveland en 1890 : 151 bateaux à vapeur, jaugeant 158 937 tonnes. 97 voiliers, jaugeant 53 757 u Ensemble : 218 navires, jaugeant 192 67* tonnes. Navires lancés en 1890 : 24 vapeurs, jaugeant 30 794 tonnes. SANDUSKY, TOLEDO. 405 promontoire canadien de Pointe Pelée. Elle trafique surtout avec le Canada, entrepose et utilise les bois de construction, de carrosserie et d'ébénislc- rie; les vignobles des alentours sont parmi les plus productifs de l'Amé- rique orientale; c'est à Sandusky que l'Etat a établi son vivier-réservoir pour le repeuplement du lac en « poissons blancs ». Des Wyandolt nu Hurons habitaient jadis les bords de la baie et de la rivière qui s'y jette, et un poste militaire français, le fort Junandat, se bâtit en 1754, non loin de l'endroit où, soixante-deux années après, les Américains éle- vèrent la ville actuelle. Ses armateurs possèdent une flottille de pèche et de cabotage, moins importante toutefois que celte de Toledo, la cité placée à l'extrémité occidentale du lac Erie et à l'embouchure de la rivière Maomee : c'est la réplique de la ville de Buflalo, située à l'autre extré- mité du lac, à la sortie du Niagara'. Toledo borde la rive gauche du fleuve en deçà de la barre et des bancs de sable, balisés maintenant, qui obstruent l'entrée. L'accroissement rapide de Toledo, par rapport aux antres villes de l'Ohio, est dû surtout à la convergence des canaux de navi- 1 Koomnent de la navigation entre Sandusky et le Canada en 18B0 : 1585 nasires, portant 159580 tonnes. 406 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. gation qui font communiquer cette porte du lac Erie avec le Miami, le Wabash et tout le réseau mississippien à travers les États de l'Ohio et de Tlndiana. La vallée de la rivière Maumee était autrefois un vaste marais, le Black Swamp, que le drainage a transformé presque en entier en une cam- pagne très productive. Non loin des sources du Maumee, la ville de Findlay, fondée sur l'emplacement d'un camp de Shawnees commandés par le Fran- çais Blanchard, a pris récemment une notoriété et une importance soudaines comme l'un des foyers les plus riches en réservoirs naturels de gaz d'éclai- rage. Depuis longtemps les résidents avaient remarqué des « souffleurs » près de Findlay et leurs gaz étaient même utilisés pour éclairer et chauffer une maison \ Des recherches suivies révélèrent l'existence d'énormes lacs souterrains : en 1889, plus de trente puits fournissaient déjà trois millions de mètres cubes par jour; le Karg Well est, dit-on, le plus abondant qui existe, et le gaz en s'échappant mugit comme une cata- racte. Lima, au sud-ouest de Findlay, repose sur des lacs souterrains de pétrole, rattachés à Chicago et à d'autres villes par des conduites de métal : 1' « huile » de Lima, plus épaisse que celle de la Pennsylvanie, s'emploie surtout dans les usines comme combustible à la place de la houille. Les villes se succèdent nombreuses sur la rive de l'Ohio appartenant h l'État. Steubenville est une dépendance industrielle de Pitlsburg, et Bellaire, faubourg occidental de Wheeling, complète cette cité naguère virginienne. Marietta, ainsi nommée en l'honneur de Marie-Antoinette, s'élève au con- fluent de l'Ohio et du Muskingum, sur une terrasse occupée autrefois par des fortifications indiennes. Marietta est le plus ancien établissement anglo- américain de la contrée; mais avant la date de sa fondation, 1787, les Français avaient déjà établi plusieurs postes sur les rives méridionales du lac Erie. Gallipolis, chef-lieu du comté de Gallia, riverain de l'Ohio, est aussi d'origine française. Une société de spéculateurs, la « Compagnie du Scioto », avait su attirer par de merveilleuses promesses un demi-millier de Français, en majorité Parisiens, qui vinrent s'établir dans une clairière marécageuse sur la rive droite de l'Ohio, à une petite distance en aval du confluent de la Kanawha : en peu de temps, la fièvre moissonna le tiers des colons. La vallée du Mahoning, dont le cours inférieur va rejoindre la rivière Ohio en aval de Pittsburg, a la ville de Youngstown pour métropole; puis vient la vallée du Muskingum, qui débouche à Marietta, et dont les cités principales, dans les hauts de la rivière, sont Canton et l'industrieuse f Henry Howe, Historical Collections of Ohio, LIMA, MARIETTA, CINCINNATI. 407 Zanesville ; Akron occupe, dans une région minière, le faîle ou canaux et chemins de fer passent du versant de TOhio au versant du lac. La vallée du Sciolo, qui s'unit à l'Ohio devant Portsmouth, est encore plus populeuse el plus active : là se trouve Columbus, la capitale et la troisième cité de l'Ohio; les édifices publics appartenant à l'État, capitole, arsenaux, hôpi- taux, écoles, y ont été construits avec magnificence. Située non loin du centre géométrique de l'État, vers le point de convergence des hauts affluents du Scioto, la ville est l'entrepôt des denrées agricoles d'un très vaste territoire et l'un des centres de l'industrie houillère et métallur- gique; on y fabrique par an 20000 buggies ou voitures légères. Lors- qu'elle fut désignée comme capitale future en 1812, le site choisi était encore la forêt vierge. Elle avait été précédée comme chef-lieu par le bourg de Chillicothe, placé en aval dans la même vallée de Scioto : les tombelles el fortifications indiennes sont fort nombreuses dans les environs. La ville maîtresse de l'Ohio, nommée d'abord Losantiville, puis Cin- cinnati en F honneur d'une société de vétérans retournés à la charrue, naquit deux années après Marietta sur une berge de la rive droite, en face de la bouche du Licking River. En 1800, elle n'avait encore que 750 habi- tants; en 1890, le nombre des résidents dépassait trois cent mille; avec les villes et villages situés dans un rayon de 20 kilomètres, avec les deux cités kentuckiennes de Newport et de Covington, qui lui font face de l'autre côté du fleuve et qui sont elles-mêmes séparées par les eaux du Licking, enfin avec les autres faubourgs d'outre-rive, à l'ouest Bromley et Ludlow, à l'est Bellevue et Dayton, elle a plus de quatre cent mille rési- dents. Cincinnati, la neuvième agglomération urbaine de l'Union, n'a été distancée, dans l'Ouest, que par Chicago, Saint Louis et San Francisco. De la terrasse où se construisirent les premières cabanes, la ville a gra- duellement envahi les pentes des collines environnantes , anciennes moraines du glacier polaire , puis elle en a couronné les cimes , et la banlieue parsemée de villas s'agrandit incessamment aux dépens dès campagnes et des bois; sa façade borde la rivière sur une longueur de 16 kilomètres. Trois ponts-viaducs et un pont suspendu d'une singulière élégance, à tablier central de 322 mètres, traversent l'Ohio et réunissent Cincinnati à ses faubourgs kentuckiens. Un admirable jardin public, Eden Park, se développe sur les hauteurs, à l'est, dominant la cité, la large rivière couverte de bateaux à vapeur, de bacs, de chalands, et les villes lointaines égrenées dans la vallée sinueuse. D'autres parcs, qui pour la plupart entourent des édifices de leurs arbres touffus, ornent et assainissent la cité. 408 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Cincinnati, entrepôt de la vallée du Licking cl du haut Ohio. esl aussi le marché des deux vallées du Little Miami et du Great Miami, qui coulent parallèlement l'un à l'autre pour descendre vers l'Ohio, à l'est el à l'ouest de la ville. Ce sont là des avantages naturels, qui sans doute ne sool pas comparables à ceux de Saint-Louis et de Chicago, les deux vraies métro- poles de l'Ouest, mais qui cependant eurent aussi leur importance; le réseau des chemins de fer et des canaux en accroît la valeur. Des brasseries et minoteries, des raffineries et des usines de toute espèce, entre autres les abattoirs de porcs, qui valurent à Cincinnati le surnom de Porcopolis. attribué maintenant à Chicago, forment de vastes quartiers industriels1. Au nord, une autre agglomération, séparée par le canal de Miami du noyau principal de la cité, a été désignée en plaisanterie sous le nom d'Over the Rhine, « Au delà du Rhin », à cause de la foule des Allemande qui s'y pressent. Cincinnati se fait gloire de cultiver l'instruction el les arts ; elle est fière de son université, de l'école de musique, d'autres grands collèges; une école d'art est adjointe au musée; la bibliothèque publique ■ Industrie de Cincinnati en 1888 : ('771 manufactures, produisant pour uni; valeur du 203459590 piastres, plus d'un milliard de franc! . CINCINNATI, INDIANA. 409 a 200 000 volumes; le jardin des plantes, le parc zoologique sont riches ci bien tenus, les collectionneurs de livres, de tableaux, de gravures fort nombreux. La ville de Hamilton, au nord de Cincinnati, est, pour ainsi dire, l'en- trepôt de la métropole sur la rivière Great Miami ; plus haut dans la même tallée, la ville de Dayton, centre de plusieurs voies ferrées, devient la station la plus industrieuse sur les chemins qui rattachent Cincinnati h Toledo et Columbus à Indianapolis. A une petite distance au sud de cette ville commerçante, s élève la « Grande Motte », the Great Mound, haute de Î0 mètres, avec une base de 240 mètres; une seule tombelle, près de Wheeling, atteint une hauteur égale. Dans la même vallée du Great Miami la ville de Springfield signale des lieux fameux pendant les guerres indiennes : près de là naquit Tecumseh, le chef des Shawnees, le vaillant ennemi des Américains. Tombé sur le champ de bataille, il fut scalpé et écorché par les Kentuckiens, et l'on raconte que sa peau fut débitée en lanières pour repasser les rasoirs * III. — INDIANA. • L'État de l'Indiana ne mérite plus son nom de « terre Indienne » : dès Tannée 1790, l'extermination des tribus indigènes avait commencé sur la rivière Maumee et sur le haut Wabash, et, vingt-deux ans après, la des- truction complète de la ligue des Shawnees mettait un terme à la lutte. Quelques survivants habitaient les clairières des forêts; ils furent déportés en 1841 au delà du Mississippi. Les premiers colons blancs de l'Indiana, 1 Villes principales et historiques de l'Ohio, avec leur population en 1890 : Cincinnati 296 908 habitants. Cincinnati avec les faubourgs de l'Ohio, duKentucky,Newport,Covington,etc. 359147 » Cleveland. 261553 » Colombus 88 150 » Toledo 81 434 » Dayton 61 220 » Youngstown 33 1 90 » Springfield 51 89.% » Àkron 27 602 » Canton • 26 321 » Zanesville 21 007 » Findlay 18 550 » Sandusky 18 471 » Uamilton 17 519 » Galhpolis 4 500 » xti. 52 i 410 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. É comme ceux des Étals voisins, Ohio et Illinois, furent des Français qui s'unirent à des femmes indiennes. Lorsque les Anglais annexèrent la con- trée en 1763, ils trouvèrent de nombreux Français métissés, vivant en paix avec les Indiens du voisinage : pendant la guerre de l'Indépendance américaine, ces Canadiens firent cause commune avec les « Bostoniens » rebelles. L'État actuel, limité au sud et au sud-est par l'Ohio, au sud- ouest par le Wabash et au nord-ouest par l'extrémité méridionale du lac Michigan, est bordé sur le reste de son pourtour par des lignes géométri- ques. Dans son ensemble, l'Indiana est une plaine onduleuse, se relevant en coteaux arrondis vers les faîtes de partage. Peu de contrées sont aussi riches en sol arable et présentent une égale facilité pour les transports; les ingénieurs ont pu sans peine construire les chemins de fer aux mailles serrées et les canaux navigables qui relient le fleuve Ohio au système des Grands Lacs. L'Indiana est aussi au nombre des États miniers, et ses gisements, fort riches en charbons bitumineux, ont fourni en 1887 à l'industrie plus de 5200000 tonnes de combustible; enfin une grande partie de la région occidentale de l'État entre Indianapolis et Fort Wayne s'est révélée comme très abondante en pétrole et en gaz naturel. L'Indiana, moindre en superficie que l'Illinois, lui ressemble par le sol, le climat, la population et l'industrie, mais il prospère moins et le nombre des habitants s'y accroît avec plus de lenteur1. La rivière Ohio, en aval de Cincinnati, baigne d'abord les rivages du comté de Switzerland ou « Suisse », ainsi dénommé, non à cause de ses humbles collines, mais en souvenir d'une colonie de Yaudois, qui tentèrent vaine- ment d'y introduire la culture de la vigne : la ville de Vevay — et non Vevey, — rappelle ces premiers temps de la colonisation. Plus bas se montre Madison, puis viennent Jeffersonville et New Àlbany, constituées en municipalités distinctes, quoique simples faubourgs de la cité de Louis- ville, qui s'élève en face, sur la rive kentuckienne. Jeffersonville domine de haut la grande agglomération urbaine, le sinueux Ohio et ses rapides, les usines riveraines et les innombrables embarcations qui glissent sur le fleuve et sur les canaux ou se pressent dans les bassins. New Àlbany, située au bord du fleuve, escalade à demi les pentes en aval des chutes, et participe à l'énorme mouvement industriel et commercial de sa voisine du Kentucky; cependant elle est dépassée en importance, dans les limites de 1 Rang de l'Indiana parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 36 350 milles carrés (94 147 kilomètres carrés) .... N* 57 Population en 1890 : 2 192 404 habitants N° 8 Densité kilométrique : 24 habitants N* 12 r INDIANA, EVANSVILLE, JEFFERSONVILLE. -411 l'État, par la cilé d'Ëvansville. Clarksville, un des faubourgs de l'Indiana appartenant à l'agglomération de Louisville, ne fait pas légalement partie de Hndiana. En 1785, lorsque la Virginie céda le vaste territoire du « Nord- Ouest », elle se réserva l'enclave de Clarksville, qui, d'après les textes offi- ciels, devrait être virginienne ou constituer une république isolée. Evansville est l'escale la plus animée des bords de l'Ohio entre Louisville et le confluent du Mississippi : quoique fondée en 1856 seulement, elle occupe le deuxième rang dans l'État par le nombre des habitants. Sa position sur la berge d'un fleuve navigable, à une petite distance en aval de l'isthme d'une riche vallée kentuckienne, celle de Green River, dans une contrée des plus fertiles, au-dessus d'assises de houille et de gisements ferrugineux, ne pouvait manquer d'assurer à Evansville une grande prospérité manu- facturière et commerciale. Des chemins de fer et le creusement d'un canal de navigation, long de 743 kilomètres, qui rattache Evansville au lac Erie par la vallée du Wabash, ont ajouté aux privilèges naturels de la cité. La fameuse grotte de Wyandott, dont les galeries ont une longueur collec- tive de 38 kilomètres et qui l'emporte sur Mammoth Cave pour la richesse de ses stalactites, se trouve non loin de l'Ohio, à peu près à moitié chemin d'Evansville à New Albany. La vallée du Wabash commence vers l'angle nord-oriental de l'État, et de nombreuses vallées tributaires, ramifiées dans tous les sens, viennent s'y réunir. La ville de Fort Wayne, qui se trouve vers les sources du Mau- mee, affluent du lac Erie, peut être considérée comme appartenant aussi an bassin du Wabash, car elle se trouve au faîte de partage et la ville est souvent désignée sous le nom de Summit City. Ce fut un village des In- diens Miami, puis un poste de troc appartenant à la Nouvelle-France, et en 1761 les Anglais y construisirent un fortin, autour duquel les colons vinrent se grouper, de plus en plus nombreux. C'est maintenant une cité très commerçante, la principale sur la voie ferrée de Pittsburg à Chicago. Logan sport, Lafayette, qui se succèdent au sud-ouest dans la vallée du Wa- bash, sont aussi des villes industrielles prospères. Terre Haute, également située sur le Wabash, mais, ainsi que son nom l'indique, au sommet d'une terrasse, est un centre de commerce agricole, ayant encore dans son dis- trict quelques descendants des familles canadiennes qui la fondèrent ; un puits artésien, foré à 600 mètres de profondeur, lui donne une eau saturée de sels. Plus bas, Vincennes, aussi d'origine française, date de 1755 ; son fort gardait la route des traitants entre le lac Erie et le Mississippi. Lors de la constitution du territoire de l'Indiana, qui comprenait aussi l'Illi- nois, Vincennes en devint le chef-lieu. ~1 412 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Les fondateurs de la capitale actuelle et ville principale, Indianapolis, se sont conformés aux mœurs politiques américaines en la plaçant au centre géométrique de l'État. White River, l'un des tributaires du Wabash, coule dans la ville. En 1820, la contrée n'était qu'une vaste forêt, sans clairière ; les bûcherons se mirent à l'œuvre pour déboiser la place dési- gnée : des routes se dirigèrent en rayons d'étoile vers le futur chef-lieu el les maisons s'élevèrent le long des voies convergentes ; plus tard des che- mins de fer vinrent se rencontrer au même point, et la population se porta de tous les côtés vers ce lieu central. Indianapolis, une des plus grandes villes de l'Ouest, est aussi l'une des plus propres, des mieux tenues, mais des plus banales d'aspect. Marion et Kokomo, au nord-est du chef-lieu, dans le bassin du haut Wabash, Muncie, Ànderson, sur des affluents méridionaux de la même rivière, attirent maintenant la foule des spécu- lateurs et des industriels par leurs puits de gaz naturels. L'Indiana a quelques autres villes importantes, situées dans sa partie septentrionale, près du lac Michigan, et par conséquent dans le cercle d'attraction de la puissante Chicago. L'une des plus populeuses est South Bend, placée sur la « courbe méridionale » de la rivière Saint-Joseph, affluent du Grand Lac. Les Canadiens-Français sont nombreux dans le district et la ville est une sorte de métropole religieuse pour les catho- liques de Flndiana, que l'on dit avoir la majorité numérique dans l'Étal. Michigan City, sur la rive, se vante d'être le port lacustre de l'Indiana1. IV. — ILLINOIS. L'Illinois est une région privilégiée, car tous les avantages géographiques s'y réunissent, ceux mêmes qui semblent mutuellement s'exclure. Éminem- ment continentale, puisqu'elle occupe le centre de la zone d'écoulement 1 Villes principales et historiques de l'Indiana, a?ec leur population en 1890 : Indianapolis 107 456 habitants. Evansvillc 50 756 » Fort Waync 55 395 » New Albanv 21 059 ) JeffersonviÙe et Clarksville. . 10 666 \ 72° * Terre Haute 50 217 » South Bend 21 819 » Lafayette 16 245 » Vincennes 8 815 » Marion 8 724 » Vevay 2 000 » INDUNAPOLIS, ILLINOIS. 415 du Mississippi el que les grandes lignes commerciales du nord et du sud, de Test et de l'ouest, doivent s'y croiser, elle possède en même temps les ressources d'un pays insulaire, par sa position entre des eaux navi- gables. A l'ouest le Mississippi, au sud l'Ohio, à l'est le Wabash, au nord le Rock, l'Illinois et le magnifique lac Michigan lui font une ceinture de ports, et même avant la construction des chemins de fer les produits du sol pouvaient s'expédier directement vers toutes les parties du monde. L'océan Atlantique vient, par le Saint-Laurent et l'enchaîne- ment des Grands Lacs, former une méditerranée jusqu'au cœur du pays. Très fécond, le sol se compose d'alluvions anciennes et de graviers fortement mélangés de terre végétale : la dixième partie des terrains n'était pas encore en culture, que déjà Chicago, Yemporium du Michigan, tenait le premier rang pour l'exportation des blés et des farines. Aucune région ne se prête mieux à l'agriculture sans défrichement préalable. La campagne se déroule en longues ondulations qui, nulle part, si ce n'est au passage des rivières, n'opposent d'obstacles à la construction des routes et au transport des denrées : la plus haute croupe ne dépasse pas 250 mètres en altitude, et le point le plus bas, au confluent du Mississippi el de l'Ohio, est de 88 mètres. On a donné à l'Illinois le nom de Prairie State, parce que les quatre cinquièmes de son étendue étaient une « prairie » d'herbes hautes, se continuant en maints endroits dans tout le cercle de l'horizon, avec quelques bouquets d'arbres en îles et archi- pels; mais la charrue a remplacé la flore sauvage par les plantes culti- vées. L'Illinois est aussi fort riche en gisements miniers, notamment galène et fer, et le terrain houiller occupe les trois quarts de la superficie de l'État. Aussi ne faut-il pas s'étonner que l'immigration se soit portée avec une extrême rapidité vers l'Illinois depuis le milieu du siècle, c'est-à- dire depuis que les premiers chemins de fer ont pénétré dans ces contrées jadis presque désertes. De nos jours, cet État, qui n'a pas même un siècle d'existence politique, rivalise en influence avec ceux de New York et de Pennsylvanie1. Chicago, la cité principale, qui déjà depuis le milieu du siècle ravissait à Cincinnati le titre de « Reine de l'Ouest », vient de se révéler, au recen- sement de 1890, comme supérieure à Philadelphie en population, et 1 Rang de l'Illinois parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 56 650 milles carrés (146 724 kilomètres canes) .... N* 23 Population en 1890 : 3 818 366 habitants N* 5 Population kilométrique : 26 habitants N° 11 Production des combustibles minéraux : 12104272 tonnes .... N° 2 ^ 414 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. cherche maintenant à distancer New York, qui a dû lui céder l'honneur d'être le siège de l'Exposition « mondiale » en 1895. La plupart des cités s'enorgueillissent de leur longue durée : Rome, qui, d'après la tradition, n'aurait guère plus de vingt-cinq siècles, se dit la « Ville Éternelle », et, en tout pays, très fiers sont les citoyens qui peuvent montrer à côté de leurs demeures des ruines d'un ou deux milliers d'années. Chicago se vante au contraire d'être née de terre, soudain, vraie « cité champignon », — Mushroom City ; — loin de remonter vers leurs origines, les habitants aiment à les passer sous silence, comme si leur ville était apparue par miracle. Cependant Chicago est un des postes les plus anciens de l'Amé- rique du Nord qu'aient mentionnés les blancs. En 1673, époque où New York, alors colonie hollandaise, n'avait encore que 2000 habitants, le portage de Chikak-ouk, le « lieu des Civettes1 », était déjà visité par Joliet. Le point où se faisait jadis l'écoulement du lac Michigan dans le bassin du Mississippi, et où des bayous marécageux rap- pellent toujours l'ancien passage, indiquait le chemin entre les deux versants : toutes les expéditions de guerre et de commerce se dirigeant des Grands Lacs vers la rivière des Illinois devaient prendre cette voie. Dès l'année 1804, le gouvernement fédéral faisait occuper ce poste stratégique en fondant le fort Dearborn, autour duquel campaient les traitants. Peu à peu des résidents se groupèrent près de l'embouchure de la coulée : en 1830, la population était d'une centaine d'individus. Depuis cette époque les progrès ont été prodigieux : en moins de soixante années, un million d'habitants se sont réunis sur cette plage à peine émergée. Une fois seule- ment la prospérité de Chicago se trouva momentanément interrompue, par l'incendie de 1871, le plus dévastateur des temps modernes : 17 450 mai- sons disparurent dans ce désastre; un espace de plus de 8 kilomètres carrés se couvrit de débris calcinés. Tels furent les ravages de l'incendie, que le vent porta les cendres jusque sur l'archipel des Açores : quatre jours après le désastre, les nuages roux qu'on voyait au nord-ouest, l'odeur de brûlé qui remplissait l'atmosphère et plus encore la cendre recueillie, avertirent les habitants de Fayal de l'embrasement qui venait d'avoir lieu dans l'Amérique du Nord*. Les Américains natifs ne représentent qu'une faible minorité des habi- tants de Chicago. D'après un recensement spécial fait en 1891, une année après le cens officiel, les résidents nés dans les limites des États-Unis ne 1 Lieu des « Poireaux » ou des « Oignons sauvages », d'après Schoolcraft. * Fouqué, Revue de$ Deux Mondes, 15 août 1866; — Walker, The Àzores. constituaient pas même un quarl de la population : la foule urbaine se composait surtout d'Européens : Allemands, Irlandais, Tchèques, non i*aCàS>r,ètr«3 moins Américains que les Yankees par l'esprit d'entreprise'. En prévision 1 Recensement de Chicago en 1S91 : 1 308 669 habitants, dont 302 463 habitants nés qui États-Unis. 384 U58 » «en Allemagne. 315 554 » » en Irlande, clc. 416 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. des agrandissements futurs, les législateurs ont découpé sur la rive du Michigan, comme territoire municipal de Chicago, un espace de 471 kilo- mètres carrés, soit à peu près la superficie du département de la Seine. Sans doute cette étendue est encore loin d'être occupée en entier, les vides y sont nombreux, mais d'autre part de nouveaux quartiers dépas- sent en maints endroits les limites officielles. La façade de la cité au bord du lac se développait, en 1890, sur une longueur de 58 kilomètres, et la largeur moyenne de l'agglomération dépassait 10 kilomètres; mais le centre de Chicago est encore là où commença la ville, au lieu de ren- contre des deux bayous, Chicago du Nord et Chicago du Sud, qui suivent, à l'encontre l'un de l'autre, la dépression d'une ancienne plage lacustre: coulée commune qui les emporte au lac et présente un cours de 2 kilo- mètres à peine. A partir du noyau central les rues et les avenues se sonl prolongées d'ilet en îlet, se coupant toujours régulièrement à angle droit dans le sens des méridiens et des degrés de latitude. Dans ce quartier du milieu s'élèvent les maisons les plus somptueuses et les plus hautes; mais le sol spongieux n'eût pu les porter si on ne leur avait donné pour support des échafaudages de pilotis ou des sortes de radeaux en fer. En outre, l'écoulement des eaux eût été impossible si l'on n'avait exhaussé le sol : il ne dépassait autrefois que d'un à trois mètres le niveau moyen du lac ; on le remblaya de quatre à huit mètres, suivant les quartiers, de manière à l'assécher et à lui donner une pente facile pour l'écoulement, et en même temps on souleva d'autant les maisons. Cette ascension de toute une ville, qui s'opéra sans accident, est un triomphe de l'industrie américaine. L'audace des constructeurs se révèle aussi dans le style des édifices principaux. Les gens de Chicago ont surtout l'ambition de « faire grand ». Fiers d'habiter une cité d'accroissement si rapide et qui s'est relevée d'un si violent incendie, ils s'enorgueillissent aussi d'avoir les mai- sons les plus hautes, où se pressent à la fois le plus d'êtres humains : telle construction monumentale, dans la partie commerçante de la cité, contient dans la série de ses bureaux, superposés en quinze ou vingt étages, une population temporaire de vingt mille habitants. L'Auditorium est à la fois un hôtel immense où des milliers de voyageurs peuvent trouver place et un théâtre pour 8000 spectateurs. Sans doute l'énorme et le beau ne s'accordent point toujours, et maints édifices sont d'une architecture grotesque d'incohérence ou de mauvais goût; mais les con- ditions d'un milieu tout nouveau invitent les architectes de Chicago à oser, et leur audace a souvent réussi. Ils imitent les détails des ornements, mais la masse, les proportions générales, l'aménagement intérieur, ont CHICAGO. 417 dû changer, et leur œuvre a pris un caractère original. Grâce à la facilité des communications, ils disposent en pierres et marbres des matériaux les plus solides et les plus beaux, qu'ils emploient avec prodigalité. S'il fal- lait comparer les monuments de la jeune cité qui s'élève au bord du Michigan à ceux d'une vieille métropole d'Europe, on penserait à Florence, h ses palais de si nobles proportions, qui sont en même temps des forteresses. Les bayous qui traversent Chicago sont des obstacles faciles à franchir : c'est par dizaines que se comptent les ponts; en outre, deux tunnels réunis- sent les quartiers du nord et du sud. Les grands travaux hydrauliques ont dû se faire dans les eaux du lac. Des emprises considérables, sur lesquelles s'entrecroisent des chemins de fer, ont agrandi de ce côté la superficie de Chicago; on a construit de vastes quais sur plusieurs milles de longueur pour consolider la rive molle, sur laquelle erraient autrefois les dunes; un port extérieur, bien protégé par des jetées de granit contre les vents du nord et de Test, communique avec la bouche du Chicago River et s'unit par de profonds bassins avec le port intérieur que présente le cours fluvial. Enfin deux tunnels de plus de 5 kilomètres s'avancent sous le lit du lac pour recevoir à la prise les 6750000 hectolitres d'eau que la ville emploie chaque jour pour son entretien et l'alimentation de ses habitants, de six à sept cents litres par jour et par individu. Captée à une telle distance, l'eau d'alimentation paraissait devoir se maintenir toujours par- faitement pure; cependant les égouts de Chicago ont fini par contaminer de proche en proche toute la masse liquide, et en 1891 la fièvre typhoïde lit de grands ravages. Il a fallu d'urgence modifier le système des égouts : au lieu de rejeter les eaux sales dans le Michigan, on les soulève au moyen de pompes, pour les verser par un canal de descente dans la rivière des Plaines, tributaire du Mississippi : l'humble affluent du grand fleuve, devenu l'égout collecteur, rend aux terres riveraines, en alluvions fertilisantes, ce que la cité avait reçu des campagnes sous forme de grains, de légumes et de viandes. Des fours calcinent aussi une partie des ordures et les transforment en cendres d'engrais. L'intérieur de Chicago manque d'ombrages, mais la cité s'est réservé une ceinture de boulevards et de parcs : les pelouses et bosquets compren- nent une superficie d'environ 400 hectares. Au nord, le parc de Lincoln, qui longe le bord du lac, semble vraiment une campagne, avec ses dunes boisées, ses vallons, ses ruisseaux : c'est là qu'on a établi le jardin zoologique; une statue de La Salle, l'un des premiers blancs qui prati- quèrent le portage de Chicago et le navigateur qui descendit le courant du Mississippi jusqu'à l'embouchure, se dresse sur un terre-plein du rivage. Le xti. 53 418 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Jackson Park occupe au sud un site correspondant à celui de Lincoln Park au nord : c'est l'endroit dont on a fait choix pour construire les principaux édifices de l'Exposition universelle de 1893, la Nef des Etals et des Nations Étrangères, le palais de l'IUinois, les salles de l'Industrie, des Machines, de l'Agriculture; un nouveau port, communiquant avec les bassins intérieurs, s'ouvre à côté du parc pour les bateaux à vapeur et les yachts de plaisance. Un autre parc, situé près du centre, presque immé- diatement au sud du port principal et de la bouche du Chicago River, le Lake Front, reçoit aussi sa part d'édifices pour la « Foire Colombienne du Monde », — Columbian World9 s Fair, — ceux qui sont consacrés aux beaux arts et à l'éducation. Nul doute que cette exposition, destinée à célébrer le quatrième centenaire, à une année près, de la découverte du Nouveau Monde, et surtout à gloriûer la puissance des États-Unis et la richesse de Chicago, ne soit un des grands triomphes de l'activité humaine et ne devienne le point de départ de très importantes applications des procédés industriels. Comme témoignage du génie inventif de l'homme, la ville même de Chicago est déjà une cité incomparable. La « Reine de l'Ouest » a de moindres ambitions comme centre des sciences et des arts, et quoiqu'elle possède de grands collèges, un observa- toire, des musées, une académie des sciences, un institut des arts, quoi- qu'elle soit le principal marché des livres de l'Ouest et publie 552 journaux périodiques (1891), son influence littéraire ne peut encore rivaliser avec celles de Boston et de New York. Cependant en pareille matière elle tient aussi à « faire grand » : récemment elle a d'un coup acquis à Berlin une bibliothèque de 280 000 volumes pour son Université. C'est l'indu qui fait la gloire de Chicago, et à cet égard les progrès annuels se font de telles proportions, que les statistiques sérieuses sont toujours en sur l'activité du travail et la valeur de la production; d'autre part, it arrive souvent que les habitants, accoutumés à voir se réaliser leurs espé- rances les plus audacieuses, considèrent comme acquis déjà des résultats qui seront obtenus seulement dans l'avenir. Toutes les industries sont représentées à Chicago par des établissements de premier ordre ; mais le travail le plus actif, celui qui avec l'expédition des farines a fait l'opulence de ses marchands, est l'abatage des animaux, bœufs et porcs. Les immenses parcs à bétail (stockyards) reçoivent par année jusqu'à dix millions de bêtes, que l'on nourrit sur place avec les produits des distilleries, puis que l'on dépêche en de vastes établissements, où le travail, en grande partie mécanique, se fait avec une sûreté de mé- thode étonnante : les animaux, à l'entrée même, sont déjà saisis par un a de Tijlor, d'>|irès une plulognpli» nœud coulant, suspendus par la patte à une tringle de fer, et glissent vers e couteau du boucher : le sang coule, et fuit sur une pente inclinée, and is que les cadavres continuent leur marche vers l'échaudoir et l'écor- :hoir, vers l'étal où la hache abat la tète et les membres; ici l'itinéraire itfuraue, chaque partie de l'animal, la carcasse, les chairs, la graisse, wivent leur voie respective et à chaque étape des groupes d'ouvriers péciaux leur font subir les préparations qui les rapprochent de l'état défi- le H. Mac Alliskr. nitif : dix mille bêtes sont, dans l'espace de quelques heures, emmaga- sinées sous forme de conserves. Ces boucheries livrent annuellement au commerce 500000 tonnes et un milliard de viande en boîtes pour une raleur d'un milliard de francs. De tels chiffres font comprendre l'impor- tance que la question des « viandes américaines » a prise dans la dis- cussion des tarifs douaniers et dans les rapports diplomatiques. Le commerce est proportionné à l'activité de l'industrie. Les mille con- ïois qui arrivent chaque jour par les vingt-sept voies ferrées convergentes apportent en moyenne 175000 voyageurs; la poste remet 10000 tonnes 422 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de lettres et de journaux ; les omnibus mus par l'électricité ou la vapeur transportent 2 millions de passagers, et le mouvement du port dépasse 60 navires par jour. La ville du Michigan se compare aux grands ports d'Europe pour le tonnage annuel des marchandises à l'importation et à l'exportation1. Le commerce pourrait se faire directement avec le Canada et l'Europe par la voie des Lacs, mais les chemins de fer vers les ports de l'Atlantique offrent trop de facilité au trafic pour que cette route détournée soit utilisée pour une part considérable des échanges*. De nombreuses villes, annexes industrielles ou lieux de récréation, gra- vitent autour de la cité : telle est, au sud-ouest, près du lac Calumet, la grande agglomération de Pullman, appartenant en entier au constructeur de wagons de luxe et bâtie par un seul architecte, suivant un plan tracé dans tous ses détails : pas un des sept ou huit mille ouvriers qui vive en dehors de la demeure assignée par le maître; et loin du travail, pas une .occupation, pas un amusement qui ne soient surveillés par le proprié* taire universel de la ville, des usines, des magasins, des maisons, de l'église, des écoles, du théâtre et des salles de jeux, des tribunaux peut- être. Evanston, au nord de Chicago, et sur le bord du lac Michigan, est aussi un faubourg de la grande ville : là s'est fondée l'une des hautes écoles de l'Illinois, dite Université du Nord-Ouest. Sur la rive du Mississippi appartenant à l'Illinois se succèdent des villes d'ordre secondaire, moindres en population que celles de l'Iowa et du Mis- souri, qui leur font face. A l'angle nord-occidental de l'État, Galena, sur la rivière Fèvre, à 7 kilomètres de son confluent, et sur une falaise domi- nant un ancien méandre du fleuve, est déchue de son importance primi- tive : les mines de galène qui lui valurent son nom en 1822 et ses gise- ments de zinc et de cuivre sont presque épuisés. Plus active et plus populeuse, la ville moderne de Rockford, située à moitié chemin de Galena et de Chicago, devient le marché principal d'un vaste territoire agricole et un centre de manufactures : les chutes de la rivière lui donnent une force motrice considérable. Nulle part les Scandinaves ne sont en groupe aussi compact : on en comptait huit mille en 1890. Deux autres villes industrielles s'élèvent au bord du Mississippi en amont de son confluent avec le Rock River, Moline et Rock Island, qu'unit un 1 Mouvement dans le port de Chicago en 4890 : 25000 navires, 9 000000 tonnes. * Mouvement de la navigation pour le commerce extérieur dans le port de Chicago en 1890 : 705 na vires, jaugeant 278 770 tonnes. Exportation des céréales et f?rines en 1890 : 35 700000 hectolitres. Valeur totale des échanges à Chicago en 1887 : 1 103 000 000 piastres (5 800 000 000 francs). GALENA, R0CKF0RD, ROCK ISLAND, JOLIET, PEORIA. 423 chemin de fer urbain : un beau pont, jeté sur le fleuve à l'endroit où il entoure de ses eaux l'île du « Roc », — Rock hland, — rattache les Jeux villes de l'IUinois à leur voisine de l'Iowa, beaucoup plus grande, la cité de Davenport. Ce sont les rapides du Mississippi qui font mouvoir les manufactures de la triple agglomération. L'île du Roc, située entre deux États, est devenue la propriété directe du gouvernement fédéral, qui l'a transformée en un parc magnifique : au milieu des arbres se cache on arsenal de canons. Le bassin de la rivière des Illinois, qui a reçu son nom d'une tribu d'Indiens et qui l'a transmis à l'État, constitue, après le district de Chi- cago, la partie la plus importante de la contrée. Ce cours d'eau est la voie naturelle entre le Michigan et le Mississippi, et dans la même direction, entre Chicago et Saint Louis, se sont construits les chemins de fer devenus presque exclusivement les porteurs du trafic. Déjà dans les hauts de la rivière, sur les maîtresses branches, se pressent des villes manu- facturières : Joliet, qui rappelle le nom du grand voyageur, borde la rivière des Plaines, non loin de Chicago, qu'elle aide à construire par les matériaux extraits de ses rochers; elle lui fournit aussi le com- bustible retiré de ses houillères et alimente le commerce de la cité par ses aciéries. Elgin, Àurora, avec leurs fabriques de montres, leurs minoteries et autres usines, sont bâties sur le Fox River; Kankakee, lieu de villé- giature très fréquenté par les habitants de Chicago, se trouve sur la rivière Kankakee, au milieu de « prairies » d'une extrême fertilité. Sur le courant principal, formé par l'union de la rivière des Plaines et du Kankakee, se succèdent plusieurs villes industrieuses. En aval d'Ottawa, un « long rocher », que nommèrent ainsi les anciens voya- geurs français, borde la rive gauche de la rivière des Illinois et se termine par une plate-forme escarpée de trois côtés, où La Salle fit construire en 1682 le fort de Saint-Louis. Vers la fin du siècle dernier, des Indiens Illi- nois, en guerre avec les Pottawatomics, se retranchèrent sur ce rocher, mais pour y périr d'inanition jusqu'au dernier : de là le nom de Starved Rock, « Rocher de la Faim », que l'on donne maintenant à cette falaise historique1. Plus bas se montre La Salle, qui rappelle les expéditions du grand découvreur; puis viennent Peru et Peoria, celle-ci sur la rive droite de l'IUinois, à l'origine de la plaine où la rivière s'élargit en un lac très allongé; elle a gardé le nom d'une tribu indienne et s'élève sur remplacement d'un fort canadien, la ce ville à Mallet ». Devenue la 1 Francis Parkman, La Salle; — Gabriel Gravier, Cavelier de La Salle. 424 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. deuxième cité de l'Ulinois en commerce et en population, et occupant une situation centrale dans l'État, elle n'a pas le titre de capitale, qui appar- tient à la ville de Springfleld, bâtie plus au sud, dans une « prairie » que baigne le Sangamon, affluent de la rivière des Illinois. La beauté de ses jardins a valu au chef-lieu le surnom de Flower City. A Test de Peoria, Bloomington ou « Ville Florissante » a pris aussi l'un des pre- miers rangs parmi les cités de l'Ulinois, grâce à ses mines de charbon et à la convergence de nombreuses voies ferrées. Le municipe distinct de Normal, ainsi nommé de sa grande école, n'est en réalité qu'un fau- bourg de Bloomington. Dans la partie inférieure de son cours, la rivière des Illinois cesse de couler au sud-ouest et prend la direction du nord au sud, presque parallè- lement au Mississippi : il en résulte que le mouvement commercial se détourne brusquement à l'ouest pour atteindre le fleuve par une voie plus rapide. La ville de Quincy, bâtie sur une haute terrasse au-dessus du fleuve, sert d'escale à ce commerce. Alton est située dans une position qui paraît admirable au premier abord, sur une terrasse de la rive mis- sissippienne, en aval du confluent de l'Ulinois et presque immédiate- ment en amont de la bouche du Missouri, c'est-à-dire au croisement des grandes lignes hydrographiques, des Montagnes Rocheuses aux Lacs cana- diens et du Winnipeg au golfe du Mexique; pourtant elle reste petite ville, malgré ses avantages. L'attraction de Saint Louis, qui possède les mêmes privilèges, quoique un peu plus éloignée de la croisée des fleuves, attire toute l'activité commerciale et industrielle. En face de Saint Louis, le faubourg ouvrier d'East Saint Louis, dans son enceinte de marécages et de fausses rivières, a pris plus d'importance qu'Alton : des parcs à bétail y occupent un espace très étendu. Sur les hauteurs voisines, Belle- ville, important marché agricole, peut être également considérée comme une dépendance commerciale de Saint Louis. Sur le bord du fleuve, les deux anciens villages français de Cakokia et de Kaskaskia sont restés d'humbles groupes de cabanes, tandis que de grandes cités naissaient à l'est et à l'ouest dans les prairies. Près de Kaskakia se montrent les mines broussailleuses de l'ancien fort de Chartres, rongées par le courant du fleuve. La ville située sur la péninsule aiguë de l'Ulinois méridional, entre les deux fleuves Mississippi et Ohio, reçut de ses ambitieux fondateurs le nom de Cairo, « le Caire », et la mésopotamie dont elle occupe l'extré- mité fut appelée « Egypte ». On s'imaginait qu'une telle position, au croisement des voies majeures, exactement au centre hydrologique des SPRINGFIELD, QUINCY, ALTON, CAIRO. 425 États-Unis, ne manquerait pas de faire naître une grande cité; les terrains de ces vasières devinrent l'enjeu de spéculations ardentes et Ton essaya d'y attirer les immigrants par le mirage d'un enrichissement rapide. Des milliers de colons se présentèrent en effet, mais la plupart pour n'y trou- ver que les fièvres et la ruine : en un roman fameux1, que nombre d'Américains lui pardonnèrent difficilement, Charles Dickens décrivit les souffrances des malheureux égarés dans cette boue d' « Eden City », sous la menace constante des maladies ou des inondations. Maintenant entourée dune digue de 6 à 7 mètres de hauteur, Cairo, ville d'entrepôts et d'hôtels, ne redoute plus les crues, mais le Mississippi ronge la pres- qu'île en amont et finira peut-être par la changer en île. Elle n'a pu entrer en compétition commerciale avec des cités telles que Louisville ou Saint Louis, qui, sans être situées précisément à un carrefour de voies navigables, sont assez rapprochées du point vital pour en recueillir les avantages : de même Marseille, pour le trafic de la France, se trouve comme à l'embouchure du Rhône. Un pont traverse l'Ohio en amont de son embouchure, pour rattacher les voies ferrées de l'IUinois à celles duKentuckyV V. MICHIGAN. Le lac Michigan a donné son nom à deux péninsules bien distinctes, quoique réunies en un seul État : le Michigan oriental, la « mésotha- lassie» comprise entre trois des Grands Lacs, Michigan, Huron, Erie; le Michigan occidental, baigné au sud par la Baie Yerte et le Michigan, au nord par le lac Supérieur. Le détroit de Mackinaw sépare les deux pénin- i i Martin Chuzzlewitt. Villes populeuses ou historiques de l'illinois, avec leur population en 1890 : Chicago 1 099 133 habitants. Peoria 40 758 » Quincy 31 478 » Joliel". 27 407 » Rock Island (13596) avec Moline (11 995) 25 591 » Springfield 24 852 » Bloomington (22 242) avec Normal (2506) 24 748 » Rockford 25 589 » Aurora 19 634 » Alton 10184 » Cairo 10 044 » Galena 6 406 » £a m. 54 426 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. suies. La plus vaste parait avoir été un fond lacustre dans la plus grande partie de son étendue; c'est une terre basse ou de faible élévation, cam- pagne onduleuse où s'alignent de longues moraines, déposées jadis par les glaces du nord et s'élevant en certains endroits à plus de 50 mètres. Sur les rives orientales du lac Michigan, d'autres buttes atteignent la même hauteur : ce sont des dunes que le vent pousse ou ramène et qui changent incessamment la configuration des flèches côtières et des- anciennes baies transformées en étangs. Grâce à la fertilité du sol et à la douceur de l'atmosphère lacustre dans laquelle baigne la contrée, le Michigan oriental est un pays de très riche agriculture. 11 possédait des forêts, maintenant clairsemées, où dominaient les chênes, dans la partie méridionale, et les pins dans les districts du nord; le sous-sol renferme d'énormes gisements de houille, qui représentent en combustible une puis- sance calorifique bien supérieure à des générations successives de forêts, mais qui enlaidissent les villes par leur fumée. Wolverim State y « État du Carcajou », tel est le sobriquet populaire donné à l'État du Michigan. Différente de la grande péninsule sud-orientale par sa structure, la pres- qu'île nord-occidentale représente dans son ensemble une arête rocheuse de plus de 500 mètres en hauteur, aride, formée d'une saillie de granit et d'un revêtement de grès, s'orientant dans le sens de Test à l'ouest : elle n'a point de rivières s'écoula ni en méandres dans les campagnes, mais des torrents descendent vers l'un ou l'autre des Grands Lacs en ra- pides et en cascades. On n'y voit que de rares terrains favorables à l'agri- culture; cependant la contrée est devenue proportionnellement la plus riche des deux Michigan, grâce à ses mines de cuivre natif et de fer : peu de pays contiennent de pareils trésors métalliques. De même que le Maine, le Michigan se rattache au Canada par son histoire. Les traitants et les missionnaires français le découvrirent, il y a deux siècles et demi, puis les coureurs de bois et leurs métis y fondèrent des établissements. Après la cession du Cis-Mississippi aux colonies indé- pendantes, les Anglais voulurent pourtant se maintenir dans le Michigan et ils y gardèrent le poste stratégique de Détroit jusqu'en 1796. Pendant la guerre qui sévit en 1815 et en 1814 entre les États-Unis et la Grande- Bretagne, de nombreux conflits eurent lieu autour de cette clé des Lacs, et les alliés indiens des Anglais payèrent par la mort ou par l'exil la part qu'ils avaient prise au conflit. Maintenant il ne reste d'indigènes dans le Michigan qu'en deux enclaves, une pour chaque péninsule. L'immi- gration des colons étrangers commença de se porter dans cette région vers 1840, après le peuplement de l'Ohio et de l'indiana; les descendants MICHIGAN, LANSING, DETROIT. 427 «okees s'y trouvent en moindre nombre que dans l'Ohio et dans l'In- diana. L'élément ethnique des Franco-Canadiens, très fortement représenté dans le Michigan, l'emporte même en quelques districts'. Lansing, la capitale de l'État, choisie uniquement à cause de sa position centrale, comme la plupart des autres chefs-lieux américains, s'élève dans la vallée de Grand River, tributaire oriental du lac Michigan. Quoique restée e&W C.eatda car.» 8y,* -/Tï>^-. Aff&rvBn jfeJfaj^S i: ' '• ' ^M ]gl|pP§ ^j — '-r^y )m [$& ' }•'•■ ■Wfi i-",'^\i *-'/■■*/ ^^p>^-si. -VV: ^"ï^^jfs "• "••'•*' \ 'jstfé'''' : 3 <2 flî'iO* Ouest da Gww.cn 62*59' tfaOA 8rr>4tr*a ois 8"" et muc/s/a l'une des humbles cités de l'Ouest, elle occupe un très vaste espace, et, comme naguère Washington, aurait droit au surnom de «« ville aux distances magnifiques ». Fondée en 1857, elle devint trois années après siège de la législature à la place de Détroit. L'ancienne métropole de la contrée est de beaucoup sa principale cité. Détroit a gardé, du moins par l'orthographe, le nom que les colons français donnèrent en 1670 à leur fortin de traite. Au commencement du dix-huitième siècle, de Lamothe-Cadillac en fit une petite colonie; son admirable situation sur le 1 Rang du Mkhigan parmi les Étais et territoires de l'Union nord-américaine : Superficie : 58 9)5 milles carrés (152 590 kil. carr.l. ... N* 21 Population en 1890 : 2 095 887 habitants N* 9 Densité kilométrique : 14 habitants N" 19 Production du cuivre (58480 tonnes) N* 2 428 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ce détroit » par lequel s'écoule le trop-plein des eaux du lac Huron dans le lac Erie en faisait une de ces villes nécessaires qui doivent résistera tous les accidents. Aussi régulière de tracé que la plupart des autres cités de l'Ouest, elle occupe une superficie de 30 kilomètres carrés, prin- cipalement le long de la rive droite du fleuve, large en cet endroit de près d'un kilomètre : vis à vis s'élève la ville canadienne de Windsor, en réalité un faubourg de Détroit, avec une proportion d'habitants de langue française encore plus considérable. Comme port, Détroit a son fleuve, dont la profondeur, de 9 à 10 mètres en moyenne, atteint 14 mètres dans les creux : le fort courant qui passe devant la ville avec une vitesse de 4 kilomètres à l'heure, emporte les glaces du lac Saint Clair pendant les mois de froidure et maintient la navigation dans le canal. Au nord-est de la ville, un canal de 4 mètres en profondeur contourne le delta de la rivière Saint Clair, où serpentent les eaux basses sorties du lac Huron. Détroit, voie obligée de tout le commerce qui se fait dans les trois lacs d'en haut, Supérieur, Michigan, Huron, ne pourrait en être privée que si le canal ou le chemin de fer porte-bateaux,' projetés entre Toronto et la baie Géorgienne, venait à être construit et détournait ainsi le trafic vers la voie plus courte de l'Ontario. Outre son énorme mouve- ment de navigation, Détroit a le commerce considérable que lui procurent les chemins de fer convergents, entre autres celui qui pénètre directement dans la province canadienne de l'Ontario par le tunnel de 1814 mètres, creusé, à la sortie du lac Huron, sous la rivière Saint Clair, entre les deux villes Port Huron, l'américaine, et Sarnia, la canadienne1. Plu- sieurs petites villes gravitent autour de Détroit : entre autres Ann Arbor, située à l'ouest, sur le chemin de fer direct de Chicago ; elle est le siège de l'une des universités d'Amérique où se font les meilleures études. Au delà, vers le lac Michigan, se succèdent les villes de Jackson et de Battle Creek. La baie de Saginaw, branche du lac Huron qui pénètre profondément dans le corps de la péninsule orientale, a son groupe de villes, situées vers l'extrémité méridionale du golfe et au bord de la rivière Saginaw, qui s'y déverse. Saginaw, sur la rive gauche, et East Saginaw, qui lui fait face sur la rive droite, mais constitue une municipalité distincte, forment ensemble une des grandes agglomérations manufacturières du Michigan : les eaux courantes qui viennent s'y réunir en un seul lit, à 47 kilomètres 1 iVivigation de lac à Lie par le Détroit en 1890 : 18646 000 tonnes. Commerce de Détroit avec le Canada : 0455 navires, portant 540 483 tonnes. DETROIT, ANN ÀRBOR, SAGINAW, MARQUETTE. 429 en amont de la baie, fournissent par leurs rapides une force motrice énorme, employée d'abord au sciage des bois, mais utilisée maintenant par toutes sortes d'usines. Le port d'embarquement, situé à l'embouchure du fleuve, a participé à la croissance rapide des deux villes d'amont et son commerce a augmenté en proportion ; il s'élève à 2 millions de tonnes malgré le manque de profondeur sur la barre. Mackinaw City, à l'extrémité septentrionale de la péninsule, vis-à-vis de la Pointe Saint Ignace et de l'île Mackinac ou Mackinaw, devenue l'un des « parcs nationaux » ou propriétés communes de l'Union, est le « Gibraltar » du détroit de Michil Mackinaw ou de la « Grosse-Tortue », qui fait communiquer le lac Michigan et le lac Huron. Anglais et Fran- çais s'y disputèrent pour la possession d'un poste fortifié où se faisait la traite des pelleteries; en 1763 les Indiens Sacs et les Saulteux s'en empa- rèrent sur la garnison britannique ; maintenant on y fait un certain com- merce en bois de construction et on y transborde les denrées et les voyageurs de l'une à l'autre péninsule. Sur la côte qui se prolonge au sud-ouest, puis au sud, baignée à l'ouest par les eaux du lac Michigan, plusieurs villes côtières ont une importance supérieure : telles Muskegon, Grand Haven, South Haven et Saint Joseph. Grand Haven, situé à l'embou- chure de la « Grande Rivière » (Grand piver), est le port d'une ville très active, Grand Rapids, la deuxième cité de l'État du Michigan : les « rapi- des » dépassant 5 mètres de hauteur verticale, sur un kilomètre et demi, donnent une force motrice très considérable, employée en de nombreuses usines. Des sources salines, qui jaillissent dans le voisinage, de même que dans le district de Saginaw, ont fait naître une industrie très productive1. Vers l'angle sud-occidental de l'État, Kalamazoo, sur la rivière du même nom, constitue un autre centre, dont l'importance croît rapidement de décade en décade. La péninsule occidentale, au sol rocheux, au rude climat, n'a point de sites favorablement disposés pour devenir des points d'attraction comme tilles de culture et de plaines; mais ses mines d'une extrême richesse, situées à proximité d'excellents mouillages en eau profonde, ont donné aux escales côtières une activité prodigieuse : ses ports, aux noms presque inconnus en dehors de la contrée, n'en sont pas moins des centres de navi- gation très fréquentés. Marquette, la cité principale de la péninsule, située sur la grève méridionale du lac Supérieur, est une de ces Liverpool ayant surgi dans les solitudes du Grand Ouest. Le minerai de fer s'expédie par 1 Production du sel dans le district de Saginaw : de 750 000 à 900 000 hectolitres. 430 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. millions de tonnes vers tous les ports des Grands Lacs, et même par les canaux, dans les cités de l'Atlantique ; en outre, une part considérable du minerai se traite sur place en de puissantes usines, dont l'outillage, employé pour écraser les roches dures, représente de très forts capitaux. Un chemin de fer réunit Marquette à travers la racine de la péninsule au port d'Esca- naba, situé au bord du lac Michigan, près du débouché de la Baie Verte; d'autres voies ferrées se dirigent à l'ouest vers l'Anse et Ontonagon, postes d'expédition également très actifs, et vers les usines de Bessemer et d'Ironwood, près de la limite du Wisconsin. Eagle River et Copper Harbor, sur la pointe de Keweenaw, projetée au loin dans le lac Supérieur, exportent les cuivres de Calumet et autres districts où Ton recueille le métal à l'état natif. Vers le milieu de sa longueur, la péninsule est trans- formée en île par des étangs, des coulées et un canal artificiel. Le commerce de Sault Sainte Marie, — ordinairement appelé Soo par les habitants du pays, — est d'une autre nature : cette ville double, cana- dienne au nord du détroit, américaine au sud, donne passage aux denrées et marchandises entre le lac Supérieur et les bassins lacustres situés en aval ; le mouvement annuel des bateaux à vapeur et des barques, vraiment énorme, dépasse 8 millions de tonnes pour les deux canaux écluses qui contournent le ce sault » au nord, et au sud1; le premier canal, celui de la rive américaine, s'ouvrit déjà en 1855. Depuis longtemps les Indiens « Saulteux » ont disparu de la contrée, et le Sault, ancien poste de traite des Français pour le commerce des pelleteries, a pris rang parmi les cités industrielles. Le pont international qui traverse le détroit porte deux voies maîtresses de l'Amérique du Nord, celles de Montréal à Duluth et à Minneapolis, et par ces deux villes aux cités riveraines du Paci- fique. Le poisson blanc (coregonm albus) qu'expédient les pécheurs du Sault et dont la chair est considérée par les gastronomes comme sans rivale, a été introduit récemment dans les autres Grands Lacs. C'est entre Marquette et le Sault, près de Grand Island, que s'élèvent les hautes falaises dits c< Portails » par les anciens voyageurs français ,et dénom- mées « Roches Peintes » (Pictured Rocks) par les Américains. Ces parois ne sont pas moins curieuses par l'imprévu et le pittoresque de leurs formes que par la variété de leurs couleurs. Les roches de grès, de calcaires, de quartz, superposées en moyenne jusqu'à une centaine de mètres de hauteur au-dessus du lac, se dressent en murailles, en tours, en 1 Mouvement des bateaux sur le canal américain de Sainte Marie en 1890 : 8 288 580 tonnes. Valeur des marchandises transportées en 1886 : 451 403 450 francs. SAULT SAINTE MARIE, WISCONSIN. 451 aiguilles, s'avancent en masses surplombantes percées de cavernes et d'ar- cades, et les teintes les plus diverses, le rose, le bleu, le vert, se mêlent au gris et au brun, pour donner à ces prodigieux édifices un aspect bizarre ou charmant, suivant le jeu de la lumière et des ombres1. VI. — WISCONSIN. L'Ëlat du Wisconsin, ainsi nommé de la rivière abondante que les pre- miers voyageurs français appelaient Meskonsin et qui rejoint le Mississippi en aval de Prairie du Chien, a été taillé, comme le Michigan, dans le « territoire du Nord-Ouest », cédé par la Grande-Bretagne à la République nord-américaine. Le Mississippi à l'ouest, le lac Michigan à l'est, limitent l'État; au sud, la ligne du 52° 30', le sépare de l'IUinois, et au nord il a été privé, au profit du Michigan, de la péninsule comprise entre le lac Supérieur et la Baie Verte ou Green Bay : le Montréal, tributaire du Supérieur, la Menomonee River, affluent de la Baie Verte, et une ligne droite rejoignant les deux cours d'eau forment de ce côté la limite du Wisconsin. L'archipel des Apôtres, dans le lac Supérieur, lui a été attribué, l'Isle Royale revenant au Michigan. Les deux tiers du Wisconsin appartiennent au versant mississippien ; la partie du territoire inclinée ?ers le lac Supérieur est très étroite ; celle qui penche vers le lac Michi- gan a beaucoup plus de largeur, grâce au bassin de Fox River, qui fut autrefois un golfe de la mer intérieure, mais qui s'est à demi asséché, n'ayant gardé dans sa dépression qu'un seul lac considérable, le Winnebago. Les régions méridionales de l'État, comprises dans la zone des prairies et 1 Villes principales du Michigan, avec leur population en 1890 : MICHIGAN ORIENTAL. Détroit 205 676 habitants. Grand fiapids 60 278 » Saginaw 46 522 » Bay City 27 839 » Muskegon . 22 702 » • Jackson 20 798 » i Kalamazoo *. 17 855 » Lansing 13 102 » ' PortHuron 15 543 » ! BattleCreek 13197 » Ann Àrbor 9 509 » MICHIGAN OCCIDENTAL. Marquette 9 095 habitants. Sault Sainte Marie (Soo) 5 760 » t ■ 432 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. jouissant d'un climat relativement doux, sont de beaucoup les plus popu- leuses, les agriculteurs ayant pu cultiver le sol dès la première année, sans grands travaux de labour ; mais la région septentrionale, plus rocheuse, plus aride et plus froide, et jadis couverte de pins dans presque toute son étendue, se colonise lentement. Les mines de plomb, dans les districts du sud-ouest, et de fer, sur les bords du lac Supérieur, ont notablement contribué au peuplement de la contrée, et les sources thermales du Wis- consin, moins nombreuses pourtant que celles de la Virginie, attirent les visiteurs en plus grand nombre. Parmi les étrangers, les Allemands et les Scandinaves forment les principales colonies; en certains districts on ne parle anglais que dans les villes. Les Franco-Canadiens sont aussi forte- ment représentés, héritiers des coureurs de bois qui visitèrent le Grand Ouest dès la première moitié du dix-septième siècle, et qui cultivaient les fonds à La Crosse, à Prairie du Chien, sur la baie des Puants1. Le nom populaire du Wisconsin est Badger State, « État du Blaireau ». La population se presse surtout sur les rivages du lac Michigan, au nord de Chicago. Racine, située à la bouche d'un petit bayou qu'utilisent les embarcations d'un tirant d'eau de 5 à 4 mètres, est une ville très active, dont les ouvriers travaillent surtout à de grosses besognes, telles que transport des madriers, construction de machines, de locomotives et de wagons. Racine participe à l'industrie des deux grandes cités voisines, au sud Chicago et au nord Milwaukee, la ville principale du Wisconsin. Mihvaukee, dont le nom winnebago, altéré par les Américains, signifie « Beau Pays », est de fondation franco-canadienne comme Racine : le pre- mier poste de troc y fut établi en 1785 par le traitant Laframboise; Salomon Juneau, en souvenir de qui se nomme l'admirable parc bor- dant les eaux du Michigan, y éleva sa ferme en 1818; les colons anglo- américains ne s'y présentèrent qu'en 1835, sous la conduite d'un autre natif canadien-français. Depuis 1840, époque où la ville n'avait pas encore deux mille habitants, ses progrès furent des plus rapides : vers l'année 1875, la population atteignait cent mille personnes. Les Alle- mands, ^ms y constituer la majorité, comme on l'a souvent répété, y sont proportionnellement plus nombreux que dans toute autre cité des États-Unis. Mihvaukee, Y «Athènes germano-américaine », s'élève sur les deux bords de la rivière de même nom et présente une façade d'environ 1 Rang du Wisconsin parmi les États et territoires de l'Union nord-américaine : Superficie : 56 (MO milles carrés (145144 kil. carr.) . . N* 24 Population en 1890 : 1686 880 habitants N* 12 Densité kilométrique : 12 habitants N* 25 i W1SC0NSLX, MILWAIKEE, MADISON. 453 10 kilomètres sur les falaises qui dominent le lac ; rare privilège parmi les villes américaines, elle n'a aucun quartier d'aspect sordide : de vastes fours débarrassent les égouts de toutes leurs immondices par l'incinéra- tion, cl les cendres sont répandues sur les campagnes environnantes. La brique dont on se sert pour construire les édifices, d'un jaune blanc très agréable à l'œil, a valu à la ville le surnom de Cream City : les brique- teries de la région expédient leurs produits au loin et jusque dans les ports riverains de l'Atlantique. Des écluses ont relevé le niveau de la rivière et fournissent une force motrice considérable aux usines, fon- deries et laminoirs, fabriques de machines, tanneries et corroieries, brasseries et moulins à farine. Le port, naguère d'une profondeur insuf- fisante, a été aménagé à grands frais pour les plus forts navires et fait un commerce égal à celui de Marseille, Supérieur à celui du Havre1. En 1890, la flotte appartenant au port de Milvvaukee se composait de 371 navires, jaugeant ensemble plus de 90000 tonnes. L'exportation par excellence consiste en céréales et farines : à cet égard, le port du Wisconsin dépassa même pendant quelques années celui de Chicago. La capitale de l'État, Madison, n'a pas comme Milvvaukee l'avantage d'être située au bord du Michigan, mais elle a été choisie pour la beauté des sites environnants. Une belle nappe lacustre, le Mendola, en grande partie alimentée par des sources de fond, emplit une dépression de 80 kilomètres carrés et de 15 à 20 mètres en profondeur. Les eaux pures, bordées d'un sable blanc, s'écoulent de degré en degré par trois lacs étages, bassins supérieurs d'un torrent qui descend au Rock River, affluent du Mississippi. Dans l'isthme qui sépare le Mendota du deuxième lac ou Monona, s'élève la ville de Madison, entourée d'un charmant parc naturel, parsemée de jardins, arrosée par des ruisselels. Chacun des édi- fices publics s'embellit de fleurs et de gazons. Longtemps la gracieuse ville resta presque déserte : elle grandit et prospère depuis que des chemins de fer la rattachent aux villes riveraines des Lacs et du Mississippi. Madi- son occupe la partie centrale de la région des buttes et des fortifications indiennes : on y a fait plus de trouvailles en étoffes, outils de cuivre et autres objets que dans toute autre partie des États-Unis. Fond du Lac, située en effet au « fond », c'est-à-dire à l'extrémité méri- Monvement de la navigation dans le port deMilwaukee en 1889 : Entrées. . . . 5349 navires, portant 2 895 557 tonnes 2 867865 » Sorties . 5565 » » Ensemble. . . 10 912 navires, portant 5 765 200 tonnes xvi. 55 434 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. dionale du lac Winnebago, d'où sort Foi River ou la « rivière aui Renards », a gardé son nom français; mais, après les Anglo-Américains, les habitants les plus nombreux sont des Allemands, comme à Milwaukee. La tribu dakota des Winnebagos ou des « Puants », ainsi nommés, dit-on, parce qu'ils venaient de la mer « Puante », — de l'Océan peut-être, — vivait autrefois dans le pays, séparée par les Algonquins du gros de sa nation. Fond du Lac, de même que sa voisine Oshkosh, sur les deux bords de Fox River, à quelques kilomètres en amont de son embouchure dans le lac Winnebago, avait autrefois pour unique industrie l'exploitation des bois de pins, débités en poutres, en madriers, en planches, ou charpentés sur place en maisons et en chalands pour le commerce des Lacs et du Mississippi. La déforestation graduelle de la contrée et les facilités des échanges ont transfermé les industries locales en leur donnant plus de variété. Une nappe aquifère, alimentant par centaines des puits artésiens d'une eau très pure, passe au-dessous de Fond du Lac. En aval, toute la vallée de Fox River jusqu'à son embouchure dans ta Baie Verte, — l'an- FOND DU LAC, ASHLAND. «5 tienne baie des « Puants », — se borde d'usines, surtout de papeteries : c'est par excellence le district du papier aux États-Unis. Fond du Lac eipédie une partie de ses produits directement à l'est par le port de Sheboygan. Dès l'année 1765, une colonie de *■ «•• — «w» «> l*c « »« raBTE- plusieurs centaines de métis , dirigée par Charles de Langlade, occupait les bords de la baie et de ses rivières; plusieurs dizaines de Tamilles représentent dans la contrée la des- cendance du fonda- Icur. Sur le lac Supérieur, le port le plus actif, Ashland, était encore en 1880 un village de cabines presque com- plètement isolé : situé à l'extrémité d'une baie profonde , dans une clairière des forêts, loin des lignes de commerce et de navigation, il semblait perdu dans les solitudes, lorsque l'ex- cellence de ses mine- rais de fer attira l'ai- z.i*mn lention des spécula- ^^ ^^ Hi , ef*Û+Wr e/?i>Oà/6?? a,t/O0met**='r.'J leurs : en quelques an- nées, Ashland devint ô 'i„ kB. l'une des cités impor- tantes du Nord-Ouest, avec un réseau de voies ferrées, des moulins, des usines, des hauts fourneaux, des entrepôts et des jetées; l'exportation du minerai dépassa 2 millions de tonnes en 1890. Le mouillage des « Douze Apôtres » {Âpottle Islands), au devant de la baie d'Ashland, est le plus sûr de ces parages. A l'extrémité occidentale du lac Supérieur, le port auquel 436 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. il a donné son nom, Superior City, et que fondèrent des spéculateurs du Sud, expédie surtout des farines, des céréales et des bois. A l'angle extrême du Wisconsii», il fait face à la cité minnesotienne plus importante deDuluth1. Une ville de l'intérieur, Eau Claire, bien nommée du torrent qui vient y rejoindre le Chippewa, affluent oriental du fleuve, est, grâce à ses rapi- des, une agglomération de scieries et de manufactures, envoyant leurs pro- duits au Mississippi par le bas Chippewa et le lac Pépin. En aval, la ville principale du Wisconsin sur le bord du Mississippi continue l'ancienne colonie canadienne de La Crosse, bâtie au confluent de la rivière la Crosse et du grand fleuve, dans une vaste prairie où les diverses tribus indiennes se disputaient le championnat du jeu national. Le poste de traitants a fait place à une ville industrielle communiquant avec les contrées du Trans-Mississippi par un viaduc à voie ferrée; le village de North Crossing, situé en face dans l'État de Minnesota, est en réalité un faubourg de La Crosse. D'origine française, Prairie du Chien, construite plus bas, sur la rive gauche du fleuve et à une petite distance en amont de l'embouchure du Wisconsin, a moins prospéré. Elle occupe le fond d'une plaine basse entourée de falaises, qui fut autrefois le lit d'un bassin lacustre du Missis- sippi : son premier nom était Prairie des Chiens, d'après la tribu d'Indiens qui campait dans le voisinage*; un pont formé de deux pontons mobiles et comprenant, avec la traversée d'une île intermédiaire, une longueur de 2218 mètres, y franchit les deux bras du fleuve5. La rivière Wisconsin, qui débouche en aval de la « prairie », a déjà fourni les deux tiers de son cours lorsqu'elle arrive dans la région des lacs glaciaires qui se succèdent en une longue traînée jusqu'à la Baie Verte. La rivière coulant au fond de 1 Mouvement de la navigation entre Superior City et l'extérieur en 1890 1404 navires, portant 852 886 tonnes. * J. Tassé, Les Canadiens de l'Ouest. Villes populeuses et historiques du Wisconsin , avec leur population en 1890 : Milwaukcc 204 468 habitants. La Crosse 25 090 » Oshkosh 22 836 » Racine 21 014 »> Eau Claire 17 415 » Shcboygan 16 359 » Madison 13426 p Fond du Lac. 12 024 » Superior City 11983 » Ashland 9 956 * Prairie du Chien 5 000 » <> I I s S i •I KENTUCKY. 439 « dalles » profondes, laisse tous ces bassins lacustres à Test ; mais à l'ouest elle enferme dans une péninsule montueuse une nappe isolée, très pittoresque, le Devil's Lake ou « Lac du Diable », retenue aussi par d'anciens remparts de moraines. VII. — KENTUCKY. Le Kentucky, un des États le mieux déterminés par sa position géogra- phique, a pour limite au nord le cours de l'Ohio, qui le sépare de trois Etats de la région des Lacs, Ohio, Indiana, Illinois, il a pour frontière occi- dentale le cours du Mississippi, tandis qu'à Test il conCne à un chaînon des Alleghanies, depuis le cours de la rivière Big Sandy jusqu'à la brèche dite Cumberland Gap (510 mètres) : celle-ci peut être considérée, grâce à son importance stratégique et commerciale, comme le véritable centre de toute la région cis-mississippienne au sud de l'Ohio. Une seule des limites du Kentucky est formée par des lignes géométriques, la frontière du Tennessee, qui suit en partie le 36° 30' de latitude. Le Kentucky est une contrée de transition entre les États du Nord et ceux du Sud : au nombre des anciens pays à esclaves, il se rattache par l'origine principale de sa population blanche aux contrées septentrionales de l'Union, et pen- dant la guerre de Sécession il fournit aux armées fédérales deux fois plus de volontaires que de recrues aux armées du Sud1. Cependant des combats se livrèrent sur son territoire et l'Union n'y fut maintenue que par la force des armes; une sanglante bataille se livra près de Bowling Green, non loin de la frontière du Tennessee. L'État appartient presque en entier au bassin de l'Ohio et doit son nom à un affluent de cette rivière. Pays fertile, excepté en quelques endroits où la roche calcaire, percée d'enton- noirs, manque de ruisseaux fécondants, le Kentucky est surtout une contrée agricole; il produit environ le tiers des tabacs de tous les États-Unis, et dans la région dite du bluegra&s, « herbe bleue », — poa compressa, — il élève d'excellents chevaux, les meilleurs de l'Amérique pour la taille, la force, l'endurance et la vitesse. L'industrie proprement dite ne prospère que dans les villes riveraines de l'Ohio et dans les régions minières du versant alleghanien1. Le Kentucky, qui fut attribué à la Virginie dans les premiers temps de la colonisation, mais qui revendiquait énergiquement 1 5athaniel Shaler, Noies manuscrites. * Production de la houille du Kentucky en 1890 : 2 599 755 tonnes. 440 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. son autonomie, lut enfin admis au nombre des États en 1792. Une élv- mologie, qui ne paraît pas exacte, donne au nom du pays le sens de « Sol noir et sanglant », qui serait justifié d'ailleurs historiquement par les massacres entre blancs et Peaux-Rouges1. Deux des principales villes du Kentucky, Covington et Newport, situées en face de Cincinnati, n'ont d'importance que par leur participation à l'in- dustrie et au commerce de la grande cité voisine. La principale ville de l'intérieur des terres, Lexington, eut rang de capitale jusqu'après la guerre de l'Indépendance et garde encore, par l'ampleur de ses rues et de ses places, par la magnificence de ses ombrages et l'élégance de quelques édi- fices, un certain aspect de métropole. Elle possède Tune des universités du Sud les plus appréciées; son fameux hippodrome, où viennent courir les admirables chevaux des fermes environnantes, reçoit des visiteurs venus de toutes les parties des États-Unis. Un petit ruisseau, l'Elkhorn, qui passe à Lexington, s'écoule dans la rivière Kentucky. La capitale actuelle, Frank- fort, est située sur la rive droite de ce cours d'eau, à la tête de la navigation fluviale. Dans la même partie de l'État, sur les bords du Licking, qui s'unit à l'Ohio entre Covington et Newport, s'élève le plus grand « Paris » de l'Union nord-américaine. Louisville, qui longe la rive méridionale de l'Ohio, est la principale cité du Kentucky. Avec ses annexes, New Àlbany et Jefferson ville, que l'ar- rêt forcé des bateaux au contournement des chutes a fait naître et grandir sur la rive droite, appartenant à l'Indiana, l'agglomération urbaine comprenait près de deux cent mille habitants en 1890; un pont disgra- cieux de 28 travées, d'une longueur totale de 1613 mètres, unit les deux bords. La grande ville n'a pourtant guère plus d'un siècle d'existence : en 1775, des pionniers s'étaient retranchés en cet endroit et la première maisonnette s'éleva en 1778. On donna au village naissant le nom de Falls City, changé bientôt après en celui de Louisville, en l'honneur de Louis XVI, l'allié de la République américaine ; le canal qui a contribué pour une grande part à sa prospérité date de l'année 1835. La « Ville des Chutes » a sa principale importance comme cité de commerce et d'en- trepôt : les tabacs, les bestiaux du Kentucky viennent s'y échanger contre les produits des Etats du Nord et de l'Est. Louisville s'adonne égale ô' *" 1 Rang du Kentucky parmi les Ltats et territoires de la République nord-américaine . Superficie : 40 400 milles carrés (104 656 kil. carrés.). N° 36 Population en 1890 : 1 855 456 habitants N° il Densité kilométrique : 18 habitants N"° 13 Production du tabac (77 000000 kilogrammes en 1890). N° 1 COVISGTON, SEWPORT, LOUISVILLE. +11 ment à une industrie très active, préparation des tabacs et des peaux, fonderies, filatures, distilleries, construction des charrues, des machines et des bateaux. Elle est aussi une des villes universitaires de l'Ouest. En irai, sur l'Ohio, Paducah, occupe une excellente position géographique au confluent de la rivière Tennessee et à une faible dislance de l'embou- chure du Cumberland. La jonction des eaux n'eût pas manqué de don- ner de l'importance à Paducah si le trafic n'avait pas été presque entiè- rement transféré des rivières secondaires au réseau des voies ferrées. La partie sud-orientale de l'État, naguère presque déserte, couverte de forêts d'accès très difficile, a pris presque soudainement une étonnante animation, grâce aux chemins qui ont permis d'exploiter ses mines de houille et de fer. Des spéculateurs anglais, sans attendre le groupement spontané des colons, ont acheté dans cette région un espace de 60000 hectares pour y creuser des mines, bâtir des entrepôts et fonder de» rilles et des villages. Le chef-lieu industriel de la contrée minière, Wddlesborough, est construit, à l'entrée même de Cumberland Gap, sur un plan assez vaste pour suffire à une population de deux cent mille habitants; usines, hôtels, bibliothèques, théâtres, écoles, maisons de plat- 442 NOUVELLE GÉ06RÀPUIE UNIVERSELLE. sance, la cité nouvelle possédait déjà son organisme complet sans autres résidents que ses bâtisseurs1. VIII. — TENNESSEE. L'Etat du Tennessee, long parallélogramme disposé dans le sens de Test à l'ouest, entre la haute crête des Àppalaches et le cours du Mississippi, se divise naturellement en deux régions bien distinctes, ayant chacune pour axe une partie de la rivière Tennessee ; d'un côté les hautes vallées supérieures où coulent les eaux dans la direction des crêtes allégha- niennes, puis, après une grande courbe du fleuve à travers l'Etat d'Àla- bama, — d'où le nom populaire de Big Bend State donné au Tennessee, — la plaine où le cours d'eau se reploie vers le nord pour descendre vers l'Ohio, parallèlement au Mississippi, mais en sens inverse. Entre les deux moitiés du cours fluvial s'étend le « grand Bassin », jadis lacuslre, aux campagnes unies. Les deux régions de la montagne et des plaines con- trastent, tant par le relief du sol que par la population, les mœurs, le cli- mat et les produits. Dans les districts montagneux, les habitants, presque tous de race blanche, cultivent eux-mêmes leurs terres; dans les contrées basses de l'Ouest, naguère territoire d'esclavage, les noirs sont nombreux et travaillent en de grands domaines. Ces différences entre les deux moitiés de l'État eurent des conséquences décisives pendant la guerre de Sécession: les rudes populations démocratiques de la montagne, dont les sympa- thies étaient pour le Nord, ouvrirent à ses troupes les chemins du Sud, et les armées fédérales, pénétrant par les hautes vallées, purent se can- tonner en plein centre de la Confédération rebelle et préparer ainsi la campagne définitive qui les amena devant Richmond. Longtemps le Ten- nessee fut une contrée purement agricole; mais ses puissantes ressources minières en houille, fer, zinc, cuivre et autres métaux, de plus en plus appréciées, promettent d'en faire une seconde Pennsylvanie. Depuis 1756,1e 1 Villes principales du Kentucky, avec leur population en 1890 : Louisville 161 005 habitants. » avec Jeffersonville et New Albany 193 279 » Covington (57 575hab.) et Newport (24938 hab.) ... 62313 » Lexington 22 355 » Paducah 13 024 » Bowling Grcen 7 790 » Frankfort 7 150 » Paris 5 505 ;> Middlesborough 1200 » TENNESSEE, NASHVILLE, KNOXVILLE, CIIATTANOOGA. 445 Tennessee s'est graduellement peuplé d'émigrants de la Virginie et de la Caroline du Nord ; les éléments d'origine étrangère, venus avec les Anglo- Américains, n'ont contribué à la colonisation que pour une très faible part1. Nashville, la capitale actuelle, occupe une situation centrale sur la rivière Cumberland, navigable jusque devant la cité; la population s'y porte depuis la guerre de Sécession et en fait la première ville de l'Etat pour l'industrie, le commerce et les établissements d'instruction publique. Bâtie sur une terrasse élevée, l'ancienne capitale, Knoxville , restée la métropole du Haut Tennessee, domine au nord la rivière Ilolston, Tune des branches maîtresses du fleuve, en aval de sa jonction avec le French Broad : des bateaux à vapeur naviguent sur ces affluents du Tennessee. Knoxville a quelque industrie, surtout pour la fabrication du verre et l'exploitation des mines environnantes. Dès l'année 1756, un poste mili- taire avait été fondé à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest, sur le Watanga ou Little Tennessee, et des colons avaient commencé la cul- lare du sol sous la protection du fort : le village prospère de Loudon selève sur le lieu de ce premier établissement. A une centaine de kilomètres plus loin dans la vallée maîtresse du Ten- nessee, Chattanooga, — en cherokee le « Nid du Corbeau », — entourée par les montagnes, semble un monde fermé. Pourtant les rochers cal- caires qui la commandent de leurs remparts verticaux et de leurs penles boisées offrent de larges brèches, et la rivière Tennessee, qui passe à l'ouest de la ville pour se replier en un vaste méandre, dit du « Mocassin », trouve une issue vers le sud-ouest dans l'État de l'Alabama. En 1856, Chattanooga n'était encore habitée que par les Cherokees; Tannée suivante, les première blancs se présentèrent; bientôt après, les Indiens étaient expulsés et les envahisseurs se partageaient à coups de dés les terres de la vallée. En 1865, la petite ville, blottie sur la rive gauche du Tennessee, à la base septentrionale de Lookout Mountain, devint tout à coup célèbre. Point stratégique de premier ordre, située à la sortie de la haute vallée du Tennessee, et à l'origine des passages faciles qui donnent accès dans la Géorgie en contournant les massifs extrêmes des Appalaches, Chattanooga est la « Porte du Sud ». Les confédérés en occupaient les approches et leurs ouvrages couronnaient les sommets environnants. Après 1 Rang du Tennessee parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 42 050 milles carrés (108 910 kil. carrés) ... N° 34 Population en 1890 : 1 763 723 habitants N° 15 Densité kilométrique : 16,2 habitants N° 14 iU NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE. de sanglantes batailles, dans la vallée d'un petit affluent du Tennessee, le Chickamauga, et jusqu'au sommet du Lookout, « au-dessus des Nuées », Sherman réussit à forcer le passage : désormais les roules du Sud étaient ouvertes, et l'armée fédérale pouvait entreprendre cette marche tour- nante qui mit fin a la grande guerre et rejeta définitivement les « rebelles» dans Richmond. Frappés par la beauté de la contrée et par sa richesse en minerai de fer et en combustible houiller, de nombreux soldats du Nord qui avaient combattu a Chattanooga s'y établirent, suivis de compatriotes par milliers : en quelques années, la petite bourgade champêtre se trans- forma en une cité d'usines et devint un centre commercial. Un service régulier de bateaux à vnpeur unit Chattanooga à Saint-Louis par le Ten- nessee, l'Ohio et le Mississippi. Jadis les écueils dits Muscle Shoals inter- rompaient la navigation dans la partie septentrionale de l'Alabama, à l'entrée des plaines. Ces rochers obstruent le fleuve sur une longueur d'environ 23 kilomètres et divisent le courant en de nombreux filets qu'un enfant pourrait traverser facilement. Il eût été fort coûteux de creuser un canal dans ce large lit semé d'écueils; on t'a établi sur le bord du Tennesee et complété par un chemin de fer sur lequel vont et viennent les locomotives de remorque, entraînant les convois Je baleaux. Jadis le géographe Maury proposait le creusement d'un canal de grande naviga- tion entre le Tennessee et l'Alabama, ce qui aurait fait de Ghatlanooga le centre hydrographique- de tout le Gis-Mississippi. Sur le cours du fleuve louisianais, l'État du Tennessee n'a qu'uneseule grande ville, Memphis, admirablement placée au rebord môme de l'une des anciennes « écores à Margot », falaise qui domine de longs méandres, entourant des îles vertes ; la cité, fière d'aspect et naguère la plus importante de l'Etat, espérait justifier un jour le nom ambitieux qu'elle s'était donné. En 1844, époque à laquelle les politiciens esclavagistes possédaient voix prépondérante dans les conseils du gouvernement, elle se fit accorder des arsenaux maritimes et des chantiers de construc- tion pour navires de guerre. Les législateurs avaient oublié que Memphis est à 1500 kilomètres de la mer, et que souvent dans les basses eaux le fleuve n'a que 5 mètres de profondeur en aval du confluent de l'Arkan- sas. Le gouvernement fédéral fit donc construire de vastes édifices, corde- 446 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ries, fonderies, ateliers de toute espèce; puis, quand tout fut terminé, cales, chantiers, bassins, on dut reconnaître que Memphis était mal située comme « port de mer » et Ton revendit l'ensemble des construc- tions pour la quarantième partie des frais : depuis, le sol même sur lequel on avait bâti l'arsenal a été emporté par le courant. Plusieurs chemins de fer rayonnent autour de la ville, mais aucun viaduc unis* sant ces diverses voies ne franchit encore (1891) le Mississippi. De cruelles épidémies, causées par l'insalubrité des marais environnants, l'insuffisance d'eau pure et le mauvais entretien des rues et des égouts ont réduit la population de Memphis. Des puits artésiens alimentent partielle- ment la cité1. IX. — ALABAMA. L'État d'Alabama, qui comprend la majeure partie du bassin de ce fleuve, a été bizarrement découpé. Au nord, on lui donne pour limite le 55e degré de latitude, en sorte que le cours moyen de la rivière Tennessee se trouve séparé de l'État qui porte son nom ; à l'ouest, il a pour lignes divisoires avec le Mississippi deux droites, dont l'une ne coïncide pas avec le méridien ; de même à l'est, une ligne oblique court entre l'Alabama et la Géorgie jusqu'à la rivière Chattahoochee ; enfin au sud, une partie du littoral fut attribuée à la Floride, et l'Alabama ne garde que le district riverain de la baie de Mobile. La contrée se divise en deux régions, celle des avant-monts appalachiens, qui s'abaissent par degrés vers le sud-ouest, séparés par les vallées parallèles des affluents de l'Alabama, et celle des plaines, qui vers le sud sont en grande partie maréca- geuses. Sous le régime de l'esclavage, l'État ne s'adonnait guère qu'à la culture du sol, surtout pour la production du coton, et l'épuisement des terres obligea les planteurs à laisser de vastes étendues en friche. Quant aux couches de houille et de minerai ferrugineux qui occupent une grande partie de l'État, au nord-est et au centre, on en connaissait bien l'exis- tence, mais on ne les utilisait qu'à peine. C'est à une époque récente que la grande industrie rattacha ces régions aux contrées manufacturières des États alléghaniens. La population de l'Alabama, comprenant près 1 Villes principales de l'État du Tennessee, avec leur population en 1890 : Nashville 76 309 habitants. Memphis 64 586 » Chattanooga 29113 » Knoxville 22 447 » (40 000 avec faubourgs) ALABAMA, BIRMINGHAM, FLORENCE- UT d'une moitié de noirs, s'accroît suivant une proportion moindre que l'en- semble des Etats-Unis*. Birmingham, la ville la plus populeuse et la plus active de l'intérieur, en y comprenant les bourgs usiniers des alentours, avait été placée par ses fondateurs sous des auspices qui parurent trompeurs jusqu'à ces dernières années; mais, ses avantages extraordinaires pour la production de la fonte à bon marché ayant été reconnus, la ville a prospéré en des proportions presque inouïes, même aux États-Unis : maisons, hôtels, usines, parcs, tout s'élevait en même temps, et le village devint cité1. Dans l'angle nord- occidental de l'État, Florence, située près du Tennessee, que longe le ■ Rang de l'Alabama parmi les Étals cl territoires de la République nord-américaine : Superficie: 52 250 milles carrés (156 328 lui. carrés.) . ,V 27 Population en 1890 : 1508 073 habitants H" 17 Densité kilométrique : 11,1 habitants M* 26 ' Production de b houille dans le district de Birmingham en 1890 : 7 200 000 tonnes, i duTer * • 800 000 tonnes, i du fer dans l'ensemble de l'Alabaina : 1 780 000 tonnes. 448 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. canal latéral des Muscle Shoals, est aussi l'une des cités actives du « Nouveau Sud ». Mobile est la métropole, Montgomery la capitale. Située près du centre géométrique de l'État, sur l'Àlabama, eu aval du confluent des hautes branches fluviales, elle n'est pas une des anciennes villes du Sud et date seulement de 1792. Les bateaux à vapeur remontent en toute saison jus- qu'au pied de la terrasse où s'élève la cité. Aux débuts de la guerre de Sécession, elle reçut le titre éphémère de chef-iieu des États confédérés, qui ne lui porta point bonheur : vers la (in de la lutte, les troupes esclavagistes, battant en retraite, mirent le feu à ses entrepôts de coton: puis vinrent les fédéraux, qui détruisirent la plupart des édifices publics. MONTGOMERY, MOBILE. 449 En aval de Montgomery, Selma occupe une situation analogue sur une haute berge dominant le fleuve ; ses habitants expédient de grandes quan- tités de coton par bateaux à vapeur. Mobile, jadis connue par les Français sous le nom de « la Mobile », fut fondée par Bienville en 1702, puis reconstruite un peu plus au nord, et jusqu'à 1725 elle resta le chef-lieu de la Louisiane, rang qu'elle dut céder à la Nouvelle-Orléans. Elle groupe ses maisons basses près de l'angle nord-occidental de la baie, à l'ouest du lacis de bayous dans lesquels s'en- tremêlent les eaux du Tombigbee et de l'Alabama, fleuves désignés d'or- dinaire sous le nom commun de « Mobile » que porte la cité. Des viaducs en bois d'un développement total de 24 kilomètres, la plus longue série de ponts de l'Amérique, traversent ces terres à demi noyées et les eaux inter- médiaires. Les quartiers commerçants offrent un ensemble compacte, tan- dis que les faubourgs formés par les maisons de plaisance s'étendent au loin dans les bosquets d'orangers. Mobile fabrique des cigares, exporte des cotons, des légumes, des primeurs; mais son trafic se fait principalement arec sa voisine, la métropole louisianaise, par des bateaux à vapeur d'un faible tirant d'eau, qui passent par les lacs Borgne et Pontchartrain1. La barre d'entrée, dans la baie de Mobile, n'est recouverte que par 4 mètres d'eau. Le petit port situé à la bouche du Pearl River, « la rivière des Perles », à la frontière des deux États, Louisiane et Mississippi, fait aussi un commerce de cabotage assez actif1. Ce cours d'eau se déverse dans la mer précisément à l'endroit où des terres molles, recouvertes de forêts, sé- parent le lac Pontchartrain du golfe maritime appelé lac Borgne, et l'on peut croire que l'ensemble de campagnes plates est un delta d'alluvions apporté par la rivière des Perles. Sa forme change sans cesse et le « ri- golet » qui emporte dans la mer le trop-plein des eaux du lac Pontchartrain s'est fréquemment déplacé : coulant au pied des hautes berges du nord, il s'empare des alluvions de Pearl River et les rejette à droite, sur la rive méridionale3. 1 Mouvement de la navigation extérieure à Mobile en 1890 : 455 navires, jaugeant 254 012 tonnes. a Mouvement de la navigation extérieure de Pearl River en 1890 : 462 navires, jaugeant 255 866 tonnes. * Yuies principales de l'Alabama, avec leur population en 1890 : Birmingham 26178 habitants. Mobile 51 076 » Montgomery 21 883 » Selma. . . 8000 » xn. 57 450 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. X. — MISSISSIPPI. L'État du Mississippi a la même forme à peu près que son voisin orien- tal l'Âlabama : sa plus grande extension est aussi du sud au nord, et dans l'ensemble il affecte la disposition d'un long quadrilatère, ne touchant à la mer que par une partie de la côte méridionale : au sud-ouest, il en est séparé par la Louisiane ; à l'ouest il a pour limite le fleuve qui lui a donné son nom. Divisé en vastes plantations que des mains esclaves labouraient naguère, le Mississippi fut l'État « cotonnier » par excellence, et le coton constitue encore sa principale récolte : aux États-Unis nuls autres terrains ne sont plus productifs pour les qualités ordinaires de la fibre que les bottoms ou fonds riverains du fleuve et de ses affluents. Ces vastes étendues d'origine alluviale, qui se prolongent sur une largeur moyenne d'environ 80 kilomètres, sont dominées à l'est par des plateaux ondulés, terrains calcaires que recouvrent dans la région méridionale des pins « aux longues aiguilles ». Pendant la guerre de Sécession, les planteurs cultivèrent en froment les prairies au sol léger des régions orientales pour l'approvisionnement des troupes, et leurs moissons furent abondantes. Malgré les avantages du sol et du climat, le Mississippi, trop exclusive- ment adonné à une seule production, est un des États les moins riches et les plus retardés; aucune partie de l'Union n'est plus pauvre en agglo- mérations urbaines1; ses rares villes, à l'exception de Yicksburg, Meridian et Natchez, ne sont que des bourgades agricoles. Le sol est relativement assez divisé : en 1880, la superficie moyenne des « fermes » était de 74 hec- tares. L'industrie proprement dite existe à peine, et n'exploite guère le sous-sol minier. L'accroissement d'habitants, parmi lesquels l'élément africain a la majorité, a été minime pendant la dernière décade. L'immi- gration étrangère ne se porte point vers cette région de l'Amérique. Cependant dès la fin du dix-septième siècle les Français s'étaient établis sur une plage appartenant à l'État actuel du Mississippi, l'île aux Vais- seaux ou Ship Island. L'année suivante, Iberville fondait le fort de Biloxi sur la terre ferme; plus tard, la colonie de Pascagoula naquit sur la ! Population du Mississippi en 1890 : Campagnes 97,36 pour 100 Villes 2,64 » (Censu* Bulletin, n° 52. April 47, 1891.) MISSISSIPPI, MERIDIÀN, VICKSBURG. 451 même plage. Ces anciens établissements français n'ont plus d'importance que par leurs huîtrières et, pendant Tété, par leurs plages de bains1. La partie orientale de l'État, sur les frontières de l'Alabama, a pour chef-lieu la ville de Meridian, située sur un faîte de hautes terres entre le Tombigbee et les sources de la Chickasawha, Tune des maîtresses branches de la Pascagoula. De même que Jackson, la capitale, située près du centre de l'Étal, au point de croisement de deux lignes maîtresses, elle n'a d'im- portance que comme centre agricole. Sur la rive du Mississippi, l'escale la plus active est, depuis quelques années, le bourg de Greenville, l'entrepôt agricole de la riche vallée du Yazoo ; mais par le nombre des habitants la cité principale est encore Vicksburg, l'ancien Nogales ou « les Noyers » des Espagnols, qui se trouve à plus d'une centaine de kilomètres au sud, sur une terrasse abrupte de la rive gauche du Mississippi. À la base de la falaise, percée de grottes artificielles où vivaient les civils de Vicksburg pendant le siège1, le fleuve décrivait naguère dans la plaine basse un grand méandre, enfermant une longue péninsule boisée; d'un faubourg de la rive droite, De Soto, qui n'existe plus, un chemin de fer, conti- nuant ceux du Cis-Mississippi, se dirigeait vers le Mexique. Vicksburg était alors l'escale du Mississippi la plus fréquentée entre Memphis et la Nouvelle-Orléans, non loin de la bouche du Yazoo; pendant la guerre de Sécession, elle devint aussi une des citadelles les plus puissantes de la confédération du Sud. Les fédéraux possédaient les hauts du fleuve jusque dans les États du Tennessee et de l'Arkansas; de même, au printemps de l'année 1861, ils s'étaient emparés de la Nouvelle-Orléans et du ba> fleuve jusqu'en aval de Port Hudson, en Louisiane; mais la forteresse de Vicksburg tenait toujours, et l'on ne pouvait compléter le blocus de Ja confédération rebelle par terre, fleuve et mer. L'armée assiégeante creusa un fossé dans la plaine alluviale, entre les deux cingles de la racine pénin- sulaire; mais, le sous-sol de dure argile ne s'étant pas laissé excaver par les eaux du Mississippi, l'espoir qu'avaient eu les marins de pouvoir remonter et descendre le fleuve en tournant les batteries de Vicksburg, fut déçu. Il fallut en faire péniblement le siège. Après avoir coûté 16600 soldats à l'année du Nord, la place se rendit enfin, le 5 juillet, le jour même où 1 Rang du Mississippi parmi les États et territoires de la République nord-américaine: Superficie : 46 810 milles carrés (121 238 kil. carrés). . N» 31 Population en 1890: 1284 887 habitants N° 21 Densité kilométrique : 10,6 habitants N° 27 Production du coton N9 2 * Mark Twain, Life on the Miuiuippi. 452 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. la suprême attaque des- confédérés en Pennsylvanie était repoussée. Quel- ques semaines après, Port Hudson tombait à son tour, et le Mississippi redevenait libre. Depuis ces grands événements, un fait considérable s'est Wl /--A 9L'«4 Qug;t dg Grée™. accompli dans l'histoire de Viuksburg. A la suite d'une inondation, le Mississippi abandonna le Ht qu'il suivait au pied des falaises de la ville, pour couler dans une brèche voisine de ce canal où l'armée de Grant avait essayé vainement de le précipiter. Il passe maintenant à plusieurs kilo- mètres au sud, et l'on ne peut garder qu'à très grand'peine, par de con- VICKSBURG, NATCHEZ. 453 linuels dragages, une communication régulière entre le fleuve et l'an- cien port. Sur la même rive que Vicksburg, Natchez, bâtie sur une falaise, à 60 mètres d'altitude et dans une position analogue, fait aussi un com- merce considérable par les bateaux du fleuve. Natchez, qui garde encore le nom de la tribu des Indiens célébrée par Chateaubriand, est la fondation la plus ancienne de l'État. Dès leurs premières tentatives de colonisation, en K° 117. — NATCHEZ. 93* Ouest de fa ris 92* Council Bluffs 21474 p CedarRapids. ." 18 020 » Kcokuk 14101 » -, Rang du Nebraska parmi Jes États et territoires de l'Union nord-américaine : Superficie : 77 510 milles carrés (200 751 kilomètres carrés). N* 15 ,:" ,'1 Population en 1 890 : 1 056 793 habitants W 26 > ••;♦.;» Densité kilométrique : 5 habitants N* 34 cains cl chacun a sa propriété distincte, qu'il peut vendre ou échanger; une part considérable de la réserve appartient déjà aux Visages-Pâles. Omaha, l'ancienne capitale du Nebraska, fondée en 1854, reste sa ville CW de Gfggnwjçk la plus populeuse, grâce à sa position sur la rive du Missouri, en face de Council Bluffs et au lieu de passage le plus fréquenté du fleuve; la facilité de ses communications lui a donné l'un des premiers rangs parmi les cités industrielles el commerciales et le troisième pour l'abatage des bestiaux. Deux voies ferrées de ceinture l'entourent et se rattachent à treize chemins 472 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de fer rayonnant vers tous les points de l'horizon. Une autre ville, South Omaha, où se trouvent d'énormes parcs à bestiaux, rivalise avec elle d'actWité. Le chef-lieu acluel du Nebraska, Lincoln, situé dans les plaines de l'in- térieur, apparut presque soudainement au milieu de la prairie : en 1867, on construisait les premières maisons ; Tannée suivante, elle était capi- tale d'État; son port sur le Missouri, à 80 kilomètres à Test, a pris le nom de Nebraska City. Plattsmouth, « Bouche de la Platte », d'où l'on voit en effet, à 5 kilomètres en amont, le confluent de cette rivière avec le Missouri, est aussi une escale importante. Béatrice, au sud de Lincoln, a pris le nom de Queen of Ihe Bhw, dû à sa position sur le Big Blue, un des affluents septentrionaux duKansas. Vers le centre de l'État, Grand Island et Haslings sont les villes les plus commerçantes '. XVI. — MISSOURI. Le Missouri borde au nord-ouest, puis traverse l'État auquel il a donné son nom, et le Mississippi le limite à Test, du nord au sud, en le séparant de Tlllinois. C'est aussi en face du territoire missourien que l'Ohio vient rejoindre le grand fleuve. L'État du Missouri se trouve donc situé au véri- table centre hydrographique du territoire américain. Sa position même en a fait une des régions que se disputèrent avec le plus d'acharnement les États du Nord et ceux du Sud. Lorsque les habitants du Missouri, gou- vernés par une petite aristocratie de planteurs, demandèrent l'admission de leur territoire dans l'Union, ils ne voulurent point consentir à l'aboli- tion de la servitude, ainsi que des conventions antérieures l'avaient sti- pulé, et telle fut l'àpreté du conflit, que l'on put déjà craindre une lutte sanglante. Enfin le « compromis du Missouri » fut signé, d'après lequel le nouvel État entrait dans la confédération avec l'institution servi le, mais à condition que l'esclavage ne serait jamais introduit en d'autres territoires au nord du 36° 50' de latitude. Néanmoins, la lutte reprit de nouveau dans les premières années de la colonisation du Kansas, et, lorsque la guerre éclata, les armées du Nord et du Sud se heurtèrent violemment dans le Missouri méridional. * Villes principales du Nebraska, avec leur population en 1890 : Omaha et South Omaha 148 514 habitants. » avec Council Bluffs (Iowa) . . 196 000 Lincoln 55491 Béatrice 13856 Hastings 13 584 MISSOURI, KANSAS CITY. 473 Au nord du Missouri, les plaines, continuant les terrains d'origine gla- ciaire de l'Iowa, sont presque unies, à peine ondulées, tandis qu'au sud du puissant cours d'eau les monts Ozark et des terres noyées varient l'aspect de la contrée. Presque toute la surface de l'État se prête à la cul- ture, et les produits agricoles constituent sa principale richesse; cependant les houillères et les mines de fer, de plomb, de zinc prennent une valeur croissante, et les grandes villes deviennent des centres manufacturiers. La population, très mélangée par suite des deux courants d'immigration qui se portaient vers le Missouri des États libres et des États esclavagistes, comprend plus de 150000 noirs; les Allemands l'emportent sur tous les autres étrangers : en 1890, on les évaluait avec leur descendance à huit cent mille. Les aborigènes purs ont disparu, mais les familles mé- tissées sont nombreuses parmi les habitants français. En 1805, quand le Missouri, alors simple district de la Louisiane, fut cédé aux États- Inis, on y comptait environ sept mille résidents \ Quelques villes animées se succèdent sur la rive missourienne en amont du confluent : telles Hannibal et Louisiana. Sur la frontière occidentale, les villes riveraines du Missouri sont plus importantes. L'une d'elles, Saint Joseph, est l'un des grands centres de convergence pour les voies ferrées du Trans-Mississippi ; cependant l'ère des chemins de fer l'a privée du rôle spécial qu'elle posséda comme point de départ et principal dépôt des caravanes qui se préparaient à traverser les solitudes de l'Ouest vers les montagnes Rocheuses. Près de la rive droite du Missouri , mais là où le fleuve a déjà pénétré dans le territoire de l'État, le village d'Independence avait un rôle analogue pour l'organisation des convois de traite qui se dirigeaient au sud-ouest vers le Nouveau-Mexique; en cet endroit se trouvait alors le poste avancé de la civilisation américaine sur les confins du désert. Et maintenant une des grandes agglomérations de l'Ouest amé- ricain, Kansas City, s'élève à quelques kilomètres à l'ouest d'Independence, au sud du confluent des deux rivières Missouri et Kansas. Kansas City se compose officiellement de deux villes, séparées par une ligne convention- nelle : l'une, la plus grande, dans l'État du Missouri, l'autre dans l'État du Kansas. Le quartier le plus commerçant est celui de l'est, le plus indus- Rang du Missouri parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 69 415 milles carrés (179 785 kilomètres carrés). N* 17 Population en 1890 : 2 679 184 habitants N° 5 Densité kilométrique : 15,2 habitants N° 17 Production du zinc (93 151 tonnes en 1890) N° i » du plomb (44 482 tonnes en 1890; N° 2 XTI. 60 m NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. trieux, celui de l'ouest : dans les fonds qui bordent la rivière et que fran- chissent des viaducs superbes, se groupent plus de cent usines, fabriques de machines, fonderies, abattoirs, le tout uni par un prodigieux entre- croisement de rails. Kansas City rivalise avec Chicago pour la préparation des viandes conservées : en 1890, plus de 108000 wagons y ont amené 2 890 000 porcs et 1 550000 têtes de gros bétail. La capitale de l'État, JefTerson City, n'a d'autre avantage que sa belle position sur une terrasse dominant la large vallée du Missouri, avec ses méandres, ses îles boisées et ses bancs de sable; mais, quoique placée dans une région centrale, elle reste à l'écart du grand mouvement. La vie se porte à l'ouest vers Saint Joseph et Kansas City, à l'est vers Saint Louis. Cette grande cité, naguère la rivale de Chicago, mais actuellement de beau- coup distancée, aspira longtemps à devenir la capitale des États-Unis. En effet, sa position géographique est admirable. Riche de ses ressources agricoles et des trésors que lui offrent ses houillères, ses gisements de plomb et ses montagnes de fer, Saint Louis possède d'autres éléments de fortune dans les magnifiques avenues commerciales que lui ouvrent le Mississippi et ses affluents. Elle occupe la partie du continent où la dépres- sion transversale qui s'étend des Rocheuses aux Àppalaches, des sources du Missouri à celles de l'Ohio, coupe à angle droit la vallée longitudinale du Mississippi. Là viennent se rencontrer les quatre branches formées par le grand système fluvial : au nord, le haut Mississippi, dont la source s'échappe d'un lac silencieux, entouré de mousses, d'herbes basses et de tristes forêts de pins; au sud, le bas Mississippi, traversant des terres d'alluvions riches en produits presque tropicaux; à l'ouest le Missouri, arrivant des régions minières du Yellowstone et du Colorado; à Test TOhio, arrosant une région populeuse parsemée de villes et de fabriques. La rivière des Illinois, qui se déverse dans le Mississippi à une faible distance en amont du Missouri, fait converger aussi vers Saint Louis les produits du Michigan et de la Puissance canadienne. A toutes ces voies naturelles se sont ajoutés les nombreux chemins de fer qui se croisent en ce centre géographique des États-Unis. Il est vrai que Saint Louis n'occupe pas le milieu géométrique précis : les espaces de l'ouest et du sud ont une étendue plus vaste que ceux de l'est et du nord; mais le Far West, dans son ensemble, se compose de terres moins fertiles, moins cultivables, plus froides que celles de la moitié atlantique, et les Étals septentrionaux sont beaucoup plus salubres que ceux du Midi. Toutefois une raison grave empêcha Saint Louis d'utiliser tous ses avantages natu- rels et d'égaler Chicago : l'esclavage des noirs. Placée près de la frontière Nouvelle Géographie Universelle. T. XVI. PI. m. SAINT-LOUIS ET LA JOH 1 1 .Perron «/«pvWZr tm^et» 4k/a.^ht*t>+lfa 0èoyrr-cyoAùa Ifruoervelte mt et '< Gros Rocher », haut de 60 mètres environ. Little Rock expédie du coton, du maïs et autres denrées agricoles. Les soixante-dix Ilot Springs ou « Sources thermales » qui jaillissent à une centaine de kilomètres au sud-ouest, dans un étroit ravin, attirent en été la foule des visiteurs; elles appartiennent au gouver- nement fédéral, qui les loue à des entrepreneurs privés. La ville, de forme étrange, a débordé de son défilé au nord et au sud pour s'étendre large- 484 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ment d'un côté dans la plaine, de l'autre dans une combe de rochers : elle se compose de deux lobes unis par un mince pédoncule. Les sources ther- males de l'Arkansas, appartenant au système orographique des monts Ozark, constituent le seul groupe important dans l'immense région mé- diane des États-Unis entre les Âppalaches et les Rocheuses. La température de la source la plus chaude s'élève à 67 degrés centigrades ; il en est aussi de tièdes et de froides. L'escale la plus fréquentée de l'État, sur la rive droite du Mississippi, est le bourg d'Helena, bâti sur les derniers renflements d'une colline, la seule qui s'approche du fleuve en aval du confluent de l'Ohio. A l'autre extrémité de l'État, les villes jumelles de Van Buren et de Fort Smith, l'an- cienne Belle Pointe des Canadiens, ressemblent à des cités du Nord par leur activité et leur esprit d'entreprise : ce sont les marchés d'expédi- tion pour les tribus indiennes, surtout les Cherokees et les Choctaws, dont le domaine commence immédiatement à l'ouest de l'Arkansas*. XIX, XX. TERRITOIRE INDIEN ET OKLAHOMA. Le « Territoire Indien » (Indian Territory), officiellement ainsi nommé, mais déjà devenu en partie le territoire des blancs, s'étend sur un espace à peu près égal à celui des autres États mississippiens, entre le Kansas au nord, le Missouri et l'Arkansas à l'est, le Texas au sud et à l'ouest. La con- trée, dans laquelle la rivière Arkansas s'unit au Gimarron et à la Cana- dienne, et que limite au sud le cours de la Rivière Rouge, ne reçoit pas de pluies suffisantes pour que le cultivateur puisse labourer le sol dans toute son étendue ; mais les fonds de vallées et les terres irrigables donnent d'abondantes récoltes, et tout le restç de la contrée, jadis parcourue par le buffle et l'antilope, est un vaste pâtis pour l'élève du bétail. Enfin le Territoire possède des gisements houillers et métallifères qui ont souvent attiré les chercheurs. Naguère le pays, sans être interdit aux blancs, était réservé aux Peaux- Rouges comme domaine de culture, et les étrangers ne pouvaient y acquérir 1 Villes principales de l'Arkansas, avec leur population en 1890 : LitlleRock 25 874 habitants. Fort Smith 11311 i> Pine Bluff 9 952 » Hot Springs -8 086 » Hclena 5189 » Van Buren 5 000 » TERRITOIRE INDIEN. 485 de droits, pour la possession du sol ou l'exercice du vote, qu'en se faisant adopter par quelque tribu ou en s'alliant aux Indiens par mariage; jusqu'à trente unions se sont célébrées en un jour : on donne à ces nouveaux mariés en quête de terres le nom de squaw-men. D'année en année, le nombre des Visages-Pâles s'accrut ainsi à plus d'une centaine de mille, et leurs prétentions au maniement des fonds publics et au commandement des tribus ont parfois donné lieu à de violentes dissensions. D'autre part, N* IIS. — TERRITOIRE INDIEN EN 1889. JÛS* Ouest de Fans 98e 100* Ouest de Greenwich 96* d'après Strum 1. Xei-Percès. 2. Ponças. 3. Otoes. i. Kansa*. 5. Osages. 6. Quapaws. 7. Peorias. 8. Ottawa*. 9. Shawnees. 10. WyandoUs. 11. Senecas. 12. Pawnees. 1 : eooo 000 C. Perron 13. lowas. 14. Sacs et Renards (Foies). 15. Kickapoos. 16. Pottawatomies. 17. Seminoles. 18. Réserves militaires. MO kil. les compagnies de voies ferrées, interprétant à leur profit certaines conven- tions qui leur accordent 60 mètres de sol le long de leur emprise, sont devenues, en dépit des Indiens, les principaux propriétaires de la contrée. Le Territoire a pris les États-Unis pour modèle de son organisation politique. Les représentants des diverses tribus que le gouvernement y avait cantonnées se réunirent en 1870 dans le village d'Ockmulgee, situé dans les prairies, sur un petit affluent de la rivière Canadienne, et décidèrent que les intérêts communs de leurs nations respectives seraient gérés par une com- mission, sorte de Congrès avec chambre basse et sénat, où chaque tribu, si 480 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. petite qu'elle fût, aurait son délégué ; cependant la prépondérance y appartient à la tribu des Cherokees, de beaucoup la plus nombreuse et la plus civilisée. Aux premiers temps de la colonisation blanche, les « Tsallaki » occu- paient en Virginie les bords de la rivière Àppomatox, le grand tributaire méridional de James River. Les planteurs les refoulèrent graduellement vers les régions montagneuses du sud-ouest ; au commencement de ce siècle la nation indienne habitait en des villages dispersés les hautes vallées des monts caroliniens, entre les versants du Mississippi, du Savan- nah et du Ghattahoochee ; quelques familles s'étaient même réfugiées beaucoup plus loin, dans le Tennessee et l'Âlabama. Les colons de race blanche suivirent les Cherokees dans leur nouveau domaine; mais, posses- seurs de traités en bonne forme, les Peaux-Rouges défendirent longtemps les terres qui leur avaient été données. Ils durent céder, se laisser refou- ler de plus en plus loin, essayant parfois dans leur désespoir une vaine résistance. Enfin, en 1835, ils furent capturés en bloc et transportés par delà le Mississippi dans le territoire qu'ils occupent actuellement et dont ils sont déclarés les propriétaires perpétuels, à moins que, devenus citoyens américains, ils ne cessent d'exister en nation distincte et qu'il ne leur convienne alors de vendre leurs terres. A maints égards les Cherokees sont entrés dans la forme et dans l'esprit de la civilisation américaine. Non seulement ils en ont pris les institutions politiques, ils en ont aussi adopté en grande partie les mœurs. Ils ont construit des églises pour leurs diverses confessions et se servent des mêmes termes religieux dans leurs hymnes, leurs sermons et leurs prières; ils possèdent des écoles où la routine de l'instruction est con- forme à celle des écoles du Massachusetts ; leurs tribunaux ont copié les modèles américains et leurs juges et avocats parlent le même jargon légal ; enfin les journaux cherokees sont rédigés à l'instar des feuilles de langue anglaise. L'idiome cherokee n'est plus conservé que par fierté nationale et l'usage de l'alphabet sy Ha bique en 85 signes, inventé en 1822 par le Cherokee Sequoyah ou Guess et utilisé dans un journal officiel, se perd graduellement. Vivant sur les confins des États libres et des États où les noirs étaient réduits en servitude, divisés aussi en esclavagistes et en abolitionistes, les Cherokees se combattirent dans les rangs des années ennemies, puis, après la guerre de Sécession, ils durent émanciper les quelques centaines d'esclaves qui travaillaient dans leurs plantations et qui sont devenus pour la plupart concessionnaires de lots dans le nouveau territoire d'Oklahoma. Par le sang, les Cherokees se sont aussi bien rap- prochés des blancs que par les idées et les mœurs : déjà, lorsque leurs TERRITOIRE INDIEN. 487 ancêtres habitaient les Carolines, des aventuriers de l'Ecosse celtique s'étaient mariés avec leurs filles,. les plus belles et les plus gracieuses des Indiennes, et depuis cette époque le mélange s'est continué. Parmi les Che- rokees organisés en tribu, les métis de raee blanche et de race noire sont nombreux; en outre, c'est par centaines que des industriels et des politi- ciens blancs, bâtes fort dangereux, demandent aux Pcaux-Rougcs des papiers de naturalisation cherokee ; d'autre part, beaucoup d'Indiens, même de sang pur, se sont séparés de la nation et jouissent, à l'égal des blancs, de leurs droits de citoyens américains. On ne saurait donc se rendre un compte exact des oscillations réelles de la population che- rokee, objet de statistiques contradictoires. Toutefois on sait qu'ils ont progressé nu- mériquement : ils étaient un peu plus de douze mille à l'époque de leur exode; on en compte aujourd'hui plus de seize mille. Ils ont égale- ment gagné en bien-être : bons agriculteurs, ils récol- lent une surabondance de denrées et élèvent beaucoup de bétail, qu'ils exportent dans les Étals voisins. Les Cherokees occupent la position privilégiée dans le . . „ T" V™0™- fc • r ^o GrtTun de Tlunal, d'après une photofrophic. Territoire Indien, à l'angle nord-oriental de l'État, sur les confins du Kansas, du Missouri et de l'Ar- kansas. En outre, de petites tribus, Quapaws, Peorias, Otlawas, Shawnees, Wyandotls, Iroquois Senecas, sont groupées à côté d'eux, comme des pous- sins sous l'aile de la mère, à l'angle extrême du Territoire. Tahlequah, le siège de la législature cherokee, situé sur un affluent de l'Arkansas, a pris de l'importance comme marché, grâce à sa position voisine du poste américain de Fort Gibson. L'angle sud-orienlal appartient à une autre « nation civilisée », celle des Choctaws, les anciens Chaclas aux « télés plaies ->du Mississippi et de la Louisiane, envoie d'accroissement comme les Cherokees et comme eux enrichis par l'agriculture et l'élève du bétail. Ils ont pour voisins à l'ouest les Gbickasaws, dont les ancêtres, qui vivaient 488 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. dans les limites actuelles du Kentucky et du Tennessee, furent déportés vers 1830 avec les Choctaws : une même législature régit les deux na- tions, qui se sont engagées à .ne point vendre leurs terres sans consen- tement mutuel; leur bourg principal est Tishomingo, sur le False Washita. Les Creeks ou Muscogees, — c'est-à-dire les « Gens de Marais, — amenés captifs de la Géorgie en 1856, possèdent aussi un domaine dans la partie orientale du Territoire, entre les deux rivières Gimarron et Canadienne. Les Seminoles, cantonnés à côté de leurs frères de race les Creeks, aui bords de la rivière Canadienne, sont les fils des guerriers floridiens qui se défendirent avec tant de vaillance contre les blancs : on n'en vint à bout qu'après plusieurs campagnes. Les Pottawatomies, très métissés, sont les voisins des blancs d'Oklahoma et ne s'en distinguent guère par le genre de vie. Enfin, les Osages, assez clairsemés, mais croissant en nombre, ont leurs réserves au nord, dans un district où les Nez-Percés, les Ponças, les Otoes, les Kansas ont aussi reçu de petites enclaves. Les nations moins civilisées, parfois qualifiées de « sauvages », Pawnees. Iowas, Sacs et Renards (Foxes), Kickapoos, Cheyennes, Arrapahoes, Wichitas, Kiowas, Comanches, Apaches, habitent le centre et la partie occidentale du Terri- toire * . Mais, en dehors des districts occupés par les tribus indiennes, il en est d'autres que le gouvernement fédéral s'était réservés et que de leur côté les Peaux-Rouges considéraient comme un territoire de pâture pour leur bétail. L'interprétation juridique formulée par les ministres de l'Union a prévalu naturellement et les colons, désireux de s'établir dans les meil- leures terres de la contrée, au détriment des Indiens, ont eu gain de cause: les barrières se sont ouvertes. Le 1er février 1889, un décret leur livrait le pays d'Oklahoma ou « Terre délectable », parc naturel situé exactement au centre du Territoire Indien, des deux côtés de la rivière Ci marron. Toutes les mesures avaient été prises par les compagnies des voies ferrées, par les éleveurs de bétail et les spéculateurs, pour s'emparer du sol. Les plans des villes étaient déjà tracés; on vendait, on achetait les lots aux enchères avant même de les avoir vus. A l'heure indiquée, la foule fran- chissait les limites et se ruait sur les terres nouvelles ; les préempteurs du sol posaient leurs bornes; les charrettes, les voitures creusaient leurs ornières sur les routes à venir; les industriels plantaient leurs tentes sur 1 Rang du Territoire Indien parmi les autres États et territoires de l'Union nord-ainéricaine : Superficie : 67 406 milles carrés (174 582 kilomètres carrés) N* 19 Population : (78 503 Indiens, 107 987 Blancs) 186 490 habitants. . . N* 41 Densité kilométrique : 1,1 habitants N5 42 TERRITOIRE INDIEN, LOUISIANE. 489 l'emplacement de leurs magasins futurs. La vie économique et sociale des cités américaines animait soudain la solitude. La ville d'Oklahoma. celle de Guthrie, choisie comme capitale, apparurent ainsi, se dressant en quelques jours au-dessus des plaines. Certes, la fortune ne sourit pas à tous les arrivants, et nombre d'entre eux, désabusés, reprirent le chemin par lequel ils étaient venus; mais l'appropriation des terres était défini- tive, et le peuplement continue, quoique avec lenteur. Devenu territoire organisé, l'Oklahoma est maintenant en instance pour être admis au nombre des États, quoiqu'il n'ait pas encore le chiffre voulu de population, et nul doute que sa demande ne soit bientôt accueillie, malgré la contre-pétition des Indiens, que la prépondérance des blancs menace d'un asservissement prochain. L'Oklahoma grandira, le Territoire Indien diminuera. En 1891, de nouveaux lambeaux de terre, les enclaves des Iowas, des Sacs et Renards, situés à l'est de l'Oklahoma pro- prement dit, et près du domaine des Creeks, s'ouvrirent à la colonisation et des compagnies d'acheteurs, noirs et blancs, s'y précipitèrent. Le Terri- toire Indien n'est déjà plus « indien4 ». XXI. — LOUISIANE. Réduite à une très faible part de son ancienne étendue, la Louisiane, qui embrassait autrefois, au sud des Grands Lacs, toute la partie de l'Amérique du Nord annexée à l'empire de « Louis » XIV, occupe actuellement une superficie inférieure à la moyenne de l'espace réservé à chacune des « sou- verainetés » américaines. Limitée au nord par le 53e degré de latitude, qui la sépare de t'Arkansas, elle n'a d'autres voisins que le Texas à l'ouest et le Mississippi à l'est. La rivière Sabine et le grand fleuve constituent de ces deui côtés les principales limites ; mais à l'est du delta un fragment du territoire oriental, jusqu'à la rivière des Perles, se rattache à son domaine. Après la Floride, la Louisiane a la plus grande étendue de lacs, de bayous, de marais et de terrains noyés ; il sera possible de les conquérir à la culture quand on aura délimité la zone de partage entre la terre et la mer et fait de la Louisiane une autre Hollande par un système de digues et de contre-digues : du moins les bords du Mississippi et des 1 Rang du territoire d'Oklahoma parmi les autres États et territoires de l'Union nord-américaine : Superficie en 1890 : 3 024 milles carrés (7 852 kilomètres carrés) . . N* 47 Population » : 56 364 habitants N* 49 Densité kilométrique : 7 habitants N* 31 in. 62 490 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. principaux bayous sont-ils défendus contre les inondations fluviales par des levées continues. La partie nord-occidentale de la Louisiane, qu ar- rosent les affluents de la Rivière Rouge, se compose de terrasses, de collines et de prairies élevées au-dessus des terres alluviales : la popula- tion se porte vers ces régions salubres, où l'agriculture ne diffère que peu de celle de l'Arkansas. Dans la région des terres basses, la fabrication du sucre de canne con- stitue la principale industrie agricole : à cet égard, le délia mississippien occupe de beaucoup le premier rang dans les Étals-Unis. Les rizières de la Louisiane, déjà plus vastes que celles de la Caroline du Sud, peuvent s'étendre indéfiniment dans les campagnes du littoral, plus salubres que • celles des côtes atlantiques, grâce à l'écoulement plus rapide des eaux. La contrée possède aussi dans les terres riveraines du Mississippi des oran- geries très productives, ainsi que des champs de patates douces et d'autres plantes semi-tropicales. Les noirs, qui l'emportent en nombre sur ta population blanche de l'État, trouvent en Louisiane un sol favorable pour s'établir à l'écart des routes et des villes et en quelques endroits ont pu constituer la petite propriété, garantie de leur indépendance. Les Louisia- nais de langue française sont d'origines diverses : descendants des premiers colons, immigrants venus pendant le dix-huitième siècle, (ils des Acadiens expulsés de la Nouvelle-Ecosse par les Anglais en 1755, l'année du «grand dérangement », artisans, merciers, négociants, débarqués récemment dans le pays, et nègres « créoles » élevés sur les plantations de propriétaires français. I^e nom de Créole State donné à l'État rappelle la population pre- mière des colons. On évalue encore du huitième au cinquième des habi- tants la proportion de ceux qui ont le français pour langue maternelle; un Athénée louisianais s'est fondé à la Nouvelle-Orléans pour maintenir le culte et la pureté de l'idiome. La Louisiane fut dévastée pendant la guerre de Sécession. En 1865, elle était reconquise en entier par les forces de l'Union : la place de Port Hudson, tombant au pouvoir des fédéraux, ouvrait la voie du Mississippi à leurs navires1. La rive droite du Mississippi est trop basse pour que des villes aient pu se fonder en face des cités haut placées de la rive gauche, Yicksburg et Natchez : de ce côté, des villages aux maisonnettes éparses sont les uniques 1 Rang de la Louisiane parmi les États et territoires de l'Union nord-américaine : Superficie : 48 720 milles carrés (126 185 kilomètres carrés). N* 30 Population en 1890 : 1 116 828 habitants N* 25 Densité kilométrique : 9 habitants N* 28 Production du sucre (220 000 tonnes en 1890) N° l r SHREVEPORT, ALKXANDIUA, NOUVELLE-ORLÉANS. 494 escales. De même, la région du confluent où s'entremêlent les eaux du Mississippi et de la Rivière Rouge, et où quelque haute péninsule de terres émergées aurait certainement reçu une cité commerciale importante, n'a presque pas encore d'habitants. Il faut remonter la Rivière Rouge à une assez grande distance pour y trouver des bourgs populeux. Telle, à 240 ki- lomètres en amont du confluent, Alexandria, située dans une contrée pro- ductive en tabacs, près de rapides qui arrêtent la navigation et forcent les bateaux à vapeur à décharger leurs marchandises. La ville la plus consi- dérable de tout le bassin de la Rivière Rouge, Shreveport, se trouve près de l'angle nord-occidental de la Louisiane, dans la région des lacs et des « embarras » : elle embarque les cotons et les farines pour la haute Louisiane et le Texas occidental. En aval du confluent, les restes de la forteresse de Port Hudson se mon- trent sur une colline de la rive gauche; plus loin, le village de Raton Rouge, ainsi nommé d'un « bâton rouge », symbole de guerre, qu'y trouvèrent les Français en débarquant, s'élève sur la plus méridionale des buttes qui dominent la rive gauche du Mississippi ; mais cette gibbosité, basse et arrondie au sommet, ne ressemble point aux falaises de l'amont qui se ter- minent au-dessus du fleuve en escarpements ravinés. Raton Rouge a dû à la salubrité du lieu et à sa position centrale d'être choisi pour capitale par- lementaire de l'État, et le séjour temporaire des représentants lui donne quelque vie pendant les sessions. En aval, il n'y a plus de villes jusqu'à la grande cité, ou plutôt les maisons des planteurs se succèdent à droite et à gauche du fleuve au milieu de vastes jardins, formant une cité continue. La Nouvelle-Orléans , ancienne métropole de la Louisiane française, devenue aujourd'hui la New Orléans des Anglo-Américains, développe sa façade sur une très grande longueur. Le double croissant des maisons, convexe en amont, concave en aval, qui borde la rive gauche du Missis- sippi, se compose de plusieurs villes ou quartiers, graduellement soudés les uns aux autres sur un espace de 20 kilomètres. Et pourtant le sol semblait bien peu favorable pour recevoir de pareils amas de construc- tions. Quoique la Nouvelle-Orléans soit située à 162 kilomètres de l'em- bouchure, les terrains ne s'y élèvent qu'à 3 mètres en hauteur moyenne, et dans les faubourgs les plus éloignés du fleuve la terre basse et spongieuse dépasse à peine le niveau marin. Avant 1727, alors qu'une digue ne la protégeait pas encore, la ville était périodiquement inondée et présentai! l'aspect d'un cloaque; l'isthme qui sépare les eaux du fleuve et celles du lac Pontchartrain disparaissait presque pendant les crues et se réduisait h une petite langue de terre où l'on avait relégué les lépreux. m NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Grâce aux endiguemenis commencés il y a plus d'un siècle el demi, la Nouvelle-Orléans a cessé d'èlre amphibie. Une magnifique levée, avant jusqu'à 100 mètres de large, la protège « en abord » du fleuve, sur une longueur de 20 kilomètres, et de puissantes machines à vapeur travail- lent incessamment à pomper les eaux de pluie ou d'infiltration pour les rejeter dans le lac Pontchartrain par un canal d'égoul. La plupart des maisons, en bois ou en briques, sont de construction très légère : les édi- fices publics, auxquels leur hauteur el leur revêtement de pierres don- nent un poids considérable, reposent tous sur des pilotis enfoncés de 20 ou 25 mètres dans le sol, au-dessous du niveau de la mer. Les vases que le fleuve délaisse sur la partie convexe du croissant inférieur de la ville augmentent d'année en année la largeur de la batture et ont per- ^ \ * t./ ^ l -A J ' ! NOUVELLE- ORLÉANS. 405 mis de gagner l'espace nécessaire à ia construction de plusieurs rues; mais en amont la rive rentrante du faubourg de Carrollton est fortement attaquée et l'on a dû sacrifier tout un quartier. Le plan normal de la Nouvelle-Orléans est celui de toutes les autres cités modernes de l'Amé- rique du Nord; cependant la double courbe du fleuve empêcha de tracer les rues parfaitement droites d'une extrémité à l'autre : il a fallu disposer les quartiers du croissant inférieur, le « quartier français », en forme de trapèzes, séparés par des boulevards, et tournant leur petite base vers le fleuve. En revanche, les faubourgs du nord, Lafayette, Jefler- son* Carrollton, construits sur une presqu'île semi-annulaire du Missis- sippi, présentent au courant leur base la plus large, et les boulevards qui les limitent de chaque côté se réunissent en pointe sur la lisière de b forêt au milieu de laquelle la ville a été bâtie. Ces quartiers du nord sont les plus élégants, entourés de plantations que parfument les fleurs îles orangers, des magnolias, des jasmins. Les villes d'Algiers, Mac Donoughville, Gretna, situées en face, sur le sol bas d'anciennes « cypriè- 496 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. res » péniblement conquises par des remblais, doivent être considérées aussi comme de simples faubourgs : ce sont des groupes d'usines, d'en- trepôts et de gares. Le nom d'Algiers ou « Alger » a été donné à la ville de la rive droite par allusion à la cité africaine que la Méditerranée sépare de la France, comme le large Mississippi sépare Algiers du « quartier français » de la Nouvelle-Orléans. A part l'humidité du sol, la vaste agglomération urbaine jouit de la plus belle position commerciale, et Bienville fit preuve d'une intelligence divi- natrice quand il fonda, en 1718, la première baraque du « Nouvel Orléans ». Placée à une certaine distance de l'embouchure, et cepen- dant assez rapprochée du point où le fleuve se divise en plusieurs branches, la ville domine à la fois le commerce de l'intérieur et celui de l'extérieur, et tous les produits et marchandises d'un vaste territoire viennent forcément s'y échanger. Située sur la partie la plus étroite de l'isthme, entre le fleuve d'un côté, les lacs Pontchartrain et Borgne de l'autre, elle peut faire rayonner son commerce vers la mer par une autre voie que celle du fleuve : par le Pontchartrain et les canaux, d'ailleurs peu profonds, qui l'unissent à ce bassin, New Orléans est un port mari- time aussi bien qu'un port de rivière. Mais, à part quelques goélettes de mer, le Pontchartrain ne reçoit point de navires : presque tout le trafic se fait dans la rade que forme le croissant d'aval. Une triple ou quadruple rangée de bateaux à vapeur, disposés comme un quartier insulaire de mai- sons à triple étage, borde les quais encombrés de balles, de caisses et de boucauts. Des embarcations de toute espèce animent le fleuve; les gros vapeurs se croisent en grondant, les petits remorqueurs attelés aux lourds trois-mâts les font pirouetter gracieusement sur l'eau, les ponts volants vont et viennent d'une rive à l'autre. Le commerce de la Louisiane avec les États du Nord et du Centre se fait presque uniquement par l'entremise de la vapeur. Après la récolte des cotons, lorsque la première crue a dé- gagé les bateaux qui opéraient leur chargement sur les divers affluents du Mississippi, on voit parfois jusqu'à cinquante de ces léviathans des- cendre le fleuve en un seul jour, portant sur leurs ponts et sur leurs galeries trois, quatre ou cinq mille balles de coton. La vapeur domine le grand fleuve en amont de la ville : les goélettes de cabotage y sont devenues rares; les « arches de Noé », informes chalands construits en poutres grossièrement équarries, ne servent plus qu'au transport des houilles de l'Ohio, et sont dépecées après usage. La Nouvelle-Orléans reçoit des États du Centre et du Nord d'énormes quantités de denrées agricoles ; l'Amérique Centrale, Cuba et les autres LÀ NOUVELLE-ORLÉANS. 497 Antilles lui envoient aussi du sucre, des bananes et autres produits des tropiques. Pour l'expédition des cotons, elle a le premier rang : cent mille personnes y vivent de ce travail ; mais elle ne prend qu'une faible part 5 l'importation des articles manufacturés et ses propres filatures sont encore sans grande activité. Les frais considérables causés par les tarifs des voies ferrées et l'arrimage des marchandises ont détourné de la Nouvelle- Orléans une forte part de son trafic : d'ailleurs il est naturel que le mou- vement des échanges prenne la voie la plus directe de la vallée du Missis- sippi vers les ports de l'Atlantique et vers l'Europe f . La plus puissante maison de commerce du Sud a même projeté de fonder une nouvelle cité sur les vases mêmes de l'embouchure, avec tout son outillage de bassins et de voies ferrées et avec un personnel d'employés et de subordonnés plus dociles que des citadins. Pareille entreprise eût été chimérique à une époque encore récente : elle ne l'est plus depuis que des syndicats dis- posent de budgets égaux à ceux des grands États. Rien n'empêche d'agran- dir l'ilot artificiel de Port Eads, formé par le lest des navires qui fran- chissent la barre : on peut même faire travailler le courant fluvial à déposer d'énormes amas d'alluvions qui serviront de base à la cité future. Peu de villes exercent sur les contrées environnantes une puissance d'attraction plus forte que la Nouvelle-Orléans. Toute la Louisiane, à l'exception du district nord-occidental, autour de Shreveport, en dépend dune manière absolue : c'est le centre politique et social, le foyer du com- merce, de l'industrie et des sciences. Au siècle dernier elle était la « ville » par excellence pour tous les Français du Mississippi, même ceux de Saint Louis, de Kaskaskia, de Yincennes. Mais elle eut souvent à souffrir de la fièvre jaune : aucune ville des États-Unis n'a été aussi fréquemment déci- mée par l'épidémie, qui lui vint des Antilles, mais après avoir, dès l'année 1699, déjà visité Philadelphie et New York. En 1855, le fléau emporta le vingtième de la population normale, quoiqu'une moitié des habitants se fussent enfuis. Depuis la guerre de Sécession, la cité, plus proprement 1 Mouvement commercial de New Orléans en 1890 : Entrées 060 navires, portant 1019 522 tonnes. Sorties 945 >) 1 124 262 » Ensemble. . . . 1905 navires, portant 2143 784 tonnes. Exportation du coton en 1890 : 1 650 000 balles. Valeur des échanges en 1890 : Importation 15 500 000 piastres. Exportation 172 MM) 000 piastres, dont 83 000 000 pour le coton. Ensemble. ... 188 300 000 piastres, environ un milliard de francs. xvi. 63 498 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. tenue, est devenue beaucoup plus salubre. D'humbles villages autour des plantations sont les seules agglomérations humaines dans l'immense région du delta, et quelques hameaux de pèche et de bains se succèdent sur les bords de la mer et des iles côtières. Deux ouvrages militaires se montrent de chaque côté, à un tournant du cours : ce sont les forts Saint Philip et Jackson, ce dernier ainsi nommé en l'honneur du général qui gagna en 1815 sur les Anglais la bataille dite de la Nouvelle-Orléans. Les Amé- ricains postés sur la rive gauche du fleuve avaient coupé par un fossé l'isthme étroit qui sépare le Mississippi des cyprières infranchissables du lac Borgne; puis, se faisant, avec des balles de coton entassées, un rempart à l'épreuve des boulets, les habiles tireurs de la Louisiane et du Kentucky abattaient comme gibier les Anglais, qui marchaient au pas sur le sol détrempé, lents et impassibles comme en un jour de pa- rade. Cette victoire valut à Jackson sa nomination à la présidence des États-Unis. Une première fois déjà, aux commencements de la colonisation française, les Anglais s'étaient avancés jusqu'à cet endroit en venant de la mer : le nom ce Détour à l'Anglais », qu'a pris un tournant du fleuve à une vingtaine de kilomètres en aval de la Nouvelle-Orléans, rappelle le danger auquel échappa la colonie naissante. Dans la partie sud-occidentale de la Louisiane, les districts qui portent les noms indiens de tribus disparues, les Opel ou sa s et les Attakapas, « paci- fiques anthropophages »,et que traversent les bayous Atchafalaya. Tèche et Vermillon, sont ceux où la population d'origine française et franco- canadienne se maintient encore à l'état pur, parlant la langue des aïeux. Un des comtés qu'arrose le bayou Mermenteau, affluent direct de la mer, a reçu le nom d'Acadie, de la population qui l'habite, et le village d'Evan- geline y rappelle le « grand dérangement » de la baie des Mines. La région des Attakapas est l'ensemble des magnifiques prairies dans lesquelles Law, directeur de la fameuse « Compagnie du Mississippi », avait projeté Réta- blir six mille Allemands du Palatinat. Plus loin, vers Natchitoches, dans le pays occupé jadis par la confédération industrieuse et commerçante des Caddos, vivent des métis espagnols, très beaux hommes, devenus pour la plupart gardiens de bétail et associés à des immigrants italiens. Enfin, en aval de la Nouvelle-Orléans, dans la paroisse de Saint Bernard, la popu- lation se compose en grande partie d'Islingues, c'est-à-dire d'Isleiïos : on nomme ainsi les « insulaires » des Canaries introduits dans la colonie par le gouverneur Galvez à la fin du siècle dernier. A côté d'eux demeurent aussi des « gens de Manille », Espagnols et Tagal des Philippines venus à la même époque. Le castillan se parle encore dans cette partie de la Louisiane. TEXAS. 499 Les nombreuses baies qui découpent le littoral, des deux côtés du deltn mississippien, ont trop peu de profondeur pour donner asile à d'autres embarcations que des goélettes et des bateaux de pécheurs huîtriers; cependant le port de Morgan City, près de la bouche de l'Àtchafalaya, commerce directement avec Vera Cruz, pour éviter le long détour par l'une des passes du Mississippi \ XXII. TEXAS. Le nom de Texas rappellerait, dit-on, le cri de Tejas, Tejas, « Amis, Amis », que répétaient les Indiens Asinais de la contrée lors de l'arrivée des Espagnols1. L'État, le plus considérable par l'étendue dans l'ensemble de la République nord-américaine, occupe, entre le Rio Grande, la Rivière Rouge, la Sabine et le golfe du Mexique, une superficie plus grande que la France; aussi, pendant la longue lutte des politiciens du Nord et des défenseurs de l'esclavage, ceux-ci proposèrent-ils fréquemment de diviser le Texas en cinq États, afin d'augmenter ainsi le nombre des sénateurs et d'acquérir une majorité définitive dans celle parlie du Congrès; mais cette proposition fut toujours repoussée, et le Texas a gardé ses énormes dimensions, sauf à son angle nord-occidental, où de vastes domaines ont élé cédés au gouvernement fédéral comme terres publiques : cependant les frontières ne sont pas encore nettement délimitées de ce côté. Un district, le comté de Gréer, est également revendiqué, en 1891, par le Texas et le Territoire Indien; un autre a pris le nom de No Man's Land, le « Pays de Personne ». Les planteurs américains du Sud réussirent à introduire an Texas l'esclavage des noirs, qui avait été aboli, en 1825, lorsque la province faisait encore partie du Mexique. On sait comment le Texas fut arraché à la république hispano-américaine. Des aventuriers anglo-saxons s'y étaient rendus en foule dès l'année 1812, et pendant plus de trente années la guerre continua avec des succès divers; en 1842, la république « indépendante », c'est-à-dire anglo-américaine, du Texas était déjà con- stituée, et demandait son annexion aux États-Unis. Telle fut la cause de la guerre qui amena l'invasion du Mexique par les armées du Nord et 1 Villes importantes ou historiques de la Louisiane avec leur population en 1800 : New Orléans 241 995 habitants. Shreveport 11 482 » Bâton Rouge 10 397 » ' Uhdc, Die Lânder am Rio.del Norle. 500 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. confirma la conquête du Texas, tout en ajoutant au vaste territoire annexé la partie du Mexique située au nord du rio Gila. Lone Star State fut le nom que prit longtemps le Texas, en souvenir de l'étoile unique de son premier drapeau, unie maintenant aux autres étoiles du pavillon américain. Au Texas les terrains ont une valeur très inégale. Les degrés qui se succèdent des bords du golfe vers le plateau du Llano Estacado forment autant de zones distinctes. Le long de la côte sont les terres basses, salines ou marécageuses. A des distances diverses dans l'intérieur commence la zone des terres asséchées et fertiles qui se prêtent à toutes les cultures semi-tropicales ; les vallées des rivières descendent des hauteurs du nord- ouest, prolongeant la région productrice des cotons et des céréales. Plus loin, les autres plaines élagées, à sol moins riche, ne peuvent guère servir qu'à l'élève des bestiaux : c'est la région des immenses ranchos, qui s'éten- dent sur plusieurs milliers d'hectares. Au delà, vers le nord-ouest, sont les espaces arides, déserts rocheux et cuvettes salines. Le Texas, le premier État de l'Union pour le nombre des bestiaux, occupe aussi le premier rang pour la production cotonnière. Longtemps l'État du Mississippi garda la prééminence pour cette récolte, malgré l'étendue beaucoup plus considé- rable que la superficie du Texas permet de lui consacrer ; mais depuis l'année 1887 la supériorité appartient à ce dernier État, non seulement pour l'extension des cotonneries, mais aussi pour la production de la fibre1. Quoique ayant fait partie du territoire mexicain, le Texas est presque exclusivement peuplé d'Anglo-Américains dans ses districts de l'est et du centre; les colons espagnols étaient trop peu nombreux pour faire équilibre aux immigrants de la nation conquérante; cependant ils se sont massés dans la région occidentale, et notamment sur les bords du Rio Grande. Plusieurs villes et, dans les cités américaines plusieurs quartiers, habités par des Mexicains de langue espagnole, gardent leur physionomie primi- tive : on peut dire que le vrai Mexique commence à une distance considé- rable de la frontière. Les Français, qui furent, sous la conduite de La Salle, en 1686, les premiers colonisateurs du Texas, n'y sont plus représentés en colonies compactes; mais les Allemands, arrivés en nombre, y ont fondé quelques villes. Les noirs, qu'amenèrent les planteurs, vivent dans les mêmes districts, surtout à l'est et au sud ; quant aux anciens 1 Production comparée du coton au Mississippi et au Texas dans les années 1880 et 1887 : Terres cultivées en 1880. Production. Terres cultivées en 1887. Production. Mississippi. . 2 106 215 acres. 963 111 balles. 2 548 674 acres. 510 142 563 balles. Texas. ... 2173435 » 805284 » 3960324 » 801570286 • MARSHALL, DALLAS, GALYESTON. 501 possesseurs du sol, les Indiens, Comanches, Apaches ou Navajos, ils restent cantonnés dans les régions montagneuses de l'ouest, principale- ment entre le Pecos et le Rio Grande. L'ensemble du territoire n'a qu'une très faible population, et, malgré ses énormes dimensions, le Texas, pays de latifundia, n'est encore que le sixième par Je nombre des habitants ; il était le septième en 1890, et venait immédiatement après le Massachu- setts, qu'il a dépassé depuis1. Dans la partie orientale du Texas, le bourg le plus ancien, l'un des moins commerçants, porte le nom de la tribu indienne des Nacogdoches : c'est par là que passait autrefois la route du trafic entre le Mexique et la Louisiane, afin d'éviter la région basse du littoral avec ses marais et ses larges bayous et de rejoindre la Rivière Rouge en amont de ses embarras et de ses rapides, dans le pays des Indiens Natchitoches. La grande navi- gation, avec escales nombreuses sur le littoral, et la construction des che- mins de fer ont complètement déplacé les voies commerciales. Dans cette région du Texas nord-oriental, la ville prépondérante est actuellement Marshall, nœud de voies ferrées, en amont des lacs que traverse la Rivière Rouge, et grand marché pour les céréales et les bestiaux. Texarkana, à l'angle nord-ouest» de l'État, près de la Rivière Rouge, a pris son nom bizarre de sa position « à cheval » sur la frontière du Texas-Arkansas. La vallée de la rivière Trinity, qui succède à l'ouest aux bassins du Neches et de la Sabine, est une de celles où la population est le moins parsemée. Dallas, près de laquelle Victor Considérant avait fondé en 1855 une colonie phalanstérienne, qui se dispersa depuis, a pris la prééminence dans la région des sources et le Texas de l'Ouest; sa voisine, Fort Worth, qui n'est plus un poste militaire, malgré son nom, se développe très rapi- dement aussi, grâce à l'abondance d'eau que lui fournissent ses puits arté- siens, grâce aussi à l'excellence de son climat et à son réseau de chemins de fer bien conçu. Galveston est moins importante que Dallas, malgré l'activité de son port, qui garde l'entrée de la baie dans laquelle se déverse Trinity River. La « ville de Galvez », ainsi nommée d'un planteur mexicain, s'élève depuis 1836 à l'extrémité orientale d'une île sablonneuse, — jadis Snake Island, — cordon littoral tendu par le ressac des flots au Rang du Texas parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 265 780 milles carrés (688 370 kilomètres carrés). ... If 1 Population en 1890 : 2 232 220 habitants N° 7 Densité kilométrique : 3,3 habitants N° 55 Production cotonnière : 1 700 000 balles en 1890 ïf 1 fière du bétail N° 1 502 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. devant de la côte : à l'abri de cette dune, le pirate Lafilte cachait sa flottille de course ; quatorze navires s'y trouvèrent réunis vers 1820. On montre encore sur l'île les restes de l'ancien camp des boucaniers. Un seuil sous-marin, que recouvre une épaisseur d'eau d'environ 4 mètres à marée cfrSTSO* /O ? basse réunit cette plage à une autre flèche cdlière qui ferme la baie. La brèche ouverte entre les deux levées de sable forme l'entrée, souvent dangereuse, du port qui a monopolisé presque tout le commerce maritime du Texas. I. 'ex porta lion de Galveston consiste presque exclusivement en coton, et le café, les fruits sont les principaux articles d'importation'. In viaduc de plusieurs kilomètres en longueur, jeté sur une coulée peu 1 Mouvement de U navigation il Galveston en 1800 : Enlrécii 230 navires, jaugeant 173 475 tonnes. Sorties 224 » a 170 102 » >, jaugeant 313 375 tonnes. GALVESTOiN, HOUSTON. 505 profonde, réunit l'île de Galveston au continent et au réseau des chemins de fer qui convergent vers Houston, ville fort active de l'intérieur, fondée la même année que Galveston, en 1836, et lui servant d'entrepôt pour les vallées des fleuves Trinity et Brazos. Les bateaux à vapeur d'un faible tiranl d'eau remontent jusqu'à Houston par la baie de Galveston et par le bayou K° 129. — AUSTIN. 100" .0' Ouest de Paris 97-50 Utieat de Greenwïch 97*40' C. Perron. 1 • MO 000 S Ul. Boflalo. Pendant les premiers temps de l'indépendance texienne, Houston fut la capitale de la république naissante. La vallée du Brazos, la plus vaste du Texas, et celle qui produit les meil- leurs cotons et en plus grande abondance, n'a pourtant guère de villes populeuses sur les bords de son fleuve : le manque de port à l'embou- chure, car la rade de Velasco est encore mal aménagée, a détourné le mou- vement commercial vers Houston et Galveston. Fort Belknap, dans la partie XTI 64 506 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. haute de la vallée, a les promesses que lui donnent ses vastes houillères, maintenant à peine exploitées. La ville principale de la vallée du Brazos, Waco, située déjà au milieu d'un réseau de voies ferrées, reçoit encore plus d'eau des profondeurs de la terre que de la rivière voisine : de vastes piscines y sont alimentées par des puits artésiens. C'est dans le bassin d'un autre cours d'eau, le Colorado, qu'a été fondée la ville d'Austin, dont on a fait choix pour la capitale du Texas. Bâtie sur une terrasse qui domine au nord le cours du fleuve, Austin n'eut longtemps d'importance que comme le siège de la Législature; mais elle devient depuis quelques années un centre manufacturier très actif, grâce à la matière première que lui offrent ses champs de coton, son gros et son petit bétail, ses mines de fer, de cuivre et de manganèse, et ses carrières de granit, de marbre, d'argile, de plâtre. Un barrage con- struit à travers le Colorado fournit aux usines d'Austin pendant la sai- son des hautes eaux une force dépassant 14000 chevaux-vapeur. Une minière de fer, située au nord-ouest d'Austin, sur les bords du rio Llano, affluent du Colorado, se présente en forme de mur à 5 mètres seulement au-dessus du sol, sur une longueur de 450 mètres et 270 mètres en lar- geur; mais on ignore à quelle profondeur descendent les fondations de cet étrange rempart, dont plus des deux tiers sont en métal pur. Le port de Matagorda, qui, situé à l'embouchure du Colorado, serait le havre naturel d'Austin, est obstrué de bancs, et de petites embarcations fran- chissent seules la barre, celle probablement que traversa Cavelier de la Salle en 1686, dans sa dernière et fatale expédition. Le fort de Saint- Louis qu'il édifia n'était sans doute pas éloigné de l'endroit où se trouve aujourd'hui le village d'Indianola, sur la côte occidentale de la baie. San Antonio de Bexar, une des vieilles cités de l'Amérique du Nord, puisqu'elle date des premières années du dix-huitième siècle, a gardé son nom hispano-américain, et sa population est encore en partie d'origine et de langue espagnoles. Des ruisseaux traversent cette « Cité de la Pous- sière » et la divisent en quartiers distincts : au centre la « vieille ville » ou San Antonio proprement dit, le foyer des affaires, à l'ouest le quartier mexicain, à Test celui des Allemands. Toutefois ceux-ci n'y sont pas en majorité comme dans New-Braunfels, colonie germanique fondée au nord- est, sur la route d'Austin. San Antonio, dernier grand centre américain dans le Texas occidental, possède de nombreuses manufactures, qui tra- vaillent en partie pour les marchés du Mexique. Le fort de Sam Houston est le quartier général du Texas. Sur le versant du Rio Grande, toutes les villes sont doubles, Tune améri- WÀCO, AUSTIN, SAN ANTONIO, BROWNSV1LLE. 507 caine, l'autre mexicaine, se regardant par-dessus les eaux du fleuve : telles les deux El Paso, les deux El Presidio, Eagle Pass et Piedras Negras, les deux Laredo, Rio Grande City et Camargo, Hidalgo et Reinosa, Brownsville et Maiamoros. D'un côté les maisons de bois, de l'autre les constructions en adobes : tout contraste de Tune à l'autre rive. Brownsville, la plus fameuse de toutes ces villes dans l'histoire des guerres et des révolutions locales, faisait pendant la guerre de Sécession d'énormes expéditions de colon en Angleterre par la voie du Mexique1. 1 Villes principales du Texas, avec leur population en 1890: San Antonio de Bexar, avec faubourgs. 41 181 habitants. Dallas 38140 » Galveston 29118 » Houston 27 411 » Austin<(1891) 26 400 » FortWorlh 20 725 » Waco 13 067 » Laredo, sans la ville mexicaine . ... 11315 » £1 Paso » » .... 10 836 » Brownsville 5 027 » CHAPITRE VI LES MONTAGNES ROCHEUSES ET LE VERSANT DU PACIFIQUE I RELIEF nU SOL. L'ensemble du système orographique des Rocheuses présente dans les États-Unis l'aspect général d'un large plateau longeant le Pacifique par une courbe convexe parallèle au rivage et s'avançant en un rebord également convexe vers les plaines du versant mississippien. Au 49e degré de latitude, là où passe la frontière politique, les montagnes Rocheuses n'ont guère plus de 500 kilomètres de base à base; mais dans leur plus grande largeur, du cap Mendocino à Dériver, l'espace limité par les deux saillies bordières du plateau dépasse 1500 kilomètres : le plateau a triplé de largeur. Plus au sud, il se rétrécit peu à peu en même temps que la masse continentale qui en forme le socle. Sa 'direction générale n'est pas exactement du nord au sud, mais l'axe oblique sur le méridien d'une vingtaine de degrés vers l'est, suivant l'orientation normale des deux parties du Nouveau Monde. Comparé au système appalachien, celui des Rocheuses a donc l'apparence, comme celui des Andes dans l'Amérique méridionale, d'être la véritable ossature du continent : « Andes » fut même un des noms que les géogra- phes donnaient le plus fréquemment au système des Rocheuses dans les premières années du siècle. Il occupe une étendue bien supérieure à celle des monts orientaux de l'Union : la superficie de tout le relief orographique de l'Ouest est évaluée à deux millions et demi de kilomètres carrés, soit à plus du quart des États-Unis. Les montagnes Rocheuses sont également beaucoup plus hautes en moyenne que les Appalaches. L'élévation géné- rale du plateau que hérissent leurs pitons est déjà de 1700 mètres, dépassant ainsi l'altitude moyenne des cimes du système oriental. Les deux 510 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. principales saillies bordières des monts occidentaux, du côté de l'Océan la chaîne des Cascades continuée par la Sierra Nevada, et du côté missis- sippien les diverses arêtes qui portent plus spécialement le nom de « mon- tagnes Rocheuses », ont de nombreux sommets atteignant 4000 mètres, c'est-à-dire le double des points culminants des Àppalaches. L'axe de plus grande élévation coupe à angle droit Taxe du système : il se dirige du mont Lincoln au mont Whitney, en passant au nord du Grand Canon dans lequel s'engouffre le Colorado*. Dans les limites des Etats-Unis, le fragment septentrional des montagnes Rocheuses proprement dites continue la chaîne canadienne, sans autres interruptions que celle de brèches ayant de 1800 à 2200 mètres en moyenne. Ses pics, qui dépassent 2500 mètres en hauteur, se succèdent suivant un axe très sinueux dirigé vers le sud-est ; dans le voisinage immédiat de la frontière, le col dit «Boundary Pass» atteint 2241 mètres. Chacun des massifs et des chaînons a son nom particulier : un des plus connus est celui de Big Belt Mountains ou « Monts de la Grande Ceinture », qui s'applique spécialement à la rangée se dressant au sud de la percée du Missouri. Plus loin, dans la même direction, un autre puissant cours d'eau, le Yellowstone, traverse également la chaîne extérieure des Rocheu- ses. C'est un fait remarquable que les premiers voyageurs blancs, guidés par les trappeurs indiens, aient tous franchi le faîte dans la partie septen- trionale de la chaîne, et non en remontant le cours des grandes rivières, chemin qui les eût menés directement dans la région merveilleuse des jets d'eau thermale. Les sauvages défilés des coupures et la longue route à suivre dans le dédale des vallées et des cirques intérieurs les détourna de la voie plus méridionale et ils préférèrent les cheihins du nord, où la saillie principale des montagnes Rocheuses ne présente qu'une faible largeur de versant à versant. Les dômes de granit, les escarpements siluriens et dévoniens y sont aussi de formes relativement douces; ils n'ont pas l'âpreté des parois abruptes érodées par les courants missouriens. Le passage de la voie ferrée du Nord-Pacifique se fait au Mullan's Pass, par un tunnel de 1173 mètres et à l'élévation de 1691 mètres. Au sud de la cluse du Yellowstone, les « montagnes de Roche », — ainsi désignées par les voyageurs canadiens, — se divisent en plusieurs rangées inégales, d'allures irrégulières, occupant de l'est à l'ouest une lar- geur de plus de 500 kilomètres. La chaîne orientale, Big Horn Mountains, sur un espace d'environ 200 kilomètres, se développe en un croissant, der- 1 James T. Gartlncr, Bulletin of Ihe U. S. Geological Survey of the Territories. n' 2. MONTAGNES ROCHEUSES. rière lequel naissent tous les grands affluents missouriens du Yellowslone, et se profilent les remparts successifs de plusieurs autres chaînes reposant sur l'énorme socle d'un plateau commun, Snow Mountains, Sltoshone ■ride nu Fallr de pirlige. Hountains, Wind River Mountains, Teton Range et montagnes de Snakc River. Toutes ces hautes saillies, granits et roches pnléozoïques, percées eà et là de basalte et de trachyte en masses puissantes, dépassent 2500 mètres en altitude el les pitons qui se dressent au-dessus des chaînes sont beau- coup plus élevés, de mille et même de douze à quinze cents mètres. Cette [>I2 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. région des Alpes américaines étant Tune des plus fameuses à cause de ses fontaines jaillissantes, de ses lacs et de ses cascades, nombre de sommets dominateurs ont pris aux yeux des visiteurs une individualité distincte. Tel est le Monument Peak, qui se montre en efFet comme un puis- sant édifice à colonnades et à contreforts au-dessus de la chaîne du Big Horn; tel est aussi le Cloud Peak (4120 mètres), auprès duquel le géodé- sien Johnson a récemment découvert un glacier de 8 kilomètres déversant ses glaces terminales dans un petit lac jusqu'à 1200 mètres du rivage: du haut d'une falaise frontale, on peut laisser tomber une pierre dans les eaux du bassin à 300 mètres au-dessous. Dans le « Parc National » s'élè- vent, parmi tant d'autres cimes, le cône volcanique du Washburne (3511 mètres), le Bell's Peak (5157 mètres), le Mount Holmes (5255 mètres). Au sud-ouest du Parc, entourées déjà par les vallées profondes dans lesquelles coulent des affluents de la Columbia, s'alignent des montagnes de forme presque égale, les Trois Tétons, pyramides à gradins, dont la plus haute, le Hayden Peak (4224 mètres), se dresse à l'extrémité méri- dionale de la rangée. A Test de ce massif grandiose, Union Peak, un peu moins élevé que les sommets voisins, verse ses eaux, d'un côté dans le bassin du Missouri, de l'autre dans celui de la Columbia. Plus au sud, dans la chaîne des Wind River Mountains, le Fremont Peak (4159 mètres) est encore un géant des Rocheuses; mais au delà, la crête s'abaisse rapi- dement et se divise en chaînons divergents, dont l'un se termine au sud dans les hautes plaines de Laramie par un superbe pilier, le « roc de l'In- dépendance.». A sa base serpente l'ancien chemin des Ëmigrants, aban- donné maintenant pour les voies ferrées; en s'arrêtant à l'ombre du rocher, les Indiens y peignaient leurs hiéroglyphes, effacés depuis longtemps sous les noms gravés par les voyageurs blancs. Les Wind River Mountains, que les orages franchissent de l'un à l'autre versant, avaient reçu des trappeurs canadiens le nom de Monts Ouragan, appellation qui, sous une forme légèrement modifiée, est peut-être devenue celle du fleuve et de l'État d'Oregon1. lies éjections volcaniques ont modifié singulièrement les formes des montagnes qui s'élèvent dans le Parc National et aux alentours. Des cônes de matières ignées se dressent au milieu d'anciens fonds lacustres ou sur les pentes des montagnes; ailleurs des masses de trac h y te, injectées dans les fissures d'une roche, ont résisté aux intempéries, tandis que l'érosion a fait disparaître les parois qui les enfermaient, et maintenant elles s'élèvent 1 Jacques W. Redway, The Physical Geography ofthe United States. MONTAGNES ROCHEUSES, PARC NATIONAL. 515 isolées en remparts ou en aiguilles, hautes de 60 mètres, dominant comme les murs d'une forteresse les prairies et les bois. Des champs de lave se terminent brusquement par des falaises, tandis que d'autres, s'écoulant jadis à la façon des eaux, s'étalent en offrant une surface presque aussi unie que celle d'un lac. Les nappes d'obsidienne sont très communes et nulle part elles ne ressemblent plus au verre artificiel par la finesse et la transparence. Pour construire les routes à travers les éboulis d'obsidienne, ou allume des feux, qui dilatent les blocs, puis on y lance des jets d'eau froide : les rochers se brisent aussitôt en d'innombrables esquilles que l'on déblaye facilement. Une falaise d'obsidienne, près de la rivière Gardiner, affluent méridional du Yellowstone, a plus de 50 mètres en hauteur et se présente en colonnades superbes d'un noir brillant1, rayées ça et là de jaune et de rouge. En maints endroits, les laves ont recouvert des forêts, que l'on retrouve maintenant à l'état fossile dans leur gaine de pierre : la montagne des Améthystes, au nord-est du lac, est remplie d'arbres pétri- Gés, parmi lesquels on a reconnu des magnolias, des tilleuls, des frênes, des ormes, mais point de conifères, l'essence qui domine aujourd'hui. Le plateau volcanique dont le lac Yellowstone occupe le centre est une contrée montueuse de 2250 mètres de hauteur moyenne, que recouvrent à perte de vue des forêts de 'pins et que dominent des cônes plus hauts de 500 à 900 mètres, blancs de neige pendant la plus grande partie de l'année. Les cratères de ces montagnes ne vomissent plus de lave et ne lancent plus de cendres, mais l'activité du foyer caché se manifeste encore par de fréquentes secousses du sol et par le jaillissement des sources thermales. Au bord du lac, et plus bas, dans la vallée du Yellowstone, ces fontaines sont distribuées par groupes, les unes bordées d'une margelle de soufre, les autres rejetant une nappe de boue de leur orifice, d'autres encore déposant sur le sol de minces croûtes de silice : çà et là des gey- sirs s'échappent de la terre en sifflant. On compte plus de deux mille grandes sources dans le Parc National, et soixante et onze d'entre elles lancent leurs jets de vapeur et d'eau par colonnes intermittentes. La plupart des voyageurs entrent dans le Parc National par la région des cluses du Yellowstone, où le torrent plonge en superbes cascades; près de là, dans la vallée du Gardiner, qui s'écoule des pentes du mont Washburne, de nombreuses sources thermales, jaillissant entre des cônes de geysirs éteints, ont revêtu les pentes d'incrustations éclatantes comme la neige : la chaux dont elles sont saturées provient des couches de calcaire carbo- 1 iules Lecleicq, La Terre des Merveilles. va. 65 514 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. nifère situées au-dessous des basaltes. Les principales sources, dites Mam- moth Springs à cause de la grandeur de leurs phénomènes, s'épanchent du versant d'une montagne, mais en formant de cascatelle en cascatellc autant de vasques distinctes, disposées en hémicycle et festonnant le rocher sur un espace d'environ 500 mètres en hauteur. Chaque bassin, simple vase ou large piscine, est empli d'un azur transparent, eau dont le trop-plein glisse en nappes minces au-dessus de l'éblouissante margelle aux fines guillochures de dentelle. La température des sources varie : les unes sont tièdes, les autres brûlantes; sur le même gradin, des bouillons jaillis- sants disparaissent sous des tourbillons de vapeurs, tandis qu'ailleurs pas une buée ne ternit le pur cristal. Des algues multicolores, jaunes, rouges, vertes, ondulent dans le flot et contrastent avec le bleu de l'eau et le blanc des parois. Même en plein lac, des sources ont dressé leur cône de dépôts calcaires ou siliceux au-dessus du flot ; des pécheurs peuvent s'installer sur les gradins de la margelle et faire cuire dans la vasque d'eau bouillante les truites qu'ils viennent de capturer dans l'onde presque glaciale du Yellowstone. La région la plus curieuse du plateau volcanique est celle que traverse le ruisseau Fire Hole ou des « Trous à Feu », branche maîtresse de la rivière Madison, à une trentaine de kilomètres à l'ouest du lac Yellowstone. En aucun pays du monde, même dans celte Islande où se trouvent les types des phénomènes geysiriens et qui leur a donné des noms, on ne voit un pareil ensemble de fontaines jaillissantes, extraordinaires par le volume et la prodigieuse variété de formes. De l'une des hauteurs qui do- minent la vallée du Fire Hole on peut embrasser d'un coup d'œil sur les bords du torrent des centaines de sources, geysirs ou volcans de bouc. Les Américains, qui aiment à parler au superlatif, ont été embarrassés pour donner à ces apparitions grandioses des appellations d'une ampleur suffisante. Là se montre le « Grand » Geysir, dont chaque réveil est séparé du précédent par un repos d'environ 52 heures : l'éruption prochaine s'annonce par un sourd mugissement du sol. Tout à coup on voit jaillir l'énorme colonne d'eau, large de 2 mètres environ; elle monte, monle jusqu'à 60 mètres au moins, et la vapeur qui se déroule en longs tourbil- lons s'élève à plus de trois cents mètres dans les hauteurs de l'air. Pen- dant vingt minutes se dresse la puissante trombe ; soudain le bassin mu- gissant cesse de lancer sa gerbe; il se calme peu à peu, s'abaisse, perd de sa chaleur, et sa nappe transparente laisse voir au fond les deux ouvertures d'où la colonne d'eau et de vapeurs vient de se darder vers le ciel. Quelque puissant qu'il soit, le Grand Geysir a pourtant des rivaux dans J GEYSIRS DU PARC NATIONAL. 51S « pays des merveilles. Le « Géant a lance son jet à 45 mètres de haut et N)n flot se maintient pendant près de trois heures. La « Géante » n'élève son jet central qu'à une douzaine de mètres, mais ses jets latéraux, jaillis- sant comme des fusées, montent à la hauteur vertigineuse de 75 mètres. L' " Eicelsior », qui jusqu'en 1880 n'avait été considéré que comme une source thermale à nappe tranquille, se révéla soudain comme le plus puis Deuin de Tb. Weber, d'aprè* une photographie, sant des geysirs : on a vu sa colonne centrale, d'une circonférence de 60 mètres, s'élancer à 90 mètres, en projetant dans son ascension des pierres et des blocs mêlés au tourbillon de vapeurs; après l'explosion, un nuage recouvre longtemps la vallée. Le « Monarque » est aussi des geysirs les plus fiers d'aspect. Le « Vieux Fidèle » (Old Faithful) mérite son nom par la régularité de sa marche : à l'heure fixe, on entend le grondement prémonitoire, etl'on voit jaillir la masse d'eau et de vapeurs. La « Ruche » 516 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. déploie son ombelle en un superbe ovale, tandis que l'« Éventail », de Forme unique, se compose de deux jets qui sortent de cheminées obliques, inclinées l'une vers l'autre, et s'entrecroisent dans l'air, déployant dans l'espace H* lit. — y*llïi: ne nu ttoir. tenant rempli de verdure, et les croûtes calcaires cl silicei mêlées à la terre végétale, se fissurent sous l'effort des racir croit avoir remarqué que depuis ta découverte des « Men diminution dans leur énergie. Certains geysirs, entre autres sont en voie d'extinction ; mais il en est aussi qui gagnent en puissance. Toutes les sources intermittentes se trouvent VALLÉES DU FIRE HOLE, MAUVAISES TERRES. 519 nage d'une rivière, affluent du Madison, du Yellowstonc ou du lac Shoshone, et l'on pense que la masse liquide leur est fournie, non par des lacs souterrains, mais par la rivière voisine, dont les eaux filtrantes, chauffées dans l'intérieur de la terre au contact des roches volcaniques, s'échappent en vapeurs. Des « trous à feu », c'est-à-dire des fissures d'où s'échappent des vapeurs brûlantes, s'ouvrent dans le lit même du Fire Hole et lui ont valu ce nom. Des buttes en forme de pustules, éparses ou alignées, déversent aussi sur les rivages du torrent des nappes de boue multicolores, rouges, jaunes, bleues : ce sont les « pots à peinture » des Américains*. Vers l'extrémité nord-orientale du Parc, au bord de Cache Creek, affluent du Yellowstone, on a aussi découvert une mofette aux gaz mortels, entourée de squelettes d'animaux, même d'ours et d'élans*. Des avant-monts s'élèvent en massifs ou en chaînons à l'est du rempart extérieur des Rocheuses. Une de ces saillies distinctes, le Highwood Peak (2318 mètres), domine la rive méridionale du Missouri, en aval de sa gorge de sortie. Plus au sud, les Little Belt Mountains s'alignent parallèlement à ia chaîne des Great Belt Mountains. À l'est de la rangée des Big Horn, un labyrinthe de hauteurs occupe un espace de plusieurs milliers de kilomètres carrés sous le nom de « Mauvaises Terres » (BadLands). Ce sont les restes d'un ancien plateau que les eaux et les agents atmosphériques ont raviné dans tous les sens, laissant des fragments irréguliers, en forme de tours, de gradins, d'édifices superposés, de cathédrales à clochetons. Les couches supérieures, restées planes, sont toutes à lar même hauteur, et sur leurs pentes les strates d'argile et de sable ferrugineux, diversement colorées, se correspondent de chaque côté des ravins. De loin, les Mauvaises Terres res- semblent à une cité ruinée ou bien à ces formes étranges que le mirage soulève au-dessus de l'horizon. Les Indiens n'aimaient point à s'aventurer dans ce dédale de ravins où l'imagination et la peur faisaient surgir devant eux tout un monde d'êtres informes et méchants. Il n'est pas douteux que le plateau des Mauvaises Terres fut jadis le fond d'un lac immense s'éten- dant à la base des Montagnes Rocheuses. L'action des eaux s'y révèle par la nature des terrains meubles qui en composent les assises et par les restes d'animaux fossiles qu'on y a trouvés en quantités prodigieuses. Le déblaye- ment de ces couches incohérentes a été facile, et l'on pense qu'en cer- tains endroits l'incendie a contribué à produire le ravinement : des strates de lignite sous-jacente ayant pris feu, les lits supérieurs se seraient 1 Hayden; — Jules Ledercq, etc. * Walter H. Weed, Sâence, Febr. 15, 1889. 520 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. effondrés en ruines énormes. Des fumerolles qu'on remarque çà et là dans la contrée, au bord des rivières, indiquent en effet des lits de lignite en combustion, et des fontis, des ruptures du sol doivent se produire au-dessus. Le « volcan » qu'Audubon aperçut de loin sur les bords du haut Missouri, enroulant les fumées autour de la cime, n'était sans doute que le soupirail d'un de ces incendies souterrains. Lewis et Clarke racontent que dans ces régions du haut fleuve ils entendaient fréquemment, de jour et de nuit, même en temps parfaitement calme, de grandes détonations comme celles de l'orage ou d'une canonnade lointaine1. La chaîne de montagnes connue sous le nom de Black Hills ou « Côtes Noires », qui se profile du nord au sud entre les branches de la rivière Cheyenne, affluent occidental du Missouri, est le contrefort le plus avancé des monts extérieurs appartenant aux Rocheuses. Ces montagnes, dites « noires » à cause de leurs forêts de conifères, sont débarrassées de neiges en été, leur plus haute cime, le Harney's Peak, ne dépassant pas 2956 mètres. Par leur formation géologique, les Black Hills forment comme un résumé de l'ensemble des montagnes Rocheuses. Le noyau consiste égale- ment en granit et autres roches cristallines, que des roches sédimentaires siluriennes et dévoniennes entourent de toutes parts ; puis des roches car- bonifères, et plus. loin une zone d'assises rouges de formation secondaire, trias ou jura, se développent sur le pourtour des montagnes, et le tout plonge dans les couches d'origine tertiaire que les eaux ont ravinées et qui furent déposées autrefois par des mers intérieures. Un des piliers isolés des Black Hills, Devil's Tower, se dresse à 200 mètres sur un faisceau de colonnes trachytiques, à la pointe inaccessible*. Au sud et au sud-est des Black Hills s'étendent des « Mauvaises Terres », analogues à celles du nord- ouest. Encore plus au sud, entre le Niobrara et le lit de la Platte septen- trionale, se déroulent de vastes étendues sableuses, que laissèrent les eaux de l'ancienne méditerranée et que le vent soulève maintenant en dunes parallèles. La nappe d'eau existait encore à l'époque miocène et recouvrait tout l'espace compris entre les Black Hills et le front des montagnes Rocheuses jusqu'à plus de 500 kilomètres au sud. A l'époque pliocène, ce lac, qui s'était desséché, ensevelissant les restes d'une faune caractéristique, se reforma, non moins vaste, et de nouveaux lits d'animaux fossiles en racon- tent l'histoire. Certains districts des Mauvaises Terres sont tellement 1 Expédition to the Sources of the Missouri. a J. D. Winey, ouvrage cité. BLACK HILLS, SOUTH PÂSS. 521 remplis de débris fossiles, qu'on a pu les comparer à un vaste cimetière. Les explorateurs Hayden et Cope y ont découvert soixante-dix espèces nou- velles pour la science, variant de la taille de la taupe à celle de l'éléphant, reptiles, rongeurs, carnivores, animaux de transition entre le cerf et le mammouth, entre le mastodonte et le rhinocéros. C'est aussi dans les Mau- vaises Terres, au sud-est des Black Hills, que le géologue Marsh, se glissant avec ses compagnons d'études entre les bandes hostiles de Sioux et autres Indiens, flt, en 1874, cette merveilleuse expédition de fouilles dont il rap- porta les étonnants fossiles que l'on voit maintenant dans le musée de Yale, à New Haven * . Des anciens lacs au plateau d'en tre-Roche uses, la pente est des plus régulières. En remontant le cours de la Platte du Nord on s'élève insensi- blement jusqu'à la base des montagnes, puis on pénètre dans une large dépression qui gagne les hautes terres par un long circuit : de la vallée de la Platte on entre dans celle d'un affluent, Sweetwater, et, laissant à droite et à gauche des chaînes de montagnes parallèles, on atteint le faîte de partage entre le versant du Mississippi et celui du Colorado par une brèche de plus de 30 kilomètres, le South Pass (2284 mètres), aux terrains doucement ondulés : le seuil de partage n'a guère qu'une vingtaine de mètres en saillie. Il n'est guère de coupure mieux indiquée, entre les fragments distincts d'une même chaîne ; cependant aucune des voies ferrées transcontinentales n'emprunte ce passage, qui a l'inconvénient d'être situé trop au nord de la direction normale à suivre entre Chicago et Saint Louis à l'est et San Francisco à l'ouest. D'ailleurs, le col d'Evans (2378 mètres), vers lequel se dirige le premier chemin de fer des États- Unis que l'on ait construit de mer à mer, est aussi d'un accès facile, puis- qu'il n'a fallu pour y amener la voie d'autres travaux d'art que des rampes exceptionnelles; les ingénieurs n'ont point eu à percer de montagnes par de longues courbes ou même par des galeries tournantes comme il en existe dans les Alpes d'Europe. Toutefois le col d'Evans n'est qu'un pre- mier seuil; au delà, il faut encore monter à la station de Sherman (2513 mètres), puis contourner des massifs de montagnes et traverser la haute vallée du Sweetwater avant d'atteindre le faîte où se fait l'aigue- verse ou « divorce » des eaux entre le Mississippi et le Colorado. Et plus loin, combien d'autres pas à surmonter encore, avant d'atteindre, sur le versant de la Sierra Nevada, la rampe du Pacifique! Au sud de la Platte septentrionale, la chaîne orientale des Rocheuses » William C. Wyckoff, A Perilous Fouil Hunt, New York Tribune, Dec. 22, 1874. in. 66 522 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. reprend sous le nom de Black Mountains, appellation due, comme celle des Black Hills, aux noires forêts de pins qui contrastent d'une façon saisis- sante avec les plaines grises n'ayant d'autre végétation que des armoises. La chaîne se développe d'abord de l'ouest à l'est, puis du nord au sud, en K» 151. — PLAI1TC DE URÀM1E. 109" Uuest <3e Paris 06* Uuest de br eenwicl d'après divers documents C Perron i : 850000 I »0 kil. un vaste hémicycle embrassant dans sa courbe le cirque argileux des « Plaines de Laramîe », jadis empli par les eaux d'un lac. Le pic de Laramie, d'une hauteur d'environ 5000 mètres, forme la masse angu- laire de la chaîne vers le milieu de sa convexité. Au sud de ce monl pyramidal, l'arête se maintient dans la direction du méridien et les pics présentent une hauteur à peu près uniforme; malgré le défilé par lequel la rivière Laramie coupe les monts de part en part et la brèche d'Evans PLAINES DE LARAMIE, MONTS DE LA FAÇADE. 525 qu'emprunte le chemin de fer transcontinental, cette rangée n'est point on fragment distinct, mais bien la partie septentrionale des hauteurs qui, après avoir rejoint sous un angle aigu le chaînon latéral des Medicine Bow Mountains, se continuent plus au sud sous le nom de chaîne du Colorado. La fierté de leur aspect leur a valu aussi l'appellation de Front Range ou « Monts de la Façade ». Ils se présentent en un superbe rempart de monts neigeux se prolongeant sur près de 400 kilomètres et bornant avec une régularité parfaite le chaos de montagnes, de vallées, de plateaux, de déserts qui recouvre la partie occidentale du continent sur plus d'un millier de kilomètres au delà. À leur base se prolonge une rangée parallèle de collines basses, sables, graviers, grès et conglomérats, que les eaux ont entraînées jadis de la montagne et que d'autres torrents en ont sépa- rées : de ces arêtes on voit admirablement le contraste des monts et de la plaine; des piliers, des tables d'érosion, des terrasses en forme de monu- ments, des tours élagées, des gradins d'amphithéâtre font de ces avant- monts une des régions pittoresques des Étals-Unis *. Deux des pics principaux de la façade, Clarke (4013 mètres) et Long (4350 mètres), ont reçu les noms des explorateurs américains qui furent parmi les premiers à traverser les montagnes Rocheuses. Le pic de Long, le « Cervin des États-Unis », présente d'un côté une paroi inaccessible, composée de tables verticales, qui en se détachant de haut en bas laissent la muraille lisse, droite et formidable* : de loin il semble se terminer par deux pitons, les « deux oreilles » des anciens voyageurs canadiens3. Plus au sud, le mont Lincoln se dfesse à 4359 mètres, mais il est déjà masqué à Test par des avant-monts et par un promontoire de la grande chaîne, qui se termine au nord par le massif de Pike's Peak, désigné en l'hon- neur de l'homme, qui en 1806 en tenta inutilement l'ascension, et qui, après avoir parcouru encore les montagnes pendant plusieurs mois, finit par se perdre dans les neiges et tomba comme violateur de frontière au pouvoir des soldats mexicains. Le naturaliste James gravit le premier la cime vers 1820; maintenant c'est un des lieux d'escalade les plus fré- quentés du Grand Ouest. Dominant superbement les plaines de la Platte et de l'Arkansas, le « Viso » de l'Amérique donnait naguère son nom à toute la contrée, et les émigrants qui se dirigeaient vers les Rocheuses étaient appelés Pikes Peakers dans le langage populaire4 : encore de nos jours, 1 Long ; James ; Haydcn, etc. 4 F. H. Chapin, Âppalachia, June 1888. s John Ch. Fremont, Narrative of Explorations, elc. * i. D. Whitnev, The United States. 5S4 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. les colons venus en Californie du pied des Rocheuses sont connus sous te nom. L'observatoire fondé par l'astronome Pickering, sur la plate-forme naturelle qui termine le Pike's Peak, à 4508 mètres d'altitude, est le plus élevé qui existe dans le monde : habité toute l'année, il dépasse de 891 mètres l'observatoire de Leh, dans le Tibet anglais, qui d'ailleurs est assez mal placé, dans un creux environné de hautes montagnes'. L'éta- blissement du pic américain occupe au contraire une situation parfaite- ment libre, des plus favorables à l'observation des phénomènes généraui de l'atmosphère supérieure'. A l'ouest du rempart extérieur formé par les monts de la Façade, des ' Meteorologitche ZeiUchrift, 1891. * Poids de l'air sur le Pike's Peat : 0,45t, soit 0,6 de la colonne barométrique au niveau de la mer. Températures moyennes : juillet : +•,&; janvier — 16°,*. Extrêmes de température : 17° S et — 39>,4. PIKE'S PEAK, PARCS DES ROCHEUSES. 535 espaces entourés de tous tes côtés par des saillies élevées ont reçu le nom de « parcs » : ce sont plutôt de hautes combes avec un éventail de vallées afflaenles, d'une hauteur moyenne de 2000 à 5000 mètres et dominées par des aréles d'un millier de mètres plus élevées. Les trois principaux bassins, N'orth Park, Middle Park, South Park, se succèdent du nord au sud avec des dimensions à peu près égales, — de trois à quatre mille kilo- mètres carrés — et des formes analogues. Le Parc du Nord, limité à l'est et à l'ouest par deux chaînes parallèles, est le plus régulier de ces amphi- théâtres; ses torrents, issus de vallées qui se ramifienten éventail, s'ouvrent une issue à l'extrémité septentrionale de l'ancien lac pour former la Nortli ['latte et se reployer vers l'est après avoir uni ses eaux à celles du Sweel- water. Le Parc du Milieu, séparé du premier par une simple cloison de roches volcaniques, n'appartient pas au bassin du Mississippi : il s'incline 536 NOUVELLE GÉOGRAP EUE UNIVERSELLE. à l'ouest, écoulant l'excédant des pluies et des neiges fondues dans le Grand River, tributaire du Colorado. Enfin, comme par une sorte de balancement, le South Park, compris entre la crête que surmonte le Lincoln Pcak et celle du Pike's Peak, s'évase largement au nord et donne naissance ;t la rivière maîtresse de la Platte méridionale. Une grande vallée. jadis lacustre, celle de San Luis, est quelquefois désignée aussi, mais très improprement, du nom de « parc » : c'est une plaine de sable et d'ar- gile nivelée par les eaux, où coule une rivière, affluente du Rio Grande pendant les crues. D'autres bassins, qu'ailleurs on appellerait des cirques, des combes ou même des vallées, reçoivent dans cette région des Rocheuses l'appellation de « parcs » ; les moindres dépressions sont plaisamment MONTAGNES DU COLORADO. 527 qualifiées de holes ou trous1 ». On comprend sous le terme général de Park Range les saillies irrégulières qui constituent, à l'ouest des Parcs, une espèce de chaîne ou plutôt le rebord du plateau occidental. Exposées à l'air desséchant des grandes plaines du versant mississippien el ne recevant en moyenne qu'une faible part d'humidité, moindre de 50 centimètres par an, les montagnes de la Façade ne sont drapées de neige que pendant une moitié de l'année et ne présentent au cœur de l'été que de légères stries blanchâtres formées par le névé qui se tasse dans les fissures. Cependant il existe çà et là de petits glaciers dans les endroits les plus abrités. La principale coulée de glace, dominée par une arête de rochers noirâtres, s'étend sur les longues pentes de la « Momie » (Mummy Mountain), au nord du pic de Long. Lors d'un grand vol de sauterelles, des milliards de ces acridiens tombèrent sur les neiges entre l'Utah et le Colorado, et les ours, quittant les vallées basses, se portèrent en foule vers les sommets pour profiter de l'aubaine. C'est alors qu'un chasseur, pour- suivant le gros gibier, découvrit ce vasje « champ de neige », dont on reconnut plus tard la texture cristalline, avec crevasses, rimayes et séracs : il a reçu le nom de Hallett's Glacier, du nom de l'un de ses explorateurs1. Mais si les glaciers actuels sont de faibles dimensions, on voit les traces d'immenses amas glacés qui recouvraient autrefois toute la superficie des Parcs, au-dessus de 3000 mètres et qui rabotèrent les monts à une hauteur à peu près uniforme. Des blocs erratiques, poussés jadis par les masses cristallines, parsèment les pentes des montagnes, au-dessus des profonds ravins érodés par les torrents dans les éboulis et les moraines. Un des sites les plus visités de la région, grâce au voisinage des bains dits Colo- rado Springs, a pris le nom de Garden of the Gods, « Jardin des Dieux » tant ses obélisques de grès, érodés par les eaux, les vents, la poussière, le gel et le dégel, puis restés debout au-dessus des gazons et des forêts, ont frappé l'imagination des visiteurs : d'un côté s'étend la plaine, se confondant au loin avec l'horizon bleuâtre, el de l'autre se dresse l'am- phithéâtre des sommets verdoyants. Au sud de la gorge étroite dans laquelle passe la rivière Àrkansas et qui pourrait être appelée aussi « porte des Rocheuses » comme celle où coulent les eaux du Missouri, la chaîne de la Façade se continue sous un autre nom, celui de Sangre de Cristo « Sang du Christ »; on se trouve dans une autre zone historique, où la découverte et le peuplement se sont faits, non 1 Jacques W. Rcdway, ouvrage ciU\ * F. H. Chapin, Âppalachia, Dcccmbor 1887. 5S8 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. par des Canadiens français et des Anglo-Américains, comme dans les mon- tagnes Rocheuses du nord, mais par des Mexicains de langue espagnole. La cime la plus élevée du Sangre de Cristo, souvent couverte de neige, malgré sa situation entre le 55' et le 58" degré de latitude, est dite la Sierra Blanca (4 458 mètres) : elle dépasse de quelques mètres les som- mets rivaux des Rocheuses proprement dites; cependant il y a doule encore, plus de cinquante pitons ayant à peu de chose près la même alti- tude. Plus au sud, sur la partie de la chaîne dite Spanish Range, se suc- cèdent d'autres pics, la Culehra {4502 mètres), le Baldy Peak {5807 mètres) ou « Mont Chauve », continués au sud par des pitons isolés, le volcan de l'Ocate(2712 mètres) et le Turkcy Mountain (2575 mètres), flanqués à l'est par deux plateaux de lave superposés, que les érosions ont découpés en tables immenses : les hauts affluents de la Canadienne coulent dans l'épaisseur des roches en des canons étroits, rainures régulières où dispa- raissent les eaux. Des couches d'anthracite que renferment les assises sous- jacentes ont été transformées en un coke d'excellente qualité par la chaleur MONTAGNES DU COLORADO ET DU NOUVEAU-MEXIQUE. 529 des laves*. A Test de la rangée principale se dressent les deux cônes trach) tiques isolés des Spanish Peaks. Là cesse la chaîne proprement dite, et des rameaux divergent dans les plaines environnantes; d'énormes massifs se dressent isolément comme pour continuer la chaîne maîtresse. C'est bien la fin des « Montagnes de Roche » ; les rangées qui s'élèvent plus au sud, et qui du New Mexico et du Texas pénètrent dans le Mexique, appartiennent à un autre système. Du reste, la structure géologique diffère : les masses de granit qui forment les monts de la Façade et les crêtes voisines disparaissent au sud du Sangre de Cristo sous les assises des terrains secondaires que prolonge au loin le plateau jurassique du Llano Estacado; un morne, raviné de tous les côtés avec une régularité parfaite, le mont de la Pyramide, montre comme un modèle géologique l'étagement des roches horizontales, différant toutes par la couleur, la consistance et les stries d'érosion*. De nombreux volcans groupent leurs cônes au-dessus des étendues mornes, que recou- vrirent jadis des eaux marines; des coulées de laves rougeâtres, épanchées des montagnes, brillent encore au soleil comme si elles étaient à peine éteintes. A l'ouest des chaînes extérieures qui limitent le plateau, d'autres rangées de montagnes, portées sur le socle commun des hauteurs, se pro- filent en divers sens. Une de ces arêtes, celle de Saguache ou Sawatch, se rattache par des rameaux à la chaîne des Parcs, tandis qu'au sud elle se prolonge par la sierra de San Juan. Le Harvard (4587 mètres) et le Yale (4290 mètres), nommés ainsi en l'honneur des universités rivales, s'élèvent sur une des crêtes de Saguache, de même que la montagne de « Sainte-Croix » — Holy Cross, — ainsi dite de deux zébrures blanches, que la neige dessine sur la paroi supérieure de la montagne (4331 mètres). Plus au nord, s'élève le massif de l'Uncompaghre (4341 mètres), amas de laves superbement isolé ; la chaîne des Elk Mountains, — « mon- tagnes de l'Élan », — dominée par le volcan du Castle Peek, haut de plus de 4200 mètres, se profile dans la direction de l'est à l'ouest. Les allures de ces chaînes, à demi perdues dans la masse du plateau, sont mal définies; les traits du relief le plus fortement accusés ne sont pas les crêtes supérieures des monts, mais les brusques rebords des plateaux dans lesquels les affluents de Grand River et autres cours d'eau ont érodé leurs gorges ou leurs cirques d'origine. Est-il, comme exemple 1 John Starenson, Geological Survey. * iules Marcou, Expédition du Mississippi aux montagnes Rocheuses* m. 67 550 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE, d'affouillement, des gouffres plus étranges que la « vallée » de Sindbad, ouverte comme une naumachie dans l'épaisseur du rocher! Une eau salée s'en écoule, pour descendre par le rio Uolores dans le Grand River, qui s'unit au Green River pour former le Colorado. Parmi les cimes qui se distinguent nettement de la masse du plateau par leur forme et leur hauteur, Emmons signale surtout les Buffalo Peaks, dont le point culmi- nant atteint 4127 mètres, soit de trois à cinq cents mètres au-dessus des crêtes environnantes: ce sont deux pyramides régulières, séparées par une brèche dont les rochers apparaissent comme une colonnade minée. Les pics et les piliers intermédiaires sont des roches de forma- tion volcanique, reposant à l'ouest sur le granit et de l'autre côté ayant versé leurs laves sur des terrains carbonifères. Au nord, l'ensemble de MONTAGNES DU COLORADO ET DE L'UTAH. 551 la montagne se creuse en un cirque, empli de pierres éboulées : c'est peut-être le cratère de l'ancien volcan1. Le Continental Divide, aigue-verse ou faîte de partage entre les deux bassins du golfe du Mexique et du Grand Océan, suit une ligne très sinueuse, qui ne coïncide nullement avec une crête régulière des mon- tagnes, mais au contraire serpente de l'une à l'autre chaîne. Les sommets n'ont qu'une faible élévation au-dessus de leur socle, et les seuils qui le franchissent ne se creusent guère au-dessous de la hauteur moyenne du plateau. Un des moins élevés, le Cochetopa, qui traverse la chaîne du Saguache et que les Indiens chasseurs connaissaient autrefois comme la voie principale suivie par les buffles des montagnes dans leurs grandes migrations annuelles, a 2997 mètres d'altitude. Le chemin de fer le plus haut de l'Amérique du Nord, de Denver à Sait Lake City, passe au col de Fremont, à 5907 mètres, quatre cents mètres seulement au-dessous des plus hautes cimes de la région; plus au sud, une autre voie ferrée, aux innombrables lacets, emprunte le Marshall Pass, à 5555 mètres. Les villages et les villes que l'exploitation des mines a fait naître dans ces régions sont tous placés à plus de 5000 mètres; la cité populeuse de Leadville est bâtie à l'altitude de 5110 mètres, onze cents mètres de plus que Saint-Véran, le plus haut village français. Des groupes d'habitation se trouvent encore sur ce plateau à 500 mètres au-dessus de Leadville. Au sud des hautes plaines que parcourt le premier chemin de fer trans- continental construit de New York à San Francisco, une chaîne de mon- tagnes se développe de l'est à l'ouest sur une longueur d'environ 240 kilo- mètres, avec une largeur moyenne de 50 à 60. Cette chaîne, transversale à I axe du système orographique, a gardé son appellation indienne de monts tintah; elle relie les montagnes Rocheuses proprement dites à la chaîne des monts Wahsatch, limite orientale du « Grand Bassin » d'Utah. Les Uintah peuvent être considérées comme le type des montagnes en voussure. Les assises appartenant aux diverses formations, des âges archéens et cam- briens jusqu'aux étages des périodes crétacée et tertiaire, s'y reploient en voûte avec une régularité parfaite. La hauteur totale de ces monts atteignit au moins huit mille mètres, à en juger par le profil actuel de la voussure; mais les pitons ruinés qui se dressent encore sur l'axe de la chaîne, le mont Àgassiz, le mont Emmons, le Gilbert's Peak (4172 mètres), ne dépassent pas l'élévation moyenne des mornes du plateau. Le plissement des strates dut se faire graduellement, sans brusques révolutions, car les 1 J. F. Emmons, Bulletin of the United States Geological Survey, n° 1. 532 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. rivières qui en découlent n'ont pas changé de lit, et pendant le cours des âges l'ont creusé en profondeur pour en faire des cluses ou canons comme ceux de Green River, Tune des maîtresses branches du Colorado1. Les monts Wahsatch ne sont guère, comme les monts de la Façade, que le rebord d'un grand plateau; cependant ils présentent du côté de l'ouest, au-dessus des plaines jadis lacustres de l'Utah, l'aspect d'une rangée superbe de montagnes, s'élevant de 1500 à 2000 mètres au-dessus de leur socle de hautes terres. Les Wahsatch forment le prolongement méridional des massifs du Parc National, où s'opère le partage des eaux entre le Mis- souri, la Columbia et le Colorado. Ces massifs, dont une montagne, le Wyoming, s'élève à 5500 mètres, ne constituent point de rangée distincte : les tortueuses vallées des versants opposés les découpent en un dédale de fragments inégaux. La chaîne ne commence à se préciser qu'au sud de Bear River ou « rivière de l'Ours », qui traverse de part en part toute la région montueuse pour déverser ses eaux dans le Grand Lac Salé. Plus au sud, un autre cours d'eau, le Weber, coupe également la chaîne par une cluse étroite, dont a profité le premier chemin de fer transcontinental pour gagner le « Grand Bassin » d'Utah, au sortir des « plaines » de Laramie et de Bridger. Une autre voie ferrée utilise la vallée de Bear River et en emprunte la cluse de sortie vers Snake River. C'est au sud des gorges du Weber que commence la chaîne proprement dite des monts Wahsatch, qui se continue du nord in sud sur une longueur d'environ 400 kilomètres. Elle croît en hauteur dans la direction du sud pour former le mont Nebo, ainsi nommé parce que de cette cime les Mor- mons aperçurent d'abord la « terre promise », comme Moïse avait vu la terre de Canaan du Nebo qui domine la vallée du Jourdain. Au-delà, les Wahsatch commencent à se perdre dans l'épaisseur de la masse rocheuse qui constitue les déserts du Colorado, avec leurs hautes saillies de falaises diversement orientées, qu'on désigne parfois sous le nom de chaînes de montagnes et qui rattachent les monts Wahsatch à ceux de San Juan et d'Uncompahgre : là s'élèvent le mont Terrill (3535 mètres), le mont Belknap (3720 mètres) et plusieurs autres sommets de moindre hauteur. On a désigné sous le nom de « Paradis des Géologues » ces plateaux» monts et falaises sans arbres, où des cônes volcaniques ont épanché leitra coulées raboteuses, où les granits et les roches archéennes dressent en çà et là des saillies au-dessus de leurs manteaux de terrains secondaire^ et des couches tertiaires étendues dans les fonds. Les coupures, les éro- 1 WaiTcn Upham, Popular Science Monlhly, Sept. 1891. MONTAGNES DE L'I.TAll. 535 sioDs permettent de voir nettement ta série des roches superposées et d'en constater sans peine (a puissance respective, l'inclinaison, les mille acci- dents divers : on y lit l'histoire géologique du monde, qu'ailleurs il est si difficile de déchiffrer, surtout dans l'Europe occidentale où tes roches sont contournées, parfois même chavirées, et recouvertes de terre végétale. ■OCHEB DES SOllfiS DE EKEEÏ HIVER, A l'eITIIEHITe' S Cmun de Bocbcr, d'ijirs) une photographie comjminiiiiiec par la Sociélè de Géographie, de forêts et de cultures. En quinze ans, dit M. de Margerie, tes savants américains ont pu exposer les phénomènes d'érosion d'une manière « plus nette et plus décisive que ne l'avaient fait les savants d'Europe depuis l'origine de ta géologie'. » Les dénudations que le temps a faites sur ces hautes terres pourraient être évaluées avec précision, tant se montrent 1 Bulletin de la Société Géologique de France, 1885. 3M XJLTVKLLK GËOGRAP1I1E UNIVERSELLE. distinctement, souvent avec des couleurs vives, les assises des roches per- miennes, triasiques, jurassiques, éocènes, que l'usure des âges a taillées en falaises étagées; d'un plateau à l'autre on voit ce qui manque à cha- cune des strates superposées : une épaisseur d'environ 1 500 mètres de couches a été enlevée sur une région dépassant 500000 kilomètres carrés'. C'est une masse solide représentant un dé de plus de 90 kilomètres dans tous les sens. Peut-on voir d'une manière plus claire le travail des érosions que dans ce reste de « table » parfaitement unie, aux pentes ravinées, qui, sous le nom de Grand Mesa, se dresse entre deux affluents du haut Colorado, le Grand et le Gunnison? L'ensemble des plateaux se 1 C. E. Dutlon, Tertiary Hislory of tke Grand Canon District. MONTAGNES DU NEW MEXICO ET DE L'ARÏZOSÀ. 537 décompose en massifs distincts, dont le plus élevé est le Kaibab, d'une altitude moyenne de 2200 mètres. Au sud des canons ou cluses dans lesquels passent le Colorado et ses divers affluents, le massif des hautes roches, se décompose en groupes dis- tiacls et en chaînons secondaires, dont l'orientation générale est celle du nord-ouest au sud-est et qui vont se rattachera la Sierra Madré du Mexique. Des orifices de volcans se sont ouverts en grand nombre dans cette région méridionale des Rocheuses, entassant les scories en cônes énormes d'où les coulées de laves divergent au loin. Un de ces monts ou plutôt de ces groupes de volcans jadis enflammés, le San Francisco, haut de 5900 mè- 558 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. 1res et percé d'un cratère du côté de l'orient, se dresse isolé, entouré sur ses pentes d'un cercle de forêts noires, pins et cèdres, qui contrastent avec les tons gris ou rougeàtres des roches environnantes : même en été, des neiges drapent les hauts escarpements du cône tournés vers le nord. Les montagnes des Zuni, à l'est du Rio Grande moyen, ont aussi leurs volcans, entre autres le mont Taylor ou San Mateo (5469 mètres), dont les laves ont coulé dans toutes les vallées du pourtour, ce comme de longs ser- pents noirs partant d'une tête de Méduse f » : une de ces coulées avait, d'après Dutton, une longueur de 72 kilomètres1, mais se composerait de couches de laves peu épaisses, variant de 15 à 60 mètres. Sur le versant opposé de la vallée, d'autres terrains d'éruption occupent de vastes terri- toires montueux. Cette région du Nouveau-Mexique a ses malpau ou « mau-pays » comme les terres volcaniques de l'Anahuac. Au nord de Paso del Norte un entre-deux de montagnes est rempli par une cheire de laves, sortie probablement de quelque fissure cachée; on ne voit pas de cratère d'où elle se soit épanchée. Entre les montagnes de l'est, qui constituent le système proprement dit des Rocheuses, et celles de l'ouest, qui forment le rebord occidental des hautes terres, au-dessus du Pacifique, s'étend une vaste région médiane où le sol se redresse ça et là en saillies montagneuses, mais offrant dans son ensemble l'aspect d'un plateau graduellement comblé par des sables, des argiles, des nappes d'origine calcaire. La partie septentrionale d'entre- deux chaînes est remplie presque à moitié par des laves que versèrent des montagnes de l'ouest, dans la Californie et l'Oregon, puis s'étalèrent en une mer fermée dans le cercle des hauteurs au nord et à Test. Le champ de laves, ramifié à droite et à gauche dans les vallées, s'étend sur un espace évalué à plus de 500 000 kilomètres carrés, soit la superficie de la France. Toute la plaine comprise entre le cours de la Spokane, le fleuve Columbia et Snake River est recouverte par une dalle de laves en un tenant de 60000 kilomètres carrés. En maints endroits l'épaisseur de ces pro- digieuses coulées se révèle aux yeux par les entailles qu'y ont creusées les eaux des torrents et des fleuves. Du fond de ces gorges on constate que les parois des défilés, et plus haut les escarpements, jusqu'au bord du plateau, se composent en entier de laves inégalement érodées par les météores. En moyenne, c'est à six ou sept cents mètres que s'élèvent ces murs, ces entassements sortis à l'état liquide du sein de la Terre. Dans 1 Jules Marcou, ouvrage cité. * Archibald Geikio, Nature, Norember 27, 1884. JlONTAGNKS ROCHEUSES. 53U le grand détilé de la Columbia, le flenve coule, l'espace d'environ trois kilomètres, sur la roche mère de granit, ce qui permet de mesurer la puissance du lit superficiel des laves : en cet endroit il est de 1120 mètres, ei se compose d'un grand nombre de coulées successives ; dans le bas- sin de la rivière des Chutes (Deschuttes) le géologue Leconte a constaté l'eiistence de trente cheires superposées. Des fentes et des ouvertures en forme de cratères semblent être les issues par lesquelles ont jailli ces énor- mes quantités de matières fondues, qui s'étalent horizontalement sur une région si considérable du continent. On a remarqué que les couches supé- rieures de la lave sont en général plus vésiculaires, moins compactes que les strates profondes. Là où les fleuves ont opéré leurs percées, les piliers qui se montrent dans l'épaisseur de la roche sont plus grands et mieux 540 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. formés au bas des puissantes falaises. C'est probablement à l'époque ter- tiaire, ou même à une époque plus rapprochée des temps actuels, que se produisirent ces inondations de pierre liquide, car les troncs d'arbres que Ton a reconnus dans les laves délitées appartiennent à des espèces de conifères analogues à celles qui composent de nos jours les forêts de la contrée '. Mais depuis cette époque récente la physionomie générale du pays a beaucoup changé : les lacs formés par les barrages de laves se sont vidés, les fleuves ont recreusé leurs lits ; puis les glaces, étendant leurs masses cristallines sur les plaines, les ont recouvertes de blocs et de gra- viers, qui ont à leur tour changé l'hydrographie locale, en forçant les rivières à refaire leur réseau. Un diaphragme de montagnes, dont la chaîne principale porte le nom si commun de Blue Mountains, limite au sud les immenses champs de laves de la Columbia. Au sud s'étendent les plaines du « Grand Bassin », d'une altitude moyenne de 1500 mètres. La partie la plus haute du Bassin se trouve dans la partie centrale : de ce dôme surbaissé, le sol s'incline, à Test vers les monts Wahsatch, à l'ouest vers la Sierra Nevada. Du côté du sud la descente est fort rapide jusque sur les confins du désert sableux des Mojaves, où le plateau se creuse pour former la longue dépression de Death Valley ou « Vallée de la Mort », parallèle à Taxe de la Sierra Nevada. Le Grand Bassin, égalisé par les dépôts des âges successifs, aux époques secondaire et tertiaire, n'est cependant pas dépourvu de monta- gnes; de nombreuses arêtes, remarquablement parallèles, s'y alignent du nord au sud, à des hauteurs diverses au-dessus des dépressions inter- médiaires. Un voyageur qui se rendrait en ligne droite du lac Tahoe, dans la Sierra Nevada, à la base des monts Wahsatch, aurait à traverser une vingtaine de ces crêtes de rochers abrupts et nus1. La plus haute de ces saillies et l'une des plus longues, la chaîne d'East Humboldt, limite à l'ouest les plaines arides riveraines du Grand Lac Salé ; son morne septentrional, le plus haut de la région du Grand Bassin, a reçu le nom de pic Bonpland (5450 mètres). Dans leur ensem- ble, ces chaînes et buttes qui se prolongent sur le plateau s'élèvent brus- quement du sol sans talus dont les pentes gracieusement infléchies se confondent avec les déclivités des terres d'alentour : ce ne sont en réalité que des pitons dont les bases ont été recouvertes, noyées, pour ainsi dire, par des terres alluviales. Ce phénomène géologique se lit d'une façon 1 Jacques W. Redway, ouvrage cité. * J. D. Whitney, ouvrage cité. il S i \ / MONTASSES ET PLATEAUX DE L'UTAH. 543 si nette, que pionniers et émigrants ont donné aux cimes surgissant ainsi des terrains argileux le nom de Lost Mountains ou « Montagnes Perdues »'; l'appellation utah d'Oquirrh a la même signification. Parmi ces monts du Grand] Bassin » des centaines s'élèvent en dômes, soit isoles, soit groupés en alignements parallèles : ce sont d'énormes verrues de roches carbonifères ou de formations subséquentes, jusqu'aux assises tertiaires, qu'ont soulevées des matières brûlantes, dites « taccolithes » par Gilbert; ou peut considérer ces bulles comme des volcans inachevés. Les Henry Mountains, dans l'Utah méridional, sont le type de ces dômes à poussée centrale. On a constaté l'existence de beaucoup d'autres saillies formées de la même manière : telles les montagnes de la Sal, de Abajo, de Canïso, de Navajo, plus au sud, et à l'est les Elk Mountains du Colorado '. Au nord de la vallée du rio Virgen, affluent du Colorado, les trois pyra- mides nues, dites « Trois Telons » comme d'autres groupes du système des Rocheuses, terminent superbement le plateau. 1 Grore Karl Gilbert, Lake Bonnrcille. * Warrrn Upham, Popular Science Rerie 544 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Les montagnes bordières du plateau, à l'occident, sont, de toutes les chaînes nord-américaines, celles qui présentent le plus de régularité, si ce n'est par la nature des roches1, du moins par l'orientation et le relief : à cet égard, elles l'emportent même sur le système appalachien, com- pris dans son ensemble du Maine à l'Àlabama. Cependant elles ne sont pas connues sous un même nom général : la partie septentrionale de la cordillère est dite Cascade Range, « Rangée des Cascades », comme dans la Colombie Rritannique; au sud du mont Shasta, la chaîne garde le nom espagnol de Sierra Nevada. Les monts Cascades, ainsi nommés des chutes de la Columbia et des autres rivières qui les traversent ou qui s'en écoulent, constituent la partie la plus simple du système : les volcans qui surmon- tent la crête, haute de quinze à dix-huit cents mètres, et la dominent d'une égale élévation, ne se sont pas tous formés sur l'axe principal et leurs coulées de laves s'épanchèrent en longs promontoires dans les plaines. Le mont Baker, qui se dresse dans le voisinage immédiat de la frontière canadienne et dont les habitants de Vancouver distinguent souvent la cime (3500 mètres), est, de tous les monts brûlants de la région, celui dont on a le plus fréquemment constaté les incendies; en 1845 et trois autres fois depuis cette époque, le Baker a rejeté des cendres, qui bar- rèrent le courant du Skagit; mais on ne sait point s'il a vomi des laves. Mount Rainier oiWTacoma, — « le Neigeux » ou « Presque dans le Ciel » — géant des monts Cascades (4402 mètres) d'après lequel a été dénommée la ville prospère de Tacoma, bâtie à ses pieds sur le Puget Sound, n'a point eu d'éruption dans la période contemporaine, mais de son vaste cratère, partiellement empli de neige et circonscrit par une bouche plus ancienne, s'échappent d'abondantes vapeurs, auprès desquelles se blottissent les escaladeurs pour ne pas souffrir du froid dans ces hautes régions de l'atmosphère. Le Saint Helen's (2970 mètres), dont le massif a forcé le fleuve Columbia à se rejeter vers le sud et à décrire un vaste hémicycle à la base de la montagne, paraît avoir fait éruption en 1845, dans la même année que le Baker, et des nuages de poussière rejetés de sa bouche furent portés par le vent jusqu'aux Dalles, à 80 kilomètres au sud-est*. A l'est, le mont Àdams, plus éloigné de la mer que le Saint Helen's, paraît depuis longtemps éteint ; mais ses éruptions ont été pro- digieuses : cette haute croupe, maintenant couverte de neiges à la cime, drapée de verdure sur les flancs, est la source des laves qui barrèrenl 1 Clarence King, Mountainecring in the Sierra Nevada. * J. D. Whitney, ouvrage cité. YOLCANS DU NORD-OUEST. 545 autrefois la Columbia d'une masse épaisse de plus de onze cents mètres. Des glaciers descendent aussi dans les vallées f : toutes les rivières que tra- verse le chemin de fer du littoral ont cette couleur laiteuse qui rappelle l'origine glaciaire des torrents. Au sud de la Columbia l'alignement des cônes volcaniques, réunis en une zone continue de laves et de cendres, se poursuit parallèlement à la mer à plus de 600 kilomètres sur le rebord du plateau. La masse puissante du raonlHood (3730 mètres), dominant le défilé du fleuve, a été souvent dé- crite comme une montagne encore ignivome, mais les prétendues fumédi de la cime ne sont que des aigrettes ou des turbans de vapeurs humides con- densées par le refroidissement de Pair1. Les autres volcans qui se suivent au sud sont également éteints : le Hu-ah-hum, le mont Jeflerson (5427 mè- tres), signalé de loin par un fragment de cratère effondré que soutient une sorte de pilier, la « Butte Noire » ou Black Bulle, les « Trois Sœurs » (Tkree Shtert) aux trois têtes blanches (2750 mètres), entourées d'autres sœurs plus petites qui ne s'élèvent pas dans la région des neiges. La coupe volcanique du Crater Lake (1904 mètres) enferme entre ses hautes parois au rebord aigu un lac de 600 mètres de profondeur, et du fond des eaux bleues, dans l'angle sud-occidental du bassin, s'élève un cône de cendres, d'une régularité parfaite : ainsi que d'autres merveilles des États-Unis, ce lacet les roches qui l'entourent ont été déclarés « Parc National », c'est-à-dire propriété commune de la nation. Au sud des monts Scott et Pit (ou Pitt), autres volcans éteints, la chaîne des Cascades s'inter- rompt largement pour donner passage à la rivière Klamath, qui descend au Pacifique, mais en môme temps telle s'élargit par des contreforts, des chaînons latéraux et par la rangée transversale des monts Siskiyou, qui se continue jusqu'à la mer. Un labyrinthe de montagnes occupant au moins 150 kilomètres en largeur forme la frontière naturelle entre l'Oregon et la Californie. Le montShasta, le volcan dominateur de la contrée faîtière, se dresse à 4405 mètres au milieu d'une plaine de lave qui lui forme un piédestal d'environ 1000 mètres d'élévation moyenne. Des bois pénétrant dans les ravins découpés à la large base du cône lui font une ceinture verte qui fes- tonne les flancs. Au-dessus se profile la masse conique, terminée par deux pointes comme le Vésuve, mais sans volutes de fumée. La beauté de l'in- comparable montagne, la plus imposante des États-Unis, lui vient de son 1 G. F. Wright, The Origin ofthe Ice Age of North America. 1 Cbreoce King, Mountaineering in the Sierra Nevada. x\i. 69 54* NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. magnifique isolement, de la noblesse do ses couleurs, de la blancheur do sommet neigeux et de ses « laves roses émaillées de glace*. » D'ailleurs, la montagne, aussi régulière qu'elle est belle, est très facile à gravir : sans faire usage de piolets ni de cordes, on atteint les bords de l'immense cra- tère, dont l'arête, de 5 kilomètres en circonférence, enferme un bassin profond à demi empli de neige. Des corniches aiguës de glace qui frangent le pourtour du cratère, la vue s'étend au nord sur une moitié de l'Oregon avec ses nombreux volcans, à l'est sur les plateaux montueux du Grand Dassin, avec leurs étendues grises se perdant au loin dans la brume. Au sud s'ouvre la longue perspective des plaines de Californie entre lesdein saillies parallèles de la Sierra Nevada et de la Rangée Côtière. De même que le mont llood, le Jeflerson et les Trois Sœurs, le Sliasia épanche des glaciers, les uns à surface libre, resplendissant au soleil, le? autres recouverts de pierrailles et même de blocs de lave : en certain? endroits, les crevasses qui s'ouvrent à une grande profondeur dans la > Jacques W. Redwav, mémoire cité. MONT SHASTA. 547 masse glacée sont à peine visibles sous les amas de débris qui cachent la surface cristalline et la protègent contre l'ardeur du soleil. Quelques-uns des glaciers du Shasta ont plusieurs kilomètres de long, mais ils ne sont plus que des langues do glace en comparaison des puissants courants congelés qui se déversaient autrefois dans les plaines par les ravins diver- gents. On voit les traces du passage de ces anciens fleuves glacés, leurs moraines latérales et frontales, et le lit qu'ils creusèrent jadis est celui dans lequel se précipitent maintenant les avalanches et où les torrents pren- nent leur origine. Au-dessous de l'histoire glaciaire de la montagne se découvre celle de ses éruptions. Un beau volcan adventice, Àsh Creek Bulle, s'élève au nord-est; d'autres cônes d'éjection, épars ou s'alignant sur des lignes de fissure, se montrent par centaines autour des racines du mont; enfin les courants de lave sont eux-mêmes hérissés d'innombrables petits cratères en pustule, que formèrent probablement les lacs, les ruisseaux et les neiges surpris par la lave brûlante et transformés soudai- nement en vapeur : des éruptions locales bosselèrent ainsi d'ampoules la nappe des matières en fusion1. De longues galeries, produites par l'écoulement de laves fluides dans une gaine de laves déjà dures, s'ouvrent aussi dans les cheires qui se sont épanchées de la montagne. Ce piton du Shasta s'élève dans Taxe de la Sierra Nevada et par cela même est souvent considéré comme appartenant à cette chaîne. Des géo- graphes en font aussi la borne méridionale des monts orégoniens. En réalité, il fait partie de tout le système orographique formant le rebord occidental des Rocheuses, mais à lui seul il en constitue un fragment dis- tinct. Au sud-est les coulées de laves cachent la saillie première des monts, de 2000 et de 2500 mètres plus bas que le Shasta, et même une rivière descendue du plateau, lePit River, coupe complètement la chaîne : à l'endroit où elle la traverse par une cluse à parois escarpées, son lit n'est qu'à 800 mètres au-dessus de la mer. Au delà, quelques buttes volca- niques marquent l'axe montagneux, puis l'énorme masse du pic Lassen, cône tronqué dont la base a 150 kilomètres de tour. Cet ancien volcan ne parait pas complètement éteint comme le Shasta : il a du moins de nom- breuses sources thermales et des jets de vapeur, qui contribuent à alimen- ter les petits lacs épars dans ses combes orientales. Son altitude est de 3181 mètres; mais, d'après Richthofen et d'autres géologues, il aurait été autrefois beaucoup plus élevé : à en juger par ce qui reste de son cratère, le sommet de la montagne parait avoir été emporté par quelque 1 Chreoce King, ouvrage cite. 548 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. prodigieuse explosion : le cône volcanique, décapité, pour ainsi dire, a perdu près de 2000 mètres en hauteur. Les coulées de laves épanchées du Lassen descendent de tous les côtés, même sur le plateau oriental. Une des cheires, au sud-ouest, atteignit le Sacramento et lui lit changer de cours. C'est au Thompson's Peak, près du village de Susanville, que la Sierra Nevada prend son individualité pour dresser sa haute muraille de plus de 700 kilomètres en longueur à Test des profondes plaines de la Califor- nie. Dans son ensemble, cette rangée de montagnes est la plus régulière et la plus imposante des États-Unis, supérieure même aux monts de la Fa- çade, parce qu'elle domine une contrée plus féconde et beaucoup plus variée. Orientée du nord au sud, en obliquant d'environ 30 degrés à Test, la Sierra Nevada marque presque exactement la direction de la côte océa- nique, dont elle est éloignée de 250 kilomètres; ses pentes occidentales, inclinées vers la Californie, sont beaucoup plus douces que les escarpe- ments orientaux, d'où l'on descend sur les plaines du Grand Bassin. La hauteur de la crête s'accroît peu à peu dans la direction du sud, de 2000 mètres à plus de 4000, et l'élévation moyenne des cols augmente dans la même proportion : ce sont d'étroites brèches qui font communi- quer les deux versants, sans atteindre le niveau du plateau oriental. Sauf en deux ou trois passages, il faut gravir des deux côtés de fortes pentes pour franchir la montagne : la Sierra Nevada est bien une chaîne en haute saillie et non pas simplement le rebord d'un plateau. Le chemin de fer Central Pacific traverse la crête au col de Truckee, à 2113 mètres au- dessus de la baie de San Francisco. Un des groupes principaux de la Sierra s'élève exactement sous la même latitude que la baie de San Francisco. Là se dresse le mont Lyell (4030 mètres), entouré d'un cortège d'autres pics d'une moindre saillie, mais pour la plupart d'un accès très difficile. Ces hauts sommets, presque toujours striés de neige, offrant même dans leurs couloirs quelques petits glaciers, — les derniers dans la direction du sud, — constituent l'un des beaux tableaux des Alpes californiennes ; mais la passion de l'escalade attire peu de visiteurs dans celle région : presque tous s'arrêtent au bas de la montagne, dans la gorge de la Merced. Cette cluse est le Yosemite, — en indien le « Grand Ours Gris », — un de ces lieux fameux vers lesquels se porte l'admiration universelle, comme vers le Niagara, le Bosphore, le Vésuve. La vallée, au fond presque uni, d'un à deux kilomètres de largeur moyenne, serpente entre des parois presque verticales, s'élevant à 1200, même à 1500 mètres au-dessus de la rivière et surmontées de !! SIERRA NEVADA, YOSEHITE. S51 dûmes granitiques : des promontoires superbes se dressent d'un jet entre les ravins latéraux. A peine quelques talus de débris s'appuient à la base des falaises, mais ils sont couverts de verdure : des forêts de sapins et de cèdres emplissent le fond de la gorge, laissant entrevoir à travers leur branchage des sites que les méandres de la vallée font changer constam- ment. Des cascades plongent du haut des corniches de granit de plusieurs centaines de mètres; l'une d'elles descend de 500 mètres en nappe unie, CAutcs e/'eav puis, rompue sur un rocher, s'enfuil dans une fissure du rocher pour atteindre la vallée à 850 mètres au-dessous du lit supérieur. Dans une gorge latérale, un petit lac, un « miroir » entouré d'arbres, reflète les coupoles des monts dans son eau pure, non ridée par le vent. Une décision du Congrès a distrait du marché des terres à vendre celte merveille du ïosemite, et les monts des alentours, sur un espace de 400000 hectares. Au sud du groupe que domine le Lycll, vers l'extrémité méridionale de la Sierra, se montre le dôme du mont Whilney, le pic le plus élevé des États-Unis, en dehors de l'Alaska : il atteint 4575 mètres, presque 552 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. l'élévation du mont Rose, et dépasse le Cervin ; mais, situé entre le 56e et le 37e degré de latitude, à un millier de kilomètres plus près de l'équateur que les montagnes suisses, il n'a point la même parure de neiges et de glaces; il manque aussi de gazons et d'arbres au-dessous des névés supé- rieurs, et l'ensemble du massif ne présente guère que la masse grise ou rosée de ses coupoles et pointes de granit. Sur les deux versants, la (1ère montagne se montre dans toute sa hauteur : d'un côté s'étendent les plaines basses de Tulare, de 120 mètres seulement supérieures au niveau de la mer; de l'autre, par delà le lac d'Owen, un désert et quelques ran- gées de buttes, se creuse la profonde dépression de Death Valley. Un des affluents de King's River, qu'alimentent les neiges du Whitney et du Tyndall, traverse une vallée d'érosion analogue à celle du Yosemite: c'est le Tehipitee. Le torrent descend d'une hauteur de 540 mètres daos une gorge étroite et boisée que des parois presque verticales dominent, hautes de 750 à 1200 mètres1. Après le mont Whitney, dernier massif .puissant de la Sierra Nevada, la chaîne se recourbe au sud, puis au sud- ouest, s'abaisse au col de Tahachapi, où passe le Southern Pacific Railroad, à 1208 mètres d'altitude, et va rejoindre la chaîne côtière au nord de los Angeles. Grâce à la Sierra Nevada, la chaîne aurifère par excellence de TÀrné- rique septentrionale, la Californie se peupla rapidement. Les filons d'or, tous orientés comme l'axe des monts, se rencontrent dans les roches syéni- tiques, et surtout au contact des diorites et des serpentines. Mais la plu- part des mineurs vont les chercher dans les énormes amas de quartz en débris, formés de blocs de toute forme et de toutes dimensions qui se sont accumulés dans les graviers quaternaires, à la base des monts. Les glaces, qui s'épanchaient autrefois des flancs de la Sierra et qui eurent jusqu'à un demi-kilomètre d'épaisseur1, ont entraîné ces débris jusqu'à la cote de 500 mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. Plus tard, les rivières ont repris tous ces fragments et les ont disposés en couches épaisses de gravois et de sable, que les cours d'eau plus récents ont ensuite découpées en talus distincts. Les grains d'or extraits des quartz primitifs se sont déposés dans ces amas de déblais, puis les érosions successives des eaux les ont repris pour les distribuer çà et là dans les terres riveraines. Dans la partie septentrionale de la Californie, où l'action glaciaire a duré pendant une période de siècles plus considérable, les terrains aurifères 1 John Muir, The Century Magazine, November 1891. f J. Marcou, Géologie de la Californie. SIERRA NEVADA, CHAINE GOTIÈRE. 553 de transport ont en maints endroits une épaisseur de plus de 150 mètres; dans la région méridionale, dont les glaces se sont plus tôt fondues et où les torrents continuent depuis plus longtemps leur œuvre de déblai, les alluvions anciennes ont moins d'épaisseur et les débris aurifères, laissés en arrière par les eaux en raison de leur poids, se retrouvent sur le roc à une faible profondeur au-dessous de la terre végétale. La chaîne du littoral, la Coast Range des Américains, commence en face de l'île Vancouver, qui d'ailleurs pourrait en être considérée comme un fragment maritime. Là, dans la péninsule bien délimitée par l'Océan, le détroit Juan de Fuca et le labyrinthe du Puget Sound, se dresse le massif presque isolé du mont Olympus, haut de 2480 mètres; il se compose de trois chaînons boisés s'orientant du nord-ouest au sud-est1 et se prolon- geant au sud par un simple faîte de partage, qu'interrompent cepen- dant la rivière Chehalis et le fleuve Columbia. Au sud de l'estuaire, la rangée reprend avec plus de régularité, mais bien inférieure en altitude à la Sierra Nevada, comme un simple satellite de la grande chaîne : sa hauteur moyenne ne dépasse pas un millier de mètres. Les Umpqua, les Calapooya, les montagnes de Rogue River, les Siskiyou se succèdent du nord au sud, mais leurs arêtes s'entremêlent bizarrement, et dans le voisi- nage du Shasta des chaînons latéraux se confondent avec la Sierra Nevada. La chaîne Côtière ne se reforme distinctement qu'à l'angle extrême de la rive continentale, au cap Mendocino : dans cette région de la Califor- nie, la profonde vallée du Sacramento divise bien nettement les deux ran- gées de montagnes. Celle de l'ouest, décomposée en plusieurs chaînons, s'abaisse graduellement vers le sud et se termine dans la baie même de San Francisco par des promontoires aigus, contreforts de la montagne Sanla Elena(1524 mètres) et du piton de Tamalpais (792 mètres). L'ensemble de la chaîne Côtière, caractérisé surtout par des assises crétacées, revêtues çà et là de roches d'origine plus récente, montre aussi le noyau de granit par de nombreuses saillies, et des éruptions volcaniques se sont fait jour en divers endroits. Dans les vallées voisines de la baie, notamment près de Napa, d'abondantes sources chaudes, sulfureuses ou salines, jaillissent de rochers brûlés; des amas de boue bouillonnent dans les chaudières fu- meuses. Mais c'est à tort que l'on donne le nom de geysirs à ces jets d'eau el de gaz. Les sources qui s'élancent en sifflant à la hauteur de 5 à 6 mètres, ne sont point intermittentes, et leur température moyenne ne dépasse guère 57 dégrés centigrades. Quant aux fumerolles, elles ne se produisent point 1 The Seattle Press, July 16, 1890. xvi. 70 554 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. spontanément, mais seulement lorsqu'on brise la croûte supérieure du sol. L'activité volcanique de la contrée se réduit donc à peu de chose1. Les chaînes de Coast Range reprennent de l'autre côté de la baie de San Francisco. Une première montagne de roches métamorphiques, le Monte Diablo (1175 mètres), se dresse sans rivale dans l'angle de la péninsule comprise entre les deux ramifications intérieures de la baie, et donne naissance à la chaîne de Contra Costa ou « Contre-Côte », qui se profile vers le sud-est. Un de ses mornes, le mont Hamilton (1554 mètres), devenu fameux par son observatoire astronomique, baignant dans l'air pur des hauteurs, bien au-dessus des fumées de la plaine, domine un panorama grandiose, de l'Océan aux cimes neigeuses de la Sierra. Ce mont n'est pas le plus haut de la chaîne : le point culminant, situé plus au sud, se nomme San Carlos (1517 mètres), terrasse coupée de ravins diver- gents et presque toujours aride ; une légère nuance de vert se montre à peine au printemps sur les longues pentes jaunâtres1. D'autres chaînes s'alignent en échelons le long de la côte ou dans le voisinage, séparées par des vallées longitudinales, mais formant ensemble un large rebord à la plaine méridionale de la Californie où coule le San Joaquin. À l'est du rentrant de la côte formé par le golfe de Santa Barbara, le système des monts côtiers s'unit à celui de la Sierra Nevada par une crête de 2000 à 2500 mètres que traversent des cols nombreux. Les deux chaînes s'entremêlent, offrant des caractères communs et des contrastes qui ne permettent guère de reconnaître l'endroit précis où se fait la transition. Mais la crête qui se continue vers le sud-est, au delà du massif de jonction, doit être considérée dans son ensemble comme un prolongement de la Sierra Nevada ; les formations crétacées qui constituent la chaîne Côtière y font place à des granits de même origine que ceux de la Sierra. En outre, les monts se redressent comme pour rivaliser avec ceux de l'arête majeure. Le piton de San Bernardino, le Grizzly Peak des Américains, appelé aussi Baldy, s'élève à 3557 mètres ; de même que le mont Whit- ney, il se montre dans presque toute sa hauteur sur deux versants, à l'est vers le désert des Mojaves, au sud vers la vallée de Coahuîla, située en contre-bas de l'océan Pacifique. Le San Bernardino se prolonge dans la direction du plateau mexicain en formant les Chocolaté Mountains, que le Colorado contourne à l'orient avant d'entrer dans le golfe de Californie. À l'ouest, le San Jacinto et d'au- tres chaînons s'échelonnent jusqu'au littoral : les îles qui parsèment les 1 Jules Marcou, Bulletin de la Société Géologique de France^ 1885. 1 J. D Whitncy, Geological Survey of California» MONTAGNES, FLEUVES DE L'OUEST. 555 parages avoisinants sont elles-mêmes disposées en chaînes parallèles à celles du continent. Au sud du canal de Santa Barbara, les terres de San Miguel, Santa Rosa. Santa Cruz, ont la même allure que la Sierra de Santa Inez sur la terre ferme; plus au sud, les îlots allongés de Santa Barbara, San Nicolas, San Clémente, Santa Catalina, s'orientent dans le même sens que la Sierra de Santa Ana sur la grande côte ; quelques-uns de ces ilôts et des écueils voisins sont des blocs de basalte rejetés des fonds par des éruptions sous-marines. La ligne bathométrique de 1000 mètres longe de près le socle immergé qui porte ces rochers. Des sources d'huile minérale jaillissent en pleine mer à quelque distance de la côte califor- nienne : l'une a été découverte à l'ouest de Santa Barbara, à moins de 2 kilomètres du rivage; plusieurs autres s'élèvent du fond, de 5 à 8 kilomètres des côtes, au nord du cap Mendocino. Sur le littoral califor- nien, entre Monterey et San Diego, les anciennes lignes de niveau de la mer s elagent de terrasse en terrasse jusqu'à cent mètres de hauteur au- dessus de la grève actuelle1. II EAUX COURANTES, LACS ET BASSINS FERMÉS. La partie la mieux arrosée du versant océanique n'a point de grands fleuves : c'est le petit bassin qui se développe en hémicycle entre les monts Cascades et la chaîne Côtière autour du golfe dit Puget Sound. Chaque vallée verse son torrent et, à son entrée dans la plaine littorale, chaque cours d'eau se présente en rivière imposante : Tune d'elles, le Skagit, qui prend sa source dans le territoire britannique, a 225 kilomètres de cours et s'unit à la mer par deux embouchures navigables ; lorsque les colons arrivèrent dans le pays, ce fleuve, qui traverse de part en part la chaîne des Cascades, était complètement obstrué sur une longueur de 2400 mètres par un « embarras » d'arbres entraînés. La plupart des autres rivières s'ouvrent aussi dans le golfe par de larges estuaires, accroissant encore l'immense réseau de navigation maritime offert par le dédale des passages, détroits, baies, criques et entrées du Puget Sound. On évalue à 5200 kilomètres la longueur développée des itinéraires que peuvent suivre les grands navires de mer dans cette méditerranée aux kbras tortueux, projetée d'environ 150 kilomètres en droite ligne dans l'intérieur du continent. En maints endroits les rochers de la côte baignent leur base en eau profonde et les 1 J. Narcou, mémoire cité. 556 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. plus gros navires peuvent accoster immédiatement au rivage: on trouve près de 400 mètres d'eau dans certaines parties du chenal. De nombreuses îles akÛàSûmètnes couvertes de bois masquent ses baies et parsèment ses détroits; une grande presqu'île, n'ayant qu'un mince pédoncule d'environ 2 kilomètres de rive à rive, occupe environ la moitié du golfe, ne laissant entre sa côte et PUGET SOUND, FLEUVES DU NORD-OUEST. 557 celle du continent que de sinueux bosphores. Cette péninsule, projetée dans la direction du nord, se continue à l'entrée par la grande île de Whidbey, séparée par d'étroits passages du fameux archipel de San Juan, qui devint la propriété des États-Unis après de longues discussions et des menaces de guerre. Si le golfe est empli d'îles, les terres du pourtour sont constellées de lacs. Une faible oscillation du sol dans un sens ou dans un autre aurait pour conséquence de grands changements dans le tracé des rivages. Ces oscillations, ces changements ont eu lieu déjà : les géologues ont con- staté que des glaces ont comblé ces détroits, poussant devant elles les amas de débris qui recouvrent les plaines et les pentes des alentours; ils recon- naissent aussi que les eaux ont formé sur les contours du golfe des ter- rasses de beaucoup supérieures au niveau actuel. On croit qu'après avoir reculé, les flots se portent vers la côte en un retour offensif. Entre le bassin de Puget et le cours de la Columbia, le Chehalis est la seule rivière notable qui descende au Pacifique; ses sources s'entremêlent avec celles qui vont au Puget Sound. Un grand nombre des anciens lacs au milieu desquels serpentent le Chehalis et d'autres rivières appartenant aux deux versants, du Pacifique et de l'estuaire, sont maintenant changés en prairies naturelles, parsemées de bosquets de pins et de chênes. Les Indiens avaient déjà parfaitement reconnu que ces bassins ont émergé à une époque récente et ils montrent les plages et les berges régulières qu'ont jadis formées les eaux; mais ce qu'ils ne pouvaient expliquer et ce qui pendant longtemps fut vraiment incompréhensible, ce sont des buttes rondes, d'environ 10 mètres de large et de 2 mètres de haut, qui hérissent en mul- titudes la surface des prairies. Ce ne sont point des tombeaux, car aucun d'eux ne renferme d'ossements, ni des terriers d'animaux, car on n'y a pas trouvé trace de galeries; on ne saurait non plus y voir des tertres déposés par les sources, car elles ne sont formées ni de boues, ni de con- crétions. Toutes ces mottes consistent en sable et en gravier, sans aucune trace de stratification ni de travail humain. Alexander Agassiz les consi- dère comme des buttes sousrlacustres élevées pendant une longue série d'années par une certaine espèce de poissons qui y déposaient leurs œufs; des formations de ce genre se voient actuellement dans les lacs de la Nouvelle-Angleterre . Sur le versant du Pacifique, le fleuve le plus abondant, grâce à l'étendue de son bassin et à la fréquence des pluies, est la Columbia, qui d'ailleurs n'appartient pas uniquement aux États-Unis. C'est dans le territoire de là Puissance que se trouve presque en entier le bassin septentrional du fleuve, constitué par le massif insulaire des monts Selkirk, forteresse de mon- 558 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. tagnes que limite une immense vallée découpée en forme de losange. La haute Columbia au nord, le Kootenay au sud, prennent leur source dans une même dépression de lacs et de marais, unis par un canal navigable, puis, après un développement total de 700 kilomètres, viennent compléter le fossé de circumvallation non loin de la frontière des États-Unis. Avant d'atteindre celte limite, la Columbia reçoit un affluent très abondant, considéré parfois comme la branche maîtresse du fleuve : Clarke's Fork, ainsi nommée de l'un des deux voyageurs américains qui franchirent les montagnes Rocheuses, puis explorèrent le bassin de la Columbia au commencement du siècle. Clarke's Fork, formée de deux rivières prin- COLUMBIA, SPOKANE. 561 cipales, Hellgate el Flalhead, qui naissent dans le voisinage des hautes sources du Missouri, traverse dans son cours le lac pittoresque des Pend d'Oreilles1, puis, coulant au nord dans une avenue de montagnes, va rejoin- dre la Columbia, qui de son côté descend au sud par une vallée parallèle coupée de seuils rocheux. L'étroit des Petites Dalles, large de 50 mètres seulement, puis quelques rapides, se succèdent en aval du confluent, et « le fleuve plonge en une véritable cascade de 7 mètres en hauteur totale, la Chaudière ou Kettle Falls, ainsi nommée du bouillonnement des eaux. Jadis ce barrage naturel était un lieu de pèche pour les Indiens des tribus voisines; quoique l'obstacle formé par le banc de quartz qui traverse la rivière ne soit pas suffisant pour empêcher la remonte des saumons, il les relarde assez pour qu'on puisse en capturer des milliers. Plus bas, la Columbia glisse encore en rapides, puis au Greal Bend ou « Grand Coude », elle reçoit la Spokane, qui, elle aussi, après être sortie du lac Cœur d'Alêne, a formé de belles cataractes. Le fleuve ne peut se rapprocher de la mer que par des cluses percées à travers les chaînes de hauteurs alignées dans la direction du méridien. Plusieurs brèches s'ouvrirent dans les diverses rangées comprises entre les deux arêtes bor- dières des Rocheuses et des Cascades, mais cette dernière chaîne con- stitue un puissant rempart qui retint longtemps les eaux intérieures du plateau et les força de s'amasser en de vastes bassins lacustres : l'un d'eux, occupant une surface de 40 000 kilomètres carrés environ, existait jadis à l'est des Cascades septentrionales, sous la même latitude que le Puget Sound. Vidé maintenant, ce bassin où se perdaient la Columbia et la Spokane est une grande plaine de laves nivelée par les eaux sur une partie considérable de son étendue et renfermant même dans sa cavité centrale un lac fermé, Moses Lake, où se perdent quelques petits affluents. De sinueuses brèches s'ouvrent dans l'épaisseur du plateau de lave : ce furent autant de « coulées » où passèrent les eaux fluviales et auxquelles on a conservé ce nom, quoique les fonds en soient maintenant desséchés et salins. Telle est la Grande Coulée, val de 5 kilomètres en lar- geur moyenne, dominée par des parois basaltiques de 250 mètres; les éle- veurs de bétail y possèdent de magnifiques troupeaux. Comme il arrive dans la plupart des anciens bassins lacustres, le fleuve ne développe point son cours dans les parties centrales de la plaine qu'il recouvrait autrefois de ses eaux, mais il la contourne, au nord et à l'ouest, en suivant de près la base orientale de la Cascade Range, dont il franchit les racines * Prononcé Pan-do-ray par les Américains. ! xn. 71 i i i 5C2 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. par autant de chutes ou de fuyants. De son côté la rivière confluenle, Snake River ou Lewis Fork, la Sahaptin des Indiens, appelée aussi Soulh Columbia, longe un autre massif de montagnes, au sud de la plaine, pour rejoindre Clarke's Fork en amont de la brèche de sortie. Le haut bassin de Snake River est aussi en grande partie le fond d un ancien lac, qui se prolongeait sur un espace de plus de 600 kilomètres de l'est à l'ouest, à travers tout l'État d'Idaho jusque vers le milieu de l'Orc- gon : du nord au sud la largeur de cette plaine nivelée par les eaux dépasse 100 kilomètres en moyenne. Aucun grand sommet ne s'élève sur le fond de la mer asséchée; on n'y voit que des buttes de formations arehéennes, et çà et là des coupoles de roches éruplives, qui probablement domi- naient en archipels la surface des eaux. Les sables, les argiles, et, sur quelques plages, des croûtes de silice racontent à grands traits l'histoire du bassin lacustre : ses eaux étaient douces et riches en vie animale, surtout en mollusques ; les poissons cyprinoïdes y étaient fort communs, de même que les ganoïdes, analogues aux « poissons armés » qui vivent encore dans le Mississippi ; des arbres d'une flore semi-tropicale ombrageaient les rives du lac, et des éléphants, des chameaux, des équidés venaient y boire. Le dessèchement du lac correspondit aux modifications du climat, qui ont fait de l'ancienne étendue lacustre une plaine grise, aride, où les sables alternent avec les touffes d'armoises, et pendant que s'accomplissaient les changements du climat et de la végétation, les volcans qui se dressent en bordure à l'est du bassin y déversaient ces nappes de lave qui occupent une si vaste étendue dans le bassin de la Columbia. Les affluents supérieurs de la « rivière aux Serpents », qui s'entremêlent dans les hautes brèches des montagnes Rocheuses avec les branches mai- tresses du Missouri, du Yellowstone, du Colorado, descendent du nord, de l'est, du sud-est vers le centre d'un vaste amphithéâtre ouvert au sud-ouest du Parc National et s'y unissent en un torrent déjà fort abondant lors de la fonte des neiges, surtout en juin et juillet. Celui des courants supérieurs qui garde le nom de Snake River jusqu'à sa source naît dans le cœur des Wind River Mountains, sur les pentes de l'Union Peak, et contourne au sud le massif des Tétons pour s'échapper par de profondes cluses. Un autre affluent, Henry's Fork, sort d'un lac marécageux, d'où l'on peut se rendre aux sources du Madison par un col de prairies, Taghee Pass (2153 mètres), ouvert seulement à 180 mètres au-dessus; au nord-ouest du lac Henry, une longue fissure, dominée par des parois volcaniques de 200 mètres, est emplie par les eaux d'un autre lac, le Cliff Lake, en forme de méduse aux bras multiples. Ce bassin n'a aucune issue visible, COLUMBIA, SNAKE RIVER. 563 et Ton ne sait pas de quel côté il s'écoule, vers la rivière des Serpents ou vers le Madison, par-dessous les basaltes. Au sud-ouest dans la plaine, un de ces cours d'eau mystérieux, Godin ou la « Rivière Perdue », Lost River, s'enfuit dans une fissure des laves : à une soixantaine de kilo- mètres en aval, des sources puissantes, qui jaillissent dans le lit môme de Snake River, sont probablement la réapparition des eaux engouf- frées. D'autres galeries formées dans les couches de scories dures par l'écoulement des laves d'une haute température servent de passages sou- terrains aux rivières Camas et Medicine Lodge : il en existe aussi que remplissent des amas de glaces ne fondant pas en été. En aval de la jonction des hauts torrents, Snake River coule d'abord au sud, puis au sud-ouest, dans l'ancien bassin lacustre qu'ont empli les laves basaltiques et continue par l'ouest à décrire cette demi-circonférence complète par laquelle sa vallée rejoint celle de la Columbia. En descendant du cirque supérieur, la rivière creuse de plus en plus profondément son lit dans les couches de basalte, et vers Rock Creek, là où le lit fluvial décrit sa courbe la plus avancée vers le sud, les parois de lave entre lesquelles le courant s'ouvre un passage ont plus de 200 mètres en hauteur. Mais la coupure ne s'est pas encore faite de manière à donner à la rivière un lit régulier; déjà plusieurs chutes ont interrompu le cours supérieur, et en cet endroit une nouvelle cataracte, la plus grandiose de toutes, abaisse sou- dain de 46 mètres le niveau de la rivière. Jusqu'à l'arête même du gouffre la plaine garde une horizontalité parfaite, et de l'autre coté de l'abîme on la voit se continuer uniforme. En bas, l'eau verte se brise sur des rochers et serpente entre des îlots de trachyte, puis s'abat d'un jet du haut d'une corniche en fer à cheval comme celle du Niagara : c'est le Shoshone Fall. De l'eau brisée monte incessamment une colonne de vapeur qui s'élance hors du gouffre et dépasse encore d'une centaine de mètres le niveau de la plaine : parfois la brise, qui tantôt descend, tantôt remonte, recouvre d'un voile la vallée, rejette le brouillard dans le gouffre et cache sous un voile grisâtre le courant d'aval ou celui d'amont. Des piliers, des contreforts, des obélisques se dressent à droite et à gauche du courant, à demi déta- chés des falaises de trachyte; çà et là des valleuses descendent en étroites coupures de la plaine supérieure, emplies de plantes toujours vertes. Des ravines, le plus souvent sans eau, s'unissent de distance en distance à la gorge profonde de Snake River; l'affluent principal est le torrent d'Owyhee, qui rejoint la grande rivière à l'endroit où, prenant la direction du nord, elle sort de l'ancien bassin lacustre pour traverser la région acci- dentée que domine à l'ouest la chaîne des Rlue Mountains. Elle coule ainsi 564 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. dans une fissure longitudinale sur un espace de plus de 500 kilomètres, el reçoit des montagnes Rocheuses les deux grands cours d'eau appelés Salmon River et Clearwater avant d'entrer dans la plaine d'aval où elle se reploie vers l'ouest et où se fait sa jonction avec la Golumbia du nord; mais elle a déjà reçu la Palouze, « rivière aux Pelouses », fameuse par une superbe cascade de près de cent mètres en hauteur ; un autre affluent, la Yakima, descendu des flancs du mont Rainier, rejoint le fleuve à quelques kilo- mètres en amont. Presque toutes les eaux du bassin sont réunies dans le chenal commun, qui prend alors sa direction définitive vers le Pacifique, mais n'a pas encore les allures tranquilles d'un fleuve arrivé dans la partie inférieure de son cours : pourtant la Golumbia a déjà plus d'un kilomètre de largeur et ne se trouve qu'à 125 mètres au-dessus du niveau marin. La première dénivellation brusque se fait dans la gorge des « Chutes » (Chuttes, Deschuttes), où la Columbia, resserrée entre des parois de basalte, brise son courant contre une chaussée naturelle de grosses pierres : la rivière, qui vient du sud en cet endroit, longeant la base orientale des monts Cascades, et qui est elle-même interrompue de cataractes, a pris ce nom, Deschuttes, du fleuve brisé dans lequel tombent ses eaux. De même, la chaîne des Cascades doit son appellation à la série de degrés par lesquels s'abaisse la Columbia en traversant ses roches. Le fleuve s'en- gage d'abord dans un couloir aux parois noirâtres, murs énormes de basalte sciés par le courant pendant la durée des âges : ce sont les Dalles. A l'endroit le plus resserré, la distance de rive à rive est de 50 mètres seule- ment; mais, lors des crues, le fleuve gagne en hauteur ce qui lui manque en largeur et parfois il s'élève de 19 mètres : les canots ne se hasardent qu'avec précaution dans cette formidable cluse, parsemée de rocs. À une cinquantaine de kilomètres en aval se fait la percée des Cascades propre- ment dites, rapides dangereux, dominés par les escarpements en falaises des laves qu'épanchèrent les volcans voisins. La chute supérieure, qui a plus de 5 mètres, se continue, sur un espace de 5 à 6 kilomètres, par des rapides grondant entre les rochers. Les Indiens disent que la chute infé- rieure de la Columbia est de formation récente : autrefois le fleuve aurait coulé tranquillement sous un immense portail de basalte arrondissant son arche de rive à rive ; lors d'une éruption du mont Àdams, la porte se serait écroulée, élevant de ses débris un îlot de rochers et forçant ainsi le fleuve à s'exhausser et à s'élargir en amont : telle serait l'origine de la cascade. Un fait rend cette tradition plausible : au-dessus de la chute, on distingue sous l'eau de la Columbia les restes d'une forêt de sapins (abies Douglassii), dont les troncs sont encore fortement enracinés dans COUHBIA, WILLAMETTE. 565 le sol : à moins d'expliquer l'existence de cette foret sous-fluviale par un affaissement du sol, on ne peut s'en rendre compte que par l'exhaus- sement des eaux. Un canal de grande navigation contourne actuellement les chutes par la rive méridionale, passant à la base d'un talus élevé qu'on appelle le « Mont qui marche », Travelling Mountain, et qui « marche » en effet, grâce aux sables de ses couches inférieures, humec- tées el entraînées par les eaux. En aval des cascades et d'un rocher de basalte isolé, le cap Hoorn, à 165 kilomètres de l'Océan, commence le cours uni de la basse Columbia. Au sud, la rivière de Willamette, — jadis Wah la math, — également navi- gable dans sa partie inférieure, lui apporte de chute en cbute les eaux de la vallée longitudinale comprise entre la chaîne des Cascades et Coast Range. Au confluent, le fleuve, large de plusieurs kilomètres, est déjà sous l'influence des marées. Il se rejette encore vers le nord pour trouver an passage à travers la chaîne cdlière, puis s'unit à la mer par un estuaire obstrué de bancs de sable. Des passes qui furent très dangereuses tant que des balises n'indiquèrent pas exactement le chenal, permettent aux grands navires de franchir la barre à marée haute : tel est le dédale des bancs dans la baie intérieure de la Columbia que, en 1788, le navigateur 566 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. anglais Meares, ayant déjà franchi la barre extérieure, ne reconnut pour- tant pas la bouche du fleuve et crut pouvoir en nier l'existence1. Des rivières à faible cours, l'Umpqua, la Rogue River, — ou rivière des « Coquins », ainsi nommée de ses riverains d'autrefois, les Indiens Klamath, — prennent leurs sources sur le versant occidental des monts Cascades et traversent la chaîne côtière pour atteindre l'Océan ; mais le Klamath, cours d'eau plus considérable, naît beaucoup plus loin sur le plateau qui s'étend à l'est de la chaîne des Cascades : sous le nom de Sprague, il sort de l'un des lacs qui emplissent les cavités du plateau, puis il va rejoindre la chaîne des lacs Klamath qui s'allonge sur le revers oriental des monts, s'épanche par une. brèche de la chaîne au sud de la rangée transversale des Siskiyou, et finit par atteindre la mer après une succession de défilés et de brusques détours. La profonde découpure de la « Porte d'Or », entrée du golfe et du port de San Francisco, sert d'embouchure aux eaux intérieures de la plaine de Californie, artérioles et artères qui se réunissent dans les deux grands courants du Sacramento et du San Joaquin, descendant des monts à la rencontre l'un de l'autre. Le Sacramento naît dans le voisinage du mont Shasta, à l'extrémité de la dépression qui forme l'axe de la vallée, mais l'affluent le plus considérable, plus long que la branche maîtresse, est Pit River, issu des lacs du plateau : le Goose Lake, sur la frontière commune de l'Oregon et de la Californie, constitue le plus haut réservoir du bassin. Le Pit traverse les vastes champs de laves et de cendres qui séparent les deux massifs du Shasta et du Lassen, puis s'unit au Sacra- mento, déjà puissante rivière. Plus bas, chaque vallée de la Sierra Nevada et de la Coast Range lui envoie son torrent aurifère, entre autres la Plumas ou Feather, la Yuba, l'American, que des lavages d'or, bien supérieurs en richesse au Pactole de Lydie, ont rendus fameux. Dans la partie inférieure de son cours, le Sacramento, presque dépourvu de pente, erre en méandres dans la plaine, laissant à droite et à gauche tout un lacis de lacs annulaires et de bayous, et déplaçant à chaque crue ses berges et le fil de son courant. Le San Joaquin, qui coule sous un ciel 1 Hydrologie du fleuve Columbia : Longueur approximative 2 090 kilomètres. Superficie du bassin, d'après Gannett. . 560 830 kilomètres carrés. Débit approximatif. 6 000 mètres cubes par seconde. Cours navigable (sans les affluents). . . . 935 kilomètres. SÀCRÀMENTO, SAN JOAQUIN, COLORADO. 567 moins pluvieux que celui de la Californie septentrionale, roule aussi moins d'eau que le Sacramento et son cours est moins long. La partie perma- nente de t£ fleuve commence au sud du massif de Lyell, dans la Sierra Nevada. Le torrent se reploie ensuite par une longue courbe vers la vallée centrale et descend vers le déversoir commun. Suivant les saisons, le bassin du San Joaquin varie d'étendue. Après les fortes pluies, il reçoit un affluent sorti du Tulare, — mot aztèque ayant le sens de « roselièrc » ou de « marais », — et de plusieurs autres bassins lacustres du cirque mon- tagneux de la Californie méridionale ; mais pendant les sécheresses l'émis- saire tarit, et le Tulare, de même que les autres dépressions du voisinage, devient un bassin fermé dont l'eau s'évapore peu à peu, divisant la nappe deau en plusieurs flaques secondaires. L'examen géologique de la contrée prouve qu'elle est en voie de dessiccation. Le Tulare appartenait jadis d'une manière permanente au versant du San Joaquin, il finira par en être complètement distinct. Au sud de la baie de San Francisco, les rivières littorales, pauvres en eau, ne sont que des ouadi. Le fleuve du sud-ouest des Étals-Unis se déverse, non directement dans le Pacifique, mais dans un de ses golfes, la « mer Vermeille ou de Californie » : c'est le Colorado. Ce cours d'eau, très consi- dérable du moins par la longueur de sa coulière, n'a son nom castillan, — «Fleuve Rouge », — que dans la partie moyenne et inférieure de sa vallée, là où les Espagnols avaient pénétré jadis; ses rivières supérieures, explo- rées seulement à une époque récente, sont connues sous d'autres dénomi- nations. La branche maîtresse la plus septentrionale, Green River, naît dans les Wind River Mountains, précisément. dans le massif de l'Union Peak d'où l'eau coule au nord-est vers le Missouri, au nord-ouest vers la Columbia. Simple torrent des montagnes, Green River, alimenté dans ses combes supérieures par des neiges fondantes, coule à plus de 1800 mètres d'altitude, et se maintient longtemps sur des plateaux de 1500 mètres en hauteur moyenne, qui furent autrefois recouverts par une mer intérieure. Il s'en échappe par des cluses profondes, ouvertes à travers les monts d'Uintah, puis à travers les Roan Cliffs; plusieurs affluents venus des sommets du Colorado l'ont gonflé dans cette partie de son cours, mais il se trouve presque doublé quand, au fond d'une gorge de rochers, il s'unit à Grand River, sorti des montagnes si riches en métaux que l'on exploite à Leadville et près de Denver. A la jonction de Grand River, le cours d'eau, qui prend désormais le nom de Colorado, creuse de plus en plus profondément le fameux « canon » du Colorado, type par excellence de ces fossés dans lesquels 508 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. coule un fleuve. Le mol espagnol de canon, introduit par les Américains dans ia nomenclature de la géographie physique, s'emploie quelquefois indistinctement pour des gorges très différentes de formation et d'aspect; mais il ne devrait "* "r ~ *amxa °" a™*™- servir que pour dé- signer les défilés ou cluses creusés peu à peu par les eaui d'une rivière et sans l'aide des pluies on des autres agents mé- téoriques. Les proprement dits m se trouvent guère que dans les pays où précipitation hi est très faibli genre de coulions fluviales est la règle dans les montagw» m Rocheuses et les pb> | tcaux compris entre leurs chaînes bofc dières, tandis qu'en d'autres contrées; notamment dans les montagnes calcaii du Jura, il est du à-; des causes locales. Lç] canon normal a étfj formé parties soui abondantes qu' , s»™ mentent di o iu ku. neiges et dont l'f descendue de teurs considérables, entame profondément la roche pour se creuser t lit régulier. Le pays que parcourt la rivière n'étant que très faiblement érodé par les pluies, l'action de l'eau ne se produit que verticalement sur le Ht qui la porte et l'érosion se fait « à pic », pour ainsi dire, jusqu'à CrtTOrt de Bocher, d'aprts une photographie romimm CAflONS DU COLORADO. 571 ce que le courant ait atteint sa vraie ligne de pente1. D'ailleurs, les exhaussements du sol peuvent avoir contribué au phénomène de l'excava- tion : que les terres s'élèvent, et le fleuve s'abaisse d'autant pour main- tenir son niveau, « comme une scie fend un tronc de bois que soulève la plate-forme du chariot*. » Il semble que les choses se sont en effet passées ainsi pour le Colorado : ce fleuve existait avant les montagnes qu'il a percées3. Les géographes ont divisé la cluse d'érosion en plusieurs canons secon- daires de l'amont à l'aval, Cataract Canon, Narrow Canon, Glen Canon, Marble Canon et Grand Canon, celui-ci le plus long de tous, — 350 kilo- mètres. — La partie septentrionale du canon, au sud du plateau de Kaibab, l'emporte sur tous les autres sites par son élrangeté grandiose. Le fond du lit fluvial est à 1500, même 1800 mètres au-dessous des arêtes du rebord, mais les parois ne sont pas restées verticales : entaillées profon- dément de manière à former d'énormes cirques latéraux séparés par des promontoires, elles se dressent en piliers, en tours énormes ceinturées de roches stratifiées, toutes différentes par les dimensions, les pentes et les couleurs. Dans cette région du parcours fluvial, le canon s'ouvre largement vers le ciel, la distance d'un bord à l'autre varie entre 8 et 20 kilomètres : les érosions ont déblayé la masse énorme de rochers qui manque entre les escarpements opposés. Il n'existe pas sur la terre de coulière fluviale où le phénomène de l'érosion se voie d'une manière plus grandiose ; les dimen- sions prodigieuses du gouffre excavé, la disposition architecturale des assises, « Babels entassées sur Babels », les arêtes vives qui se décou- pent sur le ciel bleu, la couleur éclatante des roches que ne cache aucune végétation, la bizarrerie des sculptures colossales qui ornent les puissantes façades de grès, de marbre, de granit ou de laves, tout cet ensemble, qui varie d'aspect à chaque heure du jour, à chaque détour du fleuve, est d'une grandeur et d'une étrangeté sans rivales. On comprend les souve- nirs d'admiration mêlés d'effroi que les géologues rapportent de leurs études dans le Grand Canon, surtout ceux qui ont descendu le courant du fleuve, comme perdus au fond de l'abime, sur sa sombre nappe d'eau coupée de rapides. En 1867' déjà, le mineur White, poursuivi par des Indiens, s'était em- barqué sur un radeau avec un compagnon et s'était confié au courant inconnu ; son camarade se noya dans un remous, mais il réussit à sauver 1 Jules Marcou, Bulletin de la Société Géologique de France, 1885. * C. E. Dulton, TerUary HUtory ofthe Grand Cation District, * J. W. Powell, Exploration of the Colorado River. i 573 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. sa vie'. Deux années après, Powell se hasarda de nouveau sur les eaux du gouffre pour se laisser porter par le flot jusqu'à la sortie. Vingt années plus tard, des ingénieurs recommençaient le même voyage en vue de la construction d'un chemin de fer qui passerait au fond de la gorge; mais leur première tentative ne réussit point : après avoir perdu son chef et deux bateliers, la compagnie des explorateurs dut revenir péniblement par les plateaux au point de départ. Quelques mois après, elle reprenait sa roule avec un nouveau matériel de bateaux construits spécialement pour cette étrange navigation, et cette fois Stanton était assez heureux pour descendre le fleuve, de Grand Junction, c'est-à-dire du confluent de Grand River et de Gunnison River, à l'embouchure du Colorado dans le golfe du Mexique. Sur les 800 kilomètres du parcours dans le canon proprement 1 Pctcrmann'i Mittheilungen, 1869, Heft I. CAtiONS DU COLORADO. 573 dit, le fleuve n'a pas un seul écroulement vertical comme le Niagara; la descente totale du courant, de 1280 mètres, se décompose en 520 rapides, chutes ou cataractes, variant sans" cesse de forme, de direction et de vio- lence suivant les crues et les sécheresses. 11 serait impossible de franchir en bateau tous ces espaces difficiles : en maints endroits, il faut s'arrêter en amont des rapides, et transborder tout le chargement en escaladant les rochers, puis porter les embarcations elles-mêmes, à moins de les laisser fuir avec le courant pour les repécher en aval el en réparer les avaries ' ; on se sert ^ M _ „,„„„. OT BI0 „„,„. maintenant de petits vapeurs démontables. Dans son parcours au fond des gorges, le Colorado reçoit des rivières latérales, cou- lant comme lui à une grande profondeur dans la masse du plateau, et dominées à leur confluent par des bastions angulaires ou même des pyramides complètement détachées des terrasses avoisinantes : les brusques détours des cours d'eau ont découpé la roche en énormes îlots presque inaccessibles. Little Colorado, un des principaux affluents, vient du sud-est, passe à côté du volcan de San Francisco et rejoint le fleuve entre le Marble Canon et le Grand Canon. Plus bas, le Kanab Wash descend de grottes au porche ma- jestueux s' ouvrant au-dessous du plateau de l'IItah, et plonge d'abîme en abîme vers la partie la plus profonde du Grand Canon. Le rio Virgen (Virgen River), né sur le même plateau, est d'un flot plus abondant : ce cours d'eau, coulant dans une fissure de 700 mètres en profondeur, s'unit au Colorado, non loin de la courbe où le fleuve, abandonnant la direction maîtresse du canon, de l'est à l'ouest, commence à couler vers le sud, au golfe de Californie : c'est aussi à une petite distance en aval que le Colorado, enfin calmé, devient navigable aux bateaux à vapeur. Le fleuve glisse encore entre des parois de rochers et des collines, enfermant çà et là des vallées verdoyantes, puis son flot se déroule dans le désert entre des plateaux argileux. Des cavités semi-annulaires, des lacs, des mares, 1 Robert Rrewster Slanlon, Through the Grand Canon of the Colorado. 574 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. des salines bordent le cours du fleuve : ce sont d'anciens lits abandonnés pendant les sécheresses et parfois repris par les inondations. Récemment on vit un de ces lacs grandir soudain, inonder au loin ses rivages : le déblayement d'un seuil de débris par les eaux de crue en avait fait un réservoir pour l'excédent liquide du gmnd fleuve. Un bras du Colorado, New River, d'ordinaire à sec et marqué par des sables mobiles et des rideaux de mezquites, contourne au sud les promontoires des Chocolaté Mountains et se dirige à l'ouest vers la vallée de Coahuila, ancien fond marin que l'évaporation a privé de ses eaux et dont les creux se trouvent maintenant à une soixantaine de mètres au-dessous du niveau de la mer. A plusieurs reprises, le Colorado détacha un effluent vers cette dépression latérale et les crues du fleuve s'épanchèrent dans le réservoir : les traditions indiennes le rapportaient, des explorateurs l'ont constaté plusieurs fois, et les croûtes calcaires remplies de coquillages fluviatîles qu'ont déposés les eaux prouvent ces visites périodiques du Colorado. Si le courant se maintenait dans la direction de l'ancien golfe de Coahuila, il se formerait une mer intérieure d'environ 160 kilomètres sur 40 kilo- mètres. Ce bassin lacustre, d'une superficie presque décuple de celle du Léman, deviendrait bientôt un lac salé, à cause du manque d'émissaire emportant l'excédent des matières salines; mais le travail de l'homme pourrait facilement régler le régime fluvial en dirigeant les eaux fécon- dantes de la crue; des canaux d'irrigation transformeraient en une cein- ture de végétation magnifique les pentes actuellement désertes de l'ancien golfe océanique1. Des volcans de boue, de salses et de fumerolles de soufre s'élèvent dans le voisinage de la diramation fluviale. Le Gila, le seul grand affluent du bas Colorado, naît dans le Nouveau- Mexique, à plus de 600 kilomètres en droite ligne de son embouchure. 11 reçoit un grand nombre de tributaires, mais plusieurs de ces affluents, traversant une région déserte où les pluies sont rares, coulent par inter- mittences, ou même, quand leur courant est continu, le cachent sous les sables : tel est le rio Santa Cruz, qui prend sa source dans la Sonora mexi- caine et passe à Tucson, la métropole de l'Ârizona : il disparaît plusieurs fois dans son lit de sable pour sourdre en passant sur les bancs de rochers, puis tarit en entier*. Diminué lui-même par la sécheresse et ne recevant aucun affluent dans la partie inférieure de son cours, le Gila n'arrive au Colorado que très appauvri, et en moyenne il n'a pas plus 1 Fremont ; — Petermann's Mittheilungen, 1879 ; — J. W. Powell, Scribner's Magazine, oct. J89I . * Alph. Pinart, Bulletin de la Société de Géographie, juin 1876. COLORADO. NEW RIVER, GILA. 575 de 45 mètres de largeur à son embouchure. Le Colorado varie de 200 à 800 mètres entre les rives. Dans toute la partie basse de son lit, il ne coule que sur un fond de boue changeante, où les bateaux à vapeur s'envasent presque toujours à la K° 180. — NOUVEAU LAC DE LA VALLÉE DE COAHUILA. d'Après Cecil Stepheps C. Perron 1 : 1800 000 0 -H 100 kil. montée ou à la descente. Le courant moyen, dans la saison des maigres, ne dépasse pas 4 kilomètres par heure, mais il s'élève à 9 et 10 kilomètres pendant les crues, qui commencent en mai ou juin et qui sont parfois très destructives. Le Colorado n'a point de delta : il s'élargit peu à peu et s'ouvre vers le golfe en un entonnoir régulier où des bancs de sable ne laissent pas une épaisseur liquide de plus de 3 mètres. La marée qui passe à 570 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. par-dessus cette barre et qui relève le niveau fluvial de 5 ou de 5 mètres, même de 7 à 9 mètres dans les malines, remonte le fleuve en forme de mascaret : les rouleaux, hauts de 1 à 2 mètres, précèdent le flux et vien- nent se briser avec fracas sur les rivages1. Cette partie du cours* ftf l'on s'étonne de voir encore la propriété du Mexique, comme si les ricains, dictant le traité de Guadelupe Hidalgo, avaient ignoré Yh tance de cette embouchure, était déjà bien connue des navigateurs gnols. C'est le rio de Buena Guia, découvert par Âlarcon en 1540; oi donne aussi les noms de rio del Coral, et les Pima l'appelaient Aquimuti*. Des étendues considérables de la région des Rocheuses se trouvent: jours sans écoulement vers la mer et constituent des bassins fc presque tous, sinon tous, appartinrent jadis à des versants flç Au nord, dans l'Oregon, ces dépressions sont encore à l'état entre l'isolement et l'écoulement vers un fleuve : il suffirait d'une modification du climat pour changer le régime des eaux. De noi lacs appartiennent encore aux bassins du Klamath, du Sacram< la Columbia, mais une dénivellation de quelques mètres en ferait:! réservoirs d'eau saline comme les Alkali Lakes et Àbert Lake, nommé en souvenir d'un explorateur du plateau. Plus au sud, l'ei des cuvettes où l'évaporation l'emporte sur la précipitation a refll l'explorateur Fremont le nom de « Grand Bassin » (Great quoique la dépression générale se compose d'une multitude de sions juxtaposées. Cette aire, dépourvue d'effluents, est disposée en de triangle entre le versant colombien de Snake River au nord, celt Colorado à l'est et au sud-est, enfin celui des divers fleuves col la Californie à l'ouest et au sud-ouest. La plupart des bassins liers sont séparés par ces chaînons de montagnes qui se succèdent 1 échelons sur le plateau et lui donnent son aspect caractéristique. Ejl dépressions intermédiaires sont autant de vallées communiquant de di* tance en distance ou même s'unissant en larges plaines aux endroits oi manquent les rangées montagneuses. L'altitude des divers compartiments 1 Longueur approximative du Colorado : 2500 kilomètres. Superficie du bassin, d'après Gannett 660 580 kilomètres carrés. Débit approximatif, d'après Thompson : maximum 1396 mètres cubes; minimum SI 4 mètres cubes; moyenne 500 (?) mètres cubes par seconde. 1 M. Orozco y Berra, Apuntot para la hietoria de la Geografia en Mexico* BASSINS FERMES DE L'OUEST. Ï.79 varie beaucoup : tandis que ceux du nord ont une hauteur moyenne de 1500 mètres et se relèvent en dos d'àne entre le Pyramid Lake et le Grand Lac Salé, le socle s'abaisse graduellement vers le sud jusque vers l'origine de la péninsule de Californie, ou les creux se trouvent même au-dessous du niveau de la mer. Dans la série des terrasses étagées il est souvent difficile de reconnaître les saillies des cloisons intermédiaires; de même l'ensemble du Grand Bas- sin a des contours indistincts. La limite occidentale est nettement marquée par la crête de la Sierra Nevada. Celle de l'est, indiquée par les rides parallèles des monts Wahsatch, est aussi bien définie dans presque tout son développement ; mais au nord et au sud il y a des espaces nombreux où le faite de partage, très incertain, impossible même à distinguer par la vue, n'a pu être déterminé que par des travaux méthodiques de nivellement. En plusieurs plaines cette ligne de division des eaux reste purement idéale, tandis qu'en d'autres points il suffit d'un ravinement du sol dans un sens ou dans un autre pour modifier les contours de la zone à versants intérieurs. Du nord au sud l'espace fermé n'a pas moins de 1196 kilomètres dans son extrême longueur, et de l'est à l'ouest 580 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. l'extrême largeur dépasse 900 kilomètres : Gilbert évalue la superficie totale du Grand Bassin à 544000 kilomètres carrés, soit un peu plus de la France en surface. Parmi ces cavités juxtaposées, la plus vaste, occupant l'angle nord- oriental de la dépression, est celle dont le fond est encore rempli par la mince nappe liquide du Grand Lac Salé (Great Sait Lake) ; mais le bassin des eaux glaciaires auquel on a donné rétrospectivement le nom de lac Bonneville, d'après un des principaux explorateurs du plateau, était au moins neuf fois plus grand que le lac Salé. Il comprenait aussi le lac d'Utah et toute la vallée du Jordan, ainsi que le lac Sevier; les plus hautes berges où vinrent affleurer ses eaux se trouvent à près de 200 mètres au- dessus de la nappe actuelle du Grand Lac Salé, et de cette grève, supérieure à celles que Ton voit sur les bords des creux encore inondés, d'autres rivages se succèdent en terrasses étagées, assez rapprochés en certains endroits pour former des sortes d'escaliers comme les gradins d'un amphi- théâtre. Les sables des fonds sont mélangés de sels et pendant Tété se recouvrent d'efflorescences blanchâtres : la teneur saline, si forte mainte- nant dans le Grand Lac Salé, s'est évidemment accrue durant les âges géologiques, depuis l'époque où le lac Bonneville, alimenté par les eaux glaciaires des monts environnants, appartenait au bassin de la Golumbia et déversait son excédent liquide par un affluent de Snake River; on en voit encore les traces au défilé de Red Rock, dans Cache Valley, à l'angle nord-oriental de l'ancien lac. Gilbert évalue la surface totale des fonds jadis couverts par la nappe lacustre à 48 000 kilomètres carrés : le lac Bonneville aurait donc été d'une moindre étendue que le lac Supérieur et le Michigan, mais beaucoup plus vaste que l'Erie et l'Ontario1. On n'a pu encore déterminer le nombre des bassins secondaires qui com- posent le « Grand Bassin », à cause du peu de saillie des reliefs dans cer- tains seuils de partage ; mais ce nombre s'élève probablement à une cen- taine. Chacune de ces cuvettes distinctes eut son lac ou le possède encore, le plus souvent réduit à une playa, — nom espagnol conservé par les Américains, — ou à une simple nappe saline, que les variations du climat humectent ou dessèchent, augmentent ou diminuent. Lors de la séparation du lac primitif en plusieurs lacs secondaires, quelques-uns, situés à des niveaux différents, communiquèrent par des cours d'eau temporaires, qui tarirent en même temps que leurs réservoirs. Ainsi, lorsque le lac Bonne- ville se trouva divisé en deux lacs, celui du nord et celui du sud, dont les 1 Grove Karl Gilbert, Lake Bonneville. GRASD LAC SALE, « LAC ;R0SSEYILLE i>. 581 restes sont le Grand Lac Salé et le Sevier, une puissante rivière sortait du premier pour s'épancher dans le second. On en voit encore le lit dans le détroit que forment les montagnes de Simpson à l'est et de MacDowell à l'ouest. Cet effluent du lac septentrional, creusé à travers les argiles d'un dépôt antérieur, n'a moins de 300 mètres de large, en aucun endroit, et ça et là ses berges sont à 1500 mètres de distance l'une de l'autre; la couiière atteint 50 mètres en profondeur. Et sur le bord de cet ancien fleuve, on ne trouve plus une goutte d'eau! Toute la partie nord-orientale de l'ancien lac Bonneville constitue main- 582 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE. tenant une cavité hydrographique distincte, renfermant le Grand Lac Salé cl les autres lacs et rivières de son bassin. Les eaux qui descendent des monts Wahsalch et qui arrosent, à la base occidentale de la chaîne, une Alte de i^j-UJc ent«e les bassins du Gnmd l*r. 5*1* otdulac Sérier étroite zone de cultures, s'unissent dans une coulière inclinée du sud au nord, celle du Timpanogos. Le torrent se jette dans le bassin triangulaire du lac Ulah, qui a donné son nom à l'État colonisé par les Mormons et dont la vaste nappe, d'une faible profondeur, — quatre à cinq mètres, — a pour limite à l'ouest le désert salin ; cependant l'eau reste douce. GRAND LAC SALE. 583 riche en poissons, surtout en truites, grâce à la rivière qui s'en échappe : c'est le Jordan, ainsi nommé par les « Saints des derniers jours », qui fondèrent sur ses bords leur nouvelle Jérusalem. Le « Jourdain » de la Palestine des Rocheuses se déverse dans le Grand Lac «•«.-»> lue. Salé, à l'angle sud-oriental de ce bassin ; du côté de l'est Tiennent aussi les autres affluents, le Weber et Bear River, l'un et l'autre ayant traversé de part en part la chaîne du Wahsatch. Bear Laie, « lac de l'Ours », d'où sort Bear River, est un type comme lac de vallée : jadis beaucoup plus considérable, il se développe en un bel ovale régulier entre deux chaînons parallèles, limité au nord et séparé des marais par une batture de sable en hémicycle. Le Grand Lac Salé se di- ' vise en deux lobes, de l'est et de l'ouest : une de ces ' chaînes comme il en existe tant sur le plateau, se re- dresse au-dessus de l'eau par deux saillies, formant au I nord une péninsule rocheuse, ; au sud la montagne insulaire i d'Antelope (2100 mètres). . - - i Du côté de l'ouest s'étend le ■ '"ww° ■ i désert, blanc d'efflorescences > salines. Le Grand Lac reçoit une quantité moyenne de pluie que l'on [ évalue à 45 centimètres par an; mais en certaines années cette part est j moins forte d'un cinquième, et le niveau du lac baisse en proportion. Les apports des trois rivières affluentes, Bear, Weber et Jordan, provenant sur- tout de la fonte des neiges, se réduisent à presque rien pendant les 584 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. automnes et les hivers secs. Les tentatives que Ton a faites pour mesurer approximativement le débit total des cours d'eau qui se déversent dans le Grand Lac Salé ont donné une moyenne de 168 mètres cubes par seconde: à elle seule, Bear River en roulerait une centaine1. Exploré pour la première fois en 1849 par Stansbury, le Grand Lac est un des réservoirs lacustres les mieux connus, et depuis 1875 les niveaux journaliers et les contours changeants en sont exactement notés. Son altitude moyenne est de 1344 mètres; mais depuis que les Mormons se sont établis dans la contrée, il a grandi deux fois, deux fois il a baissé, et la différence du niveau n'a pas été moindre de 3 mètres 35, ce qui a dû naturellement ame- ner de grands changements dans la forme extérieure d'une nappe aussi peu profonde, s'étalant sur des terrains sans berges : au plus bas, la superficie du lac n'était que de 4530 kilomètres carrés, tandis qu'au plus haut elle s'est accrue de près d'un quart, jusqu'à 5620 kilomètres. A l'en- droit le plus creux on trouve de H à 15 mètres de profondeur, suivant les saisons1; mais l'épaisseur moyenne de l'eau varie de 4 à 7 mètres. Ainsi, dans les années de sécheresse, la contenance du lac n'est pas même la moitié de celle des années humides. La masse liquide équivaut pendant les maigres à celle du lac de Neuchâtel et se trouve doublée dans les périodes de pluies et de neiges. L'intervention de l'homme, utilisant l'eau des rivières pour l'irrigation de ses terres cultivées, aura nécessairement pour conséquence de réduire la surface du Grand Lac Salé et d'en aug- menter les proportions salines, telles d'ordinaire, que le baigneur ne peut s'y plonger en entier. La faune des réservoirs comprend seulement deux espèces, se plaisant dans les eaux salines : une larve de mouche, ephydra, et un crustacé, artemia gracilù*. Le lac Sevier, autre reste de l'ancienne mer, est réduit à des dimen- sions bien inférieures à celles du Great Sait Lake; en 1880, il était presque complètement asséché : le géologue Johnson en traversa le lit de sel. La longue rivière qui s'y perd après avoir décrit une courbe d'envi- ron 500 kilomètres autour d'une chaîne parallèle aux monts Wahsatch, tarit à demi dans la partie basse de son cours et n'apporte au bassin lacustre qu'un flot lent et salin; les autres torrents descendus des 1 WiUard Young, U. S. Geographical Survey* West of the hundredlh Meridian, 1879. 1 Contenance du Grand Lac Salé : En eaux basses. ...... 17 120000000 mètres cubes. En eaux pleines 39 340 000D00 » u 3 G. K. Gilbert, ouvrage cité. LACS DU GRAND DASSIN. montagnes environnantes assèchent dans leurs lits avant d'atteindre le lac, si ce n'est pendant les crues. Un autre bassin lacustre évaporé, moins grand et plus irrégulier de tmc e* tSS0 Cwti 1/36.9 forme que le « lac » Bonneville, est celui auquel on a donné le nom de lac Lahonlan, peu mérité d'ailleurs, puisque le voyageur béarnais donne des contrées parcourues par lui à l'ouest du Mississippi une descrip- tion qui n'offre aucune ressemblance avec la réalité*. Le lac salé dont il parie comme se trouvant à 150 lieues à l'ouest de la « limite de la lion- ■ Bon» de la HrmUui, Mémoire* de l'Amérique Septentrionale, S* édition, Amsterdam, 1738. 586 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. tan », dans le pays des Mozimlik, ne peut avoir été, s'il en eut réellement connaissance, que le Great Sait Lake de nos jours1. La dépression qu'em- plissaient aux âges quaternaires les eaux du lac Labontan est la partie occidentale du Grand Bassin, séparée du lac Bon ne vil le par divers seuils de partage, mais du reste tout à fait analogue à la cuvette orientale par l'altitude et les conditions physiques1. Les lacs qu'a laissés l'ancienne mer de Lahontan et qui n'eurent point d'issue vers la mer ne sont pour la plupart que des fonds vaseux, des « lacs de boue », mud-lake$; plusieurs même ne s'emplissent ou ne s'humectent que pendant une partie de Tannée : le sel y remplace l'eau. On donne fréquemment à ces bassins le nom de $ink$> mot qui implique la perte, la disparition, et qui n'est employé ailleurs que pour les bétoirs des gouffres souterrains : ainsi Ton parle du Humboldt Sink, du Carson Sink, dont les eaux, quand il s'en trouve, ne traversent nullement les argiles de leur lit. Après les pluies, les deux sinks de Humboldt et de Carson ne forment qu'un seul lac; de môme le Pyramid Lake, ainsi nommé d'un roc de son bassin, le Winnemuca Lake et le Mud Lake s'unissent en une vaste nappe d'inon- dation. En maintes dépressions du sol jadis recouvert par le grand lac, s'éten- dent quelques étangs d'eau alcaline et des couches de soude naturelle dont l'humidité s'est évaporée. Mais les réservoirs les plus remarquables en substances chimiques sont deux cratères du désert de Carson, près desquels se trouve le petit hameau de Ragtown ou « Ville des Loques ». Ces bouches de volcans sont les Soda Lakes ou Ragtown Ponds. Le plus grand s'entoure d'un rebord circulaire élevé de 24 mètres au-dessus du sol environnant : à l'intérieur, la nappe d'eau est de 50 mètres plus basse que l'arête des falaises, très escarpées du côté intérieur, et les sondages indiquent au centre du bassin un creux de 44 mètres. Nul doute que ce « lac de soude » ne soit un cratère de volcan, de même que l'autre bassin, maintenant desséché. L'eau qui l'alimente provient de sources souterraines et proba- blement aussi des suintements de la rivière Carson, qui passe à quelque distance, à une quinzaine de mètres en contre-haut. Des milliards de petits crustacés (artemia gradin) et des larves de mouches pullulent dans les boues alcalines du bord. Depuis quelques années des industriels exploitent ces deux lacs, d'où ils retirent en moyenne 750 tonnes de soude par an \ 1 Howard Stansbury, Expédition to the Valley of the Great Sait Lake of Utah. 1 Israël RusseU, Geological History of Lake Lahontan. ' Th. M. Chatard, Bulletin of the U. S. Geological Survey, n* GO. LACS DU GRAND BASSIX 587 A l'ouest du lac Lahontan, le long de la Sierra Nevada, mais sur son versant oriental, se succèdent des lacs très curieux, parce qu'ils indiquent l'étal de transition naturel entre les lacs glaciaires et les bassins de con- centration saline. Le lac Tahoe, vaste bassin d'environ 600 kilomètres carrés qui remplit de ses eaux pures et cristallines un cirque de la Sierra Nevada, Fait partie de ce système des lacs intérieurs, puisque son affluent, le rapide Truckee, descend à l'est sur le plateau et va se perdre dans les coveltes d'évaporation du lac de la Pyramide. Mais par la grandeur et le charme de son aspect le lac Tahoe contraste singulièrement avec les nappes vaseuses de l'aride plateau. Situé à 1890 mètres d'altitude, il reflète dans son eau les pitons verdoyants à la base, blancs à la cime, de. (ont un cercle de montagnes granitiques, plus élevées de 1000 mètres : un des sommets, le Job's Peak, atteint même la hauteur de 5152 mètres, près de 1550 au-dessus du lac. Les torrents qui descendent de toutes parts en cascades par les ravins boisés apportent leur tribut d'alluvions ; cepen- dant la sonde a mesuré dans le creux plus de 500 mètres en profondeur, M* NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. et l'eau garde une merveilleuse pureté : on voit les poissons à 25 mètres au-dessous de la surface. Cinq moraines parallèles d'une grande régularité et séparées par des sillons où dorment quelques mares, aboutissent au lac Tahoe, mais nulle part on ne voit de moraine frontale, sans doute parce Mm. m que les anciens glaciers se continuaient jadis dans le lac par des blocs flottants et que ceux-ci poussaient dans l'eau les pierres entraînées'. D'après Marcou, le lac avait été complètement comblé par les glaces et se serait projeté en dehors de ce bassin dans la gorge du Truckee. Les 1 Le Conte, American Journal af Science, X, 124; — Delesse el de La p parent, Revue de Géo- logie pour 1874 et 1875. LACS TAHOE, MONO. bords du lac Tahoe, parsemés d'hôtels et de villas, sont maintenant un des lieui de plaisance que fréquentent les riches marchands de la Californie. Le lac Mono (2051 mètres) occupe une situation analogue à celle du Tahoe, sur le versant oriental de la Sierra Nevada, dans un ancien cratère entouré de montagnes élevées : les sommets qui le dominent a l'ouest et au sud, tels que le Dana, le Lyell, le Rilter, sont les monts neigeux de l'autre côté desquels s'ouvre la profonde vallée du Yosemite. A l'époque qua- 590 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ternaire, le lac Mono reçut aussi de nombreux glaciers, comme le lac Tahoe, dans la même période géologique de son histoire. Plusieurs glaciers écroulés des névés de la crête sur la pente brusque des parois projetaient leur langue jusque dans les eaux, poussant devant elle les pierrailles du lit glaciaire : ces débris ont partiellement comblé le bassin, profond de 46 mètres seulement à l'endroit le plus creux. Le lac Mono n'a point d'émissaire qui s'épanche à l'est dans une cavité du Grand Bassin : aussi l'eau en est-elle saline; on y a trouvé 5 pour 100 de sel ; ni poissons, ni mollusques n'y vivent, mais les larves d'une espèce de mouche y pullulent et les Indiens Paï Ules viennent en faire provision pour l'hiver. Une fume- rolle déroule ses vapeurs sur une île du lac et, dans le voisinage, des cen- taines de blancs écueils, pareils de loin à une volée de pélicans, pointent hors de l'eau : ce sont des buttes calcaires déposées par des eaux thermales. Une rivière, qui nait immédiatement au sud des parois méridionales des montagnes riveraines, s'écoule au sud-est, parallèlement à l'axe de la Sierra Nevada, et se perd, après 200 kilomètres de cours, dans un autre bassin lacustre, Owen's Lake, qui dut ressembler jadis au lac Mono. H est situé précisément sur le revers du mont Whitney, et reçut aussi des glaciers versés par cette haute montagne; mais, privé maintenant de l'humidité suffisante, il s'est rapetissé, ses eaux sont amères et il n'oc- cupe plus dans sa longue vallée qu'une superficie de 285 kilomètres carrés; il n'a qu'une profondeur de 15 à 16 mètres. Le seuil par lequel s'échappaient jadis les eaux surabondantes, du côté du sud, se trouve à peu près à la même altitude au-dessus de la surface actuelle du lac. De tous les bassins lacustres des États-Unis, le lac d'Owen est celui qui contient la plus forte proportion de soude : d'après Loew, 220 millions de tonnes. La région volcanique des alentours est fréquemment agitée par de violents tremblements de terre. Au sud-est s'étendent les solitudes mornes qui descendent vers le Colorado. De tous les bassins fermés des États-Unis, celui des Mojaves, que limi- tent au sud-ouest les monts San Bernardino et leurs prolongements, mé- rite le mieux le nom de « désert ». Le lit, que l'on a habitude d'appeler Mojave River, est presque toujours desséché et l'eau n'y coule, après les pluies, que sous une couche de sable. Le Soda Lake ou « Lac de Soude » auquel vient aboutir ce lit serpentin, n'est qu'une couche de sel impur au-dessus duquel se joue souvent le mirage, figurant une nappe d'eau bleue, entourée de forêts et de villes. D'autres cavités salines se creusent en divers endroits du désert. Quelques peupliers, des saules, alimentés par les eaux souterraines, bordent le lit de la rivière cachée ; mais, dans tout V LACS ET.GLIMÂTS DES ROCHEUSES. 591 le reste de son étendue, la plaine, couverte d'efflorescences blanchâtres, n'a d'autre végétation que l'espèce de yucca dite « bayonnette espagnole », des armoises puantes et des cactus. Enfin, l'un des fonds salins, qui a reçu le nom de Death Valley, « Vallée de la Mort », occupe une sorte de canon qui, à une époque géologique antérieure, fut le lit d'un fleuve comme le Colorado, probablement celui qui se perd maintenant dans le lac de Soude : le seul cours d'eau qui s'y déverse aujourd'hui est la paresseuse Amargoza, 1' « Àmère ». Ce gouffre, d'une largeur moyenne de 50 kilo- mètres, se développe parallèlement à l'axe de la Sierra Nevada sur une longueur d'environ 200 kilomètres et ses creux descendent au-dessous du niveau de la mer, à 55 mètres 'd'après le naturaliste Bell. Des pilons, des aiguilles de sel, aiguës comme le verre, hérissent les pentes; des lits de borax et de sel s'étendent dans les creux; ça et là aussi se promènent les dunes. Des caravanes égarées y ont trouvé la mort ; une des crêtes qui dominent Death Valley a reçu le nom de « montagnes Funéraires », Funeral Mounh. Iil CLIMAT, FLORE ET FAUNE DES MONTAGNES ROCHEUSES ET DU VERSANT OCÉANIQUE. Les hautes terres comprises entre les rebords des montagnes Rocheuses et de la Sierra Nevada ont le climat extrême, continental, des régions pri- vées des vents humides de la mer; en outre, l'altitude abaisse la tempéra- ture moyenne de plusieurs degrés dans les régions habitées du plateau. Ainsi l'isotherme du Pike's Peak, la fameuse montagne du Colorado, haute de 4308 mètres d'altitude, est de — 7 degrés centigrades, dix-neuf degrés de moins que Saint Louis, placé, à peu de chose près, sous la même latitude. Souvent, dans ces régions élevées, les froidures hivernales descendent au-dessous du point de congélation du mercure. D'autre part, les chaleurs de l'été sont très fortes sur ces hautes terres : les nuits étant abrégées de plusieurs heures dans cette saison, l'absorption de la chaleur excède de beaucoup le rayonnement, et par suite la moyenne de tempéra- ture est relativement très élevée. Par une remarquable coïncidence, les lignes isothermiques d'été se développent de l'est à l'ouest des États-Unis, des rivages de l'Atlantique au plateau du ce Grand Bassin », comme s'il n'y avait point de montagnes intermédiaires. Au fort Laramie, à 1575 mètres de hauteur au-dessus du niveau de la mer, il fait aussi chaud en juillet 592 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. qu'à Boston sous la même latitude; à Santa Fé du Nouveau-Mexique, située à 2088 mètres, la température du même mois est de très peu dépassée parcelle de New Berne, à position correspondante1. Le désert du bas Colorado est le foyer de chaleur des États-Unis. Au fort Yuma, sur les confins de ces déserts, la température moyenne de tout 1 été dépasse 32 degrés centigrades : on y a vu parfois le thermomètre montera 59 et 40 degrés, phénomène unique sous cette latitude dans le continent améri- cain. Dans ces régions soustraites à l'influence modératrice de la mer, les alternatives du climat journalier présentent des extrêmes analogues à ceui du climat annuel : toutes les conditions s'y trouvent réunies pour causer chaque jour une grande variation de température. La rareté des nuages, la teinte grise du sol aride facilitent l'accumulation de la chaleur dans les couches basses de l'atmosphère aux heures où le soleil est au-dessus de l'horizon. Pendant les nuits, c'est le contraire : des causes analogues acti- vent le rayonnement. Le manque d'humidité dans ces régions « califor- niennes » ou de la « chaude fournaise » est d'autant plus remarquable que les vents soufflent ordinairement de la mer et sont par conséquent chargés d'une proportion de vapeurs considérable ; mais, en passant sur les plateaux et les déserts du bas Colorado, ces vents, se réchauffant encore davantage, dissolvent une part de vapeurs plus forte, et leur humidité ne se décharge en pluies que sur les montagnes de l'intérieur1. La zone étroite du littoral océanique à la base des monts Cascades et de la Sierra Nevada contraste d'une manière remarquable avec les hauts pla- teaux de l'intérieur au point de vue du climat. À latitude égale, la tempéra- ture annuelle est beaucoup plus douce dans ces régions côtières que sur le littoral américain de l'Atlantique. De l'un à l'autre côté du continent, on observe en Amérique une opposition de climat analogue à celle qui se pro- duit dans l'Ancien Monde entre les rivages asiatiques et ceux de l'Europe occidentale. Tandis que sur le littoral, sous le 45e degré de latitude, l'iso- therme de 7 degrés centigrades vient effleurer la côte du Maine, les cam- pagnes riveraines de l'Oregon jouissent d'une température moyenne de 42 degrés. Toutefois l'écart est moindre que dans l'Ancien Monde : la cause en est à la forme des rivages et à la direction des courants océa- niques. A cet égard, l'Europe occidentale est tout particulièrement favo- 1 Températures de juillet : FortLaramie 23°,9 Boston 22°,5 Santa Fé 24° New Berne 2G°,5 1 Powell, Scribner's Magazine, October 1891: CLIMAT DES ROCHEUSES ET DU VERSANT PACIFIQUE. 593 risée pour recevoir en plein les effluves de chaleur apportés des régions tropicales par les vents et les eaux. Du sud au nord, de la Californie au littoral de Wasnington, les lignes isothermiques sont infléchies de manière à longer le littoral sur de grandes dislances; loin de se confondre avec les degrés de latitude, elles se rappro- chent des méridiens et en certains endroits coïncident avec eux. En outre, la grande plaine de Californie présente ce phénomène bizarre d'ovales isothermiques se développant sur tout le pourtour de la contrée, des cam- pagnes du San Joaquin à celles du Sacramento. Les oppositions de climat entre la Californie et l'Europe se font sentir surtout pendant l'été. Cette saison est sur les rives du Pacifique beaucoup moins chaude que la position du soleil ne semblerait l'indiquer; parfois même on a observé ce fait, con- tradictoire en apparence, que la chaleur moyenne de l'été californien est dépassée par celle des deux saisons du printemps et de l'automne. Cette anomalie est des plus évidentes à San Francisco, où le mois le plus chaud est celui de septembre et où la température de juillet ne dépasse pas celle d'octobre ; de janvier à juillet, l'accroissement moyen de la chaleur men- suelle est seulement de 3 degrés et demi, phénomène dont probablement aucune région tempérée des continents n'offre d'exemple. Aussi nombre de plantes qui ont besoin pour fructifier d'une chaleur estivale assez forte et d'un ciel clair s'avancent beaucoup moins vers le nord en Californie que sous les isothermes correspondants de la plaine du Mississippi et de l'Europe. La vigne, qui donne des produits abondants aux alentours de Los Angeles et dans la Californie du Sud et du Centre, ne dépasse guère le 38e degré de latitude, et le maïs, la céréale américaine par excellence, ne mûrit que rarement ses épis au nord de San Francisco. Cette singulière réfrigération de l'été californien a pour cause la froideur des eaux qu'amène pendant cette saison un courant du Pacifique. Du 35e au 45e degré de latitude, les ondes qui viennent frapper la côte en été sont aussi froides, plus froides même que pendant l'hiver, peut-être parce qu'elles font partie d'un contre-courant polaire qui reparaît alors à la surface, tandis que dans les autres saisons il coule au-dessous des eaux attiédies venues du Japon et des mers équatoriales. Quoi qu'il en soit, la froidure de l'eau est suffisante pour abaisser de plusieurs degrés la tem- pérature moyenne de toute la zone du littoral. Toutefois la Californie méridionale, comprise entre Punta Concepcion et la frontière du Mexique, se distingue par un climat local tout particulier, très faiblement influencé par les courants du nord. Le promontoire avancé des montagnes rejette à l'ouest par delà l'archipel de Santa Barbara les eaux froides océaniques xyi. 75 594 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE. venues des côtes de l'Alaska, et ces montagnes elles-mêmes sont assez élevées pour arrêter ordinairement les vents qui soufflent dans la même direction. Le vaste hémicycle du littoral séparé de la Californie centrale par les monts San Rafaël et San Bernardino est donc pour le climat un monde à part. Un autre phénomène du climat californien, comparé à celui de l'Europe, est l'uniformité de la pression barométrique. Les grands troubles de l'atmosphère y sont fort rares et les oscillations normales s'y succèdent avec régularité. Les violentes tempêtes qui se forment sur les cotes orien- tales de l'Asie, ayant épuisé leur fureur avant d'avoir traversé l'océan Pacifique, ne viennent pas battre sur les rivages du continent opposé, comme le font les coups de vent de l'Amérique orientale. Quand un chan- gement notable se produit dans l'équilibre des airs, c'est avec une singu- lière lenteur, presque toujours sans décharges électriques, et jamais pendant l'été, la saison régulière par excellence. Sur le littoral du Pacifique le vent normal souffle de la mer, c'est-à-dire de l'ouest et du sud-ouest : telle est la principale raison de la douceur presque constante du climat. En été, la mousson se superpose, pour ainsi dire, au vent normal; attiré par les arides plateaux de l'intérieur, l'air frais de l'Océan se porte en brise constante de l'ouest ou du nord-ouest vers l'intérieur des terres. Mais cette brise, dont la vitesse moyenne est évaluée à plus de 10 kilomètres par heure, ne souffle que pendant le jour: la nuit, quand les déserts d'outre-monts se sont refroidis par degrés, la brise marine se calme, puis est remplacée par un faible courant aérien, se mou- vant en sens inverse. Partout où les chaînes côtières du littoral présentent une brèche, le vent se précipite par cette ouverture pour aller plus facile- ment à l'escalade du plateau. Dans le bassin de la Columbia, il passe avec une grande violence par le défilé des Dalles. La « Porte d'Or » de San Francisco, par laquelle la mer fait irruption dans le corps continental, laisse entrer en même temps une puissante masse aérienne, qui s'épanouit ensuite en éventail dans l'intérieur de la vallée, de sorte que pendant l'été la brise, ayant San Francisco pour centre de divergence, se porte du sud au nord dans la vallée du Sacramento, du nord au sud dans celle du San Joaquin. Cependant quelques vallons latéraux restent encore à l'abri de cette brise journalière, et la température normale de l'été s'y maintient. A peu de distance l'une de l'autre, deux villes situées à la même altitude présentent un écart de plusieurs degrés dans leur température d'été. En hiver les vents d'ouest ne soufflent plus avec régularité et fréquemment ils sont interrompus par des courants contraires. Parfois des vents tièdes, CLIMAT DES ROCHEUSES ET DU VERSANT PACIFIQUE. 595 analogues à l'antan des Pyrénées et à la « vaudaire » ou fohn des Alpes, se font sentir à travers les montagnes, dont ils fondent rapidement les neiges : tel est le vent chinook, ainsi nommé parce qu'il traverse le pays jadis par- couru par les marchands « Chinook » dans la Colombie Britannique, le Washington et l'Oregon. Dans la Californie méridionale, un vent analogue, qui apporte une chaleur étouffante et brûle la végétation, est connu sous la désignation de « vent de Santa Ana ». Sous leur influence, des brumes obscurcissent l'atmosphère, mais d'ordinaire l'air qui baigne la Californie est d'une grande pureté1. L'observatoire de Lick, construit au sommet do mont Hamilton, dans la chaîne Côtière, à 1553 mètres de hauteur, est un de ceux où l'on peut avec le plus de sûreté faire des observa- tions suivies. L'ensemble de la région montagneuse à l'ouest des États-Unis est une des aires les moins humides de la Terre : certaines parties de l'Ùtah, de l' Arizona, du Nouveau-Mexique, n'ont d'autre eau que celle des torrents descendus des sommets neigeux, et sans irrigation toute culture y est impossible : là où s'arrêtent les canaux ou acequùxs, là commence le cha- parral désert. La longue durée des maisons bâties en simples adobes, qui dans une contrée pluvieuse seraient bientôt changées en un amas de boue, témoigne de l'extrême siccilé de l'atmosphère dans le Nouveau-Mexique. Peut-être même, si l'on en croit le témoignage des rares agriculteurs de la contrée, cette sécheresse se serait-elle accrue depuis l'arrivée des blancs dans le pays; les ruines de cités jadis populeuses que l'on trouve en des régions de nos jours absolument arides, donnent une grande probabilité à cette affirmation. Toutefois les hauts sommets qui s'élèvent au-dessus des plaines et des plateaux, jusque dans les couches supérieures de l'atmo- sphère où passent les vents humides, reçoivent une quantité annuelle d'eau beaucoup plus considérable que les terres situées à leur base. C'est pour l'eau qu'elles leur donnent que les habitants aiment leurs montagnes : dans les contrées espagnoles, notamment dans les districts que parcourt la Gîla, on désigne les hautes combes par le nom de tinajas ou « jarres » : on les considère comme des réservoirs où s'amassent les eaux de pluie, uti- lisées jusqu'à la dernière goutte pour l'abreuvement des bestiaux et l'irri- gation des champs. Sur le littoral du Pacifique, les pluies augmentent du sud au nord : tandis que les vallées de la Californie méridionale sont très faiblement arrosées, il tombe déjà plus d'un demi-mètre de pluie à San Francisco, et 1 Jacques W. Redway, ouvrage cité. 596 NOUVELLE-GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. « plus d'un mètre à l'embouchure de la Columbia, presque autant que sur les rivages du golfe Mexicain les plus baignés de pluie, dans la Floride et la Louisiane : « il y pleut toujours », disent les voisins moins fortunés du Sud, et Ton dit par plaisanterie des Orégoniens qu'ils ont les « pieds palmés ». Mais immédiatement à l'est, sur le revers oriental de la chaîne Côtière, les averses tombent avec beaucoup moins de force. Les variations annuelles sont fort considérables ; en certaines années, San Francisco a reçu trois fois plus de pluie qu'en telle autre année de sécheresse. L'humidité qui s'abat sous forme de neige sur les plateaux et sur les crêtes des montagnes varie dans les mêmes proportions1. La végétation reproduit sur le sol les phénomènes du climat : là où les pluies sont rares, la verdure l'est aussi et les arbres manquent tout à fait; là où les eaux de pluie baignent souvent le sol, des forêts le recouvrent, épaisses en proportion de la fréquence et de l'abondance des averses. Dans l'immense espace d'environ trois millions de kilomètres carrés qui s'étend du haut Missouri aux plateaux du Texas et des plaines basses du Colorado à l'arête de la Sierra Nevada, les plantes caractéristiques, cactus et armoises, ont la prédominance et donnent à la contrée gypseuse ou saline sa physio- nomie générale. Les limites de la zone des sages ou « sauges », c'est-à-dire des armoises (artemisia tridentata) , coïncident à peu près avec celles des plateaux. Dès que le chemin de fer du Pacifique a escaladé les pentes de Laramie, la végétation change de caractère : au lieu d'herbe, le sol ne produit plus guère que des armoises et autres plantes odoriférantes ; elles croissent partout en taillis épais, dans les fonds de vallées, sur les pentes des collines, sur les sommets, et plus on s'élève sur le plateau, plus ces végétaux augmentent en dimensions. L'air est saturé de l'odeur de camphre et d'huile de térébenthine qui dislingue l'armoise. C'est peut-être à ces aromates, aussi bien qu'à la salubrité générale du climat, qu'il faut attri- buer les nombreux cas de guérison observés sur les phtisiques envoyés par leurs médecins dans les régions du « Grand Ouest. » Quelques arbres à feuillage mince et tremblant, des espèces de peupliers, bordent les lits des * Pluies moyennes à l'occident des États-Unis, d'après Schott et d'autres observateurs : Montagnes Rocheuses. Littoral du Pacifique. Virginia City 0",427 Port Townsend i-,016 Pioche . ." 0-,16*0 Olympia i-,397 Fort Laramie 0-,567 Àstoria i-,971 Fort Bridger 0-,2U San Francisco 0-,546 Pike's Peak 0-,804 San Diego 0-.236 Deiïiii de Buvlij, d'sprts une phMognpIiie communiquée par 11 FLORE DES ROCHEUSES. 599 ravins humides; dans les canons du Nevada se cachent des genévriers rabougris et des pins pignons ; jadis plus nombreux, ils donnaient aux Indiens leurs graines, aliment très apprécié, et leur bois servit aux pre- miers mineurs pour le chauffage et l'aménagement de leurs travaux. Dans la région méridionale, le buisson créosote (larrea mexicana), des arbustes épineux, tels que le mezquite et les yuccas aux feuilles pointues, remplacent les plantes basses et donnent à la contrée un aspect hostile. Plus encore que le plateau mexicain, les étendues de l' Arizona, celles du Nouveau-Mexique ont le pitahaya (cactus giganteus) ou « cactus géant » pour végétal caractéristique : des cierges colossaux, hauts de 10 à 15 mètres, se dressent solitaires, gardant de la base au sommet une épaisseur à peu près uniforme; les ramifications, au nombre de deux ou trois seulement, sortent du tronc à angle droit, puis se relèvent perpendiculairement, armés d'épines en étoile comme le tronc principal. Dans les régions les plus arides, comme le désert des Mojaves, privé complètement d'humidité par la muraille des monts San Bernardino, les cactus même viennent à manquer : on ne voit plus que l'argile et les nappes salines dans les plaines im- menses, limitées au loin par des montagnes rougeâtres. Mais au-dessus des fonds arides, des plateaux dénudés, apparaissent çà et là des sommets qui pénètrent dans la zone des nuages humides et dont les pentes riche- ment boisées ou clairsemées d'arbres contrastent de la manière la plus heureuse avec les roches environnantes : tel plateau boisé, aux pentes nues, ravinées, jaunâtres, se montre de loin comme un jardin suspendu. Au-dessus de 1300 mètres on ne voit plus de créosote larrea, et l'on entre dans la zone des genévriers, qui s'arrêtent sur le flanc des monts de 2000 à 2075 mètres. Plus haut est la zone des pins. Au delà d'une certaine altitude, les froidures tuent la végétation arborescente : dans le Colorado, les montagnes qui dépassent 3300 ou 3500 mètres n'ont plus d'arbres à la cime, et leurs dernières forêts ne sont que des brousses, transformées par le poids des neiges en une sorte de plancher raboteux sur lequel il faut marcher de son mieux pour escalader les monts. Dans la Sierra Nevada californienne, la limite des forêts commence à 3000 mètres1. Il est peu de contrées où l'influence décisive des courants humides sur la végétation soit plus facile à reconnaître que dans la Californie. Les vents du Pacifique, apportant leurs pluies, frappent d'abord sur les pentes occiden- tales de la Coast Range, puis ils dépassent la crête de ces montagnes, beau- coup plus basses que la Sierra Nevada, et se heurtent aux escarpements de 1 i. D. Whitney, ouvrage cite. MO NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. la grande chaîne, à l'altitude moyenne de 1200 mètres. Au-dessous de cette ligne, la végétation est rare, son feuillage est sans éclat, le ton général des paysages, souvent entrevu dans une brume de poussière, varie du gris au violet et au rougeâtre. Mais là où commence à se faire sentir l'influence régulière des vents humides, prévaut la belle et puissante CD _ EE23 EZI EZ1 motna efo saiz/ème p/us cfu sdzièma pli/3 oi/ yvarc plus as As ■ -moitié végétation des conifères, qui recouvre les hautes vallées et les pentes de la ' Sierra Nevada jusqu'à la base des pyramides neigeuses et se prolonge au nord dans la Colombie Britannique et dans l'Alaska, en se ramifiant à l'est, le long de la frontière de l'Union, dans l'Idaho, le Montana, le Wyoming. Dans cette zone forestière, les espèces, quoique moins variées et moins nombreuses que celles de l'aire orientale, sur le littoral atlantique, se comptent par dizaines. Douze espèces de conifères dominent, et, loin de s'entremêler en désordre, se succèdent sur les hauteurs, par séries d'arbres FLORE DE L'OREGON ET DE LA CALIFORNIE. 601 associés; en moyenne, les terrains de croissance, pour chaque espèce, comprennent sur le penchant des monts une hauteur verticale d'environ 800 mètres, mais pour aucune essence ces lignes ne coïncident. La plupart sont disposées obliquement, plus basses dans les régions du nord où l'humidité est en suffisance dès les racines de la montagne, et remontant graduellement vers les neiges dans la direction du sud pour y trouver exactement l'air, l'humidité, la température qui conviennent à la plante. In autre contraste dans les forêts de la Californie est qu'au nord elles sont beaucoup plus épaisses, tandis qu'au sud elles se divisent plus faci- lement en bosquets où les arbres prennent individuellement plus de carac- tère et de beauté pittoresque1. L'espèce qui domine dans les forêts du nord est le pin de Douglas ou « pin jaune » du Canada (abies Douglatsii), à l'écorce d'un rouge brun; certaines forêts, dévastées par le bûcheron, ne contenaient pas un seul arbre d'une espèce différente; naguère il n'était pas rare de rencontrer dans les pinières du Washington et de l'Oregon des pins jaunes de 80 et même de 100 mètres en hauteur. Encore plus élevés sont les conifères du genre séquoia, dont il n'existe plus que deux espèces, le « bois rouge », rtdwood (séquoia zempervirem) , et le « grand arbre » ou big tree (séquoia giganlea). D'après Oswald Heer, le séquoia est un « témoin des âges passés » ; commun dans la flore mollassique de toute la Terre, il n'a plus qu'une aire très restreinte dans l'époque actuelle ; cependant il ne présente aucun signe de caducité, il est encore dans toute sa force et sa gloire. Le redwood vit exclusivement dans la chaîne Côtière, des montagnes de Santa Lucia à la vallée du Klamath. Près de Russian River, où il constitue des forêts entières, sans partage avec d'autres arbres, Whitney a mesuré un fût de 84 mètres. Le séquoia gigantea n'a plus une aire aussi considé- rable. On ne le voit que sur les pentes occidentales de la Sierra Nevada, entre le 56* et le 58° 30' de latitude, et seulement en neuf bouquets dis- tincts. La plus vaste forêt de séquoias ombrage les pentes des vallées tri- butaires de King's River, au nord-ouest du mont Whitney ; mais on visite surtout les grands arbres de Ca laveras et de Mariposa, plus rapprochés de San Francisco et de la vallée du Yosemite. Le plus grand séquoia mesuré par Whitney a 99 mètres de hauteur; il en existait autrefois qui dépas- saient 120, même 130 mètres, mais des spéculateurs ont fait abattre ces géants pour en montrer l'écorce dans les foires ou pour en débiter le bois, qui du reste n'a guère de valeur. Malgré la loi qui protège les 1 Qareuoe Ring, Mountaineering in the Sierra Nevada. xn. 76 602 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. grands arbres en les déclarant propriété commune de la nation, l'œuvre de destruction continue. Les restes fossiles d'une faune ancienne sont représentés dans les mon- tagnes Rocheuses par des myriades de squelettes. Les dépôts limoneux de la mer crétacée qui recouvrait une grande partie de l'espace occupé de nos jours par les Rocheuses, sont extrêmement riches en sauriens fossiles de toute espèce, entre autres de ptérosauriens ou « lézards volants », de dimensions beaucoup plus grandes que les ptérodactyles de l'Ancien Monde : ils en différent également par l'absence complète de dents et se rapprochent ainsi des oiseaux modernes. Parmi les sauriens rampants, il en est un, le titanosaurux du Colorado, qui n'avait pas moins de 16 à 18 mètres en longueur, et se dressait à 9 mètres de hauteur verticale pour atteindre le feuillage des grands arbres, sa principale nourriture; un petit saurien, le nanomurmy avait la taille d'un chat ordinaire. On donne souvent à ces divers animaux le nom général de « serpents de mer », mais les premiers serpents américains, tous d'origine pélagique, apparaissent vers l'époque éocène. Les reptiles de terre ou dinosauriens, c'est-à-dire les « Effrayants Lézards », sont caractérisés par un cerveau d'une extrême petitesse, moindre que dans toute autre forme animale connue. Marsh, comparant le cerveau d'un dinosaurien à celui d'un crocodile ordinaire, a prouvé que, toutes proportions gardées, il était cent fois plus petit. On ne retrouve point d'oiseaux avant les âges crétacés. Quant aux mam- mifères, ils se montrent dès le trias, représentés par un marsupial, l'ani- mal inférieur du groupe ; mais les géologues ont eu la singulière infortune de ne découvrir encore aucun reste de mammifère dans les formations jurassiques et crétacées. Dans les couches postérieures, on les rencontre au contraire sous la plus grande diversité de types. C'est là, dans l'éocène inférieur, que l'on a trouvé le plus ancien représentant du cheval, Veohippw, quadrupède de la taille d'un renard. Une trentaine d'autres espèces de la tribu des chevaux appartiennent au Nouveau Monde, que l'opinion des géologues considère maintenant comme la patrie originaire des équidés. D'après Marsh, les tapirs, les rhinocéros seraient aussi des animaux d'origine américaine, de même que le chameau, le cerf, et peut- être aussi les bovidés et les proboscidiens. Eléphants, mastodontes, méga- lonix, parcouraient les forêts et les savanes de l'Amérique du Nord, et les Indiens qui découvrirent souvent des squelettes de ces puissantes bêtes dans les boues et les graviers des terrains modernes de transport et d ebou- FAUNE DES ROCHEUSES. 605 lement, leur avaient donné le nom de « Pères aux Bœufs », preuve que, eui aussi, reconnaissaient, à leur manière, l'évolution des espèces. Parmi les mammifères qui appartiennent aux débuts de l'époque tertiaire, il en est un, le phtnacodv*, animal de la taille du loup, qui attire surtout l'at- tention des paléontologistes parce que, d'après Cope, il offre des caractères essentiellement primitifs, rudimentaires, et que l'on pourrait y voir « l'an- cêtre commun des animaux à sabot, des singes et de l'homme » f. Les empreintes de pas d'une espèce d'édenté, découvertes près de Carson, dans le Nevada, avaient aussi fait croire à la découverte d'une espèce particu- lière d'homme, homo nevademis. La prodigieuse variété des grandes espèces de reptiles et de quadrupèdes que les géologues ont découvertes aux États-Unis, et surtout dans les assises crétacées et tertiaires des montagnes Rocheuses, prouve l'erreur de l'an- cienne théorie d'après laquelle il y aurait une certaine correspondance entre les dimensions comparées des deux mondes et celles des animaux qui les habitent. L'Amérique paraît avoir été plus riche que les terres afri- caines et asiatiques en formes animales gigantesques; toutefois il n'est pas douteux qu'à cette époque le relief et le pourtour des masses continentales n'étaient pas ce qu'ils sont de nos jours ; tout différait en conséquence, moyens de communication entre les terres, migrations des plantes et des bêtes1. Actuellement, les régions montagneuses des États-Unis inclinées vers le Pacifique ont encore de grands animaux, mais non d'espèces qui leur appartiennent en propre : ce sont des quadrupèdes de la faune canadienne, tels que l'élan et l'ours gris, qui se rencontrent sur les pla- teaux avec des représentants de la faune des plateaux mexicains. Le castor, une des bêles caractéristiques des contrées humides et fores- tières du Nord, se rencontrait naguère au bord de tous les cours d'eau des Rocheuses et de la Sierra Nevada, même au sud sur le Pecos, le Rio Grande et le Gila ; il a construit des barrages jusque dans le voisinage dlSl Paso, sur la frontière mexicaine8. Dans les Mauvaises Terres, ces ron- geurs sont encore assez communs ; dès qu'on cesse de les chasser, ils recommencent à pulluler au bord des torrents. D'autres espèces ont dis- paru sans cause apparente : ainsi les lièvres du « Grand Bassin », si nombreux en 1870 qu'on les tuait pour nourrir les porcs, étaient devenus en 1871 d'une telle rareté, que le naturaliste Allen eut à faire de longues 1 C. 0. Marsh, American Association for the Advancement of Science, Nashville Congress; — Boule, Revue Scientifique, 28 février 1 89 1 . ' Fkmer, Nature, May 20, 1880. * i. R. Rartlett, Narrative of Explorations in Texas, etc. 604 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE battues avant de pouvoir s'en procurer un exemplaire. Mais, comme aux temps crétacés, les grands plateaux des Rocheuses sont restés le pays des reptiles : on y trouve des lézards de toutes les dimensions et de toutes les couleurs, dont quelques-uns effrayent par leur aspect, quoique tout à fait inoffensifs : le seul qui soit réellement venimeux, heloderma $u$peclumy a reçu des Américains le nom de « monstre de la Gila »; c'est un animal pacifique, très lent à la morsure1. Les plateaux ont aussi de grandes tortues, des « grenouilles à cornes » (phrynmoma cornulum), qui ressemblent à des caméléons, d'énormes lézards verruqueux et hérissés d'épines, des mille-pieds, des tarentules, et autres animaux rampants qui se glissent dans les trous de l'argile ou du roc. IV ETATS ET VILLES DES MONTAGNES ROCHEUSES ET DU VERSANT OCÉANIQUE. I. MONTANA. Le nom de Montana, dans le sens de « Pays Montagneux », s'applique à l'État qui renferme dans ses limites les hautes montagnes du faite, entre les sources du Missouri et plusieurs branches maîtresses de la Columbia; une petite partie du merveilleux Parc National se trouve dans ses limites. Il est, comme la plupart des autres États, découpé par des lignes droites, sans souci des traits naturels du pays. La Puissance du Canada, les deux Étals de Dakota, le Wyoming ne sont séparés du Montana que par des degrés de latitude ou de longitude ; seulement au sud-ouest et à l'ouest des crêtes de montagnes et des rivières servent de frontière commune entre le Montana et l'Idaho. Pour la superficie, le Montana est une des divisions territoriales les plus considérables de l'Union, mais de beaucoup la plus grande partie de l'énorme surface, trop mon tueuse et trop froide, ne peut être utilisée pour la culture; l'élève du bétail constitue la prin- cipale richesse agricole de la contrée et ses laines sont fort appréciées sur les marchés du littoral atlantique. Comme région minière, pour la production de l'or, de l'argent, du cuivre, le Montana occupe l'un des premiers rangs; les lavages de pépites et les mines d'or, d'argent, de cuivre ont, avec les chemins de fer, le plus contribué au peuplement. 1 S. Weir MilcheU, Century, August 1889. ROCHEUSES, MONTANA. 60& Des mineurs anglais et canadiens ont été en plus grand nombre parmi les immigrants étrangers, et chaque district a sa petite colonie de Chinois, blanchisseurs, domestiques ou chercheurs d'or dans les graviers aban- donnés. De tous les États de l'Union, le Montana comprend (1891) les plus vastes enclaves de terrains réservées aux indigènes : au nord-ouest habitent les Fiat Heads, ou « Têtes Plates » ; au nord, le long de la frontière de la Puisr sance, s'étendent les domaines des Gros Ventres, des Piegan, des Pieds Noirs, des Corbeaux et Blood Indians, « Indiens de Sang » ; enfin au sud, entre le cours du Yellowstone et la limite du Wyoming, les Corbeaux pos- sèdent une autre enclave, arrosée par la rivière Big Horn : c'est là que le détachement de 437 hommes commandé par le général Custer fut exterminé en 1876 : trois mois après le massacre, on découvrit les cadavres scalpés au fond d'un ravin. Les Cheyennes, les Modocs, les Assiniboines ont aussi de petits domaines dans la même région. Mais» la population blanche souffre avec impatience le voisinage de tous ces indigènes, et le rétrécissement, puis la confiscation de leurs terres sont à craindre dans un avenir prochain. Pourtant l'espace ne manque pas aœr blancs, qui cultivaient seulement 10450 hectares en 1890; alors on ne comptait guère dans le Montana plus d'un habitant pour une superficie de 5 kilomètres carrés. Le Montana a été admis au nombre des États ea 1889, avec plusieurs autres, avant d'avoir la population réglementaire1. Quelques villages, des stations de commerce et des postes militaires se succèdent à de grandes distances sur les bords du Missouri et du Yellow- stone, et quelques villes minières, rattachées par des embranchements aui lignes transcontinentales du Pacifique, se blottissent dans les ravins» La capitale, Helena, située en pleine montagne, à 1942 mètres d'altitude, sur un torrent qui descend au Missouri en amont du défilé des Big Belt MoiiBr tains, est un entrepôt des mines et des usines environnantes : près de là, àPrickly Pear, se firent, en 1859, les premières découvertes de sables aurifères ; des sources thermales jaillissent à 7 kilomètres de la ville. À une trentaine de kilomètres à* l'ouest, le chemin de fer du Northern Pacific traverse la chaîne principale des Rocheuses par un tunnel au- dessous du col de Mullan. Butte City, au sud-est d'Helena, doit son nom 1 Rang du Montana parmi les États et territoires de FUnion nord-américaine : Superficie 146080 milles carrés (378 347 kilomètres carrés;. If' & Population en 1890 . . 131 769 habitants. N* 44 Densité kilométrique. . 0,35 » N* 46 Production de l'or et de l'argent en 1890 : 31 726 923 piastres (160 MA 000 francs). N* 1 » du cuivre : 26 000 000 piastres (135 000 000 francs). N* 1 006 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. aux « buttes » de granit qui l'environnent et qui lui donnent leurs riches minerais d'or, d'argent et de cuivre, d'une valeur annuelle de plus de cent millions de francs ; avec les camps de mineurs qui l'environnent, elle avait plus de 35 000 habitants en 1890 : c'était la plus grande ville du nord-ouest entre Minneapolis etPortland. Drum Lummon, à 54 kilomètres au nord d'Helena, possède la principale mine d'or. Virginia City, bâtie près du faîte de partage continental, fut aussi une cité minière; mainte- nant elle est bien délaissée1. II. — IDAHO. L'Idaho, qui succède au Montana du côté de l'ouest, est en entier situé dans le bassin de la Columbia, au nord par le Clarke's Fork et ses affluents, au sud par Snake River. C'est un État de forme bizarre, projetant au nord jusqu'à la frontière anglo-canadienne une étroite zone de terrain. Au nord-est le faîte de partage entre les bassins fluviaux de la Columbia et du Missouri le sépare du Montana; au sud-est, le IIIe degré de longitude est sa frontière commune avec le Wyoming ; au sud, vers l'Utah et le Nevada, il s'appuie sur le 42* degré de latitude; enfin à l'ouest, le 117e degré de longitude et une partie du cours de Snake River forment sa limite avec l'Oregon et le Washington. Comme le Montana, l'Idaho possède une mince bande de terrain appartenant au National Park du Yellowstone. La partie septentrionale, très montueuse, n'a pour attirer les immigrants que ses forêts, ses pâturages et ses gisements miniers ; mais dans les creux les vastes plaines du sud ont des terrains très fertiles, et par l'irrigation une grande partie des hautes terres pourrait être conquise à l'agriculture. De même que son voisin oriental, l'Idaho n'a été envahi par les immigrants de race blanche que pour ses lavages d'or. Quelques districts productifs étaient devenus autant de petites Californies, grâce à l'arrivée de mineurs qui vivaient sous la tente ou dans les terriers, constituant une société nou- velle où la civilisation moderne se mêlait étrangement à un retour vers la barbarie ; mais peu à peu les mines furent appropriées par des capi- talistes, les aventuriers partirent, laissant les colons, et les campements devinrent des villes régulières ; récemment quelques communautés mor- mones se sont établies dans le sud de l'État. Les Chinois sont propor- 1 Villes principales de Montana, avec leur population en 1890 : Helena 13834 habitants. Butte Citv 10 725 » IDAHO, WYOMING. 607 tionnellement nombreux dans la population de l'Idaho; quant aux Indiens, anciens maîtres du pays, Pieds Noirs, Nez Percés, Cœurs d'Alêne, on les a cantonnés en d'étroites réserves, dispersées sur le territoire de l'État. Quoique le nombre des habitants soit encore loin d'avoir atteint le chiffre exigé par la Constitution, l'Idaho a été admis parmi les États autonomes de l'Union. Les Mormons domiciliés dans le pays ne sont reçus comme électeurs qu'après avoir formellement juré qu'ils ne sont ni bigames, ni polygames, ni désireux de l'être \ La population blanche, à l'exception des employés nécessaires pour le service des stations sur les lignes de chemins de fer, se groupe dans la partie sud-occidentale de l'État. Là, sur un haut affluent de Snake River, se trouve Idaho City, fondée par les mineurs en 1865; elle eut alors jusqu'à 10 000 habitants ou visiteurs. La capitale et ville principale de l'État, Boisé City (2 311 habitants en 1890), doit son nom à la rivière « Boisée » dont elle occupe le bassin ; elle est située en aval d'Idaho City, au confluent d'un autre coure d'eau. III. — WYOMING. Le nouvel État du Wyoming, ainsi nommé, comme une de ses mon- tagnes, d'après une charmante vallée de Pennsylvanie, l'ancienne Maugh- waume ou « Large Plaine », est une division territoriale découpée en entier par les degrés du réseau géodésique ; il forme un carré long, dans le sens de Test à l'ouest. Le Parc National occupe le coin nord-occidental de ce rectangle. Pays alpestre où les trois bassins du Colorado, de la Columbia et du Missouri ont leur origine par quelques-unes de leurs bran- ches maîtresses, le Wyoming est trop élevé pour que la population puisse jamais y devenir considérable et s'adonner à l'agriculture ; mais de vastes cirques, jadis lacustres et maintenant herbeux, offriraient de magnifiques alpages pour le bétail. D'autres plaines élevées, manquant de l'eau néces- saire, sont restées stériles, et, dans les creux, se recouvrent d'efflores- ceuces salines. La partie la plus basse de l'État, et la mieux utilisée au point de vue économique, se trouve à l'angle sud-oriental où coule un 1 Rang de l'Idaho parmi les États et territoires de l'Union nord-américaine : Superficie 84 800 milles carrés (219 632 kilomètres carrés). N° 11 Population en 1890 . . . 84385 habitants. N° 45 Densité kilométrique. . . 0,38 » N° 45 Production minière en cr et argent 5 400 000 piastres en 1888. N* 6 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE. affluent de la Nebraska, descendu de la première chaîne des montagnes : dans ces plaines, déjà situées en dehors du plateau, s'est fondée la capi- tale de l'État et se construisit la première voie ferrée pour l'escalade des monts, entre les plaines du Mississippi et la côte du Pacifique. Le Wyoming est un des États qui en 1889 furent admis en bloc à se faire représenter au Congrès comme les égaux des premières souverainetés constituantes : il est même plus amplement représenté, puisque les femmes y ont droit de vote. Quelques Indiens Shoshones vivent dans une enclave parcourue par Wind River, presque au centre de l'État !. Cheyenne, la capitale, se trouve déjà à 2147 mètres d'altitude, quoique dans la plaine inclinée que domine à l'ouest la chaîne des Black Mountains. Longtemps ville de cabanes et de tentes, peuplée d'aventuriers qui suivaient les constructeurs de voies ferrées, Cheyenne est maintenant une belle cité, régulièrement construite, avec chemins de fer rayonnant dans tous les sens. À #0 kilomètres à l'ouest, de l'autre côté du col d'Evans, le chemin de fer du Pacifique passe à Laramie City, ville d'ateliers et d'usines métal- lurgiques, dont le nom, dû au « voyageur » franco-canadien Laramée, s'applique aussi à des plaines, à des montagnes, à un pic, à une rivière, à un fort du voisinage1. IV. — COLORADO. L'État du Colorado, rectangle découpé géométriquement à travers plaines et montagnes, se compose de deux parties bien distinctes par le relief, F aspect, le climat, les produits : à l'ouest, la région des Rocheuses, avec ses pics neigeux, ses hautes combes ou « parcs », les gorges profondes de •es rivières; à l'est, les étendues faiblement inclinées qui descendent vers le Mississippi. Les mines d'or, d'argent, de plomb, de houille et de pétrole ont attiré le flot des colons dans le Colorado : il continuera de grandir en population, grâce à la fertilité de ses campagnes irriguées, à la pureté de l'air et à l'excellence du climat; il offre aussi l'avantage de commander i i Rang du Wyoming parmi les États et territoires de l'Union nord-américaine : Superficie 97 890 milles carrés (253 555 kilomètres carrés). N* 8 Population en 1890 ... . 60 705 habitants. N' 47 Densité kilométrique. . . . 0,23 *» N4 47 Villes du Wyoming, avec leur population en 1890 : Cheyenne 11690 habitante. Laramie Citv 6 388 WYOMING, COLORADO. OOS les passages les plus fréquentés des montagnes Rocheuses. Au milieu du siècle, la contrée n'avait encore d'autres habitants de race blanche que des pâtres mexicains établis dans la vallée de San Luis, sur le haut Rio Grande; mais les noms français de beaucoup de rivières cl de montagnes rappellent le passage des traitants canadiens qui parcouraient autrefois le Grand Ouest. C'est dans l'année même où la guerre de Sécession éclata, en 1861, que s'organisa le territoire du Colorado, destiné à devenir l'un des États de l'Union reconstituée : il fut admis comme tel en 4875. Son accroissement en prospérité est des plus rapides : dans la décade de 1880 à 1890, la population a plus que doublé, et près de 250000 hectares ont été conquis sur la steppe par l'irrigation1. La capitale cl cité principale du Colorado, Denver, est une des grandes villes de l'Ouest, et son aspect surprend d'autant plus que de vastes soli- 1 Rang du Colorado parmi les Étals et territoires de la République nord-ainéïic Superficie Copulation en I8'JU . . Densité kilométrique. . Production en or et argent. « du plomb 105 925 milles carrés {' 410 975 habitants, a 166 kilomètres carrés). N* 7 22 738 000 piastres en 188g (120 000 000 francs). 70 788 tonnes en 1890. 010 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. tudes la séparent des campagnes populeuses du Kansas et du Missouri. Elle surgit comme une somptueuse cité du versant atlantique transportée sou- dain au milieu d'un désert. Denver est par la beauté de son panorama une ville presque sans rivale aux États-Unis. Située à 1624 mètres d'alti- tude, au confluent du Gheery Creek ou « Ruisseau Joyeux » avec la branche maîtresse de la Platte méridionale, elle domine, du côté de Test, l'immense étendue des plaines se confondant au loin avec la rondeur de la Terre, tandis qu'à l'ouest se dresse, à 2500 mètres plus haut, l'escar- pement de la grande chaîne du Colorado, revêtu de verdure à la base et de neige à la cime et s'é tendant à perte de vue vers les deux horizons du nord et du sud. Le croisement de nombreuses voies ferrées a fait de Denver le lieu principal d'étape et d'entrepôt ; elle est aussi la seule ville universitaire entre les cités riveraines du Missouri et San Francisco; en outre les valétudinaires l'apprécient comme lieu de séjour, et les pro- montoires des alentours se parsèment de villas appartenant à des indus- triels et à des commerçants des États Atlantiques. Les gorges des mon- tagnes dans lesquelles pénètrent les chemins de fer qui s'ouvrent directe- ment à l'ouest de Denver, abritent plusieurs villages de mineurs, Golden City, Golden Gâte, Mountain City, Central City, Empire City, dont les riches minerais d'or sont envoyés à l'hôtel des monnaies de Denver. Le Colorado a pour centre minier le plus populeux la ville récente de Leadville ou « Cité du Plomb », fondée en 1878 : deux années après, elle avait déjà près de 15000 habitants. Elle est située à plus de 3100 mètres d'altitude moyenne dans la combe supérieure de l'Àrkansas, sur le revers occidental des massifs que domine le mont Lincoln. Les commencements de Leadville n'ont pas ressemblé à ceux de la plupart des cités minières en Californie : dans cet État, envahi tout à coup par les aventuriers de tous pays, les arrivants ne s'inquiétaient guère d'édifier les villes avec soin et sur un plan donné ; des baraques, des hangars, des échafaudages, s'éle- vaient au hasard suivant les nécessités des mineurs, et peu à peu se trans- formaient en ville régulière ou tombaient en ruines, d'après le résultat des travaux. Mais lorsque les gisements miniers du haut Àrkansas furent découverts, les grands monopoles avaient eu le temps de se constituer, des compagnies financières achetèrent aussitôt tous les terrains utilisables, et Leadville se construisit sur le plan ordinaire des cités américaines, avec carrés de rues et de boulevards, places et jardins publics. Leadville, foyer d'activité minière, est aussi une ville de séjour estival, et divers établissements de bains et de villégiature ont été fondés dans les vallées et sur les montagnes environnantes : un des sites les plus curieux est celui DJK.NVKR, LEAIIVILLE, PUEBLO. 611 des Twin Lakes ou « Lacs Jumeaux ». séparés l'un de l'autre par un cordon de moraines. Mais le climat du haut Arkansas est trop froid pour que l'on puisse cultiver les fonds de vallées et les pentes au-dessus de 2000 mètres : ta ville diminue déjà; elle se dépeuplera tôt ou tard, quand les fruc- tueuses mines de plomb argentifère qui ont fait la richesse des posses- seurs actuels auront un moindre rendement'. A la sortie des montagnes et du « défilé Royal », l'Arkansas a pour gar- dienne la ville de Pueblo, le « Bourg », devenue un actif lieu de marché pour le Colorado méridional, un centre d'exploitation pour les houillères*, les pétrolières et les usines métallurgiques : c'est le « Pittsburg occiden- tal ». Pueblo communique avec Denver par un chemin de fer qui longe 1 Production des mines de Lcadville en 1890 : 11 798 893 piastres. » » » de 1860 a 1890 : 170 304 047 piastres (900000 000 francs). * Production des houillères du Colorado en 1890 : ) 985 000 tonnes. 619 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. la base de la grande chaîne et qui passe à Colorado Springs, ville de bains et de luxe très fréquentée : elle a pris le titre de « Cité des Millionnaires ». A l'est, un vaste parc, Monument Park, ainsi nommé de ses rochers bizarres en tours et en colonnes, domine la vallée et forme un charmant observa- toire, offrant un immense tour d'horizon des plaines aux monts de la Façade. Le ruisseau qui descend de Pike's Peak et qui traverse Manitou, puis Colorado Springs pour aller rejoindre l'Arkansas à Pueblo, doit à des sources jaillissantes son appellation de « Fontaine Qui Bouille », donnée par les anciens voyageurs canadiens. Avant d'avoir été captée, la Fontaine Qui Bouille, emplissant une vasque parfaitement circulaire, ne débordait jamais : l'excédent s'enfuyait par une galerie souterraine1. L'efficacité de ses eaux sodiques était bien connue des Indiens, qui venaient jeter en offrande dans la fontaine des têtes de flèches et des étoffes. Trinidad, près de la- frontière du Nouveau Mexique, est située dans le voisinage des vastes couches de lignite de Raton Hills1. V. — DTAH L'Utah, dont le nom a été emprunté à une tribu d'Indiens, est, avec le Nevada, la contrée des États-Unis la plus isolée par la nature, puisque des montagnes et des faîtes de plateaux empêchent l'écoulement de ses eaux vers la mer : de là sa désignation de Great Basin ou « Grand Bassin », dans le sens de « Bassin Fermé », que l'on appliquait jadis à l'ensemble de ce haut territoire ; cependant les rivières qui coulent au fond des cluses de rochers dans la partie méridionale et sud-orientale de l'Utah trouvent leur voie vers le Colorado. Celles du centre et du nord appartiennent aux cuvettes sans issue du lac Sevier et du Grand Lac Salé ; à une époque géologique antérieure, elles se déversaient dans le grand lac dit « de Bonneville », qui épanchait le trop-plein de sa masse liquide dans la Columbia. Des limites tracées suivant les degrés de longitude et de lati- tude découpent le territoire d'Utah et le séparent des États limitrophes, Idaho, Wyoming, Colorado, Arizona, Nevada : on ne connaîtra ses fron- tières que par une triangulation précise. 1 R. B. Marcy, Thirty Years of Army Life on the Border. * Villes principales de l'État du Colorado, avec leur population en 1890 : Dcnver 106 713 habitants. Pueblo 24 558 i Colorado Springs 11 140 » LeadvDlc 10 384 » UTAH, SALT LAKE CITY. 615 iSi vaste qu'il soit en apparence, le territoire d'Utah n'est en réalité, par ses régions cultivables, qu'une étroite bande de terrain longeant la base occidentale des monts Wahsatch, là où les eaux douces sortent des vallées1 : plus à l'ouest, elles ne déposent plus que des sels ou s'épuisent dans les plaines de sable. Les Mormons, s'étant emparés dès leur arrivée dans le « Grand Bassin » de tout le sol labourable, il n'y avait plus de plope pour les immigrants d'autres religions : le pays avait été bien nommé « Deseret » par ses premiers occupants. En 1869, sur plus de 80 000 blancs, on ne comptait qu'un millier de « Gentils », lorsque la découverte de riches veines de plomb argentifère attira tout à coup les spéculateurs et les mineurs. En dépit du mauvais vouloir des « Saints » et même des embus- cades, suivies de massacres, qu'ils firent tendre aux nouveau-venus par des Indiens alliés, les Gentils ont fini par dominer en quelques villes; mais dans les campagnes les Mormons ont encore la majorité. L'État et l'Église, dirigés par un même gouvernement, possèdent le monopole de l'eau, l'élément vital par excellence, et naguère les « anciens » n'en distri- buaient qu'aux fidèles. Les difficultés juridiques et politiques de tout ordre qui proviennent de l'antagonisme de deux populations ayant des lois et des mœurs différentes, ont empêché jusqu'à maintenant le Congrès d'admettre l'Utah au nombre des États souverains, quoiqu'il ait le chiffre d'habitants fixé par la Constitution. L'obstacle principal est sup- primé depuis 1891, une ce inspiration du Saint-Esprit » ayant réprouvé définitivement la polygamie. Ceux des fidèles qui n'ont pas voulu se sou- mettre aux lois nouvelles émigrent pour la plupart, notamment au Mexique, dans la province de Chihuahua, où on leur a concédé de vastes territoires, au moins cinquante mille hectares (1891). Sait Lake City, la cité principale, chef-lieu et métropole de l'Utah, a été fondée en 1847 par les Mormons, non loin de la rive droite du Jordan, à 17 kilomètres en amont de son embouchure dans le Lac Salé, dont la nappe irrégulière s'étend au nord-ouest. A l'est de la ville se dresse la chaîne des monts Wahsatch, et des quartiers les plus hauts, construits sur les pentes, la vue s'étend au loin sur les vergers de la vallée, sur les plaines et sur le lac. Sait Lake City, divisée en îlets égaux par de larges rues ombra- gées, arrosées d'eaux courantes, est une des villes les plus propres et les plus salubres de l'Amérique ; mais, occupant un espace trop vaste pour sa 1 Rang de l'Ulah parmi les circonscriptions politiques de l'Union nord-américaine : Superficie 84970 miUes carrés (220 072 kilomètres carrés). N* 10 Population en 4890 ... 206 498 habitants. N* 40 Densité kilométrique. . . 0,9 » N* 43 614 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. population et formée de maisons basses et sans caractère, elle reste banale, dépourvue de tout pittoresque autre que celui de la nature environnante. Son édifice le plus visité, et l'un des plus laids aussi, est la rotonde ou dôme surbaissé que Ton appelle le « Tabernacle » et dans lequel se réu- nissent jusqu'à huit ou dix mille « Saints des Derniers Jours ». À 5 kilo- mètres^ Test, sur un contrefort des monts, s'élève le fort Douglas, où le gouvernement fédéral entretient une garnison pour appuyer ses décrets et ses lois contre toute velléité de résistance. Des villes minières, entre autres Tooele, située au sud du Grand Lac, dans une combe entre deux chaî- nons parallèles, ont Sait Lake City pour entrepôt; mais Provo City, sur la rive orientale du lac Utah, et Ogden City, dans une plaine limitée à l'ouest par le Grand Lac Salé, sont beaucoup mieux placées comme centres de commerce. Ces deux villes se trouvent l'une et l'autre aux nœuds de croisement de plusieurs voies ferrées à long parcours1. VI. — NEW MEXICO. Le New Mexico a gardé le nom donné par les conquérants espagnols, mais non pas ses anciennes limites; d'autres États ont été taillés dans le territoire que possédait le Mexique au nord du Rio Grande. Le Nouveau-Mexique, tel qu'il a été délimité par les Anglo-Américains, est, comme le Wyoming et le Colorado, borné exclusivement par des degrés ou lignes du réseau géodésique : sa forme serait presque exactement carrée, si au sud-ouest la vallée de la Mesilla n'avait été annexée au grand quadri- latère en un petit quadrangle supplémentaire. Bien que l'étendue du New Mexico l'emporte même sur celle de la plupart des États, la partie habitable de cette vaste contrée se réduit à peu de chose : la vallée du Rio Grande, qui traverse le New Mexico du nord au sud, celle du rio Pecos, parallèle au fleuve majeur, puis quelques vallées latérales et quelques hautes plaines, telles sont les seules zones de culture et de peuple- ment. Les chaînes et les massifs isolés de montagnes qui occupent une grande partie du territoire, des deux côtés du Rio Grande, et les vastes plaines sans eau qui séparent le New Mexico de l'Arizona et du Texas, sont des contrées où l'homme ne peut s'établir à demeure dans les con- 1 Villes principales de l'Ulah, avec leur population en 1890: Great Sait Lake City 44 843 habitants. Ogden City 14 889 » Provo 5159 » NEW MEXICO. CI fi dilions actuelles. Cependant des mines de métaux précieux ont attiré des colons en dehors des fonds de vallées et de leurs terres alluviales1. Près d'un demi-siècle s'est écoulé depuis que les Anglo-Américains onl annexé le Nouveau-Mexique à leur domaine, si vaste déjà, et l'on s'attendait alors à ce que la population fût rapidement assimilée à la nation conqué- rante. On se trompait. Certainement des Américains du Nord, dits « Yan- kees », même ceux qui ne naquirent point dans ta Nouvelle-Angleterre, sont venus en nombre, mais ils restent en dehors de la population espa- gnole, et celle-ci garde sa langue et ses mœurs : le mélange des sangs ne s'est fait qu'en une petite proportion. D'ailleurs, les révolutions qui eurent lieu au Mexique à diverses époques ont amené un faible con- tingent d'expatriés, aidant l'élément mexicain à se maintenir en dépit de l'immigration américaine. Quoique le chiffre de la population néo- 1 Surface des terrains irrigues dans le New Mexico en 1890 : 37 ÔOÛ hectares. 016 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. mexicaine soit bien supérieur à celui de certains États du Nord, tels que l'Idaho et le Wyoming, le Congrès n'a point encore accueilli le Nouveau- Mexique au nombre des États, sans doute à cause du caractère espagnol de ses habitants, tenus comme étrangers en dépit de la Constitution. Sur les 508 écoles du territoire, près d'un tiers ne donnaient pas encore en 1890 de leçons d'anglais à leurs élèves; dans la plupart des villages les délibérations des conseils se font encore en langue espagnole. La vaste étendue des terrains revendiqués par d'anciens propriétaires mexicains contre des spéculateurs de l'Est crée aussi une situation juridique toute spéciale au Nouveau-Mexique. Des territoires appartenant aux Indiens sont encore enclavés dans la contrée : telle la réserve des Apaches Mesca- leros, située à l'est du Rio Grande, entre la Sierra Blanca et la Sierra del Sacramento'. Dans la vallée du rio Pecos ou Puerco, étroite coulière ouverte entre dem 1 Rang du New Mexico parmi lee États et territoires de la République nord-américaine : Superficie 122 580 milles carres (317 482 kilomètres carrés). N* i Population en 1890 . . . . U4 802 habitants. -V 43 liens ilé kilométrique . . . 0,4 » V 44 i il NEW MEXICO, «tS déserts, il n'y avait guère de villages proprement dits ; à peine s'y élevaient quelques pauvres bourgades avant te creusement de canaux d'irrigation; mais on a récemment compris que les terres dures et nues apportées jadis des hautes montagnes par les torrents glaciaires attendent seulement l'irrigation pour devenir très productives et de grandes compagnies se sont fondées pour l'exploitation agricole de la contrée : l'espace arable comprend environ 200 000 hectares de terres appartenant au domaine Dessin de Lancelol, d'après une photographie. national. Le pays parait avoir été très peuplé jadis : « C'est par charretées, dit Bandclier, qu'on y ramasse les fragments de poteries peintes laissés par les aborigènes. » Las Vegas ou « les Campagnes », bourg gracieux situé à plus de 2000 mètres dans une vallée latérale du Pecos, au pied de mon- tagnes où sourdent des eaui minérales en abondance, devient le chef-lieu naturel de cette région, en même temps qu'un des sanaloires les plus fré- quentés de l'Ouest. La vallée du Rio Grande, plus riche en eau et plus rapprochée des territoires miniers ainsi que des provinces mexicaines d'où lui sont 620 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. venus ses colons, est aussi plus habitée, et Tune des grandes voies inter- nationales, celle de Chicago et Denver à Mexico, l'a empruntée pour son parcours. Cependant ce n'est pas dans la vallée même, mais à une trentaine de kilomètres à Test du Rio Grande, dans la combe latérale du Rio Chiquito, que s'établit la capitale, Santa Fé, chef-lieu de la contrée même avant l'arrivée des Espagnols. En 1542, ceux-ci se présentèrent pour la première fois, mais leur établissement définitif ne date que du siècle suivant : une de leurs églises était déjà terminée en 1627; cependant les Indiens leur disputèrent longtemps encore la possession du pays et ne les autorisèrent à rester, en 1704, qu'à la condition de s'abstenir du travail des mines. Les Anglo-Américains ne sont plus arrêtés par de semblables conventions, et de nombreux gisements sont exploités autour de Santa Fé : on affirme que la ville elle-même repose sur une couche de terrains argentifères; en 1874, du minerai extrait des rues aurait donné plus de mille francs par tonne. Santa Fé, la ville la plus ancienne de l'Union nord-américaine, a conservé son aspect de vieille cité, moitié indienne, moitié espagnole, avec ses rues inégales et ses maisons basses, construites en briques non cuites ou adobes, — « toubes » comme on dit en Algérie; — elle possède encore le « palais des gouverneurs », grande maison basse, précédée d'un péristyle de colonnettes en bois. Quelques villages indiens, habités par des aborigènes policés, auxquels les Américains du Nord ont, par une étrange méprise, donné le nom de <( Pueblos » comme à leurs groupes d'habitations, se sont maintenus dans la vallée du Rio Grande, au nord et au sud de Santa Fé. Le plus connu est celui de Taos, dans une combe occidentale des monts Sangre de Cristo. Un des pueblos indiens, situé dans une vallée latérale du Rio Grande, a reçu des Espagnols le nom de Jemez, quoique ses habitants l'appellent Vallatoa. Non loin de ce bourg, dont la population, catholique en appa- rence, n'en a pas moins gardé les anciens rites, jaillissent par dizaines les sources thermales dites Ojos Calientes, très fréquentées par les malades. A l'ouest, sur la frontière de l'Arizona, vivent encore les Zuni, cantonnés maintenant dans une vallée, non loin de leurs anciens villages perchés sur des buttes rocheuses ; dans les gorges des alentours, notamment dans le canon de Chelly, se voient quelques-unes de ces étonnantes cavernes qu'habitaient les « Falaisiers » ou ClifF Dwellers. Au nord, les voisins des Zuni, les industrieux Navajos, qui naquirent d'un épi de maïs \ n'ont point d'égaux en Amérique pour la fabrication des étoffes de laine. 1 D. J. Brin ton, The American Man. NEW MEXICO, ARIZONA 621 Albuquerquc, qui a l'avantage de se trouver dans la vallée du Rio Grande, au point de convergence des voies naturelles de la contrée, a pris récemment le premier rang parmi les villes néo-mexicaines, sinon pour la population, du moins pour le commerce. Une cité complètement nouvelle, d'aspect anglo-américain, s'est construite en dehors de l'ancien bourg délabré; à l'est se dresse le superbe massif de la Sierra de Sandia, où se x° te*. — CAJton de chblly. iir»* Ouest de raris IO^sO' Ouest de Greenwich 109*5' C Perron 1 : 150000 -I 10 kll. trouvent les ruines d'une église, ayant appartenu, dit la tradition, à la ville mythique de Gran Quivira1. VII. — ARIZONA Le territoire auquel on a donné le nom d'Arizona, c'est-à-dire « Zone Aride », a été découpé en entier dans les contrées cédées par le Mexique 1 Villes principales du New Mexico en 1890 : Santa Fé Albuquerque (vieille et nouvelle ville) . . . Las Vegas 6185 habitants. 5 518 » 2 312 » 622 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. en 1848 et en 1850. Comme la plupart des États de l'Union, et surtout ceux de l'Ouest, il a été délimité géométriquement par des degrés de longitude et de latitude, sauf à l'ouest, où le cours du Colorado le sépare de la Californie et du Nevada, et au sud-ouest, où une ligne oblique au méridien sert de frontière commune aux États-Unis et au Mexique. Ayanl même sol et même climat que le New Mexico, l'Arizona est un pays où l'agriculture ne peut se faire avec succès que dans les fonds bien arrosés et les canaux d'irrigation n'en humectent pas' même la millième partie. Un canal d'arrosement, terminé en 1887, a plus de 60 kilomètres de long et féconde des milliers d'hectares1. L'importance économique de l'État lui vient uniquement de ses mines de métaux précieux et de ses veines de cuivre; on y trouve même des diamants, des gisements de grenats magnifiques et de vastes forêts transformées en agate et en jaspe. Cependant les difficultés des échanges dans une contrée aussi aride ont empêché le peuplement. Quoique appartenant aux États-Unis depuis qua- rante années, l'Arizona n'a pas même la moitié du chiffre d'habitants fixé par la Constitution pour qu'un territoire soit admis a» nombre des États, et une grande partie de cette population minière se compose encore de Mexicains. Quelques « réserves » d'Indiens ont été délimitées dans l'intérieur du territoire : au nord-ouest les Hua lapai, au sud-ouest les Yuma, au nord-est les Navajos et les Moqui, au sud les Apaches, Pima, Maricopas et Papagos1. Ceux-ci habitent des villages de construc- tion espagnole, tandis que les Moqui occupent encore quatre falaises presque inaccessibles, du haut desquelles ils ont longtemps bravé les attaques des Navajos et des Apaches. Leurs estufas ne sont plus des temples, mais servent d'ateliers pour le tissage; hommes et femmes s'j tiennent pendant la chaleur du jour3. On sait que les Apaches furent jusqu'à une époque récente la terreur des colons mexicains ; de nos jours, il n'y a plus d'Apaches indépendants; ils sont tous retenus dans lé§ forts comme prisonniers de guerre ou cantonnés en paisibles cultivateur, sur les bords de la haute Gila*. k ■• La capitale antérieure de l'Arizona, Tucson, — en pima la « Seaj^p* 1 Terrains irrigués dans l'Arizona en 1890 : 28328 hectares. s Rang de l'Arizona parmi les États et territoires de l'Union nord-américaine : Superficie 415 020 milles carrés (292 722 kilomètres carrés). N* 5 Population en 1890 ... 59 620 habitants. N- 48 Densité kilométrique. . . 0,2 » N* 48 Production du cuivre. . . 31 362 tonnes en 1889. 3 De Nadaillac, L'Amérique préhistorique. * Alph. Pinard, Bulletin de la Société de Géographie, mars 1879. t u Greiure de Ciranlet, d'après une pliolotraphic coimnuui.|uéc par la SwiéLi dé toographi ARIZONA, NEVADA. 625 Noire » — est la cité la moins déserte et la plus ancienne de la contrée : les Espagnols y avaient conslruit leur premier poste militaire et l'on y voit encore les restes de l'édifice élevé par les missionnaires; la plus belle église du pays se voit à une petite distance au sud, à San Javier del Bac, village autour duquel on a cantonné les Indiens Papagos, au nombre de 6000, tous convertis au catholicisme. La population deTucson, mexicaine en majorité, a notablement diminué pendant la dernière décade, quoi- qu'elle fasse un commerce considérable avec la Sonora. La ville espagnole a été remplacée comme capitale par une ville américaine, Phœnix, appartenant aussi au bassin de la Gila, sur un de ses affluents septentrio- naux; elle se trouve à peu près au centre du territoire. Plus au nord, Prescott, cité minière bâtie dans un cirque de montagnes boisées, à 1796 mètres d'altitude, est dominée au nord par le fort Whipple, quartier général des troupes américaines dans le territoire d'Arizona. Une chaîne de fortifications indiennes se prolonge sur les hauteurs vers le nord-ouest jusqu'à Fort Rock, piton qui porte les dernières ruines signalées jusqu'à maintenant dans la direction de l'ouest, en deçà du Colorado. Sur les bords de ce fleuve se succèdent quelques escales de navigation, dont la principale est Yuma ou Arizona City, bâtie immédiatement en aval du confluent de la Gila, en face du fort Yuma, situé sur la rive califor- nienne l. VIII. NEVADA. Le Nevada, Etat souverain en dépit du petit nombre de ses habitants, est la circonscription la moins peuplée des États-Unis et paraît devoir rester une solitude, vu la hauteur de ses plateaux, la stérilité de ses rochers et de ses argiles. L'extrême richesse de ses formations en argent et autres métaux ne peut contribuer à son peuplement, car l'accaparement du ter- ritoire par les concessionnaires de mines frappe d'interdit toute initiative individuelle ; politiquement, tout ce grand État n'est qu'un « bourg pourri ». Pendant la décade de 1880 à 1890, la population a même considérablement diminué, tandis que s'accroissait celle de tous les pays avoisinants. Quelques petits groupes d'Indiens, enfermés dans leurs Villes principales de l' Arizona, avec leur population en 1890 : Tucson 5150 habitants. Phœnix 3152 » xti. 79 G36 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. « réserves », notamment les Shoshones, représentent encore les aborigène primitifs du plateau. Le Nevada ne mérite guère son nom, puisque la chaîne ainsi désignée aligne ses pics en dehors de ses limites, et l'Étal ne touche au versant oriental de ces montagnes que par un de ses angles, celui où se concentrent presque toute sa population et son indus- trie. Il appartient en entier aux bassins fermés des anciens lacs Bonne- ville et Lahontan, sauf au nord et au sud, où ses eaux s'épanchent vers la Columbia et le Colorado'. La capitale, Carson City, nommée d'après Kit Carson, l'un des compa- gnons de F remont dans l'exploration du Grand Ouest, est située dans cette région montueuse et boisée voisine de la Californie, mais sur le versant ' Rang du Nevada parmi les Etats et territoires de l'Union nord américaine : Superficie «0 700 milles carrés (286 113 kilomètres carrés). N* 6 Population en 1890 45 761 habitants. M* 50 Densité kilométrique 0,16 a Pi* 50 Production minière en or et argent (10 525 000 piastres, 55000000 francs en 1888). N* 4 NEVADA, WASHINGTON. 627 du « Grand Bassin » : le torrent qui traverse la ville coule au nord pour aller se perdre dans le lac Carson. La cité principale, Virginia City, s'élève aussi dans le même bassin fluvial, au nord-est de Carson, sur un massif inégal de rochers, entouré d'aqueducs et de voies ferrées. L'emplacement parait bizarre, mais les maisons et les usines ont dû se construire au- dessus des puits de mine creusés dans le filon d'argent, dit Comstock Lode. Virginia City s'aligne du nord au sud à la base orientale du mont Davidson (2420 mètres), puis, après une interruption de quelques centaines de mètres, une autre ville, Gold Hill, se prolonge suivant le même axe, et plus loin encore d'autres rues traversent Silver, la « Ville de l'Argent ». Les puits descendent à diverses profondeurs, — jusqu'à 945 mètres, — dans le filon, qui s'enrichit loin de la surface; mais la chaleur y est atroce1 ; les eaux, fournies par des fontaines d'une température de 70 degrés centigrades, emplissaient les fonds, entre la roche granitique du mont Davidson et les masses de porphyre vert du plateau. Pour exploiter les veines de métal, les plus riches que l'on connaisse, et pour rendre le travail possible dans cette atmosphère étouffante, à côté de ces sources où les ouvriers risquent de s'échauder, il a fallu creuser une galerie souter- raine de 6148 mètres en longueur, qui commence à 2368 mètres sous le mont Davidson et, s'abaissant d'un millier de mètres, débouche à 1566 mètres dans la plaine de Sutro, où serpente le torrent de Carson : les travaux sont arrêtés au-dessous de la galerie, l'air y étant irrespirable. La ville a diminué en population de plus des trois quarts; elle eut jusqu'à 55 000 habitants*. IX. — WASHINGTON. L'Etat auquel ton a donné le nom du premier président de la République, Washington, un des dernier-venus dans le concert des souverainetés unies de l'Amérique du Nord, est aussi l'un des plus prospères, malgré son éloi- gnement des grands centres de commerce et d'émigration. En 1855, il fai- sait encore partie du territoire non organisé de l'Oregon ; mais, constitué en domaine distinct, il se trouvait si dépourvu de moyens de communica- tions et privé à tel point des ressources de la culture, que de rares pion- 1 Température dans les mines de Virginia City : 49* centigrades à 700 mètres. (Wollcott Brooks, Californien Academy of Sciences,) 1 Villes principales du Nevada, avec leur population en 1890 : Virginia City 8 511 habitants. Carson Citv. 3950 » 628 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. niers pouvaient seuls s'y aventurer. En 1870, vingt-quatre ans après l'adjonction de cette contrée au domaine des États-Unis, elle n'avait guère plus d'une vingtaine de mille habitants, et dix années plus tard le nombre ne s'était encore élevé qu'à 75000. Mais les visites fréquentes des bateaux à vapeur et la construction de chemins de fer, rattachant ce territoire à San Francisco, à New York et à l'ensemble du réseau américain, ouvri- rent largement à l'immigration ce coin nord-occidental des Étals-Unis, et les colons se portent de plus en plus nombreux vers cette terre privi- légiée : le climat en est rude sur les hauteurs, mais très salubre; chaque vallée a ses eaux ruisselantes; un merveilleux ensemble de ports se ramifie en golfes dans l'intérieur du pays, des terrains fertiles s'éten- dent à perte de vue dans la large plaine qui s'ouvre entre les deui saillies parallèles, Cascade Mountains et Coast Range, et les pentes diffi- ciles à cultiver sont couvertes des plus belles forêts. Les gisements de métaux précieux, les couches de houille1 et les veines de fer commen- cent à être exploités. La contrée se peuple avec une rapidité surprenante, même pour un pays qui a vu la croissance rapide de l'IUinois et de la Californie, et des villes, dont le nom même reste inconnu en dehors de l'Amérique, sont déjà des centres actifs de commerce et d'industrie1. En dix années, la population de l'État de Washington a presque quadruplé. Elle pourra faci- lement décupler, car le grand quadrilatère limité au nord par le 49e degré de latitude, à l'est par le 117e occidental de Greenwich, au sud par le cours de la Columbia, est certainement une des contrées de l'Union qui conviennent le mieux aux immigrants de race anglo-saxonne. Les Indiens, jadis très nombreux, ainsi que le montrent les prodigieux amas de coquil- lages laissés sur les bords des rivières et de l'Océan, possèdent encore quel- ques enclaves; mais dans le voisinage des envahisseurs blancs ils ont fort à faire pour défendre leurs domaines. Ainsi les Puyallups, qui vivent au nombre d'environ dix neuf cents près de la ville de Tacoma, et qui ont acquis leurs pleins droits de citoyens et de propriétaires, ont néan- moins dû s'adresser aux tribunaux pour qu'on ne leur enlevât pas leurs parcelles de terrain. Une tribu des Nez Percés a dû s'enfuir des plaines de la Columbia, espérant aller rejoindre les Sioux de l'autre côté des monta- 1 Production de la houille en 1890 : 1 722650 tonnes. * Rang de Washington parmi les États et territoires de la République nord-américaine : Superficie : 69 i 80 milles carrés (1 79 1 76 kilomètres carrés) . N° 1 8 Population en 1890 : 349 390 habitants N- 34 Densité kilométrique : 2 habitants N* 58 (H <£îi *. t, ' à r . .■•''^.^■■i::..^-:rii -Wl ' — ^ ?• / a m y&s- ■*s % ,'t ■■'•>■ ' l J ■■ I.! ;j^ > ■•■«' :"'<' .if! ' ,.•.<<• ,.-.'.,■' _-!-.-,, •-.■;. .',-frt^ -; ■&■', *'■ '''••'••>. •■£'■-'■ .,:'ï : rM fcs .' ' r*>» ^3 r/ . -' ■fv,*' ' m 'ê y. •.,» •r> • 1 "rfii' .' ™ S y. s H Si c s ce If. ■* r> *** «^ a "" S Vi c u w y. il a c_ es ^ u I. c r4T .H ,»r i » i- ! « a a -• ju. ^ttca«L.' .k ^ÏH Su ^/ ^ .r«*"*« WASHINGTON, SEATTLE, TACOMA. 631 gnes Rocheuses et pendant des mois entiers réussit à tromper la pour- suite des troupes américaines. Pendant cette étonnante campagne de 2500 kilomètres, les femmes, les enfants suivirent toujours le gros de la troupe à travers les monts et les fleuves1. Les villes se succèdent sur les nombreux ports qui forment la ramure du golfe de Puget. Au sud de la limite canadienne et de la ville frontière Blaîne, où se soudent les deux moitiés du chemin de fer international, se montre d'abord Whatcom, au bord d'un golfe qu'un petit groupe d'îles sépare de l'archipel de San Juan ; puis vient Mount Vernon, à la bouche du puissant Skagit ; plus loin, Snohomish occupe une position analogue au pied des cascades de la rivière du même nom. Seattle, située beaucoup plus avant dans l'intérieur du Puget Sound, en face de Port Madison et de Port Blakeley, qui s'élèvent sur une île près de la rive occidentale du golfe, est devenue grande ville depuis que des chemins de fer descendus des montagnes atteignent le Pacifique. Le labyrinthe des canaux et des passes entre les îles et les péninsules fait du port de Seattle un des havres les mieux abrités; en outre, il a la profondeur nécessaire pour recevoir les plus grands navires. Un canal met la baie de Seattle en communication avec des lacs qui pourraient, s'il était nécessaire, augmenter la surface d'ancrage et de navigation. Seattle est un port d'attache pour diverses entreprises de l'Alaska, pêcheries et chasse aux animaux à fourrures; on y prépare des quantités énormes de conserves, fruits et poissons. Si étonnants qu'aient été les progrès de Seattle, ils ont encore été dépas- sés par ceux d'une autre ville du Washington : Tacoma, la plus jeune cité de l'État, est celle qui a le plus rapidement grandi. En 1880, le bourg, ainsi nommé de la haute montagne Tacoma ou Rainier, dont on aperçoit la cime neigeuse au sud-est, n'avait pas même un millier d'habitants : l'achè- vement du chemin de fer Nord-Pacifique, qui franchit la crête des Cascades en un souterrain de 5 kilomètres, au-dessous du Stampede Pass, le « Col de la Déroute », a transformé soudain Tacoma en cité commerçante. Port d'embarquement des céréales dans le golfe de Puget, il trafique même avec la Chine et le Japon, qui lui vendent du thé en échange de céréales; parmi ses usines, des scieries et charpenteries, fabriquent des maisons de bois, que l'on expédie au loin, jusque dans l'Amérique du Sud. Ses habitants lui ont donné le nom de City ofDesliny, comme pour proclamer son rang futur parmi les cités riveraines du Pacifique. Un autre port, Steilacoom, succède à Tacoma sur la rive orientale du Puget Sound, à * Henri Gaullieur, Études Américaines. 632 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. peu de distance de son extrémité méridionale, où Ton a fait choix d une plage pour la construction de la capitale, Olympia; à marée haute, les bateaux à vapeur qui vont d'escale en escale dans le Puget Sound depuis Vancouver et Victoria touchent aux quais d'Olympia, l'un des points termi- naux du chemin de fer de Californie. Quelques ports s'échelonnent aussi sur les rives de la côte occidentale du golfe, mais ils n'ont qu'une faible importance, à cause du manque de marchés dans la péninsule montagneuse et presque déserte de l'Olympe. lie plus animé est Port Townsend, situé précisément à l'angle nord- oriental de la presqu'île, à l'entrée du Puget Sound et sur la route des navires qui passent dans le détroit Juan de Fuca : il s'offre comme escale nécessaire du trafic dans ces parages; la moindre profondeur du chenal y est de 9 mètres. Des armateurs se sont installés à Port Townsend pour la pêche de la baleine. Plus à l'ouest, sur la rive même du détroit, se développe rapidement une autre ville maritime, Port Angeles. Sur la côte océanique, il n'existait naguère aucun havre utilisé par le com- merce, mais on vient de rattacher au réseau des chemins de fer, comme station terminale du Northern Pacific, la ville de South Bend, située à la bouche du Wyllapa, sur Shoalwater Bay : en dépit de son nom, qui signifie « Baie des Eaux Basses », cet estuaire offre un chenal d'au moins 6 mètres et demi et de 9 mètres à marée haute. Des bancs d'huîtres bor- dent les rives avoisinantes. Comme la Puissance du Canada, le territoire de Washington possède une ville du nom de Vancouver, sur la rive droite de la Columbia, un peu au-dessus du confluent de la Willamette. Plus haut, dans une combe latérale, l'ancien fort des Nez Percés, Walla Walla, la « Vallée des Vallées », n'est pas devenue cité, malgré la période relativement lointaine de la colonisation ; mais Spokane Falls, simple groupe de cabanes en 1880, a grandi comme les villes du Puget Sound; chef-lieu de la région orien- tale de l'État, sur la route de l'Est, elle a pris rang parmi les centres de commerce et d'industrie*. 1 Mouvement de la navigation avec l'extérieur dans les ports du Puget Sound en 1890 : 2 159 navires portant 1 698 224 tonnes. Mouvement total de Port Townsend . 2 394192 tonnes. 9 Villes principales du Washington, avec leur population en 1890 : Seattle ... 42 857 habitants. Tacoma. . . 36 006 »> (40 165 avec la banlieue). Spokane Falls 19 922 » Olympia. . 4 698 » WASHINGTON, OREGON. 633 X — OREGON. L'Oregon, qui a conservé le nom employé jadis pour désigner le fleuve Columbia et dérivé probablement des monts de Y « Ouragan1 », a, comme la plupart des autres États nord-américains, une forme massive quadran- gulaire. Cependant la mer à l'ouest, et le cours de la Columbia au nord, jusque dans le voisinage de Walla Walla, sous le 46e degré de latitude, lui forment une limite naturelle; une moitié de sa frontière orientale est également tracée par le lit d'un cours d'eau, Snake River. L'Oregon, un des grands États, couvrant une superficie égale à quarante départements français, n'a qu'une population bien faible encore ; l'accroissement annuel des habitants a toujours été très inférieur à celui des États mississip- piens : le climat froid et humide de l'Oregon, comparé à celui de la Cali- fornie, l'éloignement des" centres d'émigration, enfin la faible propor- tion des terres arables expliquent ce retard. Presque toute la partie orien- tale de l'Oregon, entre la chaîne des Cascade Moun tains et les plateaux que parcourt Snake River, est trop élevée pour la culture ; les colons n'y ont d'autre industrie profitable que l'élève des bestiaux, nourris abondamment en toute saison par les touffes du bunch-grass. Dans l'Oregon occidental, jadis forêt continue d'arbres puissants, une grande partie du territoire est occupée par des montagnes et des collines abruptes ; mais les terres des fonds sont d'une extrême fertilité : « il n'y a pas de mauvaise récolte en Oregon », dit un proverbe local. Au commencement du siècle, les seuls blancs établis dans le pays étaient des trappeurs canadiens d'origine et de langue françaises ; une de leurs colonies se maintient, presque sans mélange, à Gervais, dans la vallée de la Willamette. La première cabane d' Anglo-Américains s'éleva dans l'Oregon en 1810 seulement, et le pays resta si longtemps presque ignoré des immigrants, que la Grande-Bretagne et la République nord- américaine en gardèrent la suzeraineté commune pendant trente ans, de 1816 à 1846, sans qu'il parût nécessaire de procéder à sa délimitation entre les deux puissances. Enfin, la frontière du 49e degré de latitude fut acquise aux États-Unis. Deux années après, la découverte de l'or en Californie et la conquête de ce vaste domaine sur le Mexique attiraient la foule des immigrants sur les rives du Pacifique. L'Oregon en eut sa 1 Peut-être aussi de Yoregano, mot espagnol désignant une espèce de marjolaine. ivi. « 0 634 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. part, comme limitrophe du nouvel Eldorado, surtout quand on y découvrit également le précieux métal. Cependant les bois de construction, le froment et autres grains, les chanvres, les laines ont plus de valeur que l'or dans la production annuelle de la contrée. La pèche des saumons dans les rivières représente chaque année une valeur de plusieurs millions*. Les quatre cinquièmes de la population orégonienne se pressent dans la vallée de la Willamette, qui s'incline du sud au nord entre les deux chaînes des Cascades et de la Côte. Cette vallée, le « Jardin du Nord-Ouest », est la dépression qu'emprunte la voie ferrée côtière entre la Colombie Britannique et la république Mexicaine. Les villes se succèdent sur cette ligne maîtresse : Eugène City, bourgade agricole, entourée de vergers; Corvallis, où un chemin de fer transcontinental, aboutissant sur le Paci- fique à l'escale de Newport, se détache du chemin de fer de la Willamette; Âlbany, Salem, la gracieuse capitale de l'État, construite sur une prairie en pente parsemée de bouquets d'arbres ; Oregon City, ville manufacturière, où les chutes de la Willamette, plongeant d'une paroi de basalte, haute de 42 mètres sur une largeur de 180, font mouvoir des scieries, filatures et papeteries; Portland, la cité commerçante qui, par la population, l'indus- trie, l'initiative en toutes choses, constitue, avec lçs faubourgs de la rive opposée, East Portland et Âlbina, le véritable chef-lieu de l'État*. Quoique située à 180 kilomètres de l'Océan, Portland est en réalité un port de mer, puisque les navires qui ont pu franchir les passes de la Columbia remon- tent facilement le fleuve et son affluent la Willamette jusqu'aux berges de la ville : des lignes directes de bateaux à vapeur relient Portland à San Francisco, à New York, au Japon et à la Chine. Le chemin de fer transconti- nental, dit North Pacific Railroad, traverse Portland et l'unit à Chicago et à New York ; d'autres voies ferrées rayonnent dans toutes les directions5. Le bourg d'Oswego, non loin de Portland, a d'importantes mines de fer. Sur les bords mêmes de la Columbia il n'y a point de grandes villes dans lf Oregon. Dalles, au confluent de la rivière des Chutes (Deschutes River) et à Tissue des grandioses « dalles » qui resserrent le courant de la Colum- 1 Rang de l'Oregon parmi les États et territoires de l'Union nord-américaine : Superficie : 96 030 milles carrés (248 718 kilomètres carrés). N* 9 Population en 1890 : 512 490 habitants ... . N 38 Densité kilométrique : 1,25 habitants N* 41 * Population ouvrière de Portland en 1889 : 7862. Valeur des produits manufacturés : 20 183 044 piastres, plus de 100 000 000 francs. * Mouvement de la navigation avec l'extérieur à Portland en 1890 : 144 navires, portant 131 497 tonnes. Valeur des échanges : 138 000 000 piastres (700 000 000 francs). PORTLAND, SALEM, ASTORIÀ. 055 bia, a de l'importance comme marché des éleveurs et lieu d'escale à la léte «l'un bief de navigation du fleuve. Mais, à l'embouchure de la Columbia, la ville d'Astoria, avant-port de Portland, suit de loin les progrès de sa métropole. C'est le plus ancien établissement des blancs dans cette région côtière du Pacifique : Astor, un Allemand de New York, le fonda en 1811 pour le commerce des pelleteries ; deux années après, les Anglais s'en emparaient pour en faire un poste militaire, puis la Compagnie de Hudson y installait ses agents. L'annexion du pays aux États-Unis et le peuplement de l'intérieur firent d'Asloria l'escale la plus fréquentée de l'Oregon ; toutefois tes difficultés de la barre ne permettent l'accès du fleuve qu'aux navires d'un tirant d'eau moyen. Une jetée d'environ 4 kilomètres et demi s'enracine à la rive méridionale de l'embouchure et guide le courant du fleuve en dehors de la barre actuelle. On espère que ces travaux appro- fondiront lapasse*. Villes principales de l'Oregon, avec leur population Portland arec East Porlland el Albina. . . 75 300 habitants. 10 000 636 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. XI. — CALIFORNIE. Sur le versant du Pacifique, la prépondérance appartient à l'Etat qui pos- sède l'admirable baie de San Francisco. La Californie, partie septentrionale de la région qui avait reçu des Espagnols ce nom de « Chaude Fournaise», est l'un des grands États de la République nord-américaine. Il occupe une zone littorale de près de 10 degrés en latitude et s'étend de la rive jusque sur le plateau, par delà les chaînes côtières et la crête de la Sierra Nevada; mais pour sa délimitation on a suivi la même méthode que pour la plupart des autres États : au nord, le 42e degré de latitude le sépare de l'Oregon; au sud, une autre ligne droite partage les deux Californies, mexicaine et nord-américaine ; à l'est, deux autres lignes droites, qui se rencontrent dans le lac Tahoe, forment la frontière commune avec le Nevada; seu- lement au sud-ouest, le coure du Colorado, entre les forts Mojave et Yuma, donne une limite naturelle à l'État. Par les avantages de son climat égal et tempéré, la Californie, de toutes les contrées nord-américaines, parait le mieux convenir au séjour de l'homme. La partie principale de l'État, formée par la double vallée en ovale où coulent l'une vers l'autre les deux rivières San Joaquin et Sacramento, est une terre alluviale qui durcit au soleil, mais à laquelle les arrosements donnent une extrême fécondité, tandis que la région méridionale, au sud du nœud qui rattache la Sierra Nevada et la chaîne Côtière, forme, sur le versant oriental des monts, un espace rocheux, argileux ou salin, complètement stérile, un désert, le « pays de la mort » . Les terres fertiles du nord et du centre donnent un des meilleurs froments, et pour les vignobles et les vergers la Californie tient de beaucoup le premier rang parmi les États ; l'élevage des brebis se fait en grand dans les contrées du nord. Dans les premières décades de son existence comme partie intégrante de l'Union, la Californie, mainte- nant si riche comme terre agricole, n'était fameuse que par ses mines. Le premier de l'Union pour la production de l'or, qui a pourtant diminué de plus de moitié, l'État est le seul pour l'exploitation des veines de mercure ; parmi les métaux et les terres utiles à l'industrie il n'en est guère que ne possèdent les roches californiennes. La position de la con- trée, à la convergence de grandes voies maritimes, doit en faire aussi un État commerçant et industriel; cependant San Francisco n'a plus à cet égard le monopole qu'elle eut naguère sur la côte du Pacifique : le peuplement de l'Oregon et du Washington lui a donné dans les ports de CALIFORNIE. 637 la Coluinbia et du Puget Sound des concurrents aussi bien situés pour le mouvement international des échanges, ayant même de notables avan- tages, puisqu'elles sont moins éloignées de Yokohama et de Changhaï ; en outre, le traitement injuste que San Francisco a fait subir aux Chinois a diminué l'importance de ses relations avec le Céleste Empire. Lors de la ruée qui précipita les mineurs et les aventuriers vers la Cali- fornie, peu après l'annexion de ce pays aurifère, des gens de toute race et de toute langue vinrent se mêler ou se substituer à l'ancienne population mexicaine, pure ou métissée. Anglais et Yankees, Allemands, Français, Portugais, Italiens, Scandinaves et Russes, blancs, jaunes et noirs, accou- rurent vers cette « terre de promission ». San Francisco et les villes minières offrirent, par leurs immigrants, un résumé du monde entier; les femmes seulement manquaient à cette société nouvelle. Depuis, l'équi- libre s'est à peu près rétabli entre les sexes, et la population blanche des Californiens se fond en un type uniforme. Quant aux Chinois, dont le nombre s'accroissait rapidement, menaçant les États-Unis d'une « invasion jaune », des lois, provoquées par la rivalité des travailleurs blancs, ont presque entièrement arrêté leur immigration; cependant ils forment encore une proportion notable des habitants. Les Mexicains indigènes, à l'exception des riches propriétaires, ont été refoulés pour la plupart dans les campagnes de l'intérieur, et constituent une population vagabonde, en grande partie métissée, que l'on désigne souvent avec mépris sous le nom de Greasers. Enfin les Indiens purs, dont on énumérait les tribus par dizaines avant 1 arrivée des mineurs, ont été pourchassés d'une manière plus barbare que dans aucune autre partie de ^Amérique du Nord. Les Modocs, cantonnés au nord-est de l'État, dans les forteresses naturelles que forment les champs de laves autour du Lassen et dans le dédale des cavités lacustres du plateau, résistèrent longtemps, mais on en fit un grand massacre, puis on transporta les survivants dans le Montana. Les progrès extraordinaires de l'État dans les premières années avaient fait augurer un accroissement plus rapide des habitants pour l'époque suivante, qui rattacha la Californie1 au reste de l'Union par le réseau des chemins de fer; mais la division du sol en grands domaines, en énormes ranchos, 1 Rang de la Californie parmi les États et territoires de l'Union nord-américaine : Superficie : 158 360 milles carrés (688 370 kilomètres carrés). N° 2 Population en 1890 : 1 204 002 habitants N* 22 Densité kilométrique : 2,9 habitants N° 36 Production de For : 9 986 580 piastres en 1890 N° 1 Production des métaux précieux : . . . N* 3 658 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. presque tous disputés entre d'anciens et de nouveaux concessionnaires, ne facilite point le peuplement de la contrée. Sur la côte occidentale, au nord de San Francisco, s'ouvrent quelques petits ports de commerce, entre autres Crescent City, Eurêka et Bodega, que les armateurs russes de la Compagnie d'Alaska avaient autrefois fortifié : d'où le nom de Russian River donné au cours d'eau qui s'y déverse dans la mer. Les restes de villages indiens, tous abandonnés aujourd'hui, prouvent que la population aborigène y fut naguère considérable. Mais la grande cité voisine accapare les échanges, et d'ailleurs l'âpre chaîne Côtière sépare ces havres de la vallée du Sacramento qui pourrait leur expé- dier les objets de transport. Les bourgs agricoles se pressent dans les fonds de cette riche vallée et servent de marchés et d'entrepôts à d'autres agglomérations situées au bord des torrents aurifères qui descendent des montagnes de la Sierra Nevada. Oroville, Marysville, Placerville, eurent leur époque de célébrité quand la foule des mineurs se précipi- tait vers leurs rivières pour en passer au crible les graviers et les sables. Actuellement on parle peu de ces villes redevenues tranquilles, et dont la population résidente, plus considérable, se renouvelle moins souvent. Marysville surtout a pris de l'importance grâce à sa position au confluent des rivières Yuba et Plumas (Feather), à la tête de la navigation par bateaux à vapeur et en face d'une autre ville, Yuba City. Les voies ferrées en ont fait un centre de distribution pour toute la partie nord-orientale de l'État. Sacramento, le chef-lieu de la Californie, situé sur la rive gauche de la rivière du même nom, à l'embouchure de l'American River, est, comme Marysville, un lieu d'entrepôt et de distribution. Sa position sur un terrain bas, au confluent de deux cours d'eau, l'exposait à de redoutables inondations, et dans les premières années elle eut beaucoup à souffrir des eaux débordées. On pourvut au plus pressé en l'entourant d'une forte digue; mais en 4861 une crue soudaine de l'American River, roulant des amas de débris arrachés aux flancs de la Sierra Nevada, fit céder le rem- part, la cité fut inondée et des centaines de maisons furent démolies par la violence du courant. Il fallait empêcher le retour de semblables désastres : réparer la digue n'eût été qu'un expédient; on demandait une mesure décisive. La population, réunie sur la place publique, décida, d'une voix presque unanime, qu'on exhausserait le terrain au-dessus du niveau des crues. On se mit à l'œuvre avec une rapide initiative et une énergie dont a vu peu d'exemples, même aux États-Unis. Dans quelques rues on enfouit les maisons jusqu'à la hauteur du premier étage, mais dans la ''/ï) SAN FRANCIS Nouvelle Géographie EniTeiielle. T. XVI. H. IV. Hachette el C". Paris. rt t*& \ im r SÀCRÀMENTO, SAN FRANCISCO. , 639 plupart des quartiers on préféra garder les proportions architecturales des édiûces en les soulevant d'une pièce et en remblayant le sol au-dessous. Au moyen de grands châssis de poutres, introduits sous les murailles en forme de plancher, on hissa de trois à cinq mètres les constructions les plus lourdes. Aucune maison ne fut démolie; aucune ne s'écroula ou ne gau- chit pendant l'ascension; avec leurs meubles et leurs habitants, elles s'élevaient peu à peu dans l'air sans que rien fût changé à la routine ordinaire de la vie. La cité a gardé son aspect, mais elle est à l'abri des inondations ; les eaux viennent se rompre sur les anciennes digues, trans- formées en quais et en jetées. Dans la vallée du San Joaquin, moins bien arrosée, moins fertile que celle du Sacramento, une population moindre que dans la vallée du nord se distribue également dans les fonds de la plaine et sur les versants de la Sierra. La plus connue des villes de cette région est Mariposa, voisine de la vallée du Yosemite et des « arbres géants » ; pendant la saison d'été, la foule des visiteurs s'y renouvelle sans cesse. Un des affluents du San Joa- quin, descendu de la Nevada au sud de Mariposa, passe à Fresno, ancienne colonie espagnole qui, de toutes les villes de l'Amérique, est celle dont le district produit le plus de raisins, expédiés surtout en nature, frais ou secs, et vendus par milliers de caisses à San Francisco. Stockton, qui se trouve encore dans la vallée du San Joaquin, mais dans la plaine basse, jadis lacustre, où s'opère le confluent des deux fleuves californiens, est devenue naturellement le lieu de diramation entre les deux voies maî- tresses qui se dirigent au nord et au sud, d'un côté vers la Puissance du Canada, de l'autre vers le Mexique. San Francisco, la cité la plus populeuse de la côte du Pacifique entre le détroit de Bering et le cap Hoorn, n'était encore, lors de l'annexion, qu'un humble village de quelques centaines d'habitants, San Francisco de Yerba Buena, fondé par des missionnaires en 1776, peut-être à l'endroit où Francis Drake jeta l'ancre dans son mémorable voyage de circumnavigation terrestre1. Le faible trafic qui se faisait au moyen de rares navires avec l'intérieur de la Californie se portait vers les ports les plus avancés de la baie. Mais, dès que l'on eut découvert les mines d'or et que la foule des immigrants fut accourue de toutes les parties du monde, il devint néces- saire d'établir un port de grande navigation à l'entrée du golfe, et le village de Yerba Buena, — c'est-à-dire de la « Bonne Herbe » ou de la Menthe, — situé près du lieu d'ancrage, s'agrandit rapidement. La cité 1 J. Burney, Voyages in the South Sea. 640 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. nouvelle de San Francisco, dont le nom s'abrège en « Frisco » dans le lan- gage courant, occupe l'extrémité septentrionale de la péninsule côtière qui s'avance du sud au nord à l'entrée de la baie et que le détroit de la « Porte d'Or » sépare de l'autre presqu'île projetée du nord au sud. Mais l'espace uni dont les constructeurs disposaient pour élever la ville rapidement grandissante était assez étroit : un chaos de hautes dunes mobiles s'élevait entre la grève marine et le littoral libre de la baie ; lorsque soufflaient les vents d'ouest, le sable tourbillonnait dans les rues et l'air devenait irres- pirable. D'autre part, l'eau n'offrait qu'une faible profondeur dans le voi- sinage des quais, à l'abri de la péninsule. On eut alors l'idée de combler la partie basse de la rade avec les déblais des dunes. À l'exception des monticules consolidés par la végétation, les buttes furent enlevées et char- riées dans la mer; on élargit ainsi de plus de 5 kilomètres la zone du littoral intérieur et l'on reporta les quais jusqu'au bord du chenal où mouillent les navires, par 15 mètres de profondeur. C'est ainsi qu'on obtint pour la ville, au bord d'un havre admirable, un emplacement magnifique. L'espace recouvert par les maisons, les parcs et les villas de San Francisco s'étend sur plus de cent kilomètres carrés. Le métropole nord-américaine du Pacifique ressemble par la con- struction des demeures et le style des monuments publics aux cités de la Nouvelle-Angleterre, si ce n'est que, grâce à un climat plus sec et plus chaud, elle a pu emprunter aux villes du Mexique leurs murailles blan- chies à la chaux et leurs balcons ouvragés, auxquels s'enroulent des plantes tropicales. Les rues du milieu sont bordées de maisons somptueuses, les piétons et les véhicules de toute espèce s'y pressent comme dans les ave- nues de New York et de Chicago, mais l'apparence en est également enlaidie par rentre-croisement des fils suspendus en faisceaux aux poteaux irrégu- liers des trottoirs et aux pavillons des toits. L'hôtel de ville est un palais d'une grande magnificence, avec tours, coupoles et colonnades. Les Chinois habitent un des quartiers du centre : ce fut jadis une sorte de ghetto redouté, dans lequel la police ne s'aventurait guère, mais qui du moins avait le mérite de l'originalité : c'était le « Canton » de l'Amérique, avec ses habitants, ses demeures, ses boutiques et le désordre pittoresque de ses rues. A l'intérieur, la ville a ses jardins publics, puis à l'extérieur ses beaux cimetières, qui sont aussi des jardins et des parcs ; sur les dunes voisines de la mer s'étend un merveilleux ensemble de promenades d'où l'on contemple l'entrée de la « Porte d'Or » et qui se termine par le panorama du Cliff House ou « Maison-Falaise », commandant la vue du large. Des routes en corniche bordent la côte et l'on peut s'approcher SAN FRANCISCO, OAKLAND. 643 en barque du Seal Rock, où des phoques, protégés contre toute agression, s'ébattent par centaines. San Francisco, séparée de la côte continentale ou « contre-côte » qui est à l'orient de la baie, a dû se construire des têtes de pont sur ce rivage, point de départ des voies ferrées qui la rattachent à tout le réseau des États- Unis. En effet, le chemin de fer continu qui contourne l'extrémité méridio- nale de la baie par Santa Clara et San José, n'a pas moins de 130 kilo- mètres en développement, tandis que la traversée de la baie, directement à Test de San Francisco, est seulement de 8 kilomètres. Les bacs à vapeur vont et viennent incessamment entre la cité et ses villes annexes de la rive opposée. La principale est Oakland, dont la jetée terminale, large de 560 mètres au musoir et rayée de dix voies de fer parallèles, se continue jusqu'à 5350 mètres en mer, à un îlot que borde l'eau profonde. Oakland, ou le « Pays des Chênes », ne fut d'abord que l'embarcadère continental de San Francisco, et les villas des négociants étaient éparses dans le voi- sinage à l'ombre des grands arbres. Maintenant Oakland et ses voisines Alameda et Berkeley, siège de l'Université de l'État, sont envahies par le flot montant de la population et se transforment en villes industrielles et commerçantes ; les maisons de plaisance vont se reconstruire plus loin sur les collines qui servent de contreforts aux massifs du Monte Diablo. Une autre dépendance naturelle de San Francisco est, au sud, Palo Alto, dont un capitaliste politicien a fait choix pour y établir l'une des universités les plus richement dotées des Étals-Unis, à laquelle il a donné le nom de son fils, Leland Stanford. La ville de Saucelito (Sauzalito) se montre en face et au nord de la cité, de l'autre côté du détroit. D'autres agglomérations urbaines bordent la baie au nord-est de San Francisco : l'une d'elles, Benicia, ancienne « Venise » indienne, devint la capitale officielle de la Californie, avant Sacramento; elle s'élève au bord du détroit de Carquinez, qui fait com- muniquer la baie de San Pablo et celle de Suisun, se perdant au loin dans les marécages. Tous les bateaux à vapeur fluviaux qui remontent le Sacramento ou le San Joaquin doivent toucher à Benicia ou à Martinez, la gardienne méridionale du détroit : à Benicia, un bac à vapeur portant d'énormes trains à 2 machines et à 52 wagons rattache les deux tronçons du chemin de fer d'Oakland à Sacramento ; des navires de 5 500 tonneaux remontent jusqu'à ce détroit pour prendre des chargements de blé1. Au nord, le district de Napa, aux nombreuses sources thermales, produit des r 1 Fernaod Régnier, Notes manuscrites. 644 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. vins renommés, mais en aucune partie de la Californie le phylloxéra n'a fait plus de dégâts. Petaluma exploite en carrières ses colonnades basal- tiques et vend à San Francisco ses beurres et ses fromages. Comme centre de commerce, San Francisco n'a, sur le Pacifique, de rivaux que dans l'extrême Orient et en Australie, Yokohama, Changhaï, Hongkong, Singapour, Sydney, Melbourne. Le seul mouvement de naviga- tion avec l'extérieur représente déjà plus de 2 millions de tonnes1, et la valeur des échanges avec l'étranger approche d'un demi milliard de francs*. Les îles Havaii, qui, par leur situation géographique, dépendent de San Francisco, lui envoient leur récolte de sucre et en reçoivent du tabac, des vivres, des étoffes, des machines. Le Japon, la Chine expédient des thés, de la soie grège, du riz ; l'Australie, l'Indo-Chine sont aussi parmi les correspondants commerciaux de San Francisco; enfin, l'Angleterre reçoit la plus forte part des exportations de la Californie ; l'argent des mines de la Nevada est envoyé surtout dans les contrées d'Asie. La Monnaie de San Francisco frappe chaque année pour une somme de plus de 100 mil- lions de francs. Le percement de l'isthme américain, soit par Panama, soit par Nicaragua, aurait certainement une influence capitale sur la prospérité de San Francisco : cette ville deviendrait, pour toutes les mar- chandises lourdes et d'une faible valeur l'avant-port de New York sur le Pacifique. Actuellement elle subit une sorte de recul, dû principalement à la concurrence des villes du nord, Portland, Seattle, Tacoma. En 1877, la population de San Francisco dépassait d'une dizaine de mille le nombre des habitants indiqué par le recensement de 1890. San José — dont les résidents ont modifié le nom en celui à'Ozé — est la ville principale de la vallée de terres alluviales qui se prolonge au sud de la baie entre deux chaînons parallèles. Avec Santa Clara, sa voisine occidentale, elle formera bientôt une seule et même cité, l'une des plus agréables de l'Ouest américain; des eaux abondantes, fournies par des puits artésiens, alimentent et entretiennent la végétation de la plaine envi- ronnante, l'un des jardins de la Californie. Par sa position géographique, 1 Mouvement de la navigation étrangère à San Francisco en 1890 : Entrées 810 navires, jaugeant 1050 558 tonnes. Sorties 826 » » 1080 974 » Ensemble 1656 navires, jaugeant 2 11 i 512 tonnes. Mouvement commercial de San Francisco en 1890 : Importations . . . 48 751225 Exportations 56 876141 Ensemble 85 627 564 SAN JOSÉ, MONTEREY, LOS ANGELES. 645 San José est aussi Tune des villes privilégiées de la région ; elle com- mande les communications par terre de la péninsule de San Francisco avec l'ensemble des États-Unis et le Mexique; mais il lui manque un port : le petit mouillage d'Alviso, à 12 kilomètres au nord, près de l'embou- chure du rio Coyote, n'a point de profondeur. Les écoles et autres éta- blissements publics sont nombreux à San José et à Santa Clara : à l'est, le mont Hamilton porte le fameux observatoire de Lick, un des mieux aménagés qui existent ; il possède un télescope d'une grande puissance, qui n'est dépassé en distance focale que par celui de Nice (1891) et que l'on emploie surtout pour l'étude topographique de la lune. La vallée de Santa Clara est fort riche en sources minérales et en gisements miniers : le village de New Almaden, vers l'extrémité méridionale de la vallée, est le centre des gisements de mercure les plus productifs du Nouveau Monde. Monterey, bourg espagnol fondé en 1770, fut la capitale de la Californie aussi longtemps que la province appartint au Mexique : l'assemblée consti- tuante, convoquée après l'annexion de la contrée aux États-Unis, se réunit à Monterey. Découronné au proQt de San Francisco, le bourg déclina peu à peu et n'était plus qu'un petit port de pèche et de cabotage, lorsque la voie ferrée, le rattachant à la cité maîtresse, en fit une ville de baigneurs, l'une des plus fameuses des États-Unis : une route en corniche qui domine les grèves sur une longueur d'environ 25 kilomètres n'a que peu de rivales pour le pittoresque et l'imprévu des sites; un des promontoires, dit Cypress Point, a pour parure des cyprès aux branches tordues d'une espèce unique : à sa base, des veaux marins se jouent au milieu des écueils. Quelques petits ports, lieux d'escale pour les expéditions de minerais et de denrées agricoles, San Simeon, San Luis Obispo, Santa Barbara, se suc- cèdent sur la côte méridionale ; mais la cité la plus considérable se trouve à une certaine distance dans l'intérieur. Los Angeles — en espagnol Reina de los Angeles ou « Reine des Anges » — est une des villes anciennes de la République, puisqu'elle existe déjà depuis plus d'un siècle : ce fut une mis- sion mexicaine fondée en 1781, par douze familles comprenant des Espa- gnols, des nègres et mulâtres, un métis, des Indiens et un Chinois. Elle prospéra : en 1836, elle passait au rang de ville et devenait capitale de la province Alta California : à la fin de la guerre du Mexique, quand elle fut cédée aux États-Unis, elle avait 2000 habitants; mais les mines d'or qu'on y avait découvertes dès l'année 1853 n'y avaient jamais été sérieusement exploitées. Depuis l'annexion elle a rapidement grandi : c'est la deuxième cité de la Californie. Située dans la plaine la mieux arrosée du midi de G46 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. l'Etat, à la base d'une sierra dont elle commande les passages, elle occupe une position qui en fait l'un des centres de la production et du commerce. Encore mexicaine par son faubourg de Sonora et par nombre de maisons construites en toubes ou adabes, elle est devenue complètement américaine dans ses parties populeuses, élevées en briques ou en bois, en prévision des tremblements de terre, assez fréquents dans le pays : des eucalyptus, des faux-poivriers, des ricins arborescents entourent les maisons, et les bords des ruisseaux qui traversent la ville et ses campagnes ne sont qu'un immense jardin, riche en orangers et autres arbres fruitiers. Chaque maisonnette est ornée de sa treille, et, dans le nombre, plusieurs ne le cèdent guère au cep de Santa Barbara, qui produit de 4500 à 5 000 kilo- grammes de raisin par vendange. On mange des fraises à Los Angeles pendant tous les mois de l'année. Le froment, l'orge, l'avoine, l'huile d'olive, les figues de Los Angeles sont fort estimés, et plus encore ses vins, les meilleurs de la Californie : le cru le plus apprécié vient d'Ana- heim, colonie jadis allemande, située au sud de la ville dans la vallée du rio Santa Ana. On peut dire que le bassin de Los Angeles, si bien abrité des vents du nord par les montagnes, est une grande ferme expérimentale pour les plantations d'orangers, de bananiers, de caliers, d'arbustes à thé, d'arbres à caoutchouc. La pureté de l'air, la douceur du climat de LOS ANGELES, SAN DIEGO. 647 Los Angeles en ont fait un sanatoire très fréquenté par les riches Amé- ricains de San Francisco et des États orientaux : les bains de mer de Santa Momca, petite escale située sur la baie la plus rapprochée, com- plètent la station thérapeutique de Los Angeles. Le port principal, au „ ÇSL sud-ouest de la ville, est le bourg de Wilmington, protégé par des jetées artificielles : un embranchement du chemin de fer Soutkern Pacific y porte les laines, les vins, les céréales et autres denrées du pays. L'en- semble du mouvement commercial de Wilmington avec les pays étran- gers, en i890, s'est élevé à près de 50000 tonnes, mais le trafic se fait 648 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE surtout par cabotage avec San Francisco. Un autre port a pris le nom de San Pedro. Dans les îles de l'archipel voisin, notamment à Santa Barbara, des fouilles archéologiques ont amené la découverte d'un grand nombre de tombeaux et d'objets curieux. La frontière, au sud de la Californie américaine, a pour gardienne la ville de San Diego, située à la bouche de la rivière du même nom et sur un estuaire marin accessible aux grands navires : c'est la plus ancienne colonie californienne en territoire américain ; les Espagnols la fondèrent en 1769. Aussi San Diego est-elle devenue un centre de commerce avec les pays étrangers, et l'on a tenté, mais sans succès, d'en faire une rivale de San Francisco1; elle eut, dit-on, jusqu'à 75000 habitants el visiteurs pendant une période de spéculation à outrance. Du moins a-t-elle l'avantage d'être par le chemin de fer interocéanique du sud le port du Pacifique le plus rapproché de la Nouvelle-Orléans et du golfe Mexi- cain; comme sanatoire pour les valétudinaires du nord, San Diego est aussi, grâce à l'égalité de son climat, une des villes les plus agréables de l'Amérique du Nord. La péninsule rocheuse du Coronado, ancienne île qui défend le port contre les vents d'ouest, est parsemée de maisons de plaisance et porte à son extrémité, au-dessus de la Punta Loma, un des grands hôtels de l'Amérique. Quand on exploitera les richesses natu- relles que renferment les anciens bassins lacustres de la Californie méri- dionale et de l'Arizona, borax, borate de soude, carbonate de soude et autres produits chimiques, San Diego sera le port indiqué pour l'expédition de ces denrées qui ont fait la prospérité du Chili septentrional*. 1 Mouvement de la navigation à San Diego, sans le cabotage, en 1890 : 541 navires, jaugeant 122 281 tonnes. * Villes principales de la Californie avec leur population en 1890 : San Francisco 297 990 habitante. Oakland 48 590 » Alameda 11000 » Ensemble métropolitain (San Francisco, Oakland, Alameda, etc.). 557 580 » Los Angeles 50 594 » Sacramento 26 272 » San José 18 027 » » avec Santa Clara (2 518 hab.) 20 545 » San Diego 16 155 » Frcsno 10 796 » CHAPITRE Vil DÉMOGRAPHIE ET STATISTIQUE DE L'UNION NORD-AMÉRICAINE I MOUVEMENT DE LA POPULATION Chaque dixième année, depuis 1790, les États-Unis procèdent à un recensement général des habitants et de la fortune publique. Onze fois déjà Ténumération s'est faite, et chaque fois les résultats acquis ont témoi- gné de la rapide croissance de l'immense organisme national. Pendant les cent années de 1790 à 1890, la population des États-Unis est devenue seize fois plus forte : de près de 4 millions elle s'est élevée à 65 millions d'hommes \ fct les ressources nationales se sont accrues en des proportions encore supérieures. Comparée aux Iles Britanniques et à la France, l'Union dépasse Tune et l'autre de plus d'un tiers par le nombre des habitants ; mais si elle était peuplée suivant une densité analogue, c'est par centaines de millions qu'on y compterait les hommes. Avec une population aussi dense que celle de la Belgique, les États-Unis renfermeraient plus d'hommes que n'en comprend le genre humain*. Il est certain que de graves erreurs entachent quelques-unes de ces vastes opérations décennales du recensement. Celui de 1870, de l'aveu de 1 Premier recensement, en 1790 5 929 214 Onzième recensement, en 1890 (sans les Indiens et sans Alaska). ... 62 622 250 ■ Population de diverses contrées en 1891 : Belgique 6 200 000 habitants, soit 210 par kilomètre carré. Iles Britanniques. . . . 37 900 000 » » 124 » France 38 200 000 » » 71 » États-Unis 64 000 000 » » 7 in. 82 650 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. tous les statisticiens d'Amérique, ne mérite point une absolue confiance, surtout pour les chiffres qui se rapportent aux États du Sud. À cette époque, la partie méridionale de la République était encore en pleine révo- lution intérieure; des guerres de races sévissaient çà et là, des sociétés secrètes se disputaient la conquête du pouvoir, des gouvernements hostiles prétendaient également au droit légal d'employer la force pour adminis- trer les comtés et les villes. Et c'est dans un pareil chaos que des employés recenseurs, nommés par une autorité contestée, cherchaient à recueillir un état précis de la population en un vaste territoire, dont mainte partie leur était peu connue ou difficilement accessible ! Aussi les erreurs, surtout par omission, furent-elles nombreuses, si bien que les statis- ticiens ont dû s'efforcer ensuite de remplacer les chiffres officiels par des nombres probables déduits de comparaisons faites avec les autres recen- sements décennaux. Ainsi la population totale, fixée par les énuméra leurs à 38115 341 individus, aurait été réellement en 1870 d'environ 40 mil- lions d'hommes \ En 1890, il eût été facile d'obtenir de meilleurs résul- tats, mais l'immense travail ne fut point confié aux plus capables, indépen- damment de leurs opinions politiques : on en réserva jalousement les bénéfices aux électeurs influents du parti au pouvoir, et l'opinion générale est que nombre de recenseurs se montrèrent insuffisants. Le cens de New York, trop faible de deux cent mille personnes, en est une preuve. Cependant, tel qu'il est, l'ensemble du travail n'en est pas moins un de ceux qui touchent au plus grand nombre de problèmes, et qui y répondent le mieux : il suffit amplement à mettre en lumière les prin- cipaux phénomènes démographiques. La population se distribue d'une manière très inégale suivant les condi- tions diverses d'altitude et de latitude, de température et d'humidité, d'exubérance ou d'avarice du sol, de richesses minières, de situation com- merciale, et suivant l'origine des immigrants, l'âge des colonies, l'histo- rique du peuplement. A cet égard, les caries dressées par Gannett sont des plus instructives *; à la vue de ces documents, on constate aussitôt le jeu des forces qui sollicitent et groupent les habitants : relief, exposition des ver- sants, bassins fluviaux, isothermes, degrés géographiques, proportion des pluies, tous ces éléments sont étudiés dans leurs rapports avec la réparti- lion des habitants, et la densité respective des populations se trouve par- faitement expliquée dans tous ses détails. Ainsi les recherches de 1 Robert P. Porter, United States Ceruut Bulletin, 1890, n* 12. « Census Bulletin, 1891, n- 52, 33, 47, 89. ACCROISSEMENT DE LA POPULATION. 651 Gannett ont établi qu'un peuplement considérable ne peut se faire dans les contrées dont le climat présente des extrêmes de température ou d'humi- dité trop éloignés de la moyenne. Étant donné que la chaleur « pivot aie » des États-Unis, moins l'Alaska, tombe sur la ligne isothermique H°,66, qui S* if». — ACCROISSEMENTS COMPARÉS DE LA POPULATION DE L'UNION BORD-AMÉRICAINE, DES ILES BRITANNIQUES ET DE LA FRANCK. «n la population américaine, les cartes statistiques présentent des enclaves de grande étendue où le nombre des habitants a réellement diminué. D'année en année, l'écart s'accroît entre les pays de peuplement et les régions désertées : dans la décade de 1870 à 1880, il n'y avait eu déper- dition que dans 158 comtés, tandis que dans la décade suivante, plus de 400 comtés se dépeuplèrent partiellement. Non seulement les États agri- coles de la Nouvelle-Angleterre, Maine, New Hampshire, Yermont, ont perdu en plusieurs districts plus d'habitants qu'ils n'en ont gagné, mais aussi l'État de New York présente le même phénomène, sur les bords du Hudson et du Saint-Laurent, dans les hautes vallées du Delaware et de la Susquehanna. Une moitié de New Jersey a perdu des habitants au profit de la banlieue new-yorkaise ; presque toute la Virginie orientale et le bas Maryland, entre la chaîne des Appalaches et la mer, sur un espace d'environ 100 000 kilomètres carrés, ont subi un mouvement de recul. De même, plusieurs des comtés ruraux de l'Ohio, de l'Indiana et de l'Illinois se sont appauvris en versant leur population dans Cincinnati, Indianapolis, Saint Louis et Chicago. Dans chaque État du Sud, le vide se fait graduellement en quelques districts; partout où se fonde l'usine, la campagne rapprochée se peuple aux dépens de la campagne lointaine. Enfin, dans toutes les régions minières d'or ou d'argent, à l'exception de celles du Montana, la diminution du rendement ou l'accaparement des mines ont eu pour conséquence de réduire le nombre des habitants1. Ainsi le paysan s'en va, mais aux États-Unis le vrai paysan est rare, si ce n'est dans les comtés anciennement peuplés, comme le pays des Dutchmen, en Pennsylvanie; presque partout, le cultivateur est un immigrant ou fils d'immigrant, ayant pris à demi les mœurs des villes, grâce aux voyages et à la rapide accoutumance aux inventions nouvelles. Actuellement nombre de villes naissent, pour ainsi dire, toutes faites. Des spéculateurs, propriétaires de mines, d'eaux motrices ou de grands 1 Population urbaine et rurale aux États-Unis : Population totale. Population rurale. Population urbaine. 1790 3 929 214 5 797 742 131 472, soit 3,35 p. 100 1890 62 622 250 44 386 580 18 235 670 » 29,12 8 Henry Gannett, Extra C en sus Bulletin, n° 1, 1891. MOBILITÉ DES POPULATIONS. «59 domaines favorablement si lues, tracent sur la carte le plan de la cité future avec ses rues et ses places, ses hôtels, écoles et monuments publics, ses avenues et ses parcs, puis ils construisent des voies ferrées convergentes vers l'emplacement choisi, et mettent les lots en vente à grand renfort de journaux, de brochures et d'affiches. L'entreprise échoue ici, mais elle réussit ailleurs : le boom, — c'est ainsi qu'on appelle la période de réclame, de spéculation, d'agiolage et en même temps de travail furieux qui accompagne la fondation des cités, — le boom se termine fréquem- ment par la faillite et la ruine ; mais souvent aussi la cité surgit réellement du milieu des solitudes avec lout son appareil d'industrie et de civilisation. Ainsi naquirent presque soudain Omaha et Kansas Cilv, sur le Missouri, Cheyenne, Denver, Pueblo, Colorado Springs dans les plaines rases que dominent les monts de la Façade. Roanoke du plateau Virginien, Birmin- gham des vallées alabamiennes sont également des villes neuves créées d'un jet, et maintenant on voit s'élever de terre des villes comme Middlesbo- rough, dans le Kenlueky, près de Cumberland Gap, ou Kensington, en Pennsylvanie, à 29 kilomètres au nord de Piltsburg. A la fin du mois d'août 1891, cette ville avait cinquante-huit jours d'existence, et cinq grandes usines se dressaient déjà sur le bord de la rivière Alleghenv, 660 NOUVELLE GÉOGRAPHIE IMVERSELLE. la terre était bouleversée sur une longueur de plus de deux kilomètres pour la construction des maisons, l'établissement des rues et la canalisation du pétrole et du gaz naturel ; vingt-huit trains par jour s'arrêtaient à la nouvelle station, installée au milieu d'un bois défriché. Les villes fondées à l'ancienne mode, sans plan tracé à l'avance, se déve- loppent autrement. Les cultivateurs venus d'outre-mer ou des régions du littoral bâtissent leurs demeures et leurs maisons d'exploitation au milieu de leur propriété, et le pays se recouvre de constructions dispersées. Cepen- dant les colons éprouvent le besoin de se réunir de temps en temps et font choix, généralement vers le centre de leur district judiciaire ou towmhip, d'un espace où s'élèvent les quelques bâtiments nécessaires aux ser- vices publics, à l'administration ou au culte, école, église, bâtiment des postes; un maréchal ferrant s'y établit; de même un aubergiste, si la loi le permet ; là se tiennent les lieux de foire ou même des expositions agricoles; un commencement de village prolonge ses rues en dehors de la place originaire. Telle est la mobilité des populations américaines que les villes meurent aussi facilement qu'elles naissent : la puissance de l'habitude, le culte du foyer ne retient personne dans la cité de toiles, de planches, de briques ou de pierres qu'on avait vu s'élever si rapidement à l'appel de la spéculation. Si les grandes espérances d'enrichissement ont été déçues, si la mine ou la source de gaz sont épuisées, si le courant commercial s'est déplacé, si les faillites se succèdent, la ville redevient déserte, les chemins de fer inter- rompent leur trafic et les hôtels tombent en ruines. « Née comme un cham- pignon », la cité d'un jour meurt aussi comme un champignon; bientôt il n'en reste plus trace. Tel est le cas de Pit Hole City dans le district de TJluile, en Pennsylvanie, où l'on vit, en l'espace de six mois, surgir un hôtel de ville, des théâtres, près de quatre-vingts hôtels, un château d'eau, et qui, avant la fin de l'année, redevint déserte ; un nouveau chemin de fer ayant attiré ailleurs les éléments de commerce, elle perdit en quelques semaines ses quinze mille habitants : en 1890, la population de la ce Cité du Trou » se réduisait à 40 individus. Certaines villes se déplacent en bloc : elles suivent la voie ferrée. Les campements miniers des Black Hills ont disparu presque tous, et les vallées sont redevenues désertes. On a même vu des agglomérations urbaines se fondre et se reformer ailleurs, afin d'éviter le paiement des taxes : c'était une sorte de faillite collective. Les États-Unis n'ont, pour ainsi dire, point de capitale, car Washington, le siège des corps délibérants et la résidence officielle du président de la République, n'a point ce qui fait une véritable capitale, plus encore que VILLES AMÉRICAINES. 665 la supériorité en nombre d'habitants, l'hégémonie politique et la prépon- dérance dans les arts et les œuvres de la pensée. Boston fut autrefois le chef-lieu des colonies septentrionales, et d'après elle, tous les Américains du nord- -est, désignés actuellement sous le nom de Yankees, reçurent des Français du Saint-Laurent l'appellation de « Bostoniens ». De nos jours, Boston reste la métropole de la Nouvelle-Angleterre et peut prétendre a» premier rang dans l'ensemble de In République pour son initiative dans la poursuite des sciences et dans l'éducation ; mais elle est trop inférieure à New York et à d'autres cités par la population et le commerce pour pré- tendre au titre de capitale. New York, beaucoup mieux placée comme centre international des échanges, a plus de droits que Boston à se dire « capitale »; elle s'est même dénommée Empire City, « Cité de l'Empire »; et certainement elle est la première pour le trafic, la banque, l'industrie, 664 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. mais elle ne saurait avoir la prétention de l'être pour les sciences, les arls, l'influence décisive dans la politique et l'économie sociale ; en outre, elle est tellement éloignée du milieu géographique des États-Unis que, par le seul effet de l'éloignement, son influence se perd peu à peu dans la direc- tion de l'Ouest. Il en est de même pour Philadelphie, qui fut pendant la guerre de l'Indépendance et quelques années après, le siège du Congrès américain; à bien plus forte raison, Washington doit-elle être considérée comme située sur la circonférence de la contrée, en dehors des foyers de la vie nationale. Pourtant, à l'époque où Washington et ses amis virginiens firent choix d'une enclave prise sur les terres de la Virginie et du Maryland pour la constituer en un « district fédéral » où devait s'élever la future capitale, siège de la législature des Etats-Unis, l'emplacement désigné paraissait excellent. Il se trouvait alors dans le voisinage immédiat du milieu géomé trique des treize États primitifs, entre les frontières du Canada et celles de la Floride ; c'était un terrain neutre entre les États du Nord et ceux du Sud, entre les contrées où devaient se développer le commerce et l'in- dustrie et celles dont les travaux étaient uniquement agricoles, entre les régions cultivées presque exclusivement par des mains libres et celles où chaque plantation avait son atelier d'esclaves. En outre, Washington était située sur un fleuve navigable, immédiatement en amont d'un estuaire accessible aux navires d'un faible tirant qui faisaient alors la traversée de l'Atlantique. Il semblait tout naturel qu'avec l'aide du prestige assuré par la réunion annuelle du Congrès, la cité nouvelle prit rapide- ment un rang élevé parmi les agglomérations urbaines des Étals-Unis, et c'est dans l'attente d'un pareil accroissement que l'ingénieur L'Enfant, chargé du plan de la cité, dessina d'avance un si vaste réseau de rues, d'avenues et de boulevards aux « distances magnifiques ». L'espace embrassé sur la carte s'est empli h peine pendant un siècle d'existence, et la cause de ce retard dans les destinées de Washington provient sans doute en partie de ce que l'on avait cru d'abord un avantage, la position de la ville entre deux groupes d'États ayant des institutions différentes. Cité neutre en vertu de la constitution qui lui enlève le droit de vote politique, Washington était doublement neutre par le fait de sa situation géogra- phique entre les pays d'esclavage et les pays de liberté : la vie, si active ailleurs, s'écartait de ce lieu dangereux, n'ayant -d'importance capitale qu'au point de vue stratégique : pendant la guerre civile, c'est autour de ce pivot que devaient se porter tous les efforts des armées en lutte. Le site de Washington n'étant central que pour les États côtiers de VILLES AMÉRICAINES, ÉQUILIBRE DES POPULATIONS. 665 l'Atlantique, les populations du bassin mississippien arrivèrent naturelle- ment à croire que la vraie place d'une capitale de la Confédération devrait être sur les bords du grand fleuve. À cet égard Saint Louis semblait l'endroit prédestiné, puisqu'elle se trouve vers le milieu du cours fluvial, non loin de la croisée formée par les deux courants du Missouri et de l'Ohio, à la jonction des routes de l'Atlantique et du Pacifique, de New York et de San Francisco; mais, en dépit de cet emplacement, qui lui valut en effet d'être l'une des principales cités de l'Amérique, Saint Louis a été de beaucoup distancée par son ancienne rivale, Chicago, qui a le privilège d'être située au bord de l'un des Grands Lacs, à la fois au cœur du continent et à la tête de la navigation atlantique par le Saint-Laurent. Enorgueillie de ses progrès, Chicago se donne aussi le nom de « Reine » et de« Capitale », mais sa prépotence, purement industrielle et commerciale, ne s'appuie encore sur aucune supériorité dans les sciences ni dans les arts, et jusqu'à une époque récente sa réputation était loin de lui donner à cet égard l'un des premiers rangs. Ainsi les États-Unis n'ont pas une cité capitale, mais, comme il convient à une fédération, plusieurs cités de premier ordre, Boston, New York, Philadelphie, Baltimore, Chicago, Saint Louis, Saint Paul, Omaha, San Francisco, New Orléans, qui toutes sont des foyers d'attraction pour des régions considérables. Sans doute, la République est en voie de centralisation, à la fois par l'amoindrisse- ment des distances, par l'unification des lois et la puissance formidable des syndicats financiers; du moins a-t-elle encore l'avantage de ne pas être soumise à une seule cité faisant converger vers elle toutes les forces vives de la nation. Actuellement la ville qui paraît avoir le plus de chances pour devenir le foyer vital de toute la confédération est sans con- teste Chicago. Le manque d'équilibre dans la population, mal répartie dans le territoire immense, se corrige d'année en année par le déplacement du milieu ou centre de densité, c'est-à-dire du point autour duquel le nombre des habitants de la République nord-américaine est exactement le même sur tous les rayons tracés vers le pourtour. Ce point n'a cessé de se déplacer graduellement vers l'ouest depuis les commencements de la colonisation. Les premiers immigrants s'étaient tous établis sur les rivages de l'Atlan- tique, à la base orientale de la chaîne des Appalaches, dans une étroite zone qui, par suite de sa grande longueur, se partageait naturellement, comme naguère l'Italie, en plusieurs États distincts, et fit à ses habitants une nécessité géographique de l'organisation fédérale. Quand les Améri- cains fondèrent la ville de Washington pour en faire la capitale commune xn. 8i 666 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. des États indépendants, c'est à cet endroit même ou dans le voisinage — exactement à 37 kilomètres à l'ouest de Baltimore — que se trouvait en effet le vrai centre ; mais, dès la fin du siècle dernier, l'émigration com- mençait à se porter vers les fertiles plaines de l'Ohio, déplaçant à mesure le point d'équilibre des populations. En 1820 le centre de gravité fran- chissait la première chaîne des Alleghanies, et en 1850 il se trouvait dans les plaines occidentales, en plein bassin de la Kanawha. En 1840 il était encore dans le même versant de rivière, mais en 1850 il se rapprochait déjà des bords de l'Ohio, non loin de Parkersburg. En 1860 il avait dépassé ce fleuve et gagné le voisinage de Chillicothe ; puis, dix années après, il n'était plus qu'à 77 kilomètres à l'est de Cincinnati. D'après le recensement de 1890, le point mouvant, entré dans l'Etal d'Indiana, se trouve à peu près au centre du triangle formé par les trois cités de Cincinnati, Indianapolis et Louisville. Or le milieu géométrique du territoire des États-Unis, sans l'Alaska, est bien au delà du Mississippi, dans le Kansas du Nord : entre les deux centres, de population et de superficie, la distance à vol d'oiseau est d'environ mille kilomètres. Le point mathématique où s'équilibrent les masses de la population croissante n'a cessé de cheminer ainsi vers l'ouest, suivant une orbite presque régulière, augmentant ou diminuant en vitesse avec les alternatives de l'immigration; mais depuis la décade de 1850 à 1860, qui fut la pé- riode du peuplement rapide de la Californie, la progression se ralentk sensiblement, et sans nul doute la vitesse du mouvement continuera de décroître. La distribution normale de la population suivant les ressources des différents États paraît déjà presque achevée : c'est un peu à l'est de la vallée du Mississippi que tend à s'établir le centre de gravité des Améri- cains du Nord. L'immigration des colons européens, qui a fait les États-Unis, reste encore énorme, numériquement bien supérieure sans aucun doute à la foule des nations en marche qui s'ébranlèrent du fond de l'Asie pour se ruer sur l'empire romain ; toutefois le monde américain est assez puissam- ment constitué pour que le prodigieux exode se porte vers ses rivages sans occasionner le moindre trouble matériel; il pourrait même passer inaperçu si les conséquences économiques et sociales des croisements et des influences réciproques n'étaient pas de la plus haute importance pour l'avenir des États-Unis, et par contre-coup pour celui du monde entier. On sait à peu près exactement le nombre des immigrants pendant le siècle écoulé depuis la guerre de l'Indépendance. Avant cette époque, le mouvement d'arrivée était fort lent ; il n'y avait guère d'immigrants proprement dits, mais surtout IMMIGRATION. 067 des « engagés », et les trois millions d'habitants qui peuplaient la contrée étaient en grande majorité issus de familles appartenant à la deuxième ou troisième génération. Après la constitution de la République, l'immi- gration s'accrut; toutefois durant quarante années, jusqu'en 1820, on n'évalua qu'à 250000 le nombre des immigrants arrivés dans les ports. Puis le courant se précipite, et chaque décade, à l'exception de celle pendant laquelle sévit la guerre de Sécession, amène un flot plus consi- dérable d'étrangers , presque tous aspirants à la nationalité nord-améri- caine \ Les recensements officiels donnent un chiffre de quinze millions et demi pour les immigrants, mais cet énorme total reste au-dessous de la vérité, puisqu'on a renoncé depuis 1885 à dénombrer les arrivants par la frontière de terre, notamment par Montréal et le chemin de fer du Niagara : de nombreuses erreurs, constatées dans fce compte des voyageurs, le firent abandonner. Cependant on estime à 540 000 personnes le total des entrées par ces frontières, et le faible accroissement, pendant la der- nière décade; de la population canadienne, pourtant si prolifique, permet de considérer cette évaluation de plus d'un demi -million d'hommes comme probablement inférieure à la réalité. Depuis la séparation d'avec l'Angleterre, les États-Unis ont donc reçu au moins seize millions d'im- migrants : souvent plusieurs milliers de passagers débarquent à New York en un seul jour. Toutefois, si l'immigration a progressé d'une manière absolue, elle a décru en proportion du nombre total des habi- tants : c'est dans la décade de 1850 à 1860, durant la période de réaction qui succéda aux révolutions de 1848 et des années suivantes, que le mouvement ethnique de migration eut sa plus grande importance rela- tive*. L'année 1882 représente le sommet de la courbe d'immigration; on compta 750349 arrivants, soit à peu près exactement 2000 par vingt-quatre heures! Pareil exode n'a-t-il pas les proportions d'une révolution cosmique? 1 Immigration aui Etats-Unis de 1820 à 1891 : De 1820 à 1830 128 393 personnes De 1850 à 1840 539 391 » De 1840 à 1850 1423 237 » De 1850 à 1860 2 799 423 » De 1860 à 1870 1964 061 » De 1870 à 1880 2 834040 » De 1880 à 1890 5 246 613 » En 1891 555 496 » Ensemble de 1820 à 1891 15 490 654 personnes • Immigration de 1850 à 1860 : 2 799 423, soit 12.1 pour 100 de la population en 1850. » de 1880 à 1890 : 5 246 613, soit 10.5 » » en 1880. Ô68 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Les huit millions d'étrangers qui vivent actuellement sur le sol améri- cain se répartissent d'une manière très inégale dans leur nouvelle patrie. Le point d'arrivée de la plupart des immigrants, New York, commence par garder une part considérable de ce flot d'hommes; une cité de ces prodigieuses dimensions, ayant un tel mouvement industriel et com- mercial, avec un cortège de villes nombreuses dont chacune a sa spécialité manufacturière et sa colonie d'Européens où les nouveau-venus trouve- ront des parents et des amis, doit exercer une attraction irrésistible sur des milliers d'immigrants. Plus de la moitié des habitants de New York naquirent en dehors de cette ville ; les trois quarts sont issus de parents dont l'un au moins est venu d'où Ire-mer. Cependant la masse des émigrés dépasse la « Cité-Empire » pour se distribuer dans le reste de la Répu- blique, mais non suivant des routes également divergentes comme les rayons d'un cercle. Les migrations se font par une succession de centres secondaires, tels que Philadelphie, Piltsburg, Buflalo, Cleveland, Cincinnati. Saint Louis, Chicago, Minneapolis, Omaha, Denver, et les itinéraires suivis par la foule diflèrent à peine. Sur dix colons, un seulement prend le chemin de quelque ville du Sud ; mais les neuf autres n'iront point au hasard dans les diverses parties du Nord ; une carte statistique les montre au contraire se groupant en archipels distincts, principalement autour des grandes villes. Les Allemands, qui, grâce à leur langue, se perdent moins vite que les Irlandais dans la masse de la nation américaine, se pressent surtout à Philadelphie, à Cincinnati et dans le reste de l'Ohio, dans l'Illinois, le Wisconsin et le Missouri, autour de Chicago, de Milwaukee et de Saint Louis. Les Scandinaves se portent vers les régions froides du Nord, dans les États voisins de la Puissance, où le climat ressemble à celui de leur patrie. Les Canadiens français envahissent peu à peu les terres limitrophes de leur contrée d'origine. Chaque peuple a ses affinités qui facilitent la transition et le préparent à la nationalité nouvelle dans laquelle il ira se fondre. De tous les centres d'immigration, San Francisco est, avec la cosmopolite cité de New York, celle où les éléments de toute provenance s'unissent en une population originale ayant son caractère propre. Résidents mexicains, étrangers de toutes races venus par mer lors de la grande ruée des mi- neurs, Américains de l'Est amenés par les voies transcontinentales, don- nent à la cité du Pacifique une physionomie distincte parmi toutes les cités de l'Union. Pendant les dernières années la proportion des éléments ethniques de l'immigration a beaucoup changé. On sait quels furent les ancêtres de la IMMIGRATION. 669 populalion dite « américaine •> par excellence. D'une part c'étaient des puritains, des hommes d'ardente foi el d'àpre volonté qui s'exilaient pour pratiquer librement leur culte; d'autre part, des favoris de la Couronne, concessionnaires de grands fiefs, qui peuplaient leurs domaines d'aven- turiers, d' « engagés » ou même de criminels livrés par les prisons du royaume : dans l'ensemble, tes colons, presque tous de langue anglaise, avaient au moins une qualité commune : l'énergie du vouloir, l'esprit d'initiative. Les Suédois du Delaware, les Hollandais du Hudson, surtout les huguenots français, qui contribuèrent pour une aussi forte part à la prospérité de la nation et qui lui ont donné, toutes proportions gardées, le nombre le plus considérable d'hommes ayant marqué dans l'histoire amé- ricaine', étaient aussi des hommes d'audace, qui devaient ajouter leur élé- ment de force morale aux cléments primitifs. Quant aux paysans allemands de la Pennsylvanie, ils restèrent longtemps isolés, et maintenant encore, ils constituent une populalion presque distincte, n'ayant guère contribué à modifier le caractère des Américains « anglo-saxons » qui les entourent. La période de la grande immigration commença par introduire des gens de langue anglaise, Celtes en majorité, puisque les Irlandais, Écossais el i Honrr Cabol Lodge. The Cenlury Magazine. Soptembor 1891. STO NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE. Gallois remportaient sur les Anglais; mais depuis 1870 la proportion des émigranls du Royaume-Uni a graduellement diminué. La famélique Irlande s'étant à peu près vidée de son excédent de population, l'Angleterre proprement dite ne suffit plus à alimenter l'exode d'une manière aussi active. L'Allemagne a la prépondérance pour l'émigration ; dans l'ensemble, depuis 4820 jusqu'en 1890, elle a fourni près des trois dixièmes des colons à l'Amérique du Nord, venant en majorité des provinces du nord- est, Mecklembourg, Poméranie, Prusse Orientale; cependant cet apport de E3 ■ n a m de Oà2f>% % Jc-tàfyX ebSJfylL ftuiJeSf, X population décroit aussi après s'être précipité pendant les années qui sui- virent la révolution de 1848; l'expatriation, prenant alors un caractère politique, entraînait les jeunes et les mécontents. Mais pendant les deux dernières décades, l'émigration germanique s'est ralentie, et ce sont des Scandinaves, Danois, Suédois et Norvégiens, qui ont en partie compensé la diminution. En outre, de nouveaux éléments ethniques, tout à fait dis- tincts de la race anglo-saxonne ou tudesque, s'introduisent maintenant aux Ëlals-Unis en proportions considérables : les Italiens et les Slaves, qu'effrayait autrefois l'émigration en pays de langue étrangère, ont vaincu leurs appréhensions; poussés presque tous par la misère, ils accourent en foule, et l'on prévoit une période prochaine où ils auront la majorité parmi les arrivants. IMMIGRATION. 671 1 L'absorption de ces émigrants si différents des Américains par les mœurs, les traditions et le génie national pourra-t-elle s'accomplir d'une manière aussi facile que celle des colons antérieurs, plus rapprochés de race? C'est là une question que les économistes et les historiens se posent avec une certaine anxiété, d'autant plus qu'elle se complique d'une incontestable infériorité d'instruction chez les Italiens, Slaves et Juifs polonais et russes, qui composent le nouveau courant d'immigration : leurs artisans pratiquant un métier représentent une proportion bien moindre que chez les Anglais et les Allemands : presque tous sont manœuvres, portefaix, revendeurs1. On a reconnu qu'en mainte occur- rence, des agents de recrutement, envoyés spécialement dans l'Europe de l'Est et du Midi par de grands manufacturiers, ont embauché des travailleurs à un faible salaire pour remplacer les ouvriers américains à paie plus élevée. Ils procèdent à l'égard des « bras » importés d'Europe comme ils le firent dans les premiers temps de l'immigration chinoise. Les premiers « Célestes » amenés d'Asie entrèrent dans une usine de cor- donnerie du Massachusetts. Nombre de politiciens proposent déjà de prendre contre l'immigration des mesures de restriction, sinon de suppression complète, comme celle qui fut prise en 1882 contre les Chinois. A cette époque, on interdit rigoureusement à tout « Céleste » l'entrée du territoire américain, et le retour fut également défendu à ceux qui, après absence, auraient voulu revoir leurs amis et reprendre le courant de leurs affaires : exception n'était faite que pour les Chinois riches, voyageurs ou savants, ayant soin de faire attester officiellement leur position sociale. On n'a pris encore d'autre mesure contre l'immigration des Européens qu'en frappant d'in- terdit le débarquement des idiots, des fous, des criminels, des nécessiteux, des femmes enceintes non mariées ; mais cette loi est rigoureusement appli- 1 Immigration par nationalités de 1880 à 1890 : Allemands 1457 000 2 198 000 924 000 Scandinaves 741 000 Irlandais 655 000 Anglais 145 000 Ecossais 115 000 Gallois 15 000 Russes 268 000 Autrichiens (Slaves) 179 000 Hongrois (Slovaques, Croates, Serbes) 150 000 } 687 000 Polonais 60 000 Tchèques 50 000 J Italiens, Français, Suisses, Belges 155 000 672 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. quée : on visite avec soin chaque navire et Ton retient à bord tous ceux qui ne peuvent pas justifier d'un petit avoir, d'une profession lucrative, d'une situation régulière; même des blessés, des malades, sont retenus à l'hôpital, pour être renvoyés après guérison1. Si Ton en juge par le langage des journaux, l'aggravation de ces mesures restrictives est à craindre. En réalité, il ne s'agit que très secondairement d'hostilité ou de répu- gnance instinctive à l'égard de gens d'autre race ou d'autre langue : la question est surtout d'ordre économique et politique. Les classes instruites, principalement dans la Nouvelle-Angleterre, se scandalisent d'être sou- mises à un gouvernement nommé par des électeurs ignorants, exerçant leur droit de suffrage au hasard ou le vendant pour quelques piastres; d'autre part, les ouvriers américains ne peuvent que voir avec déplaisir des ouvriers étrangers qui viennent diminuer d'un tiers, de moitié, ou même plus encore, le taux moyen des salaires et qui aident ainsi à con- stituer le monopole des riches manufacturiers. Ceux-ci, de leur coté, pèsent de toute leur influence sur les pouvoirs publics pour maintenir un état de choses qui leur fournit le travail à bon marché et qui en fait les dispensateurs de la fortune nationale. Même la loi prohibitive prononcée contre les Chinois n'est pas considérée comme sans appel, et les grands propriétaires terriens ne manquent pas de comparer, d'une manière défavorable pour les travailleurs de leur propre race, les ouvriers à peau blanche avec les ouvriers à peau jaune qui mettent à faire la besogne convenue tant d'obéissance, de précision et de ponctualité. A prix égal, le viticulteur préfère de beaucoup s'adresser à des Chinois qu'à d'autres Américains pour faire ses vendanges : il peut être sûr qu'au jour indiqué la compagnie de Chinois associés avec laquelle il a fait marché apparaîtra sans faute et qu'elle achèvera toujours fidèlement le travail promis. Plus d'une fois on a saisi dans le dédale des îles du Puget Sound des navires de contrebande, important des ouvriers jaunes dont le voyage avait été cer- tainement payé par des spéculateurs blancs. Il est dans la nature humaine que le natif se considère comme supérieur à l'étranger qui vient lui demander un asile, de la terre ou du travail. L'Américain regarde donc de haut les pauvres immigrants qui débar- quent sur les quais de New York; toutefois ces nouveau-venus repré- sentent, au point de vue démographique, une part d'action plus considé- rable que les résidents établis déjà depuis plusieurs générations ; ils auront en moyenne des familles plus nombreuses, une plus vaste descendance, et 1 Renvois d'immigrants : 1 500 en moyenne par an. (Whitney, United States.) î ■ IMMIGRATION, DÉMOGRAPHIE AMÉRICAINE. 675 par conséquent ils contribueront, dans une proportion majeure, à consti- tuer la nation de demain. C'est un fait bien constaté que la natalité diminue graduellement chez les Américains natifs et surtout dans les régions les plus civilisées de la Nouvelle-Angleterre. Dans plusieurs villes du Massa- chusetts citées par Nathan Allen, le nombre des enfants a décru successi- vement d'une dizaine par famille à la première génération, jusqu'à la sixième, où la mère ne donne plus naissance qu'à trois enfants. Autrefois les grandes familles étaient la règle, maintenant elles sont l'exception, soit parce que la puissance créatrice de la race a réellement diminué, soit, comme en France, parce que les parents sont retenus par la crainte de ne pouvoir assurer le bien-être à leurs enfants. Certainement cette der- nière cause, la peur de l'avenir, explique pour une bonne part la dimi- nution des familles d'origine puritaine qui se répandaient autrefois en essaims nombreux en dehors de leurs ruches d'origine ; tandis que dans les États de l'Ouest et du Centre, comme le Kentucky et le Tennessee, où la vie des enfants se trouve assurée d'avance par les conditions écono- miques, les familles ont gardé leur fécondité normale, il n'en est plus ainsi dans les États du Nord-Est, qui restèrent si longtemps et qui sont toujours à maints égards la partie dirigeante de la nation. Phénomène plus grave encore, le nombre des célibataires s'accroît, une forte propor- tion des jeunes filles restent sans maris, la race s'éteint sans descen- dance1. Quoique la mortalité soit relativement très faible dans ces États fondateurs de la République, la natalité se montre encore plus faible dans les familles de natifs. Sur cent ménages yankees, vingt sont stériles: sans l'arrivée des immigrants, la contrée se dépeuplerait. A cet égard, le recensement de 1890, si défectueux qu'il soit, est des plus instructifs. En retranchant les immigrés du total de la population, en 1890 et dans les décades précédentes, on constate que l'accroissement naturel par l'excédent des naissances sur les morts se ralentit considéra- blement. Encore faut-il tenir compte de ce fait, que le croît provient pour une très forte part des familles d'étrangers à la deuxième génération. Ainsi au Massachusetts la natalité dans les familles d'Américains purs ne dépasse pas 18 pour 100, tandis qu'elle atteint 54 pour 100, le triple, dans les familles d'immigrés1. Bien que ceux-ci, chez lesquels les hommes prédominent beaucoup en nombre, ne puissent tous se marier, ils n'en 1 Accroissement naturel de la population nord-américaine, sans l'immigration : 1860 à 1880. ... soit 18,5 pour 100 par décade. 1880 à 1890. ... » 14,4 )> J> * Samuel W. Abbott, Nation, April 10, 1890; — Aug. Cartier, Le Mariage aux États-Unis. 676 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. peuplent pas moins la contrée, refoulant peu à peu les natifs : on a pu sans ironie parler de l'ambition des Franco-Canadiens, prétendant recon- stituer une « Nouvelle France » dans un territoire que les « Bostoniens » avaient jadis agrandi aux dépens de leurs ancêtres. Comme dans tous les pays de forte immigration, la proportion des hommes dépasse celle des femmes aux États-Unis, mais la société a pour tendance normale de se reconstituer avec prédominance du sexe féminin. De tous les étrangers, les Irlandais arrivent le plus en familles .complètes, hommes et femmes; parmi les Italiens au contraire, les hommes, les jeunes surtout, immigrent en plus grand nombre et la disproportion des sexes est énorme1. Dans les districts miniers les femmes manquaient presque com- plètement pendant la période chaotique des premières exploitations, si bien que, pour créer la famille, des bandes de mineurs ont fréquemmen eu l'idée de voter des récompenses aux premières femmes courageuses qui viendraient prendre époux parmi eux. On vit dans un théâtre de San Francisco la foule imposer silence aux acteurs pour donner à une mère, la seule femme qui se trouvât dans la salle, le temps de consoler et d'endormir son enfant. Encore aujourd'hui la prépondérance des hommes est très forte dans les États de l'Ouest et dans tous ceux vers les- quels se porte l'immigration. Dans la Nouvelle-Angleterre, où la société a eu le temps depuis trois siècles de se constituer sur de puissantes assises, et dans la Caroline du Nord, qui reçoit fort peu de colons étran- gers, les femmes ont la supériorité du nombre. * Les médecins physiologistes constatent des différences dans l'état de santé, dans les maladies et la force d'adaptation et de résistance des diverses populations qui se rencontrent aux États-Unis, comme des minerais de qualités diverses dans un même fourneau. Le contraste le plus remar- quable parmi les blancs est celui que les cinq cent mille Israélites, pres- que tous Achkenazim, c'est-à-dire juifs de l'Europe slave, présentent avec les Européens dits de race « aryenne ». Natalité, nuptialité, mortalité sont moindres en proportion parmi les juifs que parmi les chrétiens; la mortalité surtout est inférieure, et par conséquent la population ne cesse de croître, même sans immigration. Par une remarquable immunité, 1 Proportion des sexes parmi les immigrants aux Etats-Unis pendant la décade de 1880 à 1890 : Irlandais 51 hommes, 49 femmes pour 100 habitants. Allemands 57 » 43 » » Anglais et Scandinaves . . 65 » 35 » » Austro-Hongrois 68 » 32 » » < Italien*. ........ 79 » 21 » v \ » IMMIGRATION, DÉMOGRAPHIE AMÉRICAINE. 677 les enfants juifs échappent à nombre de maladies qu'ont à redouter les enfants chrétiens, et les garçons ont une force de résistance exception- nelle contre la mort : aussi la proportion des sexes, toujours à l'avantage numérique des femmes dans la population blanche de l'Europe, s'éta- blit en sens inverse chez les juifs d'Amérique : dans les familles israé- lites de ^Tew York, le rapport est de 109 ou HO hommes contre 100 femmes1. Tous les contrastes de peuple à peuple, de race à race, se fondent chaque jour dans la nation nouvelle qui se forme de ces éléments divers et qui doit en outre s'accommoder à un climat différent de celui d'ori- gine et par conséquent se modifier en proportion du milieu. Les vanités de personne et de race, le manque d'ensemble dans les recherches et le conflit des assertions contradictoires ont rendu jusqu'à maintenant impos- sible de formuler un jugement précis dans ces questions délicates, mais on ne saurait douter que des changements ont eu lieu dans la constitution physique de l'Américain moderne. D'une manière générale, l'Américain type, représenté surtout par les hommes des régions appalachiennes, est d'une taille supérieure à celle de l'Européen ; moins charnu, rarement gras, moins blanc et rose que l'Anglais1, plus anguleux, il laisse mieux voir sa charpente osseuse et le réseau de ses nerfs. C'est là ce que dit la chanson populaire de Yankee doodle : A Yankee boy is trim and tall, And never over fat, Sir. w Enfant précoce, le jeune Américain entre dans la bataille de la vie avant son cousin du vieux continent, même avant son frère John Bull : il devient homme plus tôt; l'étranger s'étonne de rencontrer des garçons, presque des enfants, qui s'occupent du placement des marchandises, de la direc- tion d'un journal ou de la tenue d'un brelan avec autant d'aplomb et de savoir-faire que de vieux praticiens. Le contraste de formes entre les sexes paraît moins marqué qu'en Europe. Les jeunes filles, souvent élevées avec les garçons, et pratiquant volontiers les mômes jeux, ont une démarche dégagée, une grande liberté d'allures, un charme spécial qui vient, non de leur faiblesse, mais au contraire de leur initiative hardie et de la confiance qu'elles ont en elles- mêmes. Si l'on doit reconnaître des dégénérescences locales provenant 1 John S. BiUings, North American Review, January 1890. 1 John C. Fleming, North American Review, Àug. 1891. — U. Uaullieur, Eludée Américaines. 678 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de l'atmosphère insalubre des villes d'industrie et d'une nourriture échauf- fante, hâtivement ingurgitée, il n'en est pas moins incontestable que l'en- semble de la race n'a rien perdu : la terrible expérience de la guerre de Sécession a montré chez les millions de combattants de prodigieuses res- sources en vigueur physique et en solidité ; pour la'taille et l'ampleur du buste, les plus beaux hommes viennent du Kentucky et du Tennessee, puis de l'Illinois, du Michigan, du Wisconsin. Il n'est pas un exercice de force, d'agilité, d'adresse, de vaillantise, où des Américains de l'Est, aussi bien que du Centre ou de l'Ouest, ne soient au premier rang; l'homme du Nouveau Monde apporte plus d'activité dans son existence que l'homme de l'Ancien, sa vie est plus intense, mais elle n'en est pas abrégée pour cela1. Dans l'ensemble, la race si mélangée des États-Unis parait, sous l'influence du milieu, s'être rapprochée physiquement de l'Indien : ou voit plus souvent chez l'Américain ce teint rougeâtre, ces cheveux longs et plats, cet œil froid et perçant, cette figure âpre, au nez arqué, cette démarche altière qui caractérisent l'aborigène. On dirait qu'en mourant, le Peau-Rouge reparaît en son destructeur. II POPULATION INDIENNE. Les descendants des premiers possesseurs du sol sont bien peu de chose aujourd'hui en comparaison de la nation d'immigrants qui s'accroît de plus d'un million d'hommes par année. Le recensement de 1890 compte 216 706 Peaux-Rouges, non compris les indigènes de l'Alaska, ni ceux qui, mêlés à la population blanche, sont devenus des citoyens au même titre que les «Visages-Pâles*». Le recensement ajoute à cette liste 52 567 Indiens taxés et jouissant de leurs droits d'Américains, mais ceux que les recen- seurs ont signalés sont probablement une faible part des indigènes, pres- que tous métissés, qui se perdent de plus en plus dans la masse de la nation. Les Indiens en tribus qui se maintiennent distinctement comme les représentants de la race des Peaux-Rouges, ne forment plus que la trois- 1 Nathaniel S. Shaler, Nature and Man in America; — ïïunt, Anthropological Review, Aprfl 1870; — John C. Fleming, North American Review, Aug. 1872. * Indiens des réserves 133 382 » civilisés du Territoire Indien 66 289 )> Pueblos du Nouveau-Mexique 8 278 Autres 8 757 VISAGES-PALES ET PEAUX-ROUGES. 679 centième partie de la population totale dans les limites des États-Unis : on les évalue à part, et souvent on oublie de les compter dans le cens défi- nitif, comme s'ils étaient une quantité négligeable. La décroissance des tribus indiennes, prises en bloc, est un fait incon- testable, reconnu par les recensements opérés de décade en décade. Quel- ques théoriciens de la force brutale, heureux d échapper à un remords, ont eicipé d'une prétendue loi d'après laquelle une race « inférieure » devrait nécessairement disparaître au contact d'une race « supérieure ». La pré- sence du blanc suffirait pour que le rouge se trouvât frappé à mort dans sa personne ou dans sa descendance. Loi commode, qui permettrait au colon d'en agir à son aise avec les indigènes, en rejetant sur la fatalité les effets de ses propres agissements : spoliation, cruauté, tromperie deviendraient ainsi des formes presque justifiables de la lutte pour l'existence ! Mais celte « loi » n'existe point; les statistiques partielles faites sur les tribus qui se sont trouvées en contact avec les blancs pendant plusieurs généra- tions ont fait la part des causes de prospérité ou de ruine. Sans doute on peut citer des exemples de maladies meurtrières, rougeole, variole et autres, qui ont décimé, parfois même presque entièrement détruit, des peu- plades d'aborigènes; mais on sait aussi que maintes fois ces épidémies furent déchaînées sciemment par l'envoi de haillons souillés, et d'ailleurs il y a longtemps que les relations entre les Visages-Pâles et les Peaux- Rouges sont assez fréquentes pour que le simple voisinage des blancs ne constitue plus un danger spécial de maladie et de mortalité chez les indigènes. Depuis la période de crise qui a forcé la plupart des Indiens à passer de la vie de chasse à celle de la culture des champs, ils se sont accommodés à leur nouveau milieu, et dans ces conditions leur nombre s'accroît toujours d'une façon normale. L'orgueil blessé, la mélancolie ont eu une certaine part dans la mortalité des Indiens, mais, d'une manière générale, toute diminution des tribus agricoles peut être attribuée directe- ment à la guerre, aux massacres gratuits, au rapt des femmes, au pillage ou au bannissement en masse. En exemple des progrès constants accomplis par les Indiens que respectent leurs voisins de race blanche on peut citer la grande nation des Iroquois, qui comprenait un peu plus de onze mille individus en 1863 et qui se compose actuellement de plus de seize mille personnes vivant en diverses parties du Canada et de l'État de New York, mais déjà pour une très forte part mélangée à la société des blancs : nombre d'Iroquois ne le sont que pour se vanter de leur origine et se réunir parfois avec des frères de race, célébrer certains rites d'un caractère maçonnique, et prononcer des 680 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. formules en une langue qu'ils ne comprennent plus. Les Etchemins du Maine ont également augmenté, de même que les survivants des Semi- noles, à l'autre extrémité de la côte atlantique, dans les marais de la Floride, et les Puyallups, sur les bords du Puget Sound. La puissante nation des Sioux, qui a pourtant eu à subir tant de vicissitudes guerrières, a quadruplé depuis le commencement du siècle. Les Chcrokees, qui parais- sent avoir le génie le plus accessible au progrès, prospérèrent d'une manière remarquable aussi longtemps qu'ils vécurent dans les hautes vallées des Àppalaches : malgré la guerre, malgré l'exil et les difficultés d'établissement dans leur nouvelle patrie, ils se sont également accrus sur les bords de la Canadienne, du Neosho et du Yerdigris. Les cinq nations dites « civilisées » du Territoire Indien, Cherokees, Choctaws, Creeks, Chickasaws, Seminoles, ont toutes augmenté depuis qu'elles jouissent d'une paix relative dans un domaine qui est censé leur appartenir, mais où plus de cent mille blancs leur disputent déjà le sol1. C'est une loi générale que, laissés à eux-mêmes, les Indiens libres, vivant de l'agricul- ture et de l'élève du bétail, s'accroissent régulièrement en nombre. On sait comment les Visages-Pâles s'y sont pris pour débarrasser de ses hôtes la terre dont ils voulaient s'emparer1. À l'égard des malheureux, c'est dans toutes les colonies à peu près la même histoire de fraudes, de violences et de cruautés systématiques. En Virginie, aussi bien que dans les Carolines, à New York et dans la Nouvelle-Angleterre, les blancs de toute race et de toute religion ne se firent aucun scrupule de tromper les Indiens de mille façons, de les corrompre en favorisant leur penchant à l'ivrognerie, de les exciter les uns contre les autres, de leur déclarer des guerres injustes et de massacrer, même de brûler les prisonniers2; dans plusieurs colonies, des lois formelles autorisèrent l'esclavage perpétuel des Peaux-Rouges capturés à la guerre et la vente des enfants, comme « païens et fils du diable », aux planteurs des Bermudes. Quand une épidémie sévissait contre les blancs, on y voyait l'effet de la colère divine ; quand elle décimait les Indiens , elle était une bénédiction d'en haut*. Les exemples de Roger Williams et de Penn, qui s'adressèrent 1 Cinq Nations civilisées du Territoire Indien : 1865 47 316 1880 59 187 1890 66 289 * Helen Hunt Jackson, A century of Dvthonov, — Amena Quinton, Cave of the Indian*. 5 Morton, New England Mémorial. 4 Johnson, History of New England. REFOULEMENT DES INDIENS. 681 respectueusement aux peuplades indiennes pour leur demander l'autori- sation de s'établir dans le pays et pour solliciter leur amitié, ont été malheureusement peu suivis dans l'histoire américaine, et même dans ces colonies modèles, dont les fondateurs espéraient voir les blancs et les rouges vivre en frères, les premiers devaient bientôt faire d'horribles massacres des tribus environnantes. En 1764, le propre descendant de William Penn promettait 150 piastres pour la chevelure d'un Indien et 50 pour celle d'une Indienne 1 . Nombre de peuplades furent exterminées ou, devenues trop faibles pour garder une existence indépendante, durent se fondre avec des nations dif- férentes. Dans quelques colonies, la guerre était sans trêve ni merci, on traquait les sauvages comme des bêtes fauves ; on mettait leurs têtes à prix comme celles des loups et des vipères. Couvertes de leurs cadavres, les plus belles campagnes de l'Amérique du Nord, celles du Ken tue ky, devinrent pour les Indiens « le sol sombre et sanglant ». Même les peuplades les mieux traitées eurent à choisir entre l'expatriation et la mort. Diverses tribus ne consentant point à vendre leurs terres, on les leur prit et on les déporta au delà du Mississippi. Les Creeks, les Cherokees des Âppalaches du Sud, occupant les districts où s'élèvent aujourd'hui les villes d'Atlanta, Athens, Dahlonega, invo- quèrent vainement la foi des traités : ils furent protégés quatre ans par le président Adams ; mais aussitôt après la nomination du violent Andrew Jackson à la présidence des États-Unis, il leur fallut abandonner le sol qui leur avait été solennellement garanti. En 1835, lorsque les Cherokees, poussés l'épée dans les reins par les troupes fédérales, durent prendre en une longue procession le chemin de l'Ouest, les malheureux, à peine nourris, vêtus de loques, accablés de fatigue, perdirent plus de quatre mille des leurs dans leur voie douloureuse de plus de mille kilo* mètres par delà le Mississippi. Puis vint le tour des Seminoles de la Flo- ride, qui furent expulsés de leurs marais après une guerre terrible dont bien peu réchappèrent. Une fois chassés des régions qui s'étendent à l'est du Mississippi, les Indiens eurent à céder successivement les terres les plus fertiles qu'ils occupaient à l'ouest du fleuve, et ce qu'ils ne donnèrent point de gré leur fut arraché de force. Les Sioux, sur les frontières du Minnesota, les Pieds-Noirs, les Corbeaux, les Gros-Ventres' dans les plaines de l'Ouest, les Comanches au Texas, les Apaches, les Navajos, lesYuma dans le Nouveau-Mexique, les Gheyennes, les Utah ou Pah-Utes 1 Henry, H U tory of the Lehigh Vallcj ; — G. von Rath, Pennsylvanien. x?i. 86 68i NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. sur le grand plateau, les Serpents, les Nez-Perces, les Têtes-Plates, les Modoc sur le versant du Pacifique, essayèrent vainement de se maintenir en maîtres sur leurs territoires de chasse et de traiter en égaux avec leurs voisins les Visages-Pàles. Même ceux d'entre eux qui vivent sur des « réserves » dont la possession leur a été jurée par les traités, ne réussis- sent point à se défendre des envahissements de l'agriculteur blanc. Dans les premiers temps de la colonisation, les massacres se faisaient sans scrupules hypocrites; maintes fois aussi, pendant la deuxième moitié de ce siècle en Californie, on a chassé le gibier humain comme les fauves ; mais dans les autres parties de l'Union il a été de règle, depuis l'Indépen- dance, de procéder à l'égard dés Indiens sinon avec équité, du moins avec un respect minutieux des formules de la justice. Le gouvernement fédéral, protecteur-né des aborigènes, traitait naguère avec chaque peu- plade comme si elle constituait un État souverain; l'agent qu'il nom- mait auprès d'elle était officiellement un ambassadeur accrédité par le « Grand Père », dépourvu de tous droits de gouvernement et d'admi- nistration. Les clauses des traités sont discutées et réglées avec une solennité parfaite, et l'article final ne manque pas de stipuler pour la convention une « durée aussi longue que la croissance des herbes et l'écoulement des eaux ». Il y a plus : le gouvernement ne se borne pas aux bonnes paroles, il dispose aussi de sommes considérables votées par le Congrès; il achète les terres et les paie à beaux deniers comptants, ou du moins il envoie l'argent, et si une part de cette somme se perd en route, les vendeurs indiens en touchent d'ordinaire quelque chose. L'ensemble de tous ces achats successifs représente des centaines de millions, même plus d'un milliard1; il est vrai que les guerres faites contre eux ont coûté plus du double. Le prix d'achat des huit millions d'hectares cédés par les Choctaws s'élevait à 23 millions de piastres, près de 150 mil- lions de francs, beaucoup plus que la vente de la Louisiane et de tout le Trans-Mississippi avait rapporté à la France*. Heureux parmi les Indiens ceux qui, après avoir touché tout ou partie du prix de vente des terres, sont laissés à eux-mêmes dans leurs réserves et ne dépendent pas, pour leur vie journalière, de la sollicitude du gouvernement fédéral ! Tels sont les Navajos de New Mexico qui vivent de l'élève de leurs bestiaux et du lis- sage des laines. D'autres, les Pueblos, sont des agriculteurs qui pourraient 1 Sommes versées pour l'achat des terres indiennes, de 1789 à 1840 : 85 millions de piastres, environ 440 millions de francs. » Benton, Thirtu Yeavs View; — Mondot, Histoire des Indiens d'après les rapports officiels; — Àug. Cartier, La République Américaine. REFOULEMENT DES INDIENS. 685 servir de modèles à leurs voisins néo-mexicains de race blanche ! Mais de nombreuses peuplades ont vendu leur liberté en même temps que leurs domaines et se trouvent, de fait, réduites à la condition de mendiants : elles se réunissent à temps fixés auprès de l'agence fédérale pour recevoir des vivres, des animaux de travail, des vêtements et couvertures \ Rares sont les agents desquels les « pupilles » du gouvernement n'aient pas à se plaindre : l'occasion de faire fortune est tentante et les fournis- seurs, pour la plupart politiciens nommés en échange de services électo- raux, savent profiter de l'aubaine : on leur livre des marchandises à bas prix, ils les revendent à gros bénéfice, et comment les accuser de pré- varication auprès du « Grand Père » ? Eux et leurs amis sont chargés de transmettre les doléances et de faire les enquêtes. D'ailleurs le régime actuel des tribus empêche toute résistance. A l'époque de leur liberté, le pouvoir monarchique était complètement inconnu des Indiens, ils avaient pour « chefs » des hommes de confiance devenus populaires à cause de leur courage, de leur adresse ou de leur prudence. Maintenant ces chefs sont devenus peu à peu des maîtres, auxquels on s'adresse spécialement pour toutes les transactions commerciales ou militaires ; leurs intérêts, désormais distincts de ceux de leurs sujets, les portent à s'enrichir aux dépens d'une foule avilie. La masse des humbles pensionnés se rend bien compte de sa destinée fatale, qui est de céder ou de périr. Les malheu- reux savent bien que les enclaves formellement garanties par les traités leur seront enlevées dès que les colons blancs auront intérêt à s'en em- parer, et que leurs subsides seront supprimés s'ils ont l'imprudence de les trouver trop réduits. Ils se laissent donc aller à leur sort, et l'ivro- gnerie, le jeu, la débauche les poussent vers la ruine. « Les trafiquants s'attachent à leurs pas, comme les loups suivent le bison à la piste », dit le voyageur Edvin James. « L'homme blanc, le whisky, la variole, la poudre et les balles, l'extermination! » répète un des proverbes indiens. De décade en décade la superficie des réserves diminue sur la carte. Jadis l'indigène était refoulé vers l'ouest, maintenant il est noyé dans la marée montante qui l'assiège de toutes parts. Une loi du Congrès votée en 1887 prévoit même la suppression complète des réserves en autorisant le président à proclamer la fin de la tribu comme groupe distinct et à faire cesser l'indivision du sol; en partageant le territoire comme le domaine national en carrés d'une surface de 65 hectares, on distribue un lot à 1 Indiens des « réserves » non entretenus par le gouvernement américain en 1890 : 98 707, plus du tiers des Peaux-Rouges recensés. (Thomas Donaldson, Centus Bulletin, n* 25, 1891.) 684 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. chaque chef de famille et désormais il n'y aura plus d'Indiens, tous seront confondus dans la nation américaine1. Un décret présidentiel suffit donc pour enlever des millions de kilomètres carrés aux indigènes et pour faire d'eux, s'ils ne savent s'accommoder au nouveau milieu, des intrus, des a forbans » sur la terre de leur patrie. C'est ainsi que récemment les Sioux ont perdu d'un coup environ les deux cinquièmes de leur territoire. Encore au milieu du siècle, ces Peaux-Rouges vivaient dans la vallée du Missis- sippi, près de l'endroit où s'élève la cité de Saint Paul. Refoulés vers l'ouest, ils reçurent « pour l'éternité » des terres que borde à l'est le cours du Missouri dans les deux États actuels du Dakota et dans les vallées des Black Hills. 11 semblait d'avance presque certain qu'ils périraient rapi- dement dans ce nouveau domaine, où l'existence de ces Indiens chasseurs semblait liée à celle du bison. Et cependant les Sioux, quoique privés désormais des grands animaux sauvages, avaient su s'accommoder à leur vie nouvelle, remplacer la chasse par l'élève du bétail, et leur nombre s'était graduellement accru9. Mais en 1890 on leur lit signer de force la cession d'une moitié de leurs terres, tout en négligeant d'en effectuer aussitôt le paiement. Les Sioux, fort mécontents de leurs prétendus amis et bienfaiteurs, n'ignoraient point qu'ils étaient trop faibles pour combattre et se retiraient en grondant soi» leurs tentes. Ils attendaient leur salut d'un miracle. Tout leur avait été cas* » traire : le gouvernement les avait privés d'une moitié de leur domaine; leurs récoltes étaient perdues par l'effet de la sécheresse; la rougeole, pxàà m la grippe, plus fatale encore qu'en Europe, décimaient les tribus; la faitt'.»* sévissait, emportant ceux que laissait l'épidémie. Au milieu de ces popute" A tions affaiblies par la misère et la famine, les rumeurs les plus fotttat." trouvaient créance. Le bruit s'était répandu qu'un messie leur viendrait dfrl/T pays des « gens qui s'habillent en peaux de lièvres », et qui vivent au deti-v des Pah-Utes et des « Peaux-Jaunes » . Confondant les enseignements d& " missionnaires et les traditions relatives à Montezuma qui se sont propa- gées de tribu en tribu au nord des Pueblos du Nouveau-Mexique, ils s'attend daient à la venue de ce Libérateur, que les blancs avaient tué, disaient* ils, mais qui s'était échappé du tombeau pour venger la race opprimée des Rouges, leur rendre la terre et les troupeaux de bisons. Les guer- riers décidèrent de se livrer à la danse des Esprits pendant trente lunes afin de hâter l'avènement de leur sauveur ; ceux qui mourraient à la peine 1 James Bradley Thayer, Atlantic Monthly, Nov. 1891. J Albert 6. Brackett, Annual Report ofthe Smithtonian Institution, 1876. ttcHin de I. Lkéc, d après une photographie communiquée ptr li Société1 de Geogrepbie REFOULEMENT DES INDIENS. 687 élaienl assurés de revenir avec de bonnes nouvelles de leur voyage dans l'autre monde. Ces danses magiques furent considérées comme une rébel- lion des Sioux. Un de leurs chefs les plus fameux, Sitting Bull ou le « Taureau Assis », fut arrêté dans sa tente, à Standing Rock, dans le Dakota du Nord, et tué avec nombre de ses compagnons pendant la bagarre N° 178. — RESERVES DES SIOCX. 46" Oi>est de Pans 105* O^est de Greenwich 100* C Perron EH Lower Brûlé Indian Réservation Crow Creek Indian Réservation 1 : \ OOO *W> 103 kil. qui suivît sa capture. Dans le Dakota du Sud, à Wounded Knee, la répres- sion fut plus terrible : on commença par désarmer les hommes, puis on les massacra, ainsi que les femmes et les enfants qui s'enfuyaient. Les officiers coupables de cette trahison furent cassés et renvoyés de l'armée, mais à partir de ce jour d'humiliation nationale, justice sera-t-elle toujours rendue à ceux qui restent de la race des Rouges? En tout cas, ils ont des 688 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. amis sincères : tels leurs éducateurs dans les écoles de Hampton et de Carlisle1. Depuis longtemps déjà, comme s'il exprimait un désir secret des vain- queurs, le sculpteur Crawford a représenté sur le fronton du Capitule les indigènes américains sous les traits d'une femme assise à côté d'un tom- beau. Mais non : les Indiens ne veulent pas mourir! Quoi qu'on puisse craindre, les aborigènes de l'Amérique du Nord, comme ceux de l'Amérique du Sud, échapperont à l'extermination complète, et malgré les massacres ils vivront, mais sous des noms différents : c'est ainsi que les anciens peuples de l'Europe continuent d'exister dans les nations qui sont deve- nues leurs héritières, et qui, elles aussi, tâchèrent de faire le vide par le fer et le feu. L'infiltration du sang des aborigènes dans la nation nord- américaine s'est opérée plus activement qu'on ne le croit d'ordinaire; dans les États du Nord-Ouest surtout, les bois-brûlé* ou métis proprement dits se confondent peu à peu dans la masse de la population blanche5. Quoiqu'on néglige de les énumérer dans les recensements, ils n'en aident pas moins à modifier les traits et les caractères des prétendus « Caucasiens » auxquels ils se sont mêlés. Les Peaux-Rouges ne périront point, et grâce à l'assimilation graduelle commencée depuis deux siècles par les trappeurs canadiens, il ^restera d'eux autre chose que des noms, des langues sans écho et des exemples superbes d'endurance, de rési- gnation fière et de magnanimité. 111 LES AFRO-AMÉRICAINS. Les blancs ont l'habitude de confondre sous le nom de nègres » — negroes — tous les hommes de race pure ou mêlée chez lesquels la nuance de la peau décèle une origine complètement ou partiellement africaine : le seizième du sang étant reconnaissable d'ordinaire, tous ceux qui sont Européens par quinze de leurs ascendants et Africains seulement par un seizième aïeul n'en sont pas moins qualifiés de « nègres », quoique l'appel- lation de « blancs » fût beaucoup mieux justifiée. Ainsi tout croisement de race diminue en apparence le nombre des « Indiens » et fait augmenter 1 Indiens sachant lire et écrira l'anglais en 1890 : 23 000. * Bob-Ruîies des pionniers américains. 5 Métis canadiens-français virant en groupes distincts, en i880 : 21 691. (llavard, The French Half-breeds ofthe North West.) INDIENS, NOIRS DES ÉTATS-UNIS. 689 celui des « nègres1 ». Les citoyens d'origine africaine repoussent ce nom de « nègres », pris généralement en mauvaise part, et préfèrent se désigner, nègres purs ou de sang mêlé, sous le terme collectif de « gens de cou- leur » (colored men); cependant le nom d'Afro-Américains, qui tient compte de leur double origine, du milieu de leurs ancêtres et du leur propre, s'emploie depuis quelques années le plus communément dans leurs journaux et leurs congrès. Le peuplement de l'Amérique du Nord par les hommes de race africaine se fit avec lenteur. Les colonies anglaises du littoral atlantique avaient été de tout temps ouvertes aux marchands d'esclaves, mais les serviteurs » engagés » de race blanche suffisaient au travail sous le climat tempéré delà Virginie, et l'importation des noirs fut toujours très inférieure à celle qui se pratiquait dans les Antilles. Le trafic n'eut jamais assez d'importance pour entretenir un commerce d'esclaves par voie directe entre les ports de l'Afrique et ceux de l'Amérique du Nord. Presque tous les travailleurs nègres importés dans les plantations continentales de l'Angleterre venaient de la Jamaïque, de la Barbade ou d'autres îles de la Méditerranée améri- caine. Sans avoir de documents précis pour leurs calculs, les historiens des États-Unis évaluent diversement de 200000 à 400000 le nombre des noirs importés dans les treize provinces avant la déclaration de l'Indé- pendance, et la population totale d'origine ou de descendance africaine aurait été à celte époque de 550 000 personnes*. Elle ne s'accrut que len- tement pendant la guerre, et presque exclusivement par le croît naturel ; beaucoup d'esclaves s'enfuirent dans les camps anglais pour échapper à leurs maîtres, et les propriétaires « loyalistes » qui allèrent dans les Bahama ou d'autres contrées chercher une patrie nouvelle se firent pour la plupart suivre de leurs ateliers. En 4790, le premier recensement de la nouvelle République trouva 757 208 gens de couleur, dont près de 60000, un peu plus du douzième, étaient affranchis : la part de l'élément africain dans la population des États-Unis était de 19,5 pour cent, proportion plus éle?ée qu'elle ne l'a jamais été depuis cette époque5. Si criante que fût l'abomination du commerce des esclaves chez un peuple qui venait de conquérir sa liberté en proclamant les « droits de l'homme », cette abomination fut reconnue légale par la convention de 1 H. W. Brewer, Notes manuscrites. 1 Importation des noirs de 1620 à 1740 : 130 000. » » de 1740 à 1776 : 500000. (G. Bancroft, ouvrage cité.) 3 Francis À. Walker, American Statistical Association r September. December 1890. iti. 87 690 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. 1787, et les États du Sud continuèrent d'importer publiquement des noirs pour leurs plantations de cotonniers et de tabac jusqu'en Tannée 1808. Ces arrivées d'Africains esclaves dans le Sud compensaient à peu près les immigrations libres d'Européens dans le Nord, et la proportion des races ne se modifia, jusqu'en 1810, que très faiblement au profit des blancs. Il est vrai qu'après la suppression officielle de la traite des noirs, qualifiée désormais de « piraterie », des milliers d'esclaves furent secrètement importés, surtout dans l'Alabama. Encore en 1860, le navire Wanderer débarqua sa cargaison d'hommes sur une île du littoral géorgien; mais ce commerce clandestin n'eut qu'une faible importance relative : la pro- portion des gens de couleur, comparée aux blancs qui se recrutaient par une immigration toujours grandissante, ne pouvait donc que s'abaisser de décade en décade. A la veille de la guerre de Sécession, qui devait avoir pour résultat d'émanciper les esclaves, l'élément africain, comprenant 4 441 880 personnes, ne représentait plus que 14,1 pour 100 dans l'en- semble des Américains : ils n'étaient plus même un sur sept. En 1890, la proportion a de nouveau diminué, n'atteignant pas un sur huit1. L'accroissement de la population africaine dans les États de la « Zone Noire » se fait uniquement par l'excédent des naissances, puisque l'immi- gration et l'importation des noirs n'existent point. La mortalité des enfants est beaucoup plus forte chez les Afro-Américains que chez les blancs, et m ceci d'une manière générale dans tous les Etats ; mais la natalité est en- core plus élevée proportionnellement. Les naissances font plus que com- penser les morts, et l'écart des races se produirait de plus en plus en faveur des fils d'esclaves et au détriment des fils de maîtres, si l'immi- gration des blancs du Nord et des étrangej-s d'Europe ne rétablissait pas l'avantage de la race blanche. Même dans les districts marécageux du Sud, où les blancs paraissent beaucoup plus dépaysés que les noirs, ceux-ci ont une mortalité supérieure ; mais il est probable que cet écart n'implique nullement une plus grande difficulté d'acclimatement de la part des Afro-Américains : il provient de ce que les noirs, plus pauvres, moins bien logés, vêtus et nourris, résistent moins aux influences funestes. Du reste, ils n'ont diminué pendant la décade 1880-1890 dans aucun État, mais ils ne se sont fortement accrus que dans les États méridionaux, dans l'Arkansas et l'Oklahoma, pays d'immigration. En moyenne, les nègres 1 Population des États-Unis, par races, en 1890 : Manc? 54 875 000, soit 87,7 pour 100 A fro- Américains. . . 7 500000 » 44,9 » Peaux-Rouges 250 000 » 0,4 » ACCROISSEMENT DE LA POPULATION AFRICAINE. OUI «les Etals-Unis sont un peu plus petits que les blancs1 : pendant la guerre de Sécession, deux mille mensurations ont donné pour la stature des sol- dats d'origine africaine 1 m. 68, tandis que la taille des soldats blancs anglo- américains s'élevait à plus de 4 m. 70. Lors des épidémies, blancs et noirs sont attaqués par les éléments morbides en proportions différentes. Les nègres ont beaucoup moins à redouter la fièvre jaune que les blancs, mais ils succombent en plus grand nombre au choléra. En vertu de la Constitution, les noirs et gens de couleur sont censés les égaux des blancs, cl le droit de suffrage ne peut leur être retiré; mais quoique en trois Etals du Sud, Soulh Carolina, Mississippi, Louisiane, el en quelques districts de tous les autres, la majorité numérique appartienne aui Africains, ils ne possèdent nulle part l'égalité sociale : à cet égard, Boston et New York ne leur sont pas moins dures que Charleslon ou la Nouvelle-Orléans. Au nord de Maton't and Dixon's Une aucune loi ne les oblige à se laisser parquer en des wagons ou des omnibus spéciaux, comme dans le Tennessee, et ils entrent librement dans les voitures publiques, mais ils ne fréquentent que leurs propres églises el leurs propres écoles, ne se hasardent point dans la société des blancs. De fait, certains tra- ' Flouer, Hature, U»i 27, 1880. 692 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. vaux leur sont même interdits : à New York, on ne les voit point s'oc- cuper des terrassements ni des égouts, ni bâtir des maisons, ni peindre des enseignes, ni même conduire une voiture1. Dans les États du Sud, dù la concurrence des travailleurs européens n'est pas la même, on leur confie au contraire ces diverses besognes, mais les citoyens de race blanche, solidement organisés, ne se sont dans aucun district électoral ou judi- ciaire laissé arracher la domination qu'ils croient devoir leur appartenir en vertu de leur naissance. Même dans la Caroline du Sud, où les noirs forment près des deux tiers de la population totale, les blancs gardent le pouvoir : l'ayant conquis par la violence, ils le conservent par l'intimi- da lion. Tous les États du Sua ont eu leurs organisations secrètes, telles que le Ku-Klux-Klan et des « sociétés de carabiniers » dont le seul but était de tuer les nègres assez insolents pour prétendre à l'égalité. Sauf dans la Virginie, la Caroline du Nord et le Tennessee, on a recours dans les États méridionaux à la falsiûcation des votes par divers moyens, et sou- vent même les noirs ont été violemment expulsés des comices : dans la Caroline du Sud, la Géorgie, le Texas, le nègre est pratiquement dépouillé de tout droit de suffrage1. L'Assemblée Constituante du Mississippi, con- voquée en 1891, ne comprenait qu'un noir sur 55 membres, quoique plus de la moitié de la population de l'État soit composée d' Afro- Américains. La « justice », à la balance inégale, est tout autrement sévère pour les gens de couleur que pour les individus à peau blanche : lors des rixes ce sont les premiers que l'on arrête, les seconds auprès desquels on s'excuse d'intervenir. Dans toutes les prisons, les noirs sont en propor- tion beaucoup plus nombreux que les blancs; même dans la Géorgie, leur criminalité, à en juger par le chiffre des prisonniers, serait huit fois plus forte que celle des blancs. Et quand les citoyens, mécontents des len- teurs ou des ménagements de la justice, se font eux-mêmes à la fois juges et bourreaux, c'est à des nègres que s'applique de préférence la « loi de Lynch ». Tels sont les faits qui fournissaient naguère au parti domi- nant de l'Union un prétexte pour élaborer une « loi de force » {force-kilt) donnant au gouvernement fédéral le contrôle des scrutins du Sud : de cette manière les « républicains » au pouvoir se fussent assuré le vote compact des électeurs afro-américains et leur domination se fût con- solidée. 1 Lewis H. Blair, The Prospects ofthe South dépendent on the Elévation ofthe Negro. * Votants de la Géorgie en 1886 : 294 145 blancs, 27 293 noirs. ÉTAT SOCIAL DES NOIRS. 693 En réalité un état de guerre incessante divise les deux races. La lutte n'est pas avouée : en maint district aucun fait de violence ne la révèle, mais les États-Unis sont vastes et il ne se passe guère de jour que sur un point ou sur un autre le sang ne soit versé par haine de couleur. Ces événements sont même devenus si communs qu'on dédaigne souvent de les mentionner : les journaux de parti les cachent et Ton ne connaît jamais le nombre des victimes. Cependant les faits sont parfois si affreux que le récit s'en propage dans les États du Nord, et ce que l'on sait de ces conflits suffirait déjà pour emplir des volumes. Même des homicides involontaires commis par des nègres sont punis de la peine capitale par la foule des lyncheurs. En des cas graves, ce n'est pas la mort simple, c'est parfois la torture que les bourreaux infligent à l'Africain. Une tradition des temps de l'esclavage voulait que tout nègre coupable d'attentat contre une blanche fût brûlé vif, et ces cas de vengeance atroce se sont renouvelés, même lorsque les « attentats » ne consistaient qu'en propos malséants ou n'étaient appuyés d'aucune preuve. Quoi qu'il en soit, l'opinion générale parmi les blancs du Sud accuse les noirs en bloc pour les fautes de quelques-uns, et l'animosité est devenue si forte que les punitions, les supplices infligés aux coupables et aux suspects ne paraissent pas suffi- sants : on s'en prend à la race entière. Des hommes modérés de langage, parlant en excellents termes des torts que les anciens maîtres firent aux esclaves et des services que les affran- chis rendirent à la population blanche, soit comme soldats de l'Union, soit comme laboureurs du sol, proposent de témoigner leur reconnais- sance envers leurs concitoyens à peau foncée en les déportant en masse. L'exode général des noirs, tel est le mot d'ordre en certains cercles poli- tiques du Sud des États ; mais en attendant que cette prodigieuse entre- prise, l'exil de tant de millions d'hommes, puisse s'accomplir, on expose aux Africains des plans d'émigration plus flatteurs les uns que les autres, et l'on cherche à leur persuader qu'ils le désirent eux-mêmes, J^e mouve- ment d'opinion qui fit acquérir un vaste territoire sur la côte africaine pour y constituer la république de Libéria au profit des affranchis, se réveille, mais en de tout autres proportions, puisqu'il s'agirait maintenant de transporter un peuple. Le Brésil, Cuba, Haïti et les autres Antilles, l'Amérique Centrale, surtout l'Afrique, sont présentés tour à tour comme le paradis futur des nègres expatriés. On propose même de créer pour la race exilée deux courants d'émigration distincts, l'un que suivraient les nègres pur sang ou presque noirs, l'autre réservé à la population mêlée dans laquelle le type du blanc domine, le bon accord, dit-on, étant aussi 694 NOUVELLE GEOGRAPHIE UNIVERSELLE. impossible entre les noirs et les mulâtres qu'entre les blancs et l'ensemble des gens de couleur1. Quelques écrivains et prédicateurs nègres, effrayés par les menaces et les persécutions, accepteraient pour leur nation l'idée d'une émigration en masse, mais ceux-là même n'émigrent point, et les millions d'Africains, devenus Américains de force, par l'esclavage de leurs ancêtres, ne veulent plus changer de patrie. D'ailleurs, les divers États de l'Amérique latine désignés pour recevoir les exilés noirs de langue anglaise, refusent énergiquement la mission hospitalière qu'on voulait leur attribuer et qui les mettrait presque fatalement sous la dépendance politique de la république anglo-américaine. D'autre part, le littoral de l'Afrique est déjà partagé entre les puissances européennes, et pour s'arracher la « robe de Nessus », l'Union devrait, comme le lui propose Stanley, demander à l'État belge du Congo d'accueillir ses sept ou huit millions d'émigrants : quelques dizaines de petits fonctionnaires, c'est là tout ce que les nègres américains ont fourni à la population du nouvel État. Mais si 1' « exode noir » dont on s'entretient avec véhémence dans le monde politique des Étals du Sud est irréalisable, la haine se per- pétue forcément entre les races. Nul doute qu'à cet égard la situation ne se soit aggravée depuis la guerre de Sécession. Alors le désastre de la défaite pesait si lourdement sur les planteurs qu'ils avaient pour seule préoccupation de renaître à la vie, de retrouver la place de leur foyer. Et puis, ils n'étaient plus maîtres chez eux ; des soldats, des fonctionnaires venus du Nord commandaient à leur place. Du reste, l'opinion générale était que les noirs, démoralisés par une liberté soudaine à laquelle ils n'étaient point préparés, périraient bientôt par la paresse, la misère et la débauche. Mais cette solution du problème, que les uns craignaient et qu'espéraient les autres, s'est fait vainement attendre, et au contraire les Africains ont gagné en nombre, en instruction, en valeur morale. La lutte de race deyenant plus âpre, les partis politiques des blancs se sont récon- ciliés contre eux ; les principales questions débattues sont celles qui ont pour but d'écarter les noirs, d'annihiler leur influence. En réalité, le problème qui se pose à l'égard des nègres est le même que celui qui s'est posé à l'égard des Indiens. Le refoulement, le massacre, tels ont été les moyens employés contre les Peaux-Rouges, qui ont cependant fini par être assimilés en partie à la race dominante. De même les gens circonspects parlent de refouler les noirs, autrement dit de les convaincre 1 W. Laird Clowcs, Black America. << ZONE NOIRE ». 695 de la nécessité d'une expatriation ce volontaire », et les politiciens vio- lents, les orateurs de carrefours, ne craignent pas de les menacer d'exter- mination. La sauvegarde des noirs est que leur travail les rend indispensables à ceux même qui projettent de les exiler. Ils ont peu de besoins rela- tivement aux blancs et travaillent volontiers pour des salaires beaucoup moins élevés : d'ailleurs les petits blancs se croiraient déshonorés s'ils se livraient aux mêmes besognes que les fils des anciens esclaves. D'après le recensement de 4880, l'ensemble du travail agricole dû aux bras des Afri- cains s'élevait à plus des deux tiers dans les États de la « Zone Noire » ; la part des blancs dans l'œuvre collective ne représentait pas même un tiers, quoique la plus grosse moitié du profit leur fût attribuée. On pensait que l'introduction des procédés industriels dans l'agriculture permet- trait aux planteurs de se passer des nègres, mais les manufactures se sont en même temps fondées dans le pays, et là encore, le bon marché de la main-d'œuvre a fait préférer les noirs à des ouvriers blancs du Nord, qu'il eût fallu amènera grands frais; fréquemment des usiniers du Centre ou de l'Ouest ont importé des milliers de travailleurs africains du Sud pour remplacer des grévistes. De même les petites industries locales échoient peu à peu aux Africains : ils se font barbiers, cordonniers, tail- leurs, charpentiers, maçons, maréchaux ferrants, et les artisans de la race privilégiée n'ont d'autre ressource que l'émigration. Enfin dans toutes les maisons du Sud, le travail domestique est réservé aux gens de couleur. C'est un phénomène analogue à celui qu'on observe en Algérie, où tant de colons, vitupérant contre les Arabes, parlent sans cesse de les refouler dans le désert, et leur confient cependant tout le travail de leurs demeures et de leurs fermes. 11 faut dire aussi que l'écart d'instruction qui existait pendant les temps m de l'esclavage entre les blancs et les noirs dans les Etats méridionaux a graduellement diminué au profit de la descendance des esclaves. Pour se relever à leurs propres yeux et à ceux de leurs ennemis, des Africains, même parmi les adultes, ont essayé de profiter de l'école, et d'année en année les statistiques constatent une diminution des illettrés. En 1890, c'est-à-dire vingt-cinq années seulement après l'abolition des « codes noirs », qui faisaient de l'enseignement de la lecture à l'esclave un crime punissable d'une amende élevée et de cinquante coups de fouet1, près de vingt mille écoles primaires avec 24 000 instituteurs étaient ouvertes aux 1 Loi de la Caroline du Sud édictée en 1854. (Auguste Cartier, De l'Esclavage aux Etats-Unis.) 696 .NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. enfants nègres dans les États du Sud, et l'on y comptait 1 378 000 élèves, soit plus du sixième de la population totale; en outre, les noirs avaient plus de soixante-dix établissements pour l'instruction secondaire, des écoles de théologie, de jurisprudence, de médecine et des instituts spéciaux pour les aveugles et les sourds-muets ; leur presse spéciale comprend plus de deux cents journaux. Après la fin de la guerre, les défenseurs vaincus de l'esclavage aimaient à prédire que le temps se chargerait bientôt de les venger en rejetant les noirs dans la barbarie, pour les transformer en d'immondes adorateurs du serpent Vaudoux ; mais si les nègres ont gardé une part des superstitions antiques — et quelle nation, prise en masse, peut s'en dire affranchie? — du moins ont-ils fait un effort unique dans l'histoire pour s'assimiler l'instruction qui leur est offerte et qui doil • les rendre virtuellement les égaux de la classe dominante. En 1890, on évaluait à 70 pour 100 de la population de couleur les individus en âge de raison qui savaient lire et signer leur nom, et les illettrés étaient pour une forte part des vieillards affranchis par la guerre. Et tandis que l'in- struction publique faisait de tels progrès parmi les gens de couleur, les « petits blancs » n'étaient pas tous sortis de l'ignorance où ils croupissaient au temps de l'ancien régime, et près d'un quart n'avaient fréquenté aucune école1. En constatant cette ascension graduelle de la race africaine, on se demande s'il n'entre pas une certaine jalousie dans la rancune que lui témoignent ceux des blancs qui restent dans l'oisiveté traditionnelle ! Mais si la part des noirs du Sud est supérieure à celle des blancs dans l'ensemble du travail, et s'ils tendent à devenir leurs égaux, du moins dans les connaissances élémentaires, l'inégalité est encore flagrante dans la possession du sol1. L'acte d'émancipation qui, en 1863, donna le droit de citoyenneté aux Africains ne leur accorda point une part de la terre : à cet égard, il ne valut même pas l'oukaze du tsar Alexandre II qui, deux années 1 Population des Etats du Sud, sans Maryland, Delaware et Kentucky, en 1880 : Sachant lire : Blancs. . 4 092 678 Ne sachant pas lire : Blancs. . 1 107 042 )) Noirs.. . 1480 891 Noirs.. . 2 147 065 Ensemble. . . 5 573 569 5 254107 * Répartition de la propriété entre les noirs et les blancs en Géorgie : Blancs en 1880, 801 906, soit 53 pour 100, possédant : En 1879 : pour une valeur de 229 777 150 piastres, soit 97,7 pour 100; En 1887 )) » 532 565 442 » » 97,3 » Noirs en 1880, 725 135, soit 47 pour 100, possédant : En 1879 : pour une valeur de 5 182 390 piastres, soit 2,5 pour 100 ; En 1887 » 8 949472 » » 2,7 » « PROGRÈS DES AFRO-AMÉRICAINS. 699 auparavant, avait libéré le paysan en obligeant les seigneurs à lui vendre une part du sol cultivable. Les anciens planteurs restèrent les possesseurs des terrains au même titre qu'avant la guerre de Sécession, et bien peu nombreux sont les noirs émancipés qui ont conquis assez de bien-être pour prendre rang parmi les propriétaires; la plupart ont dû continuer de tra- vailler sur les grands domaines, soit comme tâcherons, soit comme mé- tayers. On peut en juger par la distribution de la richesse foncière en Géor- gie d'après les évaluations successives. De même, en 1889, la population du comté dans lequel se trouve Savannah comprenait 61 pour 100 de noirs, n'ayant que 2 pour 100 de la propriété1. Cependant il existe des lieux écar- tés où les noirs ont pu s'établir en paix et devenir leurs propres maîtres, ignorés de tous, si ce n'est du collecteur d'impôts. Les terres abandon- nées par les anciens propriétaires blancs dans les régions montueuses de la Géorgie et dans les districts voisins, Caroline du Nord et Tennessee, ont été en grande partie reprises par des noirs qui se sont partagé le sol en parcelles de quelques dizaines d'ares à quelques hectares, et vivent à l'écart des grandes routes en des cabanes de planches. Le voyageur qui traverse le pays pourrait le croire presque inhabité, à moins qu'il n'arrive un jour de fête devant une chapelle de hameau : de toutes parts les nègres accourent et campent par centaines dans l'étroite clairière. . Le mélange des sangs ou « miscégénation », ainsi que s'expriment les Américains, ne contribue que pour une faible part à l'assimilation des races. Aux temps de l'esclavage, la population de race mêlée s'accroissait rapidement sur les plantations par le fait des maîtres ou de leurs fami- liers, et c'est ainsi que peu à peu les nègres américains ont cessé dans leur ensemble d'être des noirs purs comme leurs ancêtres d'Afrique, et qu'on peut les considérer en moyenne comme ayant des trois quarts aux sept huitièmes de sang européen. Depuis que les négresses des plantations ne sont plus un simple cheptel comme le bétail, les unions temporaires entre blancs et femmes de couleur sont devenues beaucoup plus rares, et quant aux mariages réguliers, ils sont interdits par la loi dans un grand nombre d'États et dans tous par la coutume; même quand ils ont été célébrés dans le Nord, ils sont légalement rompus dans le Sud. Néanmoins la miscégénation continue, surtout dans les villes et dans leur banlieue, par exemple à la Nouvelle-Orléans, où, d'ailleurs, les préjugés de race sont moins forts que dans les contrées purement anglo-saxonnes. Les Améri- cains ont beau pousser des exclamations de dégoût à la pensée d'un croise- 1 W. Laird Clowes, ouvrage cité. 700 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ment entre les familles des fiers planteurs et celles des anciens esclaves, ce travail ne cesse de s'opérer dans les profondeurs de la société; peut- être, parmi ces créoles du Sud, si glorieux de la pureté de leur sang, la moitié des familles comptent-elles, à leur insu, dans la série de leurs ancêtres, plus d'un malheureux noir importé d'Afrique. En outre, le manque absolu d'immigration parmi les noirs et leur faible mouvement d'émigration vers les États du Nord et vers les Antilles, où les préjugés ont moins de force, ne peuvent manquer de rapprocher physique- ment les races noire et blanche, déjà soumises à l'influence égalisatrice d'un même milieu climatique. Ce sont là des changements destinés a s'accomplir dans un avenir encore éloigné, néanmoins il est permis d'espé- rer que, malgré l'opposition des intérêts, les haines et les rancunes hérédi- taires, les éléments de paix sociale finiront par l'emporter. Certainement des conflits auront encore lieu, mais la question des races finira par se confondre avec l'ensemble de la question sociale, qui se pose si impé- rieusement dans les États du Nord et, de proche en proche, dans toute la République américaine. IV LA PROPRIÉTÉ TERRIENNE ET ^AGRICULTURE. La superficie des terrains cultivables est immense, hors de toute propor- tion avec les nécessités de la culture, et cette richesse même a eu pour conséquence une prodigalité sans bornes. Les États, jadis propriétaires de vastes étendues, n'ont gardé que des lots de terres infertiles ou maréca- geuses; le gouvernement fédéral, qui possède encore un domaine très con- sidérable, forêts, montagnes, plaines et déserts, représentant avec tous ses fragments réunis une . superficie égale à celle de trois cents millions d'hectares, a depuis longtemps livré le meilleur de ses terrains aux colons, aux pensionnés de la guerre et surtout aux compagnies de voies ferrées1. En réalité, le domaine fédéral, ou du moins la seule partie qui en soit actuellement utilisable, se trouve maintenant entre les mains de sociétés financières qui le détiennent et en fixent le prix à leur convenance. En vertu de la loi dite des homesteads ou « lots de famille », chaque citoyen américain ou demandant à l'être, âgé de plus de 21 ans ou marié, peut se 1 Surface des Etats-Unis : 7 858000 kilomètres carrés. Cadastré en 1888 3 907 500 kilomètres carrés. Non cadastré en 1888. . . 3 930 500 » » NOIRS, RÉGIME DE LA PROPRIÉTÉ. 701 présenter auprès d'un agent territorial et revendiquer la concession d'un terrain de 160 acres ou 65 hectares, dont il deviendra possesseur définitif dans un délai de cinq années ; mais les espaces vacants à sol fertile et d'un accès commode par chemins de fer commencent à devenir rares; dans la pratique, les agriculteurs désireux de se faire propriétaires ne peuvent plus s'adresser au gouvernement pour demander une concession gratuite ou l'achat direct d'un lot au prix de cinq quarts de piastre l'acre, ou 15 francs 65 l'hectare, ils doivent subir les conditions de l'offre et de la demande, acquérir les terres au prix fixé par la concurrence : en 1888, la valeur moyenne d'achat, qui varie beaucoup suivant les Etats, était d'une centaine de francs par acre, d'environ 250 francs par hectare1. D'ailleurs les transactions sont des plus faciles, et si ce n'est pour les con- cessions faites antérieurement dans les territoires jadis français ou espa- gnols, les transferts ne donnent guère lieu à procès*. Le régime des fiefs et des majorats commença par être la règle dans les colonies américaines, et cette forme de propriété retarda pour longtemps le développement des ressources économiques de la contrée. Ainsi, les « pa- trons » hollandais étaient les maîtres absolus du sol et leurs colons se trou- vaient réduits à la condition de serfs : c'est par une série de révoltes successives qu'ils purent conquérir une certaine indépendance. Après la Révolution, leur condition se trouva très améliorée, cependant ils étaient toujours tenus à payer en produits du sol un intérêt de 6 pour 100 sur la valeur estimée des terrains et à fournir en outre des corvées pour la con- struction et la réfection des routes. Ce n'est pas tout : ils ne pouvaient céder leur ferme à d'autres locataires qu'à la condition d'acquitter envers le propriétaire une rançon égale au quart du prix de vente. Enfin les fer- miers se liguèrent en associations légales de résistance et en sociétés illé- gales de lutte à main armée, si bien que les « patrons », tout en ayant la loi en leur faveur, durent transiger et céder la propriété des terrains, moyennant un prix de rachat définitif. Quelle différence les facilités de communication ont introduite dans la vie du pionnier et dans la conquête graduelle du sol à l'agriculture! Au siècle dernier, le coureur des bois s'aventurait seul ou avec quelques com- pagnons choisis; pour son approvisionnement et sa sécurité, il ne comptait 1 Andrew Carnegie, Triumphant Democraqj. * Ventes et concessions de terres faites à des particuliers, de 1880 à 1888 : Par le gouvernement fédéral 49 600 000 hectares. Par les compagnies de chemins de fer. ... 7 200 000 * Ensemble 56 800 000 hectares, 702 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. que sur ses armes : perdu dans l'immensité des forêts, il pouvait craindre de ne plus revoir les siens; l'Indien aux aguets, la bête sauvage, la fièvre et la faim le menaçaient chaque jour ; pendant de longs mois il allait à tra- vers bois, rivières et marais, puis, quand il avait trouvé un endroit favo- rable, il lui fallait de nouveau parcourir les solitudes et revenir en transportant sa famille et son avoir dans sa terre nouvelle. Maintenant le colon est voiture par le chemin de fer, soit à l'endroit même, soit dans le voisinage du lieu où il veut fonder sa maison et labourer le sol. Parfois les cultivateurs viennent par convois entiers : les communautés sociales et politiques s'organisent dans le train avant le signal du débar- quement. N'a-t-on pas vu naguère des peuplements soudains, pareils à des invasions de sauterelles, dans le territoire d'Oklahoma et dans l'en- clave de Cheyenne River vendue par les Sioux? L'heure d'entrée avait été fixée par décret, et la foule des spéculateurs et des colons futurs attendait sur la limite. Lo canon annonçait la prise de possession officielle, et les premiers occupants se précipitaient pour aller faire constater leurs droits et planter les quelques pieux qui les constituaient propriétaires. Tout se transportait à la fois : cultivateurs et artisans, fournisseurs et mar- chands, magistrats, policiers et journalistes; l'un amenait sa charrue, l'autre dressait sa maison ou manipulait sa presse. En quelques jours, le district colonisé avait pris la physionomie banale des contrées de l'Est depuis longtemps peuplées par l'homme blanc. Mais il est aussi des campements qui naissent loin des voies ferrées et dont l'aspect est plutôt celui d'un terrier d'animaux : la civilisation s'y montre tout à fait rudimentaire. Le pionnier a pour première habitation le dug-out ou la caverne ouverte dans le flanc de quelque berge ou colline : une légère charpente de branches ou de pieux se recouvre de foin, de roseaux ou mottes de gazon qui retiennent la chaleur dans le réduit; la porte inclinée se compose des mêmes matériaux; seule une cheminée trapue, en terre, qui ressemble de loin à une borne, décèle au voyageur l'habitation souterraine. Les troglodytes favorisés du sort accroissent bientôt l'étendue de leurs demeures. Une deuxième caverne se creuse à côté de la première, et devant l'entrée s'ouvre une chambre nouvelle, la sod-house ou « mottière », dont les parois comme la toiture consistent en carrés de sol herbeux. La future cité commence à s'ériger au-dessus du sol. Les produits de la civilisation raffinée, meubles, livres, journaux, gravures, qu'avait apportés le pionnier, sortent de la terre pour orner les demeures. Aux États-Unis, le cadastre a précédé la culture; de là, dans les terres plates, une fatigante régularité de damier. Les campagnes sont toutes divi- PRISE DE POSSESSION DU SOL. 703 sées en lownships de 6 milles de côté et subdivisées en milles carrés, par- tagés eux-mêmes en quatre parties, chacune de 160 acres ou 64 hectares : c'est le lot de vente ou de concession. Tous ces quadrilatères sont parfaite- ment orientés, et chacune de leurs faces regarde l'un des points cardinaux. K° 1E0. — TOWXSHtra DANS L 10 WA. Ouest de P«ns — EsaF 9A*i5' 94*10 Juest de Greenwich 91*55 91*50' d 'après les §éo£raphes du Transcontinental Survey C. Perron 1 : 110 000 s kil. Les acquéreurs de carrés ne dévient guère de la ligne droite; vrais géo- mètres, ils ouvrent leurs chemins, élèvent leurs cabanes, creusent leurs viviers, sèment leurs navets dans le sens du méridien ou de l'équateur. Dans une campagne si bien réglée, on s'étonne de voir les chemins de fer couper brutalement les degrés de longitude et de latitude et la nature se permettre quelques reliefs en berges et en collines. Les propriétés ou « fermes » (/arm*), comme on les désigne, contrastent aussi avec celles 704 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de l'Europe par les superficies considérables attribuées à chaque culture. Il n'est pas rare, surtout dans les plaines du versant mississippien, de voir des milliers d'hectares cultivés en maïs ou en froment, sans jachères ou prairies intermédiaires. Mais sur le versant atlantique, et notamment dans la Nouvelle-Angleterre, deux siècles d'agriculture, ayant fait passer la terre de main en main pour la soumettre à de continuels changements, ont contribué, avec les mille accidents du sol, à donner aux campagnes une charmante variété d'aspect : les restes de bois, les bouquets d'arbres isolés, les bouts de prairie, les cultures éparses en font une contrée pit- toresque, bien différente des^ champs monotones de l'Ouest, exploités en grand. Dans l'ensemble, l'accroissement notable de la population a eu pour conséquence de réduire les dimensions des fermes : tandis que leur super- ficie moyenne, dans toute l'étendue de la République, était de 92 hectares en 1850, celle des cinq millions de fermes qui existent actuellement se trouve réduite à moins de 50 hectares, surface de terre bien supérieure à celle qui suffirait à des agriculteurs d'Europe. D'ailleurs on n'évalue qu'à la moitié le sol de chaque ferme soumis en moyenne à la culture. La grande étendue relative des propriétés terriennes explique l'impor- tance capitale qu'ont prise les machines et les procédés industriels rapides dans les travaux agricoles de l'Amérique. A cet égard les États-Unis sont incontestablement au premier rang dans le monde : c'est à trois milliards au moins qu'il faut évaluer dans l'ensemble de la richesse publique la part qui revient à l'outillage des fermes américaines. L'initiative des construc- teurs yankces a valu au monde les batteuses, les moissonneuses, et nombre d'autres machines qui simplifient la besogne et remplacent le travail des hommes par celui des animaux, ou les muscles vivants par les engrenages des machines. Mais pour la culture intensive, l'agriculture américaine, même dans le Massachusetts, qui est au premier rang pour la bonne utili- sation du sol, est loin d'être aussi perfectionnée que pourrait le faire croire la prodigieuse abondance de la production. Les engrais, les amendements, n'ont point aux États-Unis l'importance qu'ils ont en Europe dans l'amélioration du sol, quoique la quantité employée s'élève à un million de tonnes. D'année en année la plupart des agriculteurs américains demandent au sol des moissons successives jusqu'à ce que la terre soit épuisée et qu'il faille la laisser en friche. En certains endroits, les fumiers s'accumulent dans les parcs à bestiaux et les étables, et plutôt que de s'en débarrasser pour en recouvrir les champs, on démonte les hangars et les bâtisses pour aller les reconstruire dans un lieu moins encombré. Le paysan proprement dit, tel qu'on le RÉGIME DE LA PROPRIÉTÉ, AGRICULTURE. 705 voyait el qu'on le voit encore dans l'Ancien Monde, le « laboureur avare » qui ne connaît pas de petites économies et ne dépense jamais inutilement ni les précieuses minutes, ni les écus durement gagnés, ce paysan amoureux de sa terre, qui en connaît chaque motte et chaque plante, ne se rencontre guère en Amérique. Même les cultivateurs venus d'outre-mer ont passé par les villes, ils se sont trempés dans un air nouveau ; en entrant dans le milieu de la spéculation, ils sont devenus quelque peu spéculateurs et cherchent plutôt à « faire grand » qu'à faire bien. Ils dirigent volontiers la moissonneuse ou la batteuse, mais ils n'emploient pas la bêche, et sur- tout ils ne consentent pas à ce que leurs femmes ou leurs filles se livrent à ce travail. La paysanne manque encore plus que le paysan aux travaux de la campagne américaine. Elle ne sait pas entretenir son jardin maraîcher, elle ne porte pas au marché le lait de ses vaches, et le beurre, le fromage qu'elle prépare restent très inférieurs en moyenne aux produits similaires que l'on obtient dans les régions pacagères de l'Europe occidentale. Jusqu'à une époque récente les terres de culture facile étaient trop éten- dues pour que les agriculteurs américains eussent pu songer d'une manière sérieuse à l'endiguement des terrains bas et des marais qui bordent la plus grande partie du rivage, le long de l'Atlantique et du golfe Mexicain. Les seules tentatives de ce genre qui présentent quelque importance économi- que ont été faites par les énergiques Yankees de la Nouvelle-Angleterre1. Dans les Carolines, la Géorgie, la Floride, la Louisiane, où la nation possède des réserves de plusieurs millions d'hectares, qui pourraient pro- duire largement de quoi subvenir à l'alimentation de la population tout entière, on s'est borné à conquérir les bords des fleuves au moyen de levées défendant le sol contre les inondations; mais nulle part on n'a procédé à un travail d'emprises méthodiques pour changer les terres humides en campagnes asséchées. Une œuvre pareille, demandant la solidarité de nombreux efforts, ne peut s'accomplir que par l'association, et l'histoire contemporaine des États-Unis nous montre cette association constituée, non par de petits propriétaires ou des villages associés, mais par des syndicats de gros spéculateurs. C'est ainsi qu'en Floride une société de banquiers a fait l'acquisition d'un domaine de 400 000 hectares, la super- ficie d'un département français, pour en drainer les eaux marécageuses et en faire une plantation de tabac, de cannes à sucre et d'arbres fruitiers. L'énorme accroissement du territoire qui s'accomplira par la transforma- lion des marais en polders ne profitera d'abord qu'à la grande propriété. 1 Nalhaniel S. Shaler, Sea Coasl Swamps ofthe Eastein United States. xn. 89 706 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. On peut en dire autant d'une autre acquisition, celle des terrains déserts, qui n'avaient aucune valeur à cause du manque d'eau et que les irrigations, soit par des canaux, soit par le forage de puits artésiens, per- mettent désormais de transformer en jardins immenses. Naguère ces tra- vaux étaient presque inconnus et d'ailleurs ils eussent été peu utiles dans les États cis-mississippiens, où les terres bien arrosées suffisent amplement aux besoins de la population. Il en est autrement dans les régions du Trans-Mississippi et des Rocheuses : là, sauf dans les hautes vallées, tout peuplement, toute culture sont impossibles sans irrigation, et l'aménage- ment des rivières, le creusement des canaux ne peuvent s'accomplir sans la constitution de syndicats disposant de grands capitaux, à moins que tous les habitants ne s'entr'aident pour l'œuvre commune comme le faisaient autrefois les Indiens et, naguère, les Espagnols du Nouveau- Mexique : l'État ne cède ces terrains à irrigation que par lots d'au moins 260 hectares. Pendant la dernière décade, les travaux d'irrigation ont été considérables, surtout dans le Colorado et en Californie1. Dans cet État du versant océanique, où les mineurs entreprenants découvrirent si bien l'art d'utiliser les cours d'eau pour démolir les moraines et les faire passer en torrents de boue dans leurs larges cribles, les agriculteurs ont appris à utiliser les eaux tout à fait en grand pour féconder les cam- pagnes sur de vastes étendues. Des plaines immenses ont été changées en jardins dans les bassins du San Joaquin et du Sacramento : c'est par cen- taines de mille hectares que la surface d'anciens déserts a été gagnée par les canaux d'irrigation. Autour des villes du sud, des combes arides sont devenues d'admirables vergers*. Bien que la culture du sol et l'utilisation de ses produits soient encore par trop sommaires, cependant la richesse des terrains, la bonté du climat et l'étendue des espaces cultivés sont telles qu'il y a non seulement abon- dance, mais surabondance. On peut en juger dans les vergers du Delaware et de la Virginie, où l'excès même de la production ruine les cultivateurs. Pendant l'hiver de 1889 à 1890, les fermiers du Trans-Mississippi obtin- rent des récoltes de maïs tellement considérables qu'en maints endroits Hs ne se donnèrent même pas la peine de les engranger et les laissèrent pourrir dans les champs; d'autres fermiers, manquant de combustible, bois ou charbon, eurent avantage à se chauffer avec du maïs ou à le livrer, 1 Superficie du sol irrigué aux États-Unis en 1890 : 3 125 000 hectares, dont 1 520 000 en Californie. * Charles Nordhoff, California for Health , Plcasure and Résidence. AGRICULTURE ET AGRICULTEURS. 707 à des prix dérisoires, à qui voulait le prendre. À l'accroissement continuel des cultures et de la production correspondent la diminution du prix de vente des denrées agricoles et la dépréciation des terrains eux-mêmes, lie poids des hypothèques s'est accru en des proportions formidables, et nombre de fermes sont abandonnées aux prêteurs. En 1890, les fermiers laissèrent en gage aux créanciers 4440 exploitations agricoles des trois seuls États du Maine, du Vermont et du New Hampshire : l'amour de la terre est « mort chez les gens du Massachusetts comme chez les juifs1 ». Nombre de cultivateurs obérés vendent tout ou partie de leur récolte encore sur pied, et peu à peu le métayage et le fermage proprement dit se substituent au régime ordinaire qui, avant la guerre civile, était celui de la propriété pure et simple. Des milliers de plantations dans les États méridionaux sont découpées en petits lots de ferme où s'établissent les nègres, anciens esclaves, trop pauvres pour acheter le sol. Dans l'ensemble des domaines on en compte un quart déjà qui n'appartiennent plus à ceux qui les cultivent8 Et la situation s'aggrave de décade en décade, malgré les améliorations passagères, produites par les années de bonnes récoltes en Amérique et de cherté sur les marchés d'Europe. Les agriculteurs sont de plus en plus menacés dans leur indépendance. Les producteurs de denrées ne peuvent les vendre que grâce aux faveurs des compagnies de transport, qui relèvent ou réduisent leurs tarifs à leur guise, au gré de leurs opérations de hausse et de baisse. Contre le monopole des chemins de fer les cultivateurs isolés sont impuissants, et jusqu'à maintenant les ligues qu'ils ont formées ont lutté sans succès ou du moins n'ont pu obtenir de triomphes décisifs. Cependant quelques-unes de ces associations de fermiers, puissamment constituées, avaient fait de si rapides progrès qu'elles espéraient pouvoir fixer les tarifs à leur tour. Telle fut l'association des Grangers qui, après avoir fondé sa première loge en 1867, en comptait déjà, en 1874, plus de vingt mille, comprenant plus de treize cent mille membres; elle possédait ses journaux, ses banques, ses manufactures, même ses navires commer- çant directement avec l'Europe, et s'était en outre organisée comme société coopérative pour acquérir à bon compte les marchandises de l'Ancien Monde en échange de ses blés ; mais en dépit du nombre, les Grangers ne réussirent point à faire prévaloir leurs intérêts contre le monopole des chemins de fer, que soutient la haute finance et qui dispose en outre de 1 Nathanicl ShJler, AU an tic Monthly, 1873. * Yaleur approximative des hypothèques aux États-Unis, en 1889 : 2 565 000 000 piastres, soit 13 000 000 000 francs. 708 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. la force législative fournie par le Congrès. D'autres associations d'agri- culteurs, 1' « Alliance des Fermiers », la « Roue de l'Agriculture » (Âgri- cultural Wheel), n'ont pas mieux réussi que la première. Cependant les producteurs associés tiennent dans quelques Etats la balance du pouvoir entre les deux grands partis politiques, « républicains » et « démocrates ». Le plus grave pour les petits cultivateurs est qu'ils sont menacés, non seulement d'une manière indirecte par le monopole des voies ferrées, mais directement par la constitution de grands syndicats ayant en vue l'ex- ploitation industrielle de la terre. Les capitaux anglais surtout se portent vers ces nouvelles spéculations d'où le régime de la propriété sortirait modelé sur le même plan que dans la Grande-Bretagne. On appelle ces immenses domaines de récente acquisition des bonanza farm*, comme les mines d'or ou d'argent dans lesquelles le métal précieux est contenu en poches ou bonanzas, représentant des fortunes immenses. La production des denrées est assez abondante dans ces usines à blé ou à viande pour que les marchés s'établissent à leur profit et que les produits du petit agriculteur soient absolument écartés. Les propriétés nouvelles qui se sont constituées au profit de quelques capitalistes de Londres ou de telle autre grande cité s'étendent sur des milliers de kilomètres carrés : ce sont des principautés plus vastes que ne l'étaient les petits duchés allemands au temps de la Confédération germanique. Tel domaine du Texas a plus d'un million d'hectares. Un banquier de Californie soumet à l'irrigation un ensemble de 1 200 kilomètres carrés. Une ferme modèle du Minnesota, de 30 000 hectares, possède deux cents « moissonneuses » qui fonctionnent en même temps et le produit des « batteuses » emplit chaque jour soixante-quinze wagons de céréales. Sur ces latifundia, si redoutables pour l'avenir de la population nord-américaine, les habitants ne sont-ils pas d'avance asservis aux grands propriétaires absents et aux agents irres- ponsables qui les représentent? En laissant de coté la Chine et l'Inde comme des contrées que la diffé- rence des mœurs et des institutions politiques ne permet pas de comparer aux pays de civilisation européenne, les États-Unis occupent le premier rang pour les productions agricoles et spécialement pour les céréales1. Le maïs 1 Superficie des États-Unis, sans l'Alaska : 7 838 000 kilomètres carrés. Terres divisées en fermes .... 2 800 000 kil. carrés. • cultivées '. . 1400 000 a » » » en maïs 517 194 » » GRANDES PROPRIÉTÉS, PRINCIPALES CULTURES. 709 surtout, Indian corn, est la céréale américaine : en Tannée 1889, date de la dernière statistique connue, cette culture occupait une moitié de la sur- face des terres à céréales dans les États-Unis, et la production totale repré- sentait les trois quarts de la récolte du monde entier1. Employé surtout pour la consommation locale, le maïs, réduit en farine grossière, fournit le hùminy, le plat par excellence pour une grande partie de la population, surtout pour les nègres : sous la forme d'épis, il se trouve sur toutes les tables. Il sert pour la nourriture des porcs, et Ton en donne aussi, quoique en moindres quantités, aux chevaux et aux botes à cornes, enfin on le traite dans les distilleries pour la fabrication des eaux-de-vie et du maltose. Les anciennes « prairies », dans les États du Centre, sont maintenant un vaste champ de maïs. Avant la récolte, la plaine disparaît sous les tiges, hautes de 4 à 5 mètres, et quand on s'y promène au lever du soleil, après une nuit de rosée, on entend comme une fusillade incessante, produite par la dilatation des épis qui brisent leurs enveloppes. Le maïs des États-Unis a cependant moins d'importance, dans le com- merce du monde, que les autres céréales. Le froment, qui donne le pain, est le principal objet d'exportation dans les années de disette, alors que la Russie, la France, les Indes et les autres pays de grande production ont des récoltes insuffisantes. New York et les autres ports américains exportent dans certaines années pour un milliard de francs en blé et en farines. A 1 énorme production en froment, qui rivalise avec celle de la Russie*, il faut ajouter celle de l'avoine, de l'orge, du seigle, du sarrasin et autres céréales : celle de l'avoine surtout représente une valeur considérable, la récolte annuelle étant de beaucoup supérieure à celle du froment5. La pro- duction de l'orge s'accroît : les deux États qui en produisent le plus sont la Californie et New York. Le sorgho, d'introduction récente, se répand dans le Kansas et les États voisins, qui l'utilisent pour la fabrication du sucre. Avant la guerre de Sécession, les deux Carolines étaient la région 1 Culture du maïs aux États-Unis en 1889 : Ë tendue ensemencée 78 319 651 acres ou 51 749 £58 hectares. Rendement 27 bushels par acre ou 24 hectolitres par hectare. Production totale 2 112 892 bushels ou 655 095 hectolitres. * Production du froment, d'après le ministère de l'agriculture, à Budapest, en 1891 : Russie 195 000 000 hectolitres. États-Unis 191000 000 » Indes Orientales 96 000 000 » France 85000000 » Austro-Hongrie 58 000 000 » 3 Production de l'avoine aux États-Unis en 1889 : 263 000 000 hectolitres. 710 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. qui produisait le plus de riz : actuellement la Louisiane devient le grand pays producteur, et les terres basses de la contrée, qu'il est facile de sou- mettre à des inondations périodiques, permettent d'étendre indéfiniment la superficie des rizières1. Le delta mississippien a pour première industrie agricole la culture de la canne à sucre. En été et en automne, les champs de cannes apparaissent comme de grandes masses carrées où tiges et feuilles se rapprochent telle- ment qu'elles forment pour ainsi dire un énorme cube de végétation. Atteintes de bonne heure par les froids subits, les cannes de la Louisiane ne produisent pas de fleurs comme celles des Antilles, mais elles s'élèvent à la même hauteur, un homme à cheval n'atteignant pas du bras jusqu'à la cime des feuilles extrêmes. Vers le mois de janvier, les travailleurs noirs commencent à abattre les tiges, et dans l'espace de quelques jours la vaste plaine, découpée en épaisses masses vertes où les maisons dispa- raissent à demi, n'est plus qu'une étendue de terre noirâtre recouverte de longues feuilles jaunies. On attend qu'un beau soleil ait complètement séché les chaumes, puis on allume les pailles par tas et l'incendie se pro- page à travers les champs. Depuis la guerre, la production n'a pu reprendre complètement : la meilleure récolte connue fut celle de l'année 1860. La ruine des fabriques, la dévastation des champs, la dispersion des affran- chis et leur changement de travail ne permirent à l'industrie sucrière qu'une très lente reprise, et maintenant elle donne des produits encore inférieurs d'un tiers à ceux de l'ancien régime, malgré la réorganisation des ateliers et les progrès de la chimie agricole ; le Texas, la Floride ne compensent pas encore les pertes faites par la Louisiane1. Aussi les consom- mateurs des États-Unis dépendent-ils de l'étranger pour leurs approvision- nements de sucre : ils ont transformé les îles de l'archipel Havaïien en une vaste plantation sucrière, qui leur appartient de fait, sinon de droit, et ils cherchent à faire de Cuba une autre usine à sucre au moyen de tarifs de douane spéciaux. Enfin, ils tentent d'imiter l'Europe en fabriquant du sucre de betterave : la Californie, le Kansas ont pris l'initiative de cette industrie, parallèlement à celle du sorgho. Quant aux érablières du nord, elles ne donnent qu'une très faible quantité de sucre, utilisée dans les fermes, mais presque sans valeur marchande. Les vignobles américains, naguère d'une faible étendue, s'accroissent rapidement. On sait que les premières tentatives des viticulteurs, com- 1 Récolte du riz aux États-Unis en 1890 : 6 000000 hectolitres. * Récolte du sucre de canne en 1890 : 250000 tonnes, le sixième de la consommation annuelle. PRINCIPALES CULTURES. 711 mencées sur l'Ohio à la lin du siècle dernier, réussirent mal : la liqueur produite, acide, de mauvais goût, ne trouvait point d'acheteur, et les plants d'Europe, introduits à grands frais, ne résistèrent point aux parasites et aux conditions nouvelles du climat. Une révolution viticole s'accomplit lorsqu'on substitua les espèces américaines aux cépages européens, rongés par le phylloxéra : même en Californie, où se maintiennent les variétés introduites de l'Ancien Monde, les vignobles les plus prospères sont d'ori- gine locale. L'espèce sauvage la plus commune, le soco de la Louisiane, plus connu dans le nord sous le nom de scupperwng , croît aussi bien dans les sols marécageux que sur les coteaux, et donne des récoltes extraordinaires. La production annuelle, qui, pendant plusieurs décades, restait presque sans valeur économique, a pris une importance de premier ordre et les viticulteurs espèrent pouvoir subvenir bientôt à l'ensemble de la consommation nationale, même lutter contre l'Europe occidentale dans les marchés du monde. En 1890, la vendange a dépassé 1 100 000 hec- tolitres et 267 000 tonnes de raisins de table. A elle seule, la Californie donne la moitié de la récolte : les États de New York et de l'Ohio occu- pent le deuxième et le troisième rangs. Les terrasses bordières du lac Erie sont couvertes de vignes, que le revers argenté des feuilles agitées par le vent fait ressembler de loin à de vastes jardins fleuris de blanc. La partie méridionale de New Jersey se revêt aussi de vignobles, utilisés sur- tout pour la production des raisins de table, dont New York et Philadelphie font une très grande consommation1. Depuis l'année 1887, la surabon- dance des produits obtenus en Californie, notamment dans les vignobles de Fresno, fit craindre aux viticulteurs la perte partielle de leur ven- dange, et pour la première fois ils commencèrent à préparer les grappes pour les vendre sous la forme de raisins secs ; ils fabriquent aussi beaucoup de « Champagne » et d'eaux-de-vie. Les États-Unis produisent des quantités prodigieuses de fruits, poires, pêches, pommes, fraises, myrtilles, airelles et baies de toute espèce : en aucune autre contrée ces aliments ne se consomment pour une aussi large part. La Californie, l'Ohio, l'Indiana, l'IUinois et les États atlantiques du Nord sont les grands producteurs de fruits, mais le pays par excellence pour les vergers est la péninsule d'entre Delaware et Chesapeake : sol et climat se prêtent admirablement à cette production, ainsi que le prouvent 1 Superficie des vignobles aux États-Unis en 1890 : 162 500 hectares, dont 81 220 hectares en Californie. Valeur des produits de la vigne : 115660000 piastres, environ 800 000000 francs. Nombre des viticulteurs : 200 780. 712 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. les fruits sauvages que l'on recueille dans les rares districts encore incultes. Les fermiers ont su choisir des espèces et des variétés de grand rapport, et utiliser les fruits de diverses manières, à l'état frais, cuit ou desséché, conservé ou changé en sirop ou en liqueur. Depuis le milieu du siècle, la production s'est accrue en de vastes proportions, grâce aux plus grandes facilités d'expédition et surtout à l'emploi de procédés industriels pour empêcher la pourriture des fruits. En de nombreux districts les champs de céréales ont été transformés en vergers, le jardinage remplace peu à peu la culture extensive ; sur les bords de la rivière Cbester notamment on ne voit que des arbres fruitiers en forêts continues de 20 ou même de 50 kilomètres carrés : telle ferme possède jusqu'à 150000 pêchers. Des flottilles s'emploient à l'exportation des pêches, des cerises, des rai- sins ou des fraises, et des trains spéciaux s'arrêtent au milieu des champs. Dans les années de trop grande abondance, comme en 1891, on arrache les arbres par milliers pour essayer d'autres cultures ou bien les produits servent à la nourriture des porcs. La Floride, la Louisiane, certaines parties du Texas, la Californie du Sud produisent aussi des oranges, et dans la Floride méridionale on plante le cocotier1. Pour les légumes et autres produits de jardinage, les États-Unis n ont aucune supériorité sur les États de l'Europe : les maraîchers du Nord, auxquels manque le génie de leur profession, n'apportent sur les marchés que des produits peu variés et de qualité médiocre. Du moins la pomme de terre, qui, avec le gruau d'avoine, constitue le mets national des Irlan- dais du Nouveau Monde et de l'Ancien, suffit-elle amplement à toutes les nécessités de la consommation. Dans les États du Sud, les nègres cultivent les diverses variétés de la patate douce, et les créoles de la Louisiane, très experts jardiniers, emploient dans leur cuisine recherchée de nombreux légumes, peu connus ailleurs'. Une Culture importante des États atlantiques du milieu est celle des arachides. Les premières graines qui parurent sur le marché de New York provenaient de la côte d'Afrique. Seulement quelques nègres des États méridionaux en cultivaient dans leurs jardi- nets. Après la guerre civile, des planteurs eurent l'idée de faire cette culture en grand, et les résultats furent des plus heureux; les arachides américaines, provenant surtout de la Virginie, ont complètement remplacé celles de l'Afrique sur les marchés du Nouveau Monde : beaucoup plus grosses, plus régulières que les arachides de la côte africaine, elles ne 1 Récolte totale des vergers en 1885 : 800000000 francs. * Production moyenne des pommes de terre aux États-Unis : 75 000 000 hectolitres. » » des patates douces » » 20 000 000 » PRINCIPALES CULTURES. 715 contiennent pas une aussi forte proportion d'oléine. Actuellement l'huile que l'on consomme le plus aux États-Unis dans les cuisines, sous forme de beurre et de saindoux, est extraite de la graine du cotonnier. Le tabac, autre production très importante de l'agriculture américaine, fut, avant la guerre de l'Indépendance, le principal article d'exportation des colonies anglaises de l'Amérique du Nord. Le Kentucky en première ligne, puis le Maryland et la Virginie, sont restés parmi les grands pro- ducteurs de celte denrée, surtout pour lesqualités moyennes. Les États-Unis un ra K M n'ont pas de tabacs d'un arôme aussi fin que celui des Antilles et des Phi- lippines, mais ils ont une spécialité, celle des tabacs à chiquer, article de consommation encore très apprécié, quoi qu'on en dise, par des millions d'Américains dans les Etats du Centre et du Sud'. Le rang principal comme denrée d'exportation appartient maintenant au coton, au « Roi » Coton, comme l'appellent les marchands. Les commen- cements de la culture furent très difficiles, et l'on raconte qu'en 1784 les premières balles de coton exportées à Liverpool furent retenues à la 1 Récolte du Ubac aux États-Unis en 1887 : Culture : 3L2Ô 000 hectares ; Production. 258 000000 kilogrammes; Valeur 500000000 francs. Eiportalion moyenne 155000 000 » 714 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. douane comme article de contrebande, expédié des Antilles. Mais il fallut se rendre à l'évidence et bientôt les États-Unis, grâce à la découverte des machines à nettoyer les fibres, devinrent le premier pays pour l'exporta- tion. Avant la guerre de Sécession, ils avaient presque le monopole de ce commerce; puis, tout à coup la production se trouva à peu près inter- rompue : de plus d'un million de tonnes en 1860, la récolte utilisable fut réduite au quinzième de la récolte normale. La plupart des économistes pensaient que l'abolition de l'esclavage aux États-Unis et l'avance prise dans la culture du cotonnier par les contrées rivales, l'Inde et l'Egypte, auraient pour conséquence d'enlever définitivement à la république améri- caine le premier rang dans la production de cette denrée, mais en dépit des prophéties, la prépondérance fut rapidement reconquise. Les États du Sud, cultivés maintenant par des blancs et des noirs affranchis, four- nissent à l'Amérique entière les quatre cinquièmes et à l'Europe les deui tiers de la fibre de coton qu'elles emploient pour la fabrication de leurs étoffes. Plus des deux cinquièmes de l'exportation totale des États-Unis consistent en coton. En 1866, l'ensemble des ventes à l'étranger, provenant en grande partie des récoltes successives qui s'étaient accumulées pendant la guerre, s'élevait à 2194000 balles, et vingt-deux ans après, en 1888, l'ex- portation avait plus que doublé : elle atteignait 4650000 balles1. Pourtant une récolte américaine représente un revenu annuel encore plus consi- dérable, supérieur^ celui de toute autre denrée : le foin. Fauché sur une étendue moyenne de 15 millions d'hectares, il emplit les granges d'une masse prodigieuse de 50 millions de tonnes, dont la valeur est estimée à deux milliards de francs. Les États-Unis sont aussi producteurs de chanvre et de lin, mais on cultive principalement cette dernière plante pour la graine, dont l'huile, comme celle du cotonnier, est utilisée prin- cipalement pour l'alimentation. Nombreux sont les ennemis de l'agriculture américaine, champignons, insectes et bêtes des champs. Depuis la « mouche hessoise » (hmian fly)> qui suivit en] Amérique les soldats mercenaires des Anglais et ruina les champs -de blé, nombre d'autres insectes destructeurs, mouches, chenilles, acridiens, ont ravagé les cultures. Souvent les sauterelles se sont abattues sur les campagnes de l'Ouest. On considère aussi comme ennemis redou- tables de la culture les oiseaux granivores, et surtout le moineau, qu'une 1 Récolte du coton aux États-Unis en 1890 : 8 655 518 balles (à 499 livres), 1 960475 000 kilogrammes, 1 960 475 tonnes. Valeur à New-York : 544 000 000 piastres, soit 1 800 000 000 francs. "'1 ANIMAUX NUISIBLES, FORÊTS. 717 société de naturalistes avait cru devoir introduire dans le pays. L'amour filial pour la mère patrie, qui a fini par transformer les terres indiennes des Narragansetts et des Massachusetts en une « Nouvelle Angleterre » avec les arbres et les herbes de l'Ancienne, faisait désirer aussi le peu- plement de la contrée par les oiseaux britanniques : l'Américain voulait avoir, comme l'Anglais, des moineaux dans ses rues et des rossignols dans ses bosquets. Une première importation de pierrots, en 1850, ne réussit point; mais les autres arrivages de volières, comprenant près de deux mille oiseaux, de 1852 à 1881, ont par leurs résultats singulière- ment dépassé l'attente des importateurs. Le passereau se multiplia d'une manière prodigieuse : pendant chaque saison, la race décuplait, et l'ex- tension de l'aire occupée par l'envahissement s'accrut d'année en année vers le sud et l'ouest. Le domaine du moineau était de 1 200 kilomètres carrés en 1875 et de 1200000 kilomètres carrés en 1885. Loin d'ac- corder des primes à l'importation, les États en donnent au contraire aux exterminateurs du moineau1. Cependant les naturalistes constatent qu'une réaction naturelle a commencé de se produire : les hirondelles et martinets, les oiseaux chanteurs que les insolents pierrots avaient d'abord terrorisés, puis chassés des granges, des haies, des bosquets voisins de l'homme, se sont graduellement hasardés à revenir, des com- bats ont eu lieu et se sont terminés en général par la défaite des envahis- seurs; l'équilibre tend à se rétablir dans le monde des oiseaux1. L'accroissement continu des cultures s'est fait aux dépens des bois dans toutes les contrées forestières, et les agronomes commencent à se plaindre de la dévastation qui s'accomplit. Déjà le Maine, qui fournit jadis tant de bois de construction, n'a plus guère que de bas fourrés de broussailles et de petits arbres ; le bois le plus précieux, le pinus strobus, en a presque disparu. Maintenant on dévaste à leur tour les pinières du Hichigan, du Wisconsin, du Minnesota, qui sont pour toute la région du Centre les États producteurs de bois. Sur le versant du Pacifique, la défo- reslation se fait avec la même brutalité ; on s'est même attaqué aux arbres géants que Ton aurait dû respecter comme merveilles de la nature3. Les conséquences du déboisement se sont déjà fait sentir en mainte région par la détérioration du climat : les crues des fleuves sont devenues plus sou- 1 H. de Varigny, Revue Scientifique, 22 nov. 1890. * Ernest Tremblay , Notes manuscrites. s Valeur du bois employé en 1887 pour la construction, l'ameublement et le chauffage, d'après Whitncy : 555 530 000 piastres, soit 2 800s000 000 francs. 718 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. daines, les sécheresses plus longues; l'agriculture souffre à son tour du mal qu'elle a causé. Mais l'opinion publique est saisie et la plupart des États créent des réserves forestières autour des sources fluviales, afin de régulariser le débit des eaux et de maintenir la beauté de la contrée. On accorde des avantages spéciaux aux concessionnaires et acheteurs de ter- rains qui plantent des arbres sur leurs propriétés, et même Ton a institué une fête en l'honneur de la sylviculture. D'autre part la destruction des forêts a été partiellement compensée par les millions, les milliards même, d'arbres fruitiers récemment plantés : certaines régions des « prairies » et des « savanes » dans l'IUinois, l'Iowa, le Kansas, le Nebraska ont pris l'apparence de bois continus. Les pépi- nières pour le peuplement des vergers et des vignobles constituent une industrie fructueuse : on a compté en 1890 plus de 4500 de ces établis- sements, couvrant une superficie de 70000 hectares et représentant une valeur de plus de 200 millions de francs; près de cinquante mille per- sonnes étaient occupées à ce travail d'élève1. Enfin, la floriculture, indus- trie de luxpv a pris dans ces derniers temps une importance remar- quable : plus de dix-huit mille fleuristes, patrons et ouvriers, ayant ensemble 4659 établissements, vendaient en 1890 pour 140 millions de francs en plantes de jardinage et en fleurs coupées*. Quant à l'élève des animaux, les Étals-Unis occupent, comme pour l'agriculture, le premier rang parmi les contrées à civilisation européenne. Le recensement de la race chevaline s'est fait très incomplètement : les statistiques n'ont porté que sur les propriétés agricoles ayant une superficie supérieure à trois acres (1 hectare 20) et n'ont pas tenu compte des villes et des villages3. C'est au moins à vingt millions d'animaux que l'on peut évaluer le total de la cavalerie américaine : d'après le témoignage una- nime des agriculteurs, l'accroissement paraît avoir été très considérable pendant la décade. Deux États du Centre, l'IUinois et l'Iowa, sont les plus riches, puis viennent les deux États à grande population, le New York et la Pennsylvanie; même l'immense Texas, qui possède des terrains de pâtu- rage si étendus, leur cède pour le nombre des chevaux; mais, avec le Mis- 1 Census Bulletin, Sept. 2, 1891. * Census Bulletin, April 29, 1891. 3 Recensement incomplet des chevaux, mulets et ânes en 1890 : Chevaux 14976 017 Mulets 2 246 936 Anes 49109 (Census Bulletin, n* 103, Aug. 19, 1891.) FORÊTS, CHEVAUX, BÉTAIL. 719 souri, il remporte de beaucoup pour les mulets et les ânes : ces animaux, d'ailleurs, sont loin d'être appréciés aux États-Unis comme dans les répu- bliques hispano-américaines. Le Kentucky et le Tennessee n'ont pas d'aussi grands haras que le New York, la Pennsylvanie, le Texas, mais ils sont au premier rang pour l'excellence de la race. L'industrie chevaline prospère surtout dans les admirables campagnes du Kentucky, parcs naturels où les bouquets d'ar- bres, chênaies, hétraies, frênaies, érablières, parsèment les prairies ondu- Ieuses : les régions où le sol calcaire, riche en phosphates, produit une épaisse moisson de blue gras$ sont celles où le cheval prospère le mieux. L'animal passe l'hiver en pleine prairie, paissant l'herbe rare et le foin desséché, s'abritant la nuit sous les branchages. La race « kentocke » est d'origine mêlée comme la population elle-même : le mustang du Nouveau-Mexique, le poney indien, le pur sang d'Angleterre, ont contribué à la formation de ce type nouveau, l'un des plus appréciés pour ses qua- lités de force, d'entrain, de vitesse et de résistance. La course la plus rapide fournie jusqu'à maintenant sur un hippodrome fut, en 1890, celle du fameux Salvator, qui parcourut une piste de 1 600 mètres en une minute 55 secondes et demie. Comme trotteur pour l'amble ou le « traquenard », le kentocke n'a point d'égaux : en 2 minutes et 8 secondes, il parcourt 1 600 mètres. En outre, il est d'une parfaite gentillesse, ce qui provient sans doute de la douceur avec laquelle on ne manque jamais de le traiter. L'élève des bêtes à cornes a pris une importance bien supérieure encore à celle des chevaux. Dans les États atlantiques et du Cis-Mississippi, sur- tout dans l'Ohio, l'Indiana, l'IUinois et les autres États à « prairies » natu- relles, les fermiers possèdent environ 15 millions de vaches laitières des meilleures races, produisant une quantité de lait suffisante pour la fabri- cation de 500 000 tonnes de beurre et 200 000 tonnes de fromage : les États-Unis expédient à l'Angleterre des millions de fromages d'une aussi bonne qualité que les produits similaires de Chester et de Stilton ; dans les plaines du Trans-Mississippi et sur les plateaux des Rocheuses, le bétail, moins soigné, vivant plus à l'aventure, n'a guère d'utilité commerciale que pour sa chair. Dans ces contrées situées au delà des régions de culture, les bisons ont été remplacés par le bétail domestique. On ignora longtemps que les troupeaux amenés par les blancs pourraient vivre dans ces soli- tudes : en 1865 seulement1, après le séjour forcé d'un convoi dans un cam- 1 Stuart-Fossard, Bulletin de la Société de Géographie commerciale du Havre, scpt.-oct. 1889. 720 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. pcmenl d'hiver, on constata le bon état de bœufs ayant réussi à vivre et même à s'engraisser, à l'état libre, sans abri et sans l'aide de l'homme pendant la saison la plus rigoureuse. On venait de faire une découverte plus importante que celle de l'or en Californie. Néanmoins l'élevage régulier ne commença que vers 1875 dans ces vastes régions. De riches spéculateurs, parmi lesquels de nombreux Anglais, ont loué de très vastes étendues de terrains, par centaines de mille acres, et y ont lâché des bêtes qui paissent et se reproduisent en liberté, surveillées de loin par des bouviers ou cùw-boys, hommes énergiques et rompus à toutes les fatigues, qui savent poursuivre le taureau, le renverser d'un coup de lacet, brûler sur la cuisse la marque du propriétaire, et pousser l'animal, suivant l'occasion, dans la direction de l'aiguade ou de l'abattoir. Cette industrie de l'Ouest s'est accrue en des proportions inespérées, et c'est par millions qu'on amène chaque année les bétes à cornes dans les « usines à viande » de Chicago, d'Omaha, de Kansas City. Les cattle-kings ou « rois du bétail » expédient même des animaux vivants par les ports des Grands Lacs et de l'Atlantique : en 1890, l'Angleterre reçut ainsi près de quatre cent mille bœufs des États-Unis1. Le maïs, que les fermiers obtiennent en quantités si considérables, sert pour une bonne part à la production de la viande de porc. En aucun pays la transformation de grain en chair ne se fait d'une manière plus njétho- dique et plus savante que dans les États du Centre, dont Chicago est la capi- tale économique : on y tue annuellement plus des deux tiers des quatorze ou quinze millions de porcs, abattus, découpés ensuite, puis exportés sous forme fde lard, de jambons et autres préparations alimentaires*. La chair de mouton est beaucoup moins appréciée et on ne l'expédie qu'en insigni- fiantes quantités. Les brebis sont utilisées surtout pour la production de la laine. On a pris le plus grand soin d'améliorer la race, et les éleveurs obtiennent maintenant d'un même nombre de bêtes des toisons doubles en poids et d'une finesse bien supérieure : les fabricants de lainages trouvent dans le pays même la plus forte part de la matière première. Les États du Pacifique sont les principaux pays d'élève5. 1 Cheptel des États-Unis en 1890 : Nombre des betes à cornes, y compris les vaches laitières. . 52 000 000 Valeur : 5 500 000 000 francs. 8 Nombre des porcs aux États-Unis en 1890 : 51 000 000 ; valeur : 800000 000 francs. 3 Nombre des brebis aux États-Unis en 1890 : 44 000 000 ; valeur : 500 000 000 francs. Production de la laine .... 108 000 000 kilogrammes. Valeur totale 175 000 000 francs. ÉLÈYE DU BÉTAIL, INDUSTRIE DE LA PÊCHE. 725 De même que la chasse du bison a été remplacée par l'élevage des bœufs, celle des oiseaux par l'entretien des fermes à volailles, de même la pêche se transforme graduellement en pisciculture. La chasse a perdu de son importance en haute mer aussi bien que dans les montagnes et les forêts de l'intérieur. La pêche à la baleine, à laquelle se livraient jadis des milliers de marins dans la Nouvelle-Angleterre, a beaucoup diminué, et les cinquante navires de New Bedford se donnent rendez-vous sur la côte du Pacifique, à San Francisco et à Port Townsend, surlePuget Sound, à l'angle extrême du territoire1. Les anciens postes de trappeurs, sur le haut Mississippi et sur le haut Missouri, dans les montagnes Rocheuses, sur la Columbia, sont devenus des villes commerçantes ayant perdu jusqu'aux traces de l'industrie qui les vit naître. C'est en dehors des Etats-Unis proprement dits, dans l'Alaska et ses îles, que s'est concentré presque tout le commerce des pelleteries, sans le caractère aventureux qu'il avait autrefois. L'abatage des otaries ou phoques à fourrure, qui se fait dans les îles Pribîlov, ne ressemble en rien à une chasse : c'est une tuerie méthodique, presque aussi régulière et exempte de dangers que celle des porcs dans une usine de Chicago. L'industrie de la pêche, qui se poursuit dans le voisinage des côtes amé- ricaines, et principalement dans les parages de la Nouvelle-Angleterre et sur les bancs de Terre-Neuve, où les Américains ont le droit de pêcher à trois lieues marines des côtes, est soumise aux chances les plus diverses : aux périls de la mer s'ajoute parfois la rareté du poisson, surtout dans les parages où les bateaux portent jusqu'à six lignes, armées chacune d'un millier de hameçons. C'est ainsi que toute la flottille de pêche de la Nouvelle-Angleterre revint dans ses ports, en 1890, avec une misé- rable récolte moindre de 50000 hectolitres et représentant seulement la vingt-cinquième partie de la pêche obtenue en 1884. Afin d'empêcher pour l'avenir de pareilles mésaventures, des naturalistes, groupés en com- missions permanentes, étudient les mers américaines pour en reconnaître les habitants, en classer les espèces et les variétés, en comprendre les mœurs, en suivre les migrations. Grâce à ces recherches, l'ichtyologie américaine a fait des progrès considérables; on connaît maintenant environ cinq cents espèces comestibles de poissons de mer et d'eau douce1, dont plus « Flotte baleinière des Atats-Unis en 1890 : 101 navires, de 22 660 tonnes. * Faune marine de la Nouvelle-Angleterre : Connue en 1870 800 espèces, » 1880 1800 » (Verrill; — G. Brown Goode, American Association for the Adwncement of Science.) 724 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de cent récemment découvertes et classées : quant aux animaux marins des autres séries, le nombre connu s'en est trouvé presque doublé. Les pécheurs ont profité de ces travaux scientifiques. Les espèces de saumons qui peuplent la Golumbia et les autres rivières du Washington et de l'Oregon ont été introduites dans les cours d'eau du versant atlantique ; les lacs, les rivières ont reçu de nouveaux poissons d'Europe et d'Asie. On a même tenté avec succès de repeupler la mer dans les parages épuisés : la pêche des aloses a doublé depuis 1880, grâce au soin qu'on a pris d'enlever les œufs des poissons mis en vente, de les fertiliser artificiellement et de les rendre à la mer et aux rivières1. Comme en France, mais en des proportions bien autrement considéra- bles, l'ostréiculture est en voie de remplacer complètement la pêche. Des bancs d'huîtres, jadis fort productifs, entre autres ceux de Wellfleet, sur la péninsule du cap Cod, ont complètement disparu1, et Ton peut craindre pour certains bancs de la Chesapeake, exploités à outrance. Mais ailleurs, notamment sur les côtes du Rhode Island, on entretient soigneusement, on augmente les cultures5 et l'on sème du naissain sur les côtes où l'huître ne vivait pas encore : on a même ensemencé le Grand Lac Salé, dans le territoire d'Utah. Les bancs d'huîtres de la Chesapeake, d'une superficie d'environ 80 000 hectares, sont les plus activement exploités, non seule- ment aux États-Unis, mais aussi dans le monde entier : la production huî- trière y dépasse même celles de toutes les autres contrées réunies*. On peut se faire une idée de la prodigieuse quantité d'huîtres que recueillent les pêcheurs de la Chesapeake par la vue d'un village, tel que Crisfield, situé en face de la bouche du Potomac, sur un des estuaires ramifiés de la baie de Tangier. Crisfield, ou du moins son faubourg maritime, est la « Venise du Maryland » : maisons, hôtels, magasins, ateliers, quais, tout a été construit sur des amas de coquilles. Longue d'un kilomètre, l'emprise sur 1 Pèche des aloses (shads) : En eau salée Dans ou saumatre. les rivières. Ensemble. 1880 . ... 2549544 1591424 4140968 1888 5 010101 2 650 373 7 660 474 * Brooks, The Oyster. 3 Production huîtrière du Rhode Island : 1865 128 000 hectolitres. 1879 991000 » 4 Production huîtrière de la Chesapeake en 1890 : 30 000 000 hectolitres. » » des États-Unis : 39 950 000 hectolitres; environ 59 950 000 000 huîtres. Valeur : 30 438 850 piastres. )> )) de la France : 500 000 000 huîtres. OSTRÉICULTURE, MINES. 735 la mer est en entier formée de ces débris; le marchand, le pêcheur, qui veulent agrandir leurs dépôts, achètent un espace d'eau qu'ils enclosent de pieux et sur lequel ils élèvent leurs constructions aériennes ; mais en peu d'années les coquillages vides rejetés dans l'eau suffisent pour la changer en terre ferme1. Là se trouve concentrée une part considérable de cette industrie de la pêche, qui occupe environ 150 000 hommes et produit près de 300 millions de francs. Dépassant même celle des deux États Scandi- naves, elle représente environ le quart de ce que fournit la mer à toutes les nations de civilisation européenne*. MINES. La supériorité qui appartient aux États-Unis pour la production agricole lui revient aussi pour l'exploitation des profondeurs : l'ensemble de sa richesse minière dépasse celle de tout autre pays. Or, argent, mercure, cuivre, plomb, étain, charbon, huiles minérales, pour chacun de ces trésors l'Union américaine tient l'un des premiers rangs. Les États atlantiques ont quelques laveries d'or, et de nos jours encore on fouille les sables des rivières appalachiennes, notamment dans la Caroline du Nord et dans la Géorgie, mais c'est dans les veines des montagnes Rocheuses et de la Sierra Nevada que se trouvent les trésors les plus abondants, ceux qui ont valu au nom de « Californie » un sens analogue à celui d' « Eldorado », de « Pactole » et de « Golconde ». L'or, plus encore que la fertilité du sol et l'excellence du climat, a fait le peuplement de la côte du Pacifique. La grande veine de quartz blanc ou « veine maîtresse », mother Iode, qui se prolonge parallèlement à l'axe de la chaîne et au littoral de la Californie, et que l'on aperçoit des plaines comme une muraille blanche, a produit ces immenses trésors vers lesquels la foule des mineurs accourut frénétiquement de toutes les parties du monde. Mais on ne s'attaqua pas d'abord à la roche dure. Les Espagnols avaient exploité déjà quelques placera au bord des rivières, et la découverte qui 1 Robert Wilson, On the Eastern Shore, Lippincotl's Magazine, 1876. * Valeur annuelle de la pèche américaine en 1889 : Baleines , 1690 000 piastres. Otaries 1900 000 » Poissons 18000 000 » Huîtres et autres coquillages 55 000 000 » 736 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. détermina la ruée des chercheurs d'or se fit dans les boues fines qui s'étaient déposées dans les canaux d une scierie, près du Sacramento. L'an- cien garde suisse Sutter, qui avait dû quitter la France après la révolution de 1830, se trouva riche soudain, et tout à coup la foule, armée de pioches et d'écuelles, se précipita vers les plages des eaux courantes. Une nouvelle période de l'histoire américaine avait commencé. Les mineurs se répandirent d'abord le long des cours d'eau qui descen- dent de la Sierra, exploitant les sables et les graviers, mais ils consta- tèrent bientôt que les moraines au pied desquelles coulent les rivières contiennent aussi des pépites d'or et l'on se mit avec .furie à démolir ces hautes berges. lie pic et la pelle ne suffisant point à la besogne, on détourna les torrents et les rivières pour entraîner les débris par une succession de cascades, puis, au moyen de machines analogues aux pompes à 'incendie, on s'attaqua aux parois de graviers inconsistants : des pans entiers de montagnes furent ainsi démolis et la physionomie de la contrée changea complètement dans certains districts. Mais en remontant le cours des rivières vers leurs sources et les talus de gravats vers les roches d'origine, il fallut procéder à d'autres travaux plus considérables encore, détruire la roche dure, atteindre les veines riches par des galeries pro- fondes, creuser des tunnels d'écoulement pour assécher les mines. En cer- taines vallées, les cours d'eau dont les sables sont parsemés de paillettes d'or ne coulent pas à l'air libre ; des cheires de laves les ont recouverts d'une épaisse couche de pierre et ont même changé le cours du ruisseau : pour reconnaître la vraie direction de l'ancienne coulière et la position des nappes à pépites, il faut creuser des puits dans le manteau de roches éruptives et tâtonner dans l'intérieur de la pierre par des galeries coudées. Ces grands et coûteux travaux ne sont pas toujours rémunérés par le succès; en outre, les « champs d'or » d'un accès facile sont épuisés en grande partie ou du moins n'ont plus assez de parcelles métalliques pour compenser la peine d'ouvriers blancs largement payés : on les abandonne aux sobres et tenaces travailleurs chinois. Dans l'ensemble, la production de l'or a beaucoup diminué en Californie depuis le milieu du siècle, et les agriculteurs ont tout lieu de s'en féliciter, car la démolition des moraines, le déplacement des graviers et des sables entraînés par les cou- rants d'eau et déposés plus bas sur les terrains fertiles des vallées avaient brusquement changé le régime des rivières et rendu toute culture im- possible en de nombreux districts : l'or recueilli ne représente peut-être pas la valeur des terrains détériorés. En 1852, année de la plus grande activité minière, elle atteignit l'énorme total de 81 300000 piastres, plus MINES D'OR, SE MERCURE, D'ARGENT. 720 de quatre cents millions de francs; actuellement la valeur annuelle, variant de 75 à 100 millions, est de quatre à cinq fois moins considérable que pendant la « lièvre de l'or1 ». La perte a été partiellement compensée par les découvertes de mines précieuses dans le Nouveau-Meïique, l' Arizona et le Colorado, le Montana, l'Idaho. Le total de la production américaine dé- passe en moyenne celui de l'Australie, le pays rival, et représente à peu près le tiers de l'or obtenu dans le monde1. Aux États-Unis c'est encore la Californie qui a le premier rang pour les mines de mercure. Elles n'ont pas autant d'importance que celles d'AI- maden, en Espagne, et il est probable que leur contenance en métal est aussi très inférieure à celle des mines de Kwei-Chau, dans le centre de la Chine, au sud du Yanglze kiang '. La richesse en cinabre de la sierra Cùtière de Californie était déjà connue en 1824, et l'exploitation régulière en commença en 1845 : pendant la période qui s'est écoulée de 1850 à 1886, la production totale du vif-argent sur le versant américain du l'aci- 1 Ensemble de la production des mines d'or californiennes de 1848, année de l'ai 1 330000000 piastres, soil environ 6 600 000000 franc». • Production de l'or en 1888 : États-Lois 179 100 000 francs. Australie i« 500 000 » Monde entier 540 500 000 » 1 F. von kichthofen ; — George F. becker, Quickiilver DepotiU ofthe Pacific Slope. m. 03 750 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. fique a dépassé 50 millions de kilogrammes — plus du tiers de la pro- duction du monde1, — et plus de la moitié de ce métal provient de New Almaden, près de San-José. lies gisements se rencontrent surtout dans la Coast Range, au nord et au sud de la baie de San Francisco, dans les collines bordicres de San Luis Obispo et de Santa Barbara, et dans le Nevada, à Steamboal Springs, près de Virginia. Ils sont toujours associés à des roches éruptives. La production de l'argent s'est accrue d'une manière prodigieuse. Au milieu du siècle et jusqu'en 1860, elle ne dépassait pas 7500 kilogrammes par an, représentant une valeur d'environ un million et demi de francs. Soudain, la découverte des immenses trésors de la Sierra Nevada, dans le district de Washoe, éleva le produit de 600000 kilogrammes, et depuis cette époque l'industrie minière, soutenue par la hausse factice due aux faveurs des gouvernants, a presque quadruplé. Il est vrai que la valeur commerciale du minerai a baissé en sens inverse de sa valeur monétaire, accrue d'un tiers. par les achats de minerai que les décisions du Congrès obligent le gouvernement à faire chaque année1. Dans l'ensemble de la production, la part des États-Unis est de beaucoup supérieure au tiers; en 1891, elle a probablement dépassé la moitié3. Le plus grand gise- ment d'argent natif connu est celui de Comstock, sur le versant oriental de la Sierra Nevada : ce filon a produit de 1859 à 1890 l'énorme quan- tité de 532 millions de piastres, plus d'un milliard et demi. Pour les autres métaux d'importance industrielle, cuivre, plomb, zinc, manganèse, nickel, cobalt, fer, les États-Unis en possèdent des gisements qui paraissent inépuisables : l'étain seulement est rare ; il ne se trouve qu'en faible quantité dans les Black Hills du Dakota, en Californie et en d'autres États. Les mines de cuivre, on le sait, étaient déjà exploitées 1 Production du mercure aux États-Unis dans l'année la plus riche, 1881 : 2 111 529 kilogr. » » » en 1889 919121 » » » » dans le inonde entier : 5 512 890 ».» (Centus Bulletin, n' 10, 1890.) * Production de l'argent aux États-Unis en 1890 : 2 200 000 kilogrammes. Valeur marchande. . . 57 225 000 piastres. Valeur de la monnaie. . 70 465 000 » plus de 360 000 000 francs. 5 Production de l'argent dans le monde en 1889 : Etats-Unis 1 685 000 kilogrammes. Mexique 1 175 000 » Reste du moudu 1 579 000 » Ensemble 4 257 000 kilogrammes. Valeur commerciale 669 000 000 francs. MINES D'ARGENT ET I>E CUIVRE. 731 par tes Indiens avant l'arrivée des blancs dans le pays, et même avant celle des Odjibways et Assîniboines que tes premiers voyageurs français rencontrèrent sur les bords du lac Supérieur; en certains endroits les travaux d'excavation avaient été poussés jusqu'à 15 mètres de profondeur dans la roche solide. Des outils en cuivre forgé provenant de ces mines ont été découverts sous de nombreuses tombelles des États-Unis ; même les gise- ments de l'Isle Royale, si difficiles d'accès sur le lac tempétueux, offrent les traces d'un long travail d'exploitation. Le minerai de cuivre du lac Supérieur, que l'on relire surtout de la péninsule de Keweenaw, d'une gangue de roches volcaniques, se distingue de tous les autres terrains cuprifères connus par sa pureté presque chimique : on a trouvé un bloc de cuivre à l'état natif d'un poids de 500 tonnes' et il ne fallut pas moins < Production du cuivre dans le Montana en 1888 4ô 075 tonnes. » » dans le Michignn (lac Supérieur) 38 768 » » » dans ['Arizona et tes autres Etats 20 384 m Ensemble de la production aux Etats-Unis en 1888. 103 135 tonnes. » * » en 1889. 113028 » ■ a du monde en 1888 . . 225 000 » 132 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de quinze mois pour l'isoler de la roche qui l'enfermait. Une mine de la région a été poussée jusqu'à ta profondeur de 450 mètres. Malgré leur importance, les mines du lac Supérieur sont dépassées en valeur annuelle de production par celles du Montana; t'Arizona contribue aussi pour une forte part à l'amas de cuivre que livrent les États-Unis au com- merce général et qui représente environ les deux cinquièmes du total. Les mines de plomb sont, après les minières de fer, les plus anciennes ft-efôntfari-3 que l'on ait exploitées : les cartes françaises en indiquent déjà l'emplace- ment au milieu du siècle dernier. Dubuque, qui a laissé son nom à l'une des grandes villes de l'Iowa, fut un des premiers mineurs de la contrée; les colons de Saint Geneviève employaient des disques de plomb comme monnaie d'échange, tandis qu'à Saint Louis on se servait de fourrures ou « pelus ». Les gisements exploités à cette époque sur tes deux bords du haut Mississippi sont presque épuisés de nos jours ; mais on a MINES ET HOUILLÈRES. 735 découvert des mines très riches, notamment dans le Missouri méridio- nal, où le plomb s'associe presque toujours au zinc, et Ton obtient une quantité de plomb plus considérable encore par le traitement des mine- rais argentifères. La part des États-Unis dans la production du monde en plomb et en zinc est très élevée, respectivement d'un quart et d'un sixième environ * . La production du minerai de fer se confond en grande partie avec l'in- dustrie métallurgique, puisqu'on l'utilise presque en entier dans les usines construites à proximité des minières*. Plus d'une moitié de l'énorme quan- tité de métal extraite du sol provient des mines du Michigan et du Wisconsin, riveraines du lac Supérieur : on pourrait facilement en augmenter la pro- duction annuelle, mais le bas prix des transports est la première condition pour l'emploi de ces matières lourdes et d'une faible valeur relative; aussi les usines de la Pennsylvanie demandent-elles une grande partie du minerai dont elles ont besoin, plus d'un million de tonnes, à des pays d'outre- mer, Cuba, l'Espagne, l'île d'Elbe, l'Algérie. Le traitement de ces métaux et tous les autres travaux industriels des États-Unis, qui se développent avec une si étonnante rapidité, exigent une quantité croissante de combustible ; heureusement les Américains, qui ont déjà brûlé une si forte part de leurs forêts, possèdent une immense réserve de charbon fossile, qu'ils attaquent avec une singulière ardeur : pour chaque tonne de charbon qui arrive sur le marché, deux se perdent dans l'extraction et. le transport3. Il est donc naturel que l'on pense déjà à l'épuisement possible des couches d'anthracite et de houille reconnues dans les roches. Si les États-Unis ne sont pas encore (1891) au premier rang pour la production du combustible minéral, du moins remportent-ils de beaucoup pour la superficie des houillères, non seulement sur la Grande-Bretagne et les divers pays de l'Europe continentale, mais pro- bablement aussi sur la Chine, dont les lits de charbon, non encore entière- ment connus, occupent certainement une étendue très considérable. On évalue d'une manière générale la surface des terrains à combustible fossile, aux États-Unis, à 500 000 kilomètres carrés, soit à peu près un domaine égal au territoire français ou au millième de la rondeur planétaire ; quant à la contenance, on ne peut que faire des conjectures, puisqu'on ne connaît 1 Production du plomb et du zinc en 1889 : Plomb : 650 000 tonnes ; zinc : 340 000 tonnes. Part des États-Unis : » 182967 » 58 860 » 8 Minerai de fer extrait aux États-Unis en 1888 : 12 650 000 tonnes. 5 Ashburner; — J. D. Whitney, ouvrage cité. 754 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. pas en détail le nombre et la puissance des couches. La première mine entamée fut celle de Richmond, en Virginie; elle est à peu près aban- donnée maintenant, comme tous les petits bassins du versant atlantique situés dans les terrains crétacés : l'anthracite et les charbons bitumineux K* lftt. — BÉGION DES A5THRAC1TES ES PHWSÏLVAHIE. ,79'go' Ouest de Paris 78*80' Ouest de Greenwich 76- ass^nS s//ttÂrVKv'ti //ott///<0 ****/• biturninev&o 1 : 1400000 0 60 kil. et semi-bitumineux sont les plus activement exploités. En 1880, le rende- ment total en combustibles minéraux dépassa 60 millions de tonnes; en 1889, les produits, presque exactement doublés, s'élevèrent à plus de 140 millions de tonnes, représentant sur le carreau de la mine une valeur de 160 millions de piastres, soit 830 millions de francs. La Penn- HOUILLÈRES, SOURCES DE PÉTROLE. 735 sylvanie produit à elle seule plus de la moitié de cette énorme quantité de combustible, toutefois sa prépondérance diminue au profit des terrains d'oulre-Alleghanies, surtout l'Illinois, et le Colorado devient son rival pour l'exploitation des gisements d'anthracite. Le Michigan possède aussi un bassin houillcr très étendu, mais les produits en sont de qualité médiocre'. Le pétrole, qui se rattache probablement aux formations houillères, est aussi l'une des grandes richesses des États-Unis. En 16*27, le missionnaire Delaroche parle déjà d'une « fontaine de bitume » qu'il vit au sud du lac s'a /j SÛÛ oi SÛ-?s S0Q0 Je fOOOete» JM n SurAea Or /OCOOMI' Ontario1. La source d'huile qui a valu son nom à la rivière pcnnsylva- niénne d'Oil Creek était bien connue des Iroquois, et ceux-ci, les Seuccas surtout, recueillaient précieusement le liquide, qu'ils appelaient le « grand remède ». On l'expédiait au loin et les blancs l'achetaient un prix élevé, 1 Production du combustible aux Etats-Unis en 1889 : Anthracite 15600487 tonnes (à 1000 livres, 453 kilogrammes), Charbon bitumineux . . 95 629 036 n Ensemble I il Tl'J iilô luîmes. • Félii Fuucou, Le Parole et le* a Homme* d'huile a de l'Amérique du Nord. 736 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. mais il est censé avoir perdu ses vertus médicinales depuis que sa valeur marchande est réduite à peu de chose1. Lors de grandes fêtes nationales, des Iroquois voisins de Fort-Duquesne, le Pittsburg de nos jours, allu- maient en cérémonie une source d'huile jaillissant dans le fond d'un ravin. C'est en 1859 seulement que se fit, près de Titusville, dans le bassin supérieur de l'Oil Greek, le premier forage direct pour la recherche de l'huile de pétrole : on la découvrit à la profondeur de 21 mètres seu- lement, et le rendement journalier s'éleva aussitôt à 48 hectolitres. C'était le petit commencement d'une industrie qui se développa avec une rapidité prodigieuse et devint pour les États-Unis un des principaux élé- ments de richesse. C'est par centaines, puis par milliers, qu'on se mit à creuser les puits, d'abord dans la vallée de l'Oil Creek et dans les ravins latéraux, ensuite en d'autres régions où les forages avaient révélé le précieux liquide. Des trouvailles inespérées donnèrent un singulier élan à la spéculation : certains puits fournirent jusqu'à 10000, même 12000 hec- tolitres par jour. On peut s'imaginer la frénésie de jeu qui s'empara des agioteurs sur les terrains, les machines, les transports et toutes les industries annexes : les hausses et les baisses firent alternativement la fortune et la ruine, jusqu'à ce que le monopole s'établît au profit de puis- sants syndicats. La région pétrolifère comprend d'abord la fameuse vallée de l'Oil Creek, longue d'environ 25 kilomètres, puis les bords du haut Allegheny, le dis- trict qui entoure la ville de Bradford, à l'extrémité sud-occidentale de l'État de New York, et diverses régions de la Pennsylvanie au nord, à l'ouest et au sud de Pittsburg. Un des groupes de sources le plus récemment découvert se trouve au sud-ouest de Pittsburg, dans le district de Wa- shington : en 1887, un des puits donnait 19000 litres par heure, soit plus de 5 litres par seconde ; un autre versait dans les commencements 8 litres dans le même temps. On n'a point découvert de sources dans la zone de l'anthracite, à l'est des Alleghanies, mais on en trouve dans presque toutes les régions houillères, West Virginia, Ohio, Indiana, Kentucky. Colorado, Californie. En tous les districts à huile, les sources jaillissent de sables contenus dans les roches paléozoïques, siluriennes ou dévoniennes. Dans la principale contrée pétrolifère de la Pennsylvanie, la nappe d'huile ou plutôt les couches desquelles sourdent les matières grasses, présen- tent par leur ensemble une inclinaison générale du nord-est au sud- ouest, dans le même sens que le haut bassin de l'Ohio, mais on n'a point 1 Andrew Carnegie, Macmillan Magazine, January 1885. MINES DE HOUILLE, SOURCES DE PÉTROLE. 737 reconnu de continuité dans les terrains à pétrole, et la profondeur des puits, de 300 mètres en moyenne, varie singulièrement; à 150 mètres au-dessous du niveau de la mer, les forages n'ont donné aucun résultat, et c'est en vain que Ton a poussé les puits jusqu'à 1 000 mètres, ou même, comme à Homewood, dans le district d'Allegheny, à 1 407 mètres de profondeur. D'ailleurs la sonde n'a jamais rencontré deux nappes super- posées de sources. Les géologues savent dans quelles limites probables se trouvent renfermées les assises profondes qu'il s'agit d'explorer, mais la forme du relief extérieur avec ses collines, ses ravins et ses combes ne leur a pas jusqu'à maintenant permis de découvrir les lois relatives à la distribution des roches pétroliferes dans les profondeurs du sol. Maints spéculateurs ont eu recours aux songes ou à la baguette divinatrice1. En 1889, la production totale du pétrole s'est élevée à plus de 50 mil- lions d'hectolitres, d'une valeur marchande de 50 millions de piastres, soit 260 millions de francs : c'est la plus forte quantité d'huile qui ait jamais été puisée dans les lacs souterrains depuis l'origine de l'exploitation régulière, en 1859; les États-Unis n'ont que la Transcaucasie pour rivale dans l'extraction des huiles minérales2. De cette grande abondance de pétrole américain, le tiers environ, provenant surtout des puits de l'Ohio, de l'Indiana, de la Californie, s'emploie comme combustible ; les deux autres tiers, comprenant presque tout le pétrole de la Pennsylvanie, sont utilisés pour l'éclairage3. Le grand accroissement de la production n'a pu être obtenu que par l'extension des terrains mis en perce, car le rendement des puits diminue. Les soixante mille puits de la Pennsylvanie et du New York fournissent moins de pétrole que n'en donnaient quarante mille, dix années auparavant*. L'industrie faiblit, et d'année en année on creuse moins de puits. Des nappes très productives ont été presque épuisées en moins d'une décade. L'assèchement se fait d'autant plus vite que les in- dustriels emploient des moyens plus énergiques pour accroître le rende- ment : c'est ainsi qu'une fontaine, élargie par une explosion souterraine de dynamite, versa dans la première journée un ruisseau de pétrole d'en- viron 200 litres par seconde, mais le lendemain elle ne fournissait plus 1 G. Ton Rath, Pennsyfoanicn. * Production comparée des Étals-Unis et de la Transcaucasie en 1887 : États-Unis 55 592 000 hectolitres. Transcaucasie russe .... 18560000 » 3 Census Bulletin, June 9, 1891. 4 Production journalière des puits à pétrole de la Pennsylvanie : 1882. . . . 82 558 barrels, soit 125 500 hectolitres. 1887. . . . 58 846 » » 88 269 » xyi. 95 758 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. même un litre dans le même temps; un mois après, elle était presque épuisée. Ainsi s'expliquent l'apparition et la disparition rapide de villes telles que Pit Hole : elles durent aussi longtemps que les sources qui les ont fait naître. L'industrie et le commerce du pétrole donnent lieu à une spéculation effrénée entre les compagnies rivales, qui disposent de ca- pitaux considérables; elles ont même pu se rendre indépendantes des che- mins de fer en établissant, sur une longueur totale de plus de 20 000 kilo- mètres, des conduites souterraines qui portent l'huile minérale aux ports d'embarquement, New York, Philadelphie, Buffalo, Cleveland, Chicago. Une autre richesse s'associe en maints endroits aux huiles naturelles. On avait remarqué depuis longtemps en diverses sources et rivières de la Pennsylvanie occidentale des bulles de gaz hydrogéné qui venaient éclater à la surface, mais l'attention des spéculateurs ne s'était pas portée vers ce produit : cependant un fermier utilisait un jet de gaz échappé d'un pui- sard pour la préparation du sucre d'érable, et le village de Fredonia, dans l'État de New York, s'éclairait au gaz naturel. Toutefois, lorsque les « cher- cheurs d'huile » se mirent à sonder les profondeurs pour y trouver les sources de pétrole, ils ne pouvaient manquer d'atteindre aussi les sources du gaz; dès Tannée 1874, une usine de la vallée de l'Allegheny l'employait pour ses travaux métallurgiques; trois années après, un forage poussé à 402 mètres près de Murraysville, à l'est de Pittsburg, fit jaillir une colonne d'air explosif et sauter l'atelier de sondage. Pendant cinq années, le gaz, brûlant comme un phare, se perdit inutilement dans l'atmosphère; on l'a capté maintenant pour le conduire dans les diverses usines, fonderies, acié- ries, verreries, où il a partiellement ou même tout à fait remplacé le charbon. En quelques puits de sondage, on a traversé des lacs souterrains d'eau salée avant de rencontrer les réservoirs de gaz. La composition chi- mique de ces substances hydrogénées varie suivant les lieux et les saisons, mais elles brûlent toujours admirablement, sans odeur ni fumée. De là leur importance de premier ordre pour l'assainissement des contrées manufacturières. Nulle industrie ne s'est plus rapidement développée que la recherche du gaz naturel : on en vendait en 1882 pour la valeur* de plus d'un million de francs, et quatre années après, la consommation était déjà cinquante fois plus forte; dans la seule ville de Pittsburg, 470 usines et 5 000 maisons se chauffaient et s'éclairaient au gaz de source, et des conduites de plus de 800 kilomètres en longueur alimentaient la ville : l'épargne journalière de charbon due à ce combustible est au moins de vingt-cinq mille tonnes, soit dix millions de tonnes par an. L'économie de main-d'œuvre est en proportion beaucoup plus grande encore, puisqu'un MINES, CARRIÈRES, INDUSTRIES DES ÉTATS-UNIS. 739 seul ouvrier réglant les brûleurs à gaz remplace facilement une trentaine de chauffeurs. Mais la précieuse matière s'enfuit rapidement; les gazo- mètres intérieurs se vident encore plus vite que les lacs d'huile souterrains, et, dans les villes riveraines de l'Allegheny, l'on constate avec étonnement l'insouciante prodigalité des habitants qui laissent flamber les gaz de leurs réverbères pendant le jour pour s'éviter la peine d'avoir à les rallumer la nuit1 ! Et que d'autres trésors possède le sol des États-Unis, pierres précieuses, sel du Michigan, du New York, de la Louisiane, minerais de chrome, de platine, bauxites qui servent à fabriquer l'aluminium, phosphates de la Caroline du Sud, terres, ciments et plâtres, soufre, borates et pyrites, carrières de toute espèce, granits, porphyres, laves, grès et marbres! Ne faut-il pas compter aussi parmi les richesses naturelles les eaux minérales, si abondantes dans les Àlleghanies et les Rocheuses, et les couches glacées des lacs et des rivières ? L'ensemble de la production des mines, salines et carrières représente chaque année un énorme total de près de trois milliards, et les bénéfices se concentrent dans les mains de capitalistes syndiqués, qui diminuent le nombre de leurs établissements tout en accroissant la production. Quelques industries minières, entre autres celles du sel, sont complètement monopolisées*. VI INDUSTRIE MANUFACTURIERE. Encore vers le milieu du siècle, les États-Unis, de même que les autres régions coloniales peuplées par des immigrants de l'Ancien Monde, expor- taient surtout des matières premières et recevaient en échange des objets manufacturés : ils ne mettaient en œuvre qu'une faible partie de leurs propres produits naturels. Maintenant il n'en est plus ainsi et l'on peut se demander en quelle industrie l'Union américaine n'occupe pas déjà l'un des premiers rangs par ses manufactures : elle rivalise avec la Grande- Bretagne et ne peut manquer de la dépasser prochainement; même elle l'emporte déjà par le nombre des machines à vapeur, employées dans les * Production approximative du gaz naturel aux États-Unis en 1888, d'après Joseph D. Weeks : 1 1 050 000 000 mètres cubes. 1 Exploitation du sous-sol aux États-Unis en 1887, d'après Whitncy : 542 284 225 piastres, soit environ 2 900 000 000 francs. 740 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. usines et sur les chemins de fer1. La même loi qui dépeuple les campagnes au profit des cités déplace les agriculteurs pour en faire des ouvriers d'usines, et le capital employé dans les fabriques, aussi bien que la valeur annuelle des produits, dépasse maintenant les chiffres correspondants pour le travail agricole. Si les machines ont facilité l'exploitation du sol, c'est en des proportions tout autrement grandes qu'elles ont aidé le travail mus- culaire de l'ouvrier dans les manufactures : elles l'ont doublé, décuplé, centuplé même pour certaines industries. L'inventeur dispose de la houille, du pétrole, du gaz naturel, de l'électricité, et donne ainsi au labeur humain une puissance de production presque illimitée. En divisant la valeur annuelle par le nombre de « paires de bras », on trouve que chaque homme a livré aux consommateurs des objets représentant une valeur de 12530 francs*. En exemple des progrès extraordinaires accomplis par les fabricants, on doit citer surtout la métallurgie. En 1870, l'Union américaine était encore très inférieure pour la production de la fonte et de l'acier, non seulement à l'Angleterre, mais aussi à l'Allemagne et à la France. Depuis 1890, les rôles sont changés : la fabrication des fers, fontes et aciers dépasse aux Etats-Unis la production similaire de la Grande-Bretagne5, et nul doute que l'écart ne s'accroisse de plus en plus, le fer et l'acier se substituant désormais au bois dans l'infrastructure des voies ferrées et dans la construction des maisons et des navires. Mais par un phénomène remarquable, qui témoigne de la rapide centralisation des capitaux, l'ac- croissement des produits coïncide avec une diminution considérable dans le nombre des usines. De 1880 k 1890, la production de la fonte a presque triplé, et cependant sur 681 hauts-fourneaux, 119 se sont fermés*. La fabrication de l'acier a fait des progrès analogues : dans les dix années, 1 Force collective des machines à Tapeur en 1890 : États-Unis 7 492 900 chevaux-Tapeur. Iles Britanniques 6 956 000 » Allemagne 4 559 377 » France 3 024 450 » • Industrie manufacturière des États-Unis en 1890 : Capitaux employés .... 4 600 000 000 piastres, environ 24 milliards de francs. Nombre des usines. . . . 550 000 Nombre des ouvriers ... 3 650 000 Valeur des produits . . . . 8 600 000 000 piastres, environ 45 milliards de francs. 5 Production de la fonte aux États-Unis en 1890 9 579 779 tonnes. » )) dans les Iles Britanniques : . . 7 875 000 » » » en France 2 200 000 » 4 Census Bulletin, n* 9, Aug. 20,1890. INDUSTRIE MANUFACTURIÈRE. 741 la quantité produite s'est accrue de 290 pour 100, c'est-à-dire de 1 145 711 à 4 466 926 tonnes. Les autres industries, du verre, du papier, des cuirs, des meubles, des voitures, celle des machines à coudre, des instruments agricoles, des outils, présentent une histoire analogue de progrès et de rapide concen- tration. On introduit une méthode plus scientifique dans le traitement des matières premières et Ton économise le travail, par l'emploi des machines, la suppression des intermédiaires et la fusion des entreprises rivales. L'évo- lution qui s'accomplit dans le sens du monopole pour la possession du sol et des mines s'accomplit de la même manière pour la gérance du travail industriel. Des syndicats se constituent pour le groupement sous une même direction de toute une industrie ou même de plusieurs industries similaires. C'est ainsi qu'en 1889 un groupe de capitalistes anglais essaya d'accaparer à Minneapolis tout le travail de la minoterie. A Chicago on a tenté d'en faire autant pour les brasseries, ailleurs pour la métallurgie, et plusieurs de ces sociétés ont en effet réussi dans leurs entreprises : toute concurrence est devenue impossible et l'armée ouvrière dépend en entier du syndicat général des usines. La facilité des communications rend l'industrie plus mobile. Maintenant les fabriques cherchent à se rapprocher des lieux de production. Autrefois les Américains envoyaient leur coton en Angleterre pour importer en échange des cotonnades fabriquées; en 1790, ils se hasardèrent à con- struire leur première filature, près de Providence; actuellement ils fabri- quent leurs propres étoffes : Lowell et Lawrence se sont affranchies de Manchester aussi bien que Bombay et Poonah1. La manufacture de l'Amé- rique du Nord représente maintenant près du tiers de celle de la Grande- Bretagne ; elle est trois fois plus forte que l'industrie similaire en France et en Allemagne. Le Massachusetts et le Rhode Island possèdent à eux seuls la moitié de l'industrie cotonnière, mais les États voisins en prennent aussi leur part, et, à leur tour, les États du Sud se libèrent de leur asservisse- ment au Nord* : des filatures s'élèvent à côté des champs de cotonniers. Par un phénomène analogue, les usines métallurgiques se sont établies dans tous les États du Centre et du Sud, West Virginia, Kentucky, Ten- 1 Filatures de coton aux États-Unis, en 1890 : 15 500000 broches. * Filatures de coton dans les États du Sud, en 1880 et 1890 : 1880 : Filatures, 161; broches, 562 048; métiers, 11 898; balles employées, 180 971 1890: )) 334 » 1811701 » 40115 » 545 250 Valeur des produits en 1880 : 16 556 182 piastres. » » en 1890 : 54 199 579 » 742 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. nessec, Alabama, partout où se trouvent à la fois les couches de charbon et les veines d'excellent minerai de fer : à la centralisation des capitaux correspond la décentralisation des travaux. La transformation industrielle des États du Sud suit de loin, mais irrésistiblement, la transformation des États du Nord; mais ceux-ci possèdent une avance énorme : en 1880, l'ensemble de leurs manufactures était vingt et une fois plus considérable que celui des Etats méridionaux. Certaines usines sont par l'étendue des terrains recouverts, par la popu- lation qui les habite et l'importance de leur production, comparables à de grandes villes. On peut citer en exemple une fabrique de machines à coudre à Elizabeth, près de New York, une usine métallurgique de Johnstown, la wagon nerie de Pullman, près de Chicago. On peut même dire que par leur outillage méthodique de chemins de fer, de télégraphes, de télé- phones, de conduites à eau, à gaz, à pétrole, à force électrique, certaines villes sont devenues de gigantesques usines : quelques-unes, telles que Lockport, sur le canal d'Eric, possèdent même un foyer commun de cha- leur pour le chauffage de tout un quartier1. Les salaires sont en moyenne plus élevés qu'en Angleterre et dans les autres contrées de TEurope occidentale, mais l'emploi des machines et la surabondance des travailleurs étrangers sur le marché ont permis aux fabricants d'abaisser le prix de la main-d'œuvre. En maints districts miniers et métallurgiques de la Pennsylvanie et du bassin de l'Ohio, les ouvriers, étrangers en majorité, travaillent pour des salaires que refuse- raient des natifs et mènent une vie fort précaire, aussi misérable que celle du tisserand de la Silésie ou du soufrier de la Sicile. Dans le Nord, le travail des femmes et des enfants tend à se substituer à celui des hommes1; dans 1 Valeur des principaux produits industriels des États-Unis en 1890 : Minoteries 2 800 000 000 fr. Industrie de l'alimentation . . . . ] Préparation de viandes. . . 2 000 000 000 » Brasseries 800 000000 » Coton I 200 000 000 » Laine 1 400 000 000 » Industrie des étoffes et des cuirs ... { Soie 200 000 000 » Toiles et mélangés 500 000 000 « Cuirs 1 000 000 000 » Charpentes et meubles. . . 1250 000 000 b Fer et acier 2400000000 • Industrie des bois, des métaux, etc . I Machines, outils, voitures. . 1 500 000 000 i Verre 150 000 000 * Papier 300 000000 • * Filatures du Massachusetts en 1885 : Ouvriers : 22180 hommes; 31 496 femmes; 7570 enfants. INDUSTRIE, COMMERCE DES ÉTATS-UNIS. 743 le Sud, les blancs cèdent la place aux nègres, et partout les Américains aux travailleurs étrangers. Pour diminuer le prix de la main-d'œuvre, les entre- preneurs du Tennessee, de la Géorgie, d'autres États, louent en bloc au gouvernement les résidents des pénitenciers et les font travailler dans leurs mines et sur leurs chemins de fer. Malgré les différences locales, la situa- lion économique est la même des deux côtés de l'Atlantique, et le même antagonisme existe entre les classes. Les États-Unis ont leurs syndicats de palrons et leurs coalitions d'ouvriers; ils ont leurs grèves1, leurs « mises à l'index », leurs fermetures d'ateliers; ils ont aussi leurs conflits sanglants causés par la question du travail, leurs pendaisons et leurs fusillades! Ensemble, toutes les richesses des États-Unis, agricoles et industrielles, représentent une valeur totale que les recenseurs de 4890 évaluent provi- soirement à 62 610 millions de piastres, soit à plus de 520 milliards de francs : ce serait à peu près 5 000 francs par tête de citoyen, 25000 francs par groupe familial1. Mais celte fortune considérable est fort inégalement distribuée : en aucun pays on ne constate un mouvement plus rapide de concentration des grandes fortunes en quelques mains. En 1890, plus de la moitié de l'avoir des États-Unis appartenait à 25 000 individus, repré- sentant la seize-centième partie de la population3. Quelques écrivains attardés citent encore les États-Unis comme exemple d'un pays d'égalité où chaque déshérité venu du dehors trouve une ferme et la liberté ; dans l'Union de nos jours, le paupérisme et l'énorme concentration des capitaux se font déjà face aux deux pôles de la société. VII COMMERCE ET VOIES DE COMMUNICATION. On comprend combien, dans une société aussi mobile que la société américaine, l'immense avoir national doit nécessiter d'échanges. D'après Edward Atkinson, le mouvement intérieur du trafic dans les limites des États-Unis s'élèverait à plus du vingtuple du commerce extérieur, c'est-à-dire que toutes les transactions représenteraient l'énorme somme d'environ 200 milliards de francs. Le territoire de la République produi- sant presque toutes les denrées nécessaires à l'alimentation, au vêlement 1 Grèves aux États-Unis, en 1 886 : 3902 avec 1 323 203 grévistes, dont 150000 femmes. ■ J. R. Upton ; — Robert P. Porter, Cetisus Bulletin, n° 104. s Shearman, Who Own the United States?; — David A. Wells, The Arena, December, 1801. 744 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. jet au luxe, les États-Unis pourraient se borner à de faibles achats; du reste, le fisc en réduit systématiquement l'importance en exigeant de forts droits à l'entrée sur les articles étrangers afin de protéger les puissants industriels américains contre leurs rivaux d'outre-mer : par un étrange retour des choses, la république Américaine, dont le premier acte se fit au nom de la liberté du commerce, est devenue maintenant le champion par excellence de la « protection » des produits nationaux. Malgré ces obstacles, le commerce nord-américain a pris une grande activité : il n'est inférieur qu'à celui des Iles Britanniques. L'ensemble de ce trafic, importations, exportations et transit, s'est élevé, pendant l'année fiscale qui finit le 50 juin 1890, à plus de 9 milliards de francs1, non compris les apports et les expéditions en métaux précieux. Depuis l'année 1790, dans le cours d'un siècle, le cotnmerce extérieur est devenu 80 fois plus fort8, tandis que la population s'accroissait en raison de là 16 seulement. Mais si grand que soit le chiffre des transactions des États-Unis avec l'étranger, il reste encore très inférieur à celui d'autres contrées, Australie, Bel- gique, France, Allemagne, si l'on évalue l'importance du commerce par tète d'habitant5. Le principal client des Etats-Unis est la Grande-Bretagne : les deux nations ayant le même langage, des traditions communes et, pour une moitié de la population, l'origine identique, les relations se sont nouées et se maintiennent naturellement beaucoup mieux qu'avec tous autres pays. C'est à l'Angleterre que les États-Unis envoient la plus forte part de leur excédent agricole, grains, farines et cotons, et d'autre part l'Angleterre paie en articles manufacturés ; en outre, suivie de près par la Norvège, elle prête ses navires pour le transport des marchandises américaines : en comptant les colonies britanniques des Antilles et la Puissance du Canada avec la Grande-Bretagne, les États-Unis font plus de la moitié de leurs échanges avec des pays de langue anglaise. La France, qui fut le deuxième 1 Importations 789 310 409 piastres. Exportations 857 828 684 » Transit 105 041655 » Ensemble. . . . 1 750 180 728 piastres, soit 9450000000 francs. * Commerce extérieur des États-Unis en 1790 : 210 000 000 francs. 3 Valeur comparée du commerce extérieur par tête d'habitant en 1890 : Australie 1000 francs. Belgique 750 » • Grande-Bretagne. ...... 500 » France. . . . • 220 » États-Unis.. , 150 » COMMERCE DES ÉTATS-UNIS. 747 client de l'Union, importe aussi des céréales et des cotons et donne en échange des soieries, des articles manufacturés et des objets d'art. L'Alle- magne, représentée aux États-Unis par un si grand nombre de ses enfants, entretient, grâce à eux, un commerce très considérable avec la République nord-américaine. Les contrées limitrophes, au nord, la Puissance du Canada, au sud-ouest, le Mexique, développent leurs échanges à mesure que s'accroissent la population et le réseau des voies ferrées. L'île de Cuba, si rapprochée du littoral des États du Sud, peut être considérée comme une dépendance économique de la grande nation voisine, qui lui achète sa récolte de sucre en échange de céréales et de viandes salées. lie Brésil vend ses cafés aux États-Unis et reçoit aussi en payement des farines et des articles manufacturés; mais dans l'ensemble, rAmériquc méridionale n'a que de faibles attaches commerciales avec la grande République du continent septentrional ; malgré les avances des diplomates du Nord en faveur de la constitution d'une ligue pan-américaine, c'est toujours avec l'Europe que les républiques du Sud ont les relations les plus actives. Enfin, le commerce des États-Unis avec l'extrême Orient est beaucoup moindre que ne pourrait le faire supposer la proximité relative de San Francisco avec Yokohama et Changhaï : à cet égard, l'Amérique du Nord a sur l'Angleterre et sur l'Allemagne un avantage considérable, mais sa politique d'exclusion envers les immigrants chinois l'a déconsi- dérée aux yeux des Asiatiques et ruiné toutes ses entreprises : la Chine a fini par se venger, patiemment, sans fracas et sans rupture. Le commerce des Lacs est, en proportion de}la ligne des côtes, beaucoup plus considérable que celui du littoral océanique : il a singulièrement augmenté depuis que Cavelier de la Salle lança le Griffon sur les flots du Niagara pour remonter le lac Erie. En 1889, pendant les 254 jours de navigation, l'ensemble des marchandises transportées sur la rivière Dé- troit, entre le lac Huron et le lac Erie, fut évalué à 27 460 260 tonnes, pour les ports américains seulement1. Cette énorme quantité de maté- riaux consiste principalement en minerais, charbons, bois et denrées agricoles ; les objets manufacturés, d'un moindre poids et d'une plus grande valeur, sont réservés d'ordinaire pour le transport par voies fer- rées. Ce commerce se répartit entre 107 ports, dont 16 prennent à eux 1 Part de la voile et de la vapeur dans la flotte américaine des Grands Lacs : 1886 : 1060 voiliers, 309 767 tonnes; 957 vapeurs, 524 000 tonnes. 1889 : 902 » 502658 » 1155 > 525 000 » Total pour 1886 : 1999 navires, jaugeant 654 652 tonnes. » » 1889 : 2025 » » 826 560 » 748 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. seuls plus des trois cinquièmes du total : Buffalo, Chicago et d'autres cités populeuses du littoral occupent naturellement le premier rang à l'importation, tandis que pour l'exportation elles ont pour rivales des villes minières du Michigan occidental, telles qu'Escanaba, Ashland, Mar- quette, Two Harbors. En 1889, la flotte commerciale des Lacs, qui s'accroîl chaque année, comprenait 2205 navires, d'un tonnage de 826 360 tonnes, et sur ce total, la part de la vapeur dépassait de beaucoup la moitié. Les transports par la voie des fleuves représentent un mouvement plus considérable que le cabotage des Lacs, mais ils se font surtout pour l'expédition de denrées d'un poids lourd et d'une valeur minime1. Ainsi presque tout le trafic de l'Ohio consiste en chargements de charbon et de sel : les marchandises de valeur sont presque exclusivement expédiées par chemin de fer, et les passagers ne naviguent sur l'Ohio que pour traverser le fleuve en bateaux-bacs. Il en est de même pour le Mississippi* et ses autres affluents, que les premiers colons français passaient sur des « cajeux », c'est-à-dire des nattes de roseaux. Malgré leur valeur géographique comme les agents par excellence du changement dans le rçlief terrestre, malgré leur importance historique de premier ordre comme les voies naturelles suivies par les peuples dans leurs migrations, les fleuves sont de plus en plus remplacés comme chemins de transport pour les voyageurs et pour les marchandises de prix, surtout quand leur direction maîtresse, comme celle du Mississippi, coulant au sud, coupe transversalement l'axe du mouvement commercial, qui se porte de l'ouest à l'est. A l'époque où les fleuves étaient les principales routes du trafic, on devait s'occuper activement de les compléter par un réseau de canaux, joignant les uns aux autres les divers bassins. C'est ainsi que le cours de l'Ohio fut rattaché aux Grands Lacs par divers canaux et que l'ancienne communication entre le lac Michigan et le Mississippi fut rétablie par la rivière des Illinois. Les estuaires du littoral atlantique communiquent aussi par des voies intérieures, et les États intéressés ont commencé la construction de canaux s'élevant d'écluse en écluse jusque dans le cœur des Alleghanies. L'ensemble de ces voies artificielles n'atteint pas 5000 kilo- mètres, et sert au transport de 25 à 50 millions de tonnes. De toutes ces entreprises faites par les Américains, la plus remarquable, datant de la 1 Flotte de TOhio en amont de Cincinnati : 5214 embarcations. Mouvement des transports : 2 526 415 tonnes. * Mouvement commercial du fleuve entre l'Ohio et la Nouvelle-Orléans, en 1890 : 3 179 776 tonnes. CANAUX ET CHEMINS DE FER. 749 première moitié de ce siècle, est le creusement du canal d'Erie, qui réunit le lac de ce nom au fleuve Hudson devant Àlbany. Cette voie navigable n'a pas à franchir de seuil proprement dit : la crête de partage, à peine indi- quée, borde le lac à Test de ce seuil riverain, et le canal, d'une profon- deur d'un peu plus de 2 mètres, descend la pente de 173 mètres par une succession de 72 écluses, dont tout un escalier s'abaissant du plateau supé- rieur vers la vallée du Genessee. La longueur de la voie maîtresse, à la- quelle s'ajoutent plusieurs ramifications, entre autres la branche du lac Champlain, est de 571 kilomètres : l'État de New York a dépensé plus de 225 millions de francs pour ce grand travail d'utilité publique, qui d'ail- leurs a si largement contribué à la prospérité du traflc de New York, en faisant de cette cité la vraie bouche commerciale de tout le bassin des Grands Lacs. Le transport des denrées, principalement des grains, par le canal d'Erie comprend des millions de tonnes et représente la valeur d'un milliard1. C'est aussi au canal d'Erie qu'est dû le peuplement rapide de toute la partie occidentale de l'État; une ville s'élève à cha- cune des écluses; de même que, le long d'un fleuve, toute une chaîne de cités, non moins importantes que celles du Hudson, s'est formée sur le parcours de cette voie artificielle, et dans la même direction, suivant la zone de peuplement, ont dû se construire aussi les troncs principaux des chemins de fer. Naturellement, les compagnies propriétaires de ces lignes, jalouses de l'énorme traflc du canal, ont essayé de ruiner l'entreprise rivale pour accaparer les transports; mais, plus heureuses que les popu- lations du Languedoc, auxquelles le canal du Midi n'est plus d'aucune utilité pratique, les New Yorkais ont réussi jusqu'à maintenant à défendre leur canal contre l'avidité des « rois de la banque et des chemins ». Les débuts de l'industrie des voies ferrées furent très humbles aux États- Unis comme en Europe. La première route de ce genre fut une ligne de rails posée en 1827, dans une carrière de granit du Massachusetts, à Quincy, bourg maritime situé au sud-est de Boston. Quelques mois après, une autre glissoire, dite voie ferrée, était construite dans les mines d'an- iqracite de Mauch Chunk, en Pennsylvanie; mais le premier chemin parcouru par les locomotives à vapeur, en 1831, fut celui d' Albany à Schenectady, du Hudson au Mohawk, long de 27 kilomètres. Dix années après, le développement collectif des voies ferrées à traction de vapeur dépassait déjà 5000 kilomètres, et depuis cette époque l'accroissement du * Mouvement du canal d'Ene en 1886 : 5 300000 tonnes. Valeur des marchandises transportées : 900 000 000 francs. 750 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. réseau a élé de plus en plus rapide, excepté pendant la guerre de Séces- sion : on construisit bien alors quelques lignes stratégiques, mais il Fallut abandonner l'extension des voies commerciales. Le travail reprit de plus belle à la conclusion de la paix. II n'est guère d'années ou l'on ne pose au moins dix mille kilomètres de rails; en 1887, on dépassa le chiffre de vingt mille (20721). Le capital d'établissement du réseau des États-Unis, sous forme d'actions et d'obligations, dépasse 55 milliards de francs, et cette industrie occupe une armée de plus de sept cent mille agents'. On comprend que l'initiative nord-américaine vante comme l'un de ses eseau des chemins de fer amer cains à diverses époques : 1851 : 27 kilomètres. 1871 : 07 4bfl kilomètres 1841 : 5601 » 1881 : 151976 ■ 1851 : 50 53(1 » 1891 (juillet) : 263 951 » CHEMINS DE FER. 751 triomphes le réseau dont s'est recouvert le territoire : à elle seule, l'Union a plus de voies ferrées que l'Europe; avec l'Amérique du Sud, elle en a plus que le reste des terres, Ancien Monde et Auslralasie*. Tes conditions particulières dans lesquelles se trouvèrent les États-Unis par suite de l'immigration expliquent l'entraînement des Américains à «instruire des routes à locomotives. L'immensité du territoire occupé et 1 eloignement des centres de culture imposaient aux habitants la nécessité de travailler tout d'abord aux voies de communication, et les chemins 1 Longueur du réseau des ebemins de fer au 31 décembre 1889 : 5U7 767 kilomètres. États-Unis 245 767 kilomètres. il et reste de l'Amérique . . 317 925 » Ancien Monde et Auslralasie. . . . 279 842 i> 752 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. ordinaires étant peu nombreux, d'un entretien difficile, il paraissait na- turel de suppléer à ce manque de routes par un outillage plus complet, permettant une circulation beaucoup plus rapide. Les villes d'Europe, depuis longtemps reliées entre elles par des chemins réguliers, devaient être moins pressées que les cités nord-américaines : celles-ci pouvaient se dispenser de la viabilité primitive pour en adopter une meilleure, offerte par l'industrie moderne. Et par delà les villes, dans les campagnes à sol fécond, mais inhabitées, n'est-ce pas le chemin de fer qui permettait de hâter la colonisation, de distribuer les pionniers que le mouvement continu de l'immigration poussait sans cesse en avant! Tandis qu'en Europe la voie ferrée se construit entre des cités existantes, aux États-Unis, elle les précède, s'avançant au loin vers les solitudes : les emplacements des villages, des bourgs commerçants, des capitales même sont désignés d'avance par les stations, les croisements, les nœuds de convergence. La construction si rapide des chemins de fer a été favorisée par la nature du sol dans les régions orientales de la République. C'est dans les terres basses ou faiblement ondulées des États du littoral que l'on a tracé les premières lignes, puis, après les avoir prolongées à l'ouest par les larges brèches que présentent les chaînes appalachiennes, les constructeurs ont vu s'étendre devant eux les vastes campagnes onduleuses du bassin de l'Ohio et les « prairies » de l'Indiana et de l'Illinois, si faciles à rayer de chemins. Au delà du Mississippi, dans les plaines faiblement inclinées qui remontent vers la base des montagnes Rocheuses, l'œuvre était plus facile encore et les ouvriers n'avaient qu'à poser leurs rails, en attendant qu'un trafic considérable les forçât d'établir une voie plus solidement assise. Les grandes difficultés se présentèrent quand il s'agit de franchir les montagnes et de monter sur les hauts plateaux, dans les régions rocheuses ou salines, que parcouraient seulement les Indiens chasseurs. Mais à l'époque où fut projetée la construction du premier chemin de fer transcontinental, les États-Unis étaient déjà devenus riches et les capitaux accumulés permettaient largement de tenter cette entreprise : il fallait à tout prix réunir les deux ports de l'Atlantique et du Pacifique, New York et San Francisco. Jusqu'alors la route des émigrants, entre les postes avancés du Missouri et la Californie, n'avait été qu'une piste frayée par les lourdes charrettes que traînaient des bœufs et des mulets. Les hommes étaient armés pour forcer le passage contre les Indiens dans les défilés périlleux, et ils empor- taient des vivres en suffisance pour un voyage de six mois, d'avril en octobre; parfois l'eau manquait, les pâturages étaient insuffisants et les CHEMINS DE FER. 757* animaux tombaient morts le long de la route : chaque voyage coûtait la vie à de nombreux émigrants. Enfin, pendant la guerre de Sécession, lorsque la lutte même eut mis un terme aux débats entre les partisans d un tracé méridional et d'un tracé septentrional, ce dernier fut définiti- vement adopté, et dès Tannée 1865 on se mettait à l'œuvre. Deux compa- gnies se constituèrent, poussant chacune leur ligne vers le plateau du Grand Bassin où devait se faire la jonction entre les deux voies. Disposant des capitaux fournis par le gouvernement et par les financiers, les construc- teurs purent terminer leur entreprise en quatre années, et l'on raconte que les ouvriers, Chinois pour la plupart, partageant l'empressement général, posèrent jusqu'à 17 kilomètres de rails en un seul jour : il est vrai qu'une grande partie des travaux était de construction provisoire. Depuis l'ouverture de deux lignes, qui se soudent à Ogden dans le Grand Bassin, plusieurs autres voies ferrées transcontinentales se sont con- struites, et l'on ne peut même en indiquer exactement le nombre, puis- qu'elles entrecroisent leurs embranchements; par delà les limites des Etats-Unis, la Puissance du Canada possède aussi sa ligne de mer à mer1. L'immense étendue que l'on parcourt du littoral atlantique aux plages californiennes représente entre les points extrêmes, tels que les deux Portland, du Maine et de TOregon, environ 54 degrés de longitude, près «lu sixième de la circonférence terrestre : quand il est midi à New York, il n'est pas encore neuf heures du matin à San Francisco. En un pays de faibles dimensions relatives comme la France et l'Allemagne, dans lequel les heures ne diffèrent de celle du lieu central que d'un petit nombre de minutes, de trois ou quatre dizaines au plus, on peut accepter la fiction d'un midi commun pour tous les points du territoire, mais l'immensité des États-Unis ne permet pas qu'on ait recours à une pareille convention : afin d'éviter la confusion des horaires et le trouble des relations commer- ciales, les compagnies se sont mises d'accord pour diviser la masse du continent en fuseaux d'une largeur de 15 degrés, dans chacun desquels l'heure est unifiée. Cinq zones se partagent ainsi l'Amérique du Nord, Intercolonial Time, Eastern Time, Central Time, Mountain Time, Pacific Time, et des conventions particulières entre les sociétés de chemins de Lignes transcontinentales de l'Amérique du Nord en 1891 : Canadian Pacific, de Québec à Vancouver 4932 kilomètres. Northern Pacific, de New York à Astoria, par Chicago. . . 5839 » Central Pacific, de New York à San Francisco, par Ogden. 5412 » De New York à San Francisco, par Topeka and Santa Fé. . 7480 » Southern Pacific, de New Orléans à San Francisco . ... 4015 t xti. 95 754 .NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. fer et les villes importantes décident des stations où se fait le passage d'une heure à l'autre. L'initiative des spéculateurs et l'alliance des capitaux privés avaient suffi à la construction du premier réseau dans les Etals de l'Ouest et du Centre, mais l'espèce de vertige produit par la découverte des mines de Californie el l'urgence économique de l'ouverture de voies rapides entre les deux moitiés de la République amenèrent un changement gros de conséquences dans les relations entre les compagnies et le gouvernement. L'opinion publique, entraînée, ne sut pas résister aux sollicitations des financiers, et, quoique le choix de la route et la direction des entreprises restassent aux concessionnaires, le Trésor s'ouvrit largement pour eui : non seulement on leur fit présent de vastes étendues territoriales appartenant à la nation, on leur accorda en outre des subventions directes en argent, el, le précédent une fois établi, on n'eut plus le courage de s'en départir : la première voie transcontinentale achevée, on accorda des faveurs analogues aui entreprises concurrentes, puis à d'autres encore. C'est par centaines de millions que les compagnies de voies ferrées ont déjà reçu des subsides, dont l'importance est d'ailleurs bien dépassée par la valeur des millions d'hectares dont on leur * fait présent sur les deux côtés de la voie. Au COMPAGNIES FINANCIÈRES. 755 taux fictif de la concession, ces terres ne représentaient, il est vrai, qu'une piastre et quart par acre, soit de 15 à 16 francs par hectare; mais rétablissement de la voie leur donnait une plus-value immédiate, et la compagnie pouvait en outre régler la vente à son gré, spéculer sur les terrains, de manière à se débarrasser de ceux qui lui étaient le moins utiles, réservant pour des opérations futures ceux où devaient s'élever des villes et s'établir des embranchements. Par une habile manutention de leur domaine immense aussi bien que par le jeu des tarifs, les grandes compagnies pouvaient acquérir la domination sur - tout le ter- ritoire dont elles possédaient l'artère vitale, et malgré la résistance des intéressés, cette domination a pu en maint district devenir complète. Une bizarre coïncidence a voulu que dans nombre d'États les lois interdisent la vente du sol à des étrangers non naturalisés, et que précisément les grands accapareurs du sol, détenant les terres par millions d'hectares, soient en majorité des Anglais, grâce à la formation de sociétés ano- nymes1. On se plaint aussi que les Parcs Nationaux, dont la vente par lotissement à de petits propriétaires est interdite, soient en réalité devenus de grands domaines de chasse pour les directeurs de compagnies finan- cières qui en possèdent les chemins de fer d'accès et les hôtels. Chacun de ces caravansérails — tel celui qu'on a établi près des Terrasses de Mam- mouth, dans le parc du Yellowstone — est en réalité le centre d'une véritable principauté. C'est dans les États et les territoires de l'Ouest, on le comprend, que la prépondérance économique et même politique des compagnies a pu s'éta- blir le plus facilement, puisque la population s'y trouve clairsemée ; mais partout leur force s'est accrue avec la concentration des capitaux, et même dans l'Est la possession de telle voie ferrée ou de tel réseau mo- nopolisant les voies de communication entre des villes considérables et gouvernant les marchés intermédiaires a souvent mis la prospérité ou la ruine de districts entiers entre les mains de quelques spéculateurs. La plupart des luttes engagées directement par des communautés diverses contre les compagnies se sont terminées à l'avantage de ces dernières ou bien ont donné lieu à des transactions boiteuses, violées presque toujours au profit de la toute-puissante industrie des transports. Les associations d'agriculteurs fédérés connues sous le nom de « Granges » ont dû , après une longue, résistance, accepter les conditions qu'on leur avait dictées et que ratifiait la Cour Suprême. Nombre de villes ont vainement essayé 1 Étendue des terres nationales concédées aux compagnies de chemins de fer, non compris les subsides en argent, de 1865 à 1800 : 90 000000 hectares. 756 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. de défendre leurs places, leurs rues et leurs quais contre les envahisse- ments des gares de manœuvre; des quartiers Considérables de villes comme Chicago f Buiïalo, Kansas City se sont laissé emprisonner par une décuple ceinture de rails. Que de fois les États eux-mêmes ont-ils été vaincus par décision des législatures ou des chambres du Congrès, accessibles, comme les individus isolés, à la corruption et à l'intrigue! Toutefois les sociétés de chemins de fer ne se sont point encore (1891) constituées en un syndicat général pour l'exploitation du réseau de l'Amé- rique du Nord à bénéfices communs. Cet événement ne peut tarder; mais, en attendant, une concurrence acharnée divise les compagnies, du moins dans les États de l'Est. Nombre d'entre elles, exploitant les mêmes régions par des lignes parallèles, sont en rivalité d'influence et se com- battent par des réductions de tarif : elles espèrent ainsi triompher de la compagnie rivale, Tacheter ou la faire céder par la perspective de la ruine. Parfois les luttes prennent une telle âpreté que, par une véritable frénésie, analogue à celle qui s'empare des parieurs sur un champ de courses, les employés, les ouvriers se laissent envahir par une sorte de passion collective, un patriotisme de réseau local, et l'on a vu des batailles en règle entre railroad-men de l'une et de l'autre ligne. L'histoire écono- mique des États-Unis offre même l'exemple mémorable d'une voie ferrée que se disputaient deux financiers ennemis et sur laquelle deux locomo- tives se lancèrent en sens inverse pour constater la prise de possession au nom de leur maître respectif. L'attention haletante des Américains se por- tait vers ces deux machines : se briseraient-elles l'une contre l'autre, ou bien, ce qui arriva, l'une d'elles reculerait-elle prudemment avant le moment du choc ? L'état de guerre ou de « paix menaçante » entre les sociétés rivales a eu pour conséquence de les organiser comme des armées avec tout un état-major solidement constitué, et le plus souvent avec un directeur comparable à un général en chef. C'est lui qui détient la ma- jorité des actions, qui en dispose à son gré pour faire la hausse ou la baisse, qui subventionne ou achète les journaux pour créer ou diriger l'opinion, et qui envoie des adjudants financiers et politiques à la Bourse et au Congrès pour préparer les coups et prendre part à l'élaboration des lois. M. Bryce1 a déjà remarqué le caractère autocratique de ces sociétés financières, représentées par des chefs qui l'emportent en pouvoir réel sur les personnages politiques du pays. « La monarchie, supprimée dans l'État, reparaît dans l'industrie et la finance. » 1 The American CommontveaUh. i i ! H - ! CHEMINS DE FER, COMPAGNIES FINANCIÈRES. 759 Les rivalités de compagnie à compagnie ont empêché complètement la création d'un réseau de voies aux mailles régulières, comparable au réseau des chemins de fer français, dont les lignes divergent en forme de rayons, et que des lignes transversales réunissent à des espaces équi- distants, sur le modèle des fils d'araignée. Au contraire, les lignes américaines se rapprochent en faisceaux entre les villes importantes et dans les contrées populeuses s'entremêlent en une sorte de chaos, au milieu duquel le voyageur ne se retrouve qu'à grand'peine, les indica- tions fournies par les diverses compagnies ne se rapportant toutes qu'à leur propre entreprise. Mais si le réseau paraît établi sans ordre, le service se ressemble sur toutes les lignes, et les wagons sont construits d'après le même modèle sur des rails d'une largeur uniforme de 1 m. 425. Ces véhicules, plus vastes, plus somptueux, plus commodes, mieux aménagés que les voitures françaises avec leurs étroits compartiments, transportent aussi en moyenne un nombre de voyageurs beaucoup plus considérable1. Sur les lignes à peine achevées, aux remblais encore mal tassés, aux ponts et viaducs branlants, simples structures provisoires, et aux courbes d'un très faible rayon, fréquemment même remplacées par des paliers de rebroussement, les accidents se succèdent1 ; mais sur les grandes lignes bien assises on n'a que rarement des malheurs à enregistrer, et l'on pourrait même se demander s'ils ne. sont pas plus communs en France, où si peu de jeu est laissé à l'initiative privée, où le public est si bien défendu contre les mésaventures par les barrières et les règlements, et où le nombre des employés est, en proportion du réseau et du mouvement, trois fois plus fort qu'en Amérique : toutefois des tableaux comparés seraient trompeurs, les compagnies respectives ne fournissant point de listes ou ne publiant que des statistiques incomplètes8. 1 Chemins de fer aux États-Unis au 31 décembre 1889, d'après Poor : 259 688 kilomètres. Voyageurs transportés, 495124767. Longueur moyenne du voyage, iO kilomètres. Marchandises transportées, 619157 257 tonnes. Longueur moyenne du transport, 179 kilomètres. Revenu total des chemins de fer, 992 856 856 piastres, plus de cinq milliards. Dépenses totales, 674751 517 piastres. Bénéfices, y compris les revenus des terres, 406 929 487 piastres. * Prix de construction par kilomètre de voie ferrée : France 399418 francs. États-Unis 202 725 » (Martin, Association française pour V Avancement des Sciences, 1890). . 5 Statistique approximative des accidents arrivés sur les chemins de fer des États-Unis à voyageurs, employés et passants, en 1890 : 806 morts, 2812 blessés. 760 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Quant aux mécon venues financières des entreprises, elles se suivent avec une étonnante rapidité. Les spéculations désordonnées et la lutte inégale des petites compagnies de chemins de fer contre les grandes ont eu pour conséquence de très nombreuses faillites : dans la décade qui s'est écoulée de 1877 à 1886, on compta 345 compagnies, c'est-à-dire une sur cinq, qui déposèrent leur bilan pour une somme totale de près de dix milliards de francs. En 1889, l'ensemble des voies ferrées sous séquestre représentait une longueur totale de plus de 26 000 kilomètres. Les faillites des compagnies faibles se sont faites au profit des sociétés puissantes, qui achètent ou louent les réseaux séquestrés pour des sommes relativement minimes. En 1890, l'ensemble des lignes comprenait 1705 propriétés distinctes, mais les compagnies gérantes n'étaient qu'au nombre de 609, et la plupart étaient organisées en syndicats, subordonnés à la volonté d'un seul homme. On peut citer en exemple de ces puissantes entreprises le New York Central, qui possède la seule gare terminale située dans l'île de Manhattan et dont les lignes se ramifient au nord et à l'ouest vers Boston, le Canada, les Grands Lacs, Chicago. Une autre compagnie, celle du Pennsylvania Railroad, commença modestement par une ligne de Philadelphie à Harrisburg, se terminant aux deux extrémités par des plans inclinés où les convois étaient traînés par des chevaux : maintenant le réseau possédé ou dirigé par la Compagnie comprend plus de 13000 ki- lomètres et se prolonge sur divers points du Mississippi et au delà du fleuve. Et cette société du Pennsylvania Railroad, qui dans l'Ancien Monde n'a d'égale que le gouvernement germanique parmi les entreprises de transport, est dépassée à son tour : un syndicat de l'Ouest commande en 1891 le trafic sur un réseau de 35 000 kilomètres, et récemment un autre groupe s'est constitué pour disposer des échanges sur un réseau de plus de cent mille kilomètres, entre Chicago et h littoral du Pacifique. La première parmi les nations pour les voies fetfées ordinaires, l'Union nord-américaine l'est aussi, et de beaucoup, pour les chemins de fer où la traction se fait par l'électricité. Depuis 1885, époque des premières tenta- tives sérieuses dirigées dans ce sens, ce moteur est de plus en plus apprécié. Il n'est guère de ville qui ne possède maintenant une ou plusieurs voies électriques* : en 1891, elles représentaient une longueur de 5000 kilo- mètres. Mais, par un singulier contraste, ce pays qui s'applique avec tant d'industrie et de succès à se donner un réseau de communications rapides, a négligé jusqu'à maintenant la construction des . routes nationales et « Ch. H. Cooley, Census Bulletin, n* 55, Àpril, 1801. ROUTES, CHEMINS DE FER, NAVIGATION. 761 vicinales pour les charrettes de campagne; d'ordinaire les chemins, même aux abords des grandes villes, ne sont que des dirl-roads, des sentes étroites qu'entretiennent les fermiers riverains, sans profil régulier, sans lit de pierres et macadam, mais seulement par l'égalisation des ornières et le chargement de terre et de gazon pris sur les talus voisins. La mau- vaise condition des routes est, sans nul doute, l'une des raisons qui con- tribuent le plus au dépeuplement des campagnes : la cherté des trans- ports ruraux ruine un grand nombre de fermiers, qui émigrent dans les villes près des stations de chemins de fer. Dans tous les districts dont les tawnships se sont décidées à se construire de bonnes routes, les propriétés ont immédiatement augmenté en valeur et la population s'est accrue de nouveau1. Les Américains du Nord ne sont pas « rouliers des mers », comme leurs cousins les Anglais et comme les Norvégiens. Ce fait parait d'autant plus étonnant au premier abord que les trois quarts du commerce extérieur se faisaient, au milieu du siècle, sous leur propre pavillon. Les colons originaires, s'élant établis presque tous dans le voisinage de la mer, vivaient en partie des produits de la pèche, très abondants dans ces parages ; en outre, ils disposaient d'excellents bois de construction que leur appor- taient en radeaux les torrents de l'intérieur : hardis et pleins d'initiative, comme devaient l'être des hommes qui n'avaient pas craint de changer de patrie, les Américains se chargeaient de leurs propres transports, et leur navigation n'était dépassée dans le monde que par celle de l'Angleterre. Mais une grande révolution industrielle vint modifier les choses à leur détriment : la vapeur remplaça la voile pour l'expédition des voyageurs et des marchandises, et en même temps on substitua de plus en plus le fer au bois dans la construction des navires. Dès lors les Américains perdirent l'avantage énorme que leur donnaient les vastes forêts : les coques en fer leur coûtant plus cher qu'aux Anglais à cause du prix de la main-d'œuvre, il était naturel qu'ils diminuassent l'activité de leurs chantiers; les pertes annuelles n'étant pas compensées, la part des États-Unis dans le commerce général s'amoindrit constamment. Puis vint la guerre de Sécession qui, du coup, réduisit d'un tiers la flotte de trafic américaine, exposée aux pirates. Après le rétablissement de la paix, on espérait que l'élasticité naturelle au génie national se manifesterait aussi dans la reconstitution de la flotte, 1 Isaac B. Potier, The Forum, November, 1891. in. 96 762 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. mais les mêmes causes économiques n'ont cessé d'agir, et la diminution continue d'année en année1. Les Américains ne pourraient rétablir à leur profit la balance de la navigation qu'en faisant peser de lourdes taxes différentielles sur les navires étrangers. C'est par cette législation seule- ment qu'il leur a été possible de conserver et de développer leur trafic de cabotage1. Actuellement, l'ensemble du tonnage à l'entrée dans les ports américains s'élève, pour le seul commerce extérieur5, à plus de 18 mil- lions de tonnes, dont environ 14 millions pour les pavillons étrangers. Grâce aux bateaux à vapeur, le trafic de continent à continent, jadis si peu régulier, si incertain, se fait à jour fixe pour le départ, à jour probable pour l'arrivée. On sait qu'après avoir été tentée et même essayée avec succès en divers endroits sur la Saône et la Seine, sur un canal d'Ecosse, sur le Hudson, le Schuylkill et le Mississippi4, la navigation à vapeur prit pour la première fois un caractère industriel à New York, après les expé- riences de Fui ton, sur le Hudson, en 1807. Huit années plus tard, la vapeur triomphait du courant du Mississippi entre la Nouvelle-Orléans et Saint Louis. Dès l'année 1819, un premier bateau à vapeur maritime, le Savannahy partant de la ville du même nom, se lançait sur l'Atlantique pour en faire la traversée, mais pendant son voyage de vingt-cinq jours jusqu'à Liverpool il fit usage des voiles concurremment avec la vapeur, et se laissa dépasser par plusieurs voiliers plus légèrement construits. Ainsi les États-Unis prenaient l'initiative de la navigation transatlantique, mais la démonstration pratique de son utilité était encore à faire. On 1 Navigation extérieure des États-Unis en 1858 et en 1890 : 1858 : Part du pavillon américain : 73 pour 100. 1890 : Mer : 5434 navires américains, 3 404 584 tonnes. Part du pavillon américain : 8,85 pour 100 » Lacs: 5783 » » 678 537 » » » » 13,76 » * Flotte commerciale des États-Unis au l*r janvier 1891 : 3514 voiliers, jaugeant 1 519 114 tonnes. 761 vapeurs, » 762 915 » Ensemble : 4275 navires, » 2 282 029 » s Navigation extérieure dans les ports des États-Unis en 1890 : Ports de mer à rentrée 1 8 207 navires, portant 15 365604 tonnes. dont. . . 12 773 » étrangers » 11961020 » Ports des lacs à l'entrée 15 241 » » 2 741657 » dont. . . 9 458 » étrangers » 2 063120 » Ensemble des navires . . 33 448 navires, portant 18 107 261 tonnes. A rentrée et à la sortie 67 000 » » 36 000 000 4 Pierre Margry, La navigation du Mississippi et les précurseurs de Fulton; Mark Twain, Life on the Mississippi, FLOTTE COMMERCIALE DES ÉTATS-UNIS. 765 peut dire que l'ère des paquebots maritimes commença seulement en 1858, le jour où deux bateaux, le Siriw et le Great Western, partis, l'un de Londres, l'autre de Bristol, arrivèrent dans le port de New York à quelques heures d'intervalle : la plus courte traversée, celle du Great Western, s'était faite en quatorze jours et demi. Deux années après se fondait la ligne Cunard, qui est restée la plus importante de toutes celles qui font le service entre l'Europe cl les États-Unis. En 1891, on ne compte pas moins de douze compagnies transatlantiques, ayant ensemble 84 paquebots faisant chaque semaine un service régulier entre New York et un ou plusieurs ports de l'Europe ; en outre neuf autres lignes de bateaux à rapeur portent des ' passagers à des intervalles plus éloignés ou à des 1 SECULIERE DES I>AI)tEHOTS ATTACHÉ! périodes irrégulières. Les bateaux des lignes principales de New York en Europe rivalisent de vitesse, et d'énormes paris s'engagent sur les courses de ces « lévriers de l'Océan », comme à l'hippodrome sur les chevaux. Les points de départ et d'arrivée sont fixés, non de quai à quai, à cause des difficultés spéciales provenant des marées et de la douane, mais de l'entrée de Queenstown, en Irlande, à celle de Sandy Hook, au large de New York, et l'on tient un registre minutieux des minutes de perte ou de gain dans chaque partie de la traversée, avec les corrections nécessitées par la différence des longitudes. A la fin de 1891, le championnat appar- tient au Teutonic, de Livcrpool, qui a fait le voyage d'Europe au Nouveau Monde en 5 jours, 16 heures et 51 minutes. La durée moyenne de la traversée a diminué de deui jours pendant les quinze dernières années. Quant aux voiliers, ce sont des navires américains qui, depuis 1851, ont toujours remporté la « coupe d'honneur ». 706 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. VIII INSTRUCTION PUBLIQUE Les tableaux statistiques relatifs à l'agriculture, à l'industrie, au com- merce, témoignent amplement que la richesse abonde et surabonde aux États-Unis, si peu également qu'elle soit répartie, comme en Europe. Ainsi la fortune publique et privée suffit largement à départir l'instruction à tous, et les discours officiels parlent de la diffusion des connaissances comme du devoir collectif le plus pressant de la nation. Les temps sont changés depuis 1671, époque à laquelle le gouverneur de la Virginie, William Barkeley, prononçait ces paroles mémorables : « Grâce à Dieu, nous n'avons chez nous ni école libre, ni imprimerie, et j 'espère que cent années se passeront encore sans qu'il en existe, car l'instruction a fait naître dans le monde l'hérésie, les sectes et la désobéissance; l'imprimerie les divulgue, ajoutant à tous ces maux l'attaque contre les gouverne- ments! » Mais les colonies de la Nouvelle-Angleterre possédaient déjà des écoles depuis une vingtaine d'années, simples dépendances des églises, il est vrai, gouvernées par les pasteurs et les anciens : le but principal de ces fondations était de « confondre les ruses du vieux tentateur Satan » et d'empêcher « les savants faussement ainsi nommés d'obscurcir le vrai sens des Écritures ». Toutefois ces écoles se transformèrent peu à peu et perdirent graduellement leur caractère strictement religieux. Ce qui reste des anciennes lois du Massachusetts et ce qui est devenu la règle, plus ou moins fidèlement suivie dans tous les États de l'Union, est que chaque groupe de familles formant village doit posséder une école élémen- taire et que des collèges ou écoles supérieures doivent exister dans chaque ville proprement dite. On a souvent parlé des écoles nord-américaines comme étant dues à l'initiative privée. Elle y eut une grande part sans doute, mais la collec- tivité des citoyens, représentée par l'État, intervint de tout temps dans la direction et la dotation financière de l'instruction publique. Les commu- nautés qui fondèrent, les premières écoles dans les colonies anglaises pour- suivaient un double but : elles voulaient former des ce hommes instruits et orthodoxes, habiles à la fois aux emplois religieux et civils ». Mais avec le temps, un dédoublement s'opéra. Les établissements confessionnels devinrent des institutions privées, et l'État conquit indirectement la pré- pondérance dans les écoles et les collèges publics : les allocations que INSTRUCTION PUBLIQUE AUX ÉTATS-UNIS. 767 voient les législatures et le Congrès constituent en réalité un budget de l'instruction publique, ne différant de ceux de l'Europe que par le mode de gestion. Dès Tannée 1785 il avait été décidé que chaque seizième lot dans les terres nouvellement cadastrées serait réservé pour les écoles publiques. Chaque État reçu dans l'Union devenait en même temps possesseur de grandes dotations territoriales, dont la vente devait être utilisée pour l'enseignement. Plusieurs États ont fort mal employé ces magnifiques présents : ainsi l'Ohio ne retire actuellement de ses 14000 hectares qu'un revenu de 13000 piastres, moins d'une piastre par hectare; l'Illinois, plus prodigue encore, a vendu son domaine au taux courant de 1 piastre 25 l'acre. Mais en cas de déficit, le budget général n'a cessé de s'ouvrir au profit des administrations locales. En 1848, 1860, 1887 et 1890, le Congrès a voté de nouveaux fonds pour doter les établissements d'instruction publique : jusqu'en l'année 1888, les dotations en terres s'étaient élevées au total de 31 millions d'hectares, surface égale aux trois cinquièmes de la France. D'ailleurs le produit de la vente des terres ne forme qu'une petite portion — le cinquième environ du budget des écoles. La taxe directe, votée par les États, dépasse chaque année cent millions de piastres, soit un demi-milliard de francs*. Dès l'origine, le principe de l'éducation gratuite et obligatoire pour tous les enfants avait été proclamé dans les écoles du Massachusetts, mais peu à peu on avait laissé tomber la loi en désuétude, lorsque, vers 1850, la fréquentation des classes fut imposée de nouveau. Du Massachusetts et des autres États de la Nouvelle-Angleterre, qui fournissent au reste de l'Union une si forte proportion de ses instituteurs, le principe de l'école obligatoire et gratuite se répandit dans la plupart des autres circonscriptions poli- tiques : naguère cependant, avant la guerre de Sécession, la fameuse ligne de 36° 30' formait barrière aux progrès de l'instruction, l'étude n'étani point en honneur dans un pays où des peines graves étaient prononcées contre tout homme coupable d'avoir enseigné la lecture à un nègre. Depuis l'abolition de l'esclavage, le Sud à son tour entre dans le mouvement de propagande scolaire. Toutefois, l'instruction, universelle en principe, ne l'est point en réalité. Tandis que dans l'État modèle, le Massachusetts, 443000 enfants et jeunes gens, soit le cinquième de la population totale, fréquentaient en 1890 les écoles publiques ou privées, les collèges et les « académies », la proportion des élèves était loin d'être aussi considé- rable. On compte dans l'ensemble de l'Union des centaines de milliers de * Dépense dite pour l'instruction publique dans les États (non compris les écoles libres) en \ 886 : lit 304 927 piastres, près de 600 raillions de francs. 768 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. garçons et de filles qui ne savent point lire, non seulement parmi les immigrants étrangers, mais aussi parmi les Américains natifs. Dans les districts écartés où l'école se tient sous un hangar, au milieu des forêts, les distances sont trop longues parfois pour que les enfants, piétons ou cava- liers, puissent arriver à temps, et dans les régions industrielles où l'usine fait concurrence à l'école, le salaire des petits est trop précieux pour que les parents le négligent. Mais dans l'ensemble il y a progrès. Le recense- ment de 1890 a prouvé que la fréquentation des écoles s'était accrue dans tous les États de l'Union, à l'exception du Maine, du New Hamp- shire et du Yermont : ce sont les trois États dont la population se modifie le plus rapidement par l'invasion des Franco-Canadiens, et l'on attribue la diminution relative des écoliers soit au moindre souci de ces immigrants pour l'instruction, soit plutôt à la difficulté d'organisation d'écoles paroissiales, distinctes des écoles purement anglaises1. La fondation d'écoles reste complètement libre : peut enseigner qui veut. La loi n'inspecte point les écoles privées et ne leur trace point de pro- gramme; elle exige seulement que l'anglais y soit étudié. Quant aux écoles publiques, destinées à des enfants appartenant aux religions et aux sectes les plus diverses, elles sont dirigées d'ordinaire en dehors de tout esprit de secte; cependant la plupart ont conservé dans les lectures et les réci- tations un esprit de « protestantisme » neutre ne pouvant choquer ni les uni ta riens, ni les baptistes, ni tous autres chrétiens séparés de Rome. Mais les catholiques se plaignent et fondent une école confessionnelle à côté de chacune de leurs églises : en 1889, ils en possédaient environ trois mille1. Les épiscopaliens, les luthériens sont aussi pour la plupart peu favorables aux écoles communes; enfin la question de la langue passionne beaucoup l'opinion dans les États où l'anglais n'est pas encore l'idiome de tous. Ainsi les Allemands ont de très nombreuses écoles privées dans le Michigan, le Wisconsin, le Missouri, où ils constituent une partie considérable de la population ; les Canadiens Français de la Nouvelle-Angleterre et les créoles des Attakapas et des Opelousas insistent pour que le français soit enseigné dans leurs écoles concurremment avec l'anglais; les Espagnols du Nouveau-Mexique font avec le même droit < Census Bulletin, n*55, April 20, 4891. * Écoles primaires des États-Unis en 1890 : Nombre des élèves inscrits sur les rôles 14572 685 Nombre des écoles 184 000 Nombre des instituteurs (561 781 dans les écoles publiques). . . 400 000 (Robert F. Porter, Elevcnth Census.) ÉCOLES PRIMAIRES, UNIVERSITÉS. 769 des réclamations analogues. On évalue à huit cent mille le nombre des enfants qui fréquentent les écoles privées et à huit cent mille autres ceux des écoles paroissiales : ensemble, ces élèves constituent la neuvième partie de la population scolaire. Au-dessus des écoles primaires se succède la hiérarchie des écoles secondaires et supérieures de toute espèce, collèges, instituts, académies, écoles normales et techniques, universités, fondées soit par les États, soit par des corporations religieuses, soit par des hommes privés. Le gouver- nement fédéral n'a point d'écoles, sauf les établissements spéciaux pour le recrutement de la force armée : il entretient l'école de West Point, dans un des sites les plus charmants des bords du Hudson, pour ses cadets militaires, et l'école d'Annapolis, sur Ja Ghesapeake, pour les officiers de marine ; en outre, il a fondé une école d'application pour les sous-officiers à Leavenworth, dans le Kansas, et près de New Haven, une école de mousses. L'État ne confère point de diplômes : les certificats de ce genre ne sont donnés que par les écoles elles-mêmes, et la considération qu'ils procurent varie suivant l'estime dans laquelle on tient l'établissement qui les distribue; les cent mille médecins qui sortent de l'une des 170 écoles que possèdent les États-Unis, annexées pour la plupart à des hôpitaux, ne seraient pas tous reçus à leur examen d'entrée dans quelque faculté sérieuse. A cet égard, on constate d'énormes différences : telles prétendues universités ne sont qu'un ensemble de constructions, sans professeurs ni laboratoires, quoique possédant leur conseil d'honneur et leur journal, ou de médiocres collèges dans lesquels la récitation de quelques manuels remplace l'étude approfondie, mais il est aussi de grandes écoles dont la jeune population, éprise d'amour pour la science, trouve dans les cours de ses professeurs d'élite, dans les bibliothèques, musées, laboratoires et observatoires1, les facilités les plus amples pour une instruction sérieuse. Le droit absolu qu'ont les femmes, comme individus, à jouir de la même éducation que les hommes, et à se développer aussi complètement que le comporte leur génie, ne rencontre aucune opposition aux États- Unis, et le principe est si bien admis que nombre d'établissements, écoles, collèges et universités, sont ouverts sans distinction aux étudiants des deux sexes. Dès l'année 1804, l'académie de Bradford, dans le Massachusetts*, recevait en même temps garçons et filles, et depuis cette époque les- écoles fondées sur le principe d'égale liberté et d'égale responsabilité pour étu- diants et étudiantes sont devenues très nombreuses, principalement dans 1 Claudio Jannct ; — Auguste Carlier, La République Amà'îcaine. * Alice Freeman Palmer, Forum, Septembcr, 1891. xvi. 97 770 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. les États des versants mississippiens et laurentiens. En 1888, on ne comp- tait pas moins de 257 collèges « co-éducationnels » sur 589 écoles supé- rieures autorisées à délivrer des diplômes : c'est une proportion de plus des deux tiers. En outre, deux cents établissements réservés aux jeunes filles reçoivent environ vingt-cinq mille étudiantes. On a fondé pour elles de véritables universités, telles que Vassar Collège, à Poughkeepsie ; cependant le première école des États-Unis, Harvard, à Cambridge, ne leur a ouvert qu'une porte de côté, une « annexe », où certains professeurs répèlent les cours qu'ils ont déjà faits aux jeunes hommes. Déjà en dehors des uni- versités, les femmes usent largement du droit de se faire médecins, pré- dicateurs, avocats : dans la seule année 1889, trente-cinq femmes se firent consacrer comme pastoresses dans la secte des universalistes*. Enfin, dans les écoles primaires, ce sont les femmes qui, dans la proportion des deux tiers, ont pris de beaucoup la plus large part de l'enseignement. Les universités d'ancienne fondation furent d'abord des établissements religieux qui se transformèrent graduellement en collèges séculiers; les universités modernes sont établies par les États, les Églises ou par des particuliers opulents en vue d'une éducation principalement scientifique; dans presque toutes, le pouvoir du directeur a quelque chose de monar- chique : c'est un « président » dont les prérogatives ressemblent à celles du chef de l'État. Parmi ces corps universitaires si nombreux, un petil nombre seulement, une quinzaine peut-être, ont de l'importance dans le monde du travail et contribuent largement aux progrès du savoir humain. Sans doute tout n'y est pas original et sincère, et les traditions britan- niques y luttent avec de serviles imitations des écoles allemandes1. Sans doute aussi les jeux athlétiques prennent une grande part du temps qui devrait être consacré à l'étude; enfin, les élèves se laissent aller sur cetle pente fatale de l'esprit de corps, si contraire à l'esprit scientifique, et dans nombre de collèges les jeunes citoyens obéissent à la vanité de porter un costume spécial; mais, parmi les milliers de jeunes gens rassemblés dans ces universités, il en est qui travaillent sérieusement, sans le stimulant d'un diplôme procurant une sinécure ou quelque emploi bien rémunéré. Tous, élèves, professeurs, voisins et amis, se passionnent également à la prospérité de l'école, et quand on a besoin d'argent pour un musée, un laboratoire, une bibliothèque, de nouvelles chaires, on le trouve toujours; parfois même on en reçoit trop, que l'on dépense pour des ornements * Annie Nathan Meyer, Womans Work in America. * P. de Coubertin, Universités transatlantiques. UNIVERSITÉS DES ETATS-ISKIS. 771 inutiles ou d'un goût douteux. Cent millions de francs, telle a été la dota- tion de la principale université de Californie'. Ce n'est pas tout, sous le nom de Unicersity Extension — I* « Univer- sité pour Tous » — se propage l'idée de faire participer tous les citoyens aux progrès de la science en les associant aux universités voisines, non seulement par des conférences que donneraient les professeurs, mais aussi par des cours suivis, la fondation de bibliothèques publiques dans chaque village*, des visites régulières dans les musées cl les laboratoires, l'emploi des trimestres de vacances pour des études collectives où pro- fesseurs et élèves prendraient rendez-vous. Voit-on ailleurs qu'aux États- Unis des villes de tentes s'établir sur une plage marine, au bord d'un lac ou dans un bois, et se peupler de gens qui ont pour bu t avoué de s'instruire en commun, d'entendre un même cours, de se livrer à une série de recherches collectives? Sans doute, ces collèges itinérants ne sont pas toujours bien sérieux, et la réclame des professeurs, des hôteliers, des four- nisseurs, peut y avoir une large part, mais n'est-ce pas déjà un signe 1 Élèves des établissements secondaires et supérieurs en 1887 : *25 579. 1 Massachusetts : 21H bibliothèques publiques en 1800, contenant 2 Û00 000 volumes. 772 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. remarquable des temps que ce genre de réclame puisse avoir prise sur une fraction considérable de la société? Nombreux sont les Américains qui s'approprient, en parlant d'un centre intellectuel, Harvard, Yale ou tel autre, ce que disait Périclès : « Athènes est l'école de la Grèce ». Us savent aussi respecter la nature, et la nationalisation des Parcs Natio- naux en est une preuve. Voit-on nulle part des jardins privés, plus lar- gement ouverts au public, sans murs d'enclos, sans grillage qui inter- rompe brutalement les lignes naturelles du paysage ? Il serait oiseux désormais de se demander si les Américains, dont l'initiative et l'esprit d'entreprise ont exercé dans l'industrie une influence décisive, ont eu aussi leur bonne part dans les progrès des sciences et dans les œuvres artistiques. Sans doute, un peuple né d'hier n'a pas encore eu d'Eschyle ni de Shakespeare, de Newton, de Laplace ni de Helmholtz, mais « comprendre c'est égaler », et combien nombreux sont déjà dans la société américaine ceux qui étudient, ceux qui classent les faits scientifi- ques et découvrent des voies nouvelles, ceux qui se dévouent à pénétrer la nature et à la révéler par les merveilles de l'art ! L'humanité ne doit-elle pas revendiquer comme des génies ayant contribué au trésor commun des hautes idées et des formes parfaites, des hommes tels qu'Emerson, Thoreau, Longfellow, Lowell ? Parmi les cinq ou six mille ouvrages pu- bliés chaque année en Amérique, plusieurs sont de précieuses additions au savoir humain, et peu de contrées au monde rivalisent avec New York et Boston pour la valeur des recueils périodiques de science et de littéra- ture. Quant aux journaux, si l'on devait juger du rang littéraire d'une nation par la masse de papier qui publie chaque jour les nouvelles et les réclames, nul doute alors que les États-Unis ne distancent tout le reste de l'univers! L'Union nord-américaine est la contrée où il se publie de beaucoup le plus de journaux et autres périodiques1 : chaque jour, cinq cents tonnes de papier noirci sortent des imprimeries. Plus de la moitié des feuilles qui se publient dans le monde sont rédigées en langue anglaise : celle-ci a donc de grands droits à se dire l'idiome universel. Quelques-uns des journaux américains représentent de véritables puis- sances : on peut en juger par le voyage qu'entreprit Stanley à la recherche de Livingstone et qui fut le point de départ des entreprises de conquête dans le continent noir et du « partage de l'Afrique ». 1 Journaux publiés aux États-Unis en 1700 4 » » » 1841 I 500 » » » 1887 14 082 (1930 dans les États du Sud; 12 142 dans les États du Nord). ÉTAT SOCIAL DE L'UNION NORD-AMÉRICAINE. 773 La population se distribue d'une manière très inégale dans l'Amérique du Nord, mais l'activité intellectuelle se répartit avec une prépondérance bien autrement marquée dans les États atlantiques et spécialement dans la Nouvelle-Angleterre et New York. La fleur de l'esprit ne peut apparaître que difficilement dans les régions de l'Ouest, où toutes les énergies, non moins créatrices, mais appliquées d'une manière différente, s'emploient au défrichement du sol, à la fondation des industries, à la constitution des sociétés nouvelles. Elle ne peut s'épanouir non plus dans les contrées, telles que les États trans-mississippiens du Sud, le Texas par exemple, où les mœurs sont encore rudes et violentes, où l'on n'a aucun respect pour la vie humaine, où le meurtrier se glorifie de ses crimes. « Il vaut mieux aller en enfer sans griffes », disait un ancien proverbe, « que dans l'Arkansas sans armes. » Du 1er au 30 septembre 1869, l'autorité militaire enregistrait 584 meurtres pour le seul État du Texas, et le gouverne- ment se félicitait, dans un rapport officiel, de ce que les assassinats étaient relativement beaucoup moins nombreux qu'autrefois. Cependant la criminalité s'est beaucoup accrue pendant les dernières décades dans l'ensemble des États-Unis : on peut citer en exemple 1' « État modèle », le Massachusetts, où, dans l'année 1890, il n'y a pas eu moins de 83 415 arrestations, suivies de 55 290 condamnations à l'emprisonne- ment, sur une population totale de 2 256 943 personnes. En neuf années, les délits et les crimes ont presque décuplé1. Les habitudes de jeu se sont aussi développées dans des proportions inouïes : on parie sur les chevaux, sur les nîivires, sur les pigeons, sur les candidats, sur tous les événements possibles, à propos de tout et de rien ; plus d'un milliard de francs chaque année, telle est la valeur des paris, et l'armée des gens d'affaires dont la profession est de les enregistrer atteint une centaine de mille individus*. De même qu'en Europe, s'accroît aussi, chaque décade, ou même chaque année, le nombre des cas de folie et de suicide. IX RELIGIONS ET COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES D'après la constitution fédérale, l'Église est complètement séparée de l'État; le Congrès s'interdit toute immixtion dans les affaires religieuses, 1 W. P. Andrews, Forum f Octobcr 1891. 8 W. B. Curtis, même recueil et même date. 774 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. et les fonctions publiques doivent être distribuées sans égard aux cultes professés par les individus. On sait qu'il n'en était pas ainsi au siècle dernier dans les colonies plus ou moins dépendantes de la Grande- Bretagne. À l'exception de Rhode Island, toutes les communautés de la Nouvelle-Angleterre, constituées en théocraties rigides, excluaient des droits politiques et civils les personnes qui ne fréquentaient pas l'église : les infidèles avaient même plus à craindre que l'exclusion, et l'hérésie — c'est-à-dire toute opinion religieuse différente de celle des puritains con- grégationalistes — était punie de l'emprisonnement ou de l'exil. Dans les colonies du Centre ou du Midi, sauf le Maryland, où la tolérance des cultes avait été proclamée, l'accès des fonctions d'État ou de commune était fermé aux gens qui ne professaient pas la religion dominante. Après la guerre de l'Indépendance, ces lois de haine confessionnelle furent presque toutes abolies, et l'on vit même la sévère cité protestante de Boston convoquer précipitamment ses délégués pour proclamer la liberté de conscience et recevoir en libérateurs les soldats catholiques envoyés par la France alliée. Les constitutions locales se conformèrent successivement à celle de la Confédération pour accorder l'égalité des droits aux différents cultes et laisser aux fidèles le soin et la dépense de leurs églises respectives. Cependant il subsiste encore en divers États des traces nombreuses de l'ancien régime. Le Vermont déclare que chaque secte doit se manifester par une forme extérieure de culte et s'abstenir de tra- vail au « jour du Sabbat » ; dans le Connecticut, dans le Tennessee, des « violateurs du Sabbat » ont encore été récemment condamnés à la prison. D'après les lois de la Pennsylvanie, du Tennessee, de la Caroline du Nord et de plusieurs autres États méridionaux : « Quiconque niera l'existence de Dieu, la vérité de la religion chrétienne ou la divinité de l'Ancien et du Nouveau Testament, ou professera des principes religieux incompa- tibles avec la liberté et la sécurité de l'État, est déclaré incapable d'occu- per aucun emploi de confiance ou de profit dans l'administration civile de cet État. » Dans l'Arkansas et le Maryland l'interdit porte même sur les fonctions de juré et sur la validité du témoignage. On ne saurait donc maintenir cette affirmation, si souvent répétée, que, dans la république nord-américaine, l'État est absolument neutre entre l'Église et les indi- vidus. Les membres des sectes les plus rigides, les baptistes et méthodistes, insistent pour que le nom de « Dieu » soit inséré dans la constitution et lui donne ainsi un caractère plus sacré l. 1 James Brvce, The American Commonweaith. L'ÉGLISE ET L'ÉTAT DANS L'UNION NORD-AMÉRICAINE. 775 Outre l'appui direct que certaines législatures donnent aux sociétés reli- gieuses en général, toutes leur prêtent une aide indirecte, mais très puis- sante, en votant des fonds pour la fondation ou l'entretien d'institutions charitables ou d'éducation qui dépendent du clergé. Des subsides réguliers, équivalant à un budget officiel, sont ainsi assurés aux corporations reli- gieuses, et souvent des conventions secrètes ont lié les directeurs des églises aux politiciens de divers partis pour fournir des votes en échange de subventions. Dans la plupart des États, les constructions religieuses sont affranchies d'impôts, soit parce que « l'enseignement de la chaire aide à la moralisa tion du peuple et diminue ainsi les dépenses de police », soit parce que les églises, choisies comme centres de peuplement, « augmen- tent la valeur des propriétés contiguës », soit, d'une manière générale, parce que les intérêts religieux sont considérés comme devant primer tous autres intérêts publics1. L'influence des ecclésiastiques, quoique très infé- rieure à ce qu'elle fut naguère, reste fort grande; la présidence de la plu- part des établissements d'utilité générale leur est réservée ; ils ont, presque tous, le droit de libre circulation sur diverses lignes de navigation et sur les voies ferrées. Des lois spéciales protègent contre toute agression les assemblées religieuses tenues en plein air. Le gouvernement veille à la régu- larité des cérémonies du culte dans les casernes, les forts et sur les navires de guerre. Même les diverses législatures et les deux chambres du Congrès ont leur chapelain ; les séances commencent officiellement par une prière, et des proclamations solennelles désignent des jours de jeûne et de péni- tence. Ainsi, tout en tenant la balance égale entre les divers cultes, le gouvernement fédéral, de même que la plupart des électeurs auxquels il doit son origine, admet tacitement que le christianisme, sous une forme ou sous une autre, doit être la religion de tous. Loin d'être « athée », suivant une expression employée pour les gouvernements parlementaires d'Europe, l'État américain est « chrétien », mais sans qualification spé- ciale, et sa protection s'étend sur l'ensemble des cultes, du catholicisme aux adventistes et aux unitariens. Les écrivains religieux parlent souvent, les uns avec enthousiasme, les autres avec effroi, des progrès accomplis par l'église catholique aux États- Unis. Ces progrès sont réels, puisque le nombre des catholiques s'élève à plus de six millions ; mais si grand que soit l'accroissement, il ne repré- sente qu'une partie de la descendance des Irlandais, des Anglais et Écos- 1 Valeur des immeubles d'église non soumis à l'impôt, en 1880 : 370 445 598 piastres, soit 1 875000000 francs. 776 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. sais catholiques, enfin des Allemands et des Latins de diverses nations qui faisaient partie de l'église romaine à leur arrivée dans les États-Unis1. L'augmentation des catholiques est due principalement à l'immigration étrangère, mais on ne connaît pas la proportion des cultes professés par ces nouveau-venus. D'une manière générale, les descendants de colons non prolestants représentent au moins le tiers de la] population; actuelle- ment la proportion des catholiques américains dépasse seulement le neuvième; elle a donc beaucoup décru. Avant la guerre d'Indépendance, les catholiques des possessions an- glaises étaient si peu nombreux en dehors du Maryland, qu'on négligeait môme d'en mentionner l'existence : à peine quelques prêtres, appar- tenant à l'ordre des jésuites, formaient-ils un groupe étroit, noyau d'un clergé de plus de dix mille prêtres qui régit aujourd'hui l'Église. A New York et dans les autres cités commerçantes, les catholiques étrangers étaient fort clairsemés, et dans la Nouvelle-Angleterre, centre colonial des établissements anglais, les catholiques ne pouvaient avoir droit de séjour qu'en vertu d'autorisations spéciales. Même au commencement du siècle on n'en comptait pas deux mille, des frontières du New York à celles du Canada, et quatre prêtres seulement officiaient dans cette vaste contrée. Quelques années après, un nouveau foyer de catholicisme s'ajoutait à ceux des États atlantiques par l'annexion de la Louisiane française h la République nord-américaine : très inférieurs en nombre à l'ensemble des protestants de toute dénomination, les catholiques n'en disputent pas moins le pre- mier rang aux baptistes et aux wesleyens, si l'on considère chaque secte chrétienne comme formant une église isolée. On dit que dans l'Indiana ils constituent plus de la moitié des habitants. Les prêtres-missionnaires sous la direction desquels s'est constituée l'Église sont venus d'Europe, de même que la plupart des fidèles. Tous les clergés d'Europe ont collaboré au recrutement du clergé américain ; il en est venu du fond de la Russie. Toutefois la majorité se compose d'Irlan- dais, et ce sont encore les catholiques de cette race qui fréquentent en majorité les séminaires américains. Tous les ordres religieux de l'Europe, parmi lesquels les jésuites l'emportent par l'influence, se sont naturalisés aux États-Unis; les communautés de femmes, beaucoup plus nombreuses que celles des hommes, appartiennent presque toutes à des ordres actifs, 1 Recensement de l'église catholique en 4890, aux États-Unis : Paroisses, 10 221, comprenant 0 250 000 communiants et membres actifs: avec les enfants baptisés, 7 200 000. Nombre des églises : 8760, groupées en 72 diocèses. CATHOLIQUES DANS L'UNION NORD-AMÉRICAINE. 777 d'origine française, voués à l'éducation des enfants ou aux soins des malades. Les mœurs américaines ne s'accommodent point de la vie des ordres contemplatifs nés en Espagne et en Italie1. Le zèle de la propagande se fait beaucoup plus sentir [dans les États du Nord que dans le Sud : presque tous les prêtres des anciens États à esclaves sont étrangers au pays qu'ils habitent. Aussi les nègres, pourtant si im- pressionnés par la pompe des cérémonies religieuses, restent-ils pour la plupart en dehors de l'église catholique ; ils appartiennent aux sectes dans lesquelles la prédication, la prophétie, la prière, la magie même peuvent être exercées librement par chaque fidèle. Depuis la libération des esclaves, beaucoup de nègres « créoles » de la Louisiane, élevés dans la religion des anciens planteurs, se sont convertis au méthodisme et au baptisme, comme si le changement de culte, succédant au changement de condition, devait les mettre au niveau de leurs libérateurs. On dit que, par suite de l'état d'hostilité qui prévaut ordinairement entre les Irlandais et les nègres, les membres du clergé américain, si fortement influencés par les traditions irlandaises, laissent volontiers à l'écart les communautés catholiques des Africains du Sud. La propagande de conversion est beau- coup plus active chez les Indiens : la tradition des premiers missionnaires français du Canada qui vécurent parmi les Peaux-Rouges au delà des Grands Lacs et du Mississippi se continue jusqu'à nos jours, et des tribus entières se disent catholiques ou même se groupent en communautés religieuses autour de prêtres régulièrement ordonnés. L'armée ecclésiastique des États-Unis, constituée hiérarchiquement sur le modèle européen et se rattachant à ses coreligionnaires dans l'unité géné- rale de l'Église, offre néanmoins de grandes diversités provenant de la différence des milieux. Ayant des paroisses beaucoup plus étendues que celles de l'Europe, privés de toute action politique directe, mais jouissant d'une position sociale plus élevée et de traitements plus considérables, les prêtres américains sont d'ordinaire plus actifs, plus audacieux que leurs confrères d'outre-Atlantique et se sont rapidement accommodés à la société démocratique dans laquelle ils vivent. Les clergés de la France et de la Belgique, avec leur annexe religieuse du Canada, ont travaillé plus que ceux des autres nations à la fondation des séminaires, des couvents et des postes de missions, mais leurs prêtres se laissent influencer par les mœurs américaines, et les avances de partis socialistes n'ont pas été absolument repoussées par les conciles. Même on a cru devoir déroger aux 1 De Meaux, Correspondant, janvier 1891. xvi. 9g 77& NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. traditions de l'Église en associant les desservants à l'élection de leurs supé- rieurs; toutefois la société laïque, comme le gouvernement, reste exclue du vote. En un mot, l'église catholique s'est rapprochée des églises pro- testantes. Malgré la fixité du dogme et la cohérence historique de la catholicité, les traditions de haines religieuses léguées par l'Ancien Monde se sont partiellement effacées sur cette terre nouvelle. Une évolution géné- rale de l'humanité allie de plus en plus étroitement les religions consti- tuées contre la pensée indépendante qui les combat. La secte protestante qui exerça jadis son pouvoir dogmatique avec tant de rigueur, en enjoignant au « bras séculier » de se mettre à son service, la secte des congrégationalistes, à laquelle appartenaient les « puritains » de la Nouvelle-Angleterre, a perdu de son autorité en même temps que de l'étroitesse de son dogme. Tandis que la population du New England s'élevait à près de cinq millions d'hommes — nombre au moins triplé si l'on y ajoutait tous les colons émigrés de cette partie de l'Amérique du Nord dans les autres États, — les congrégationalistes groupés en églises compactes ne comprennent guère qu'un demi-million de fidèles : ainsi la descendance des puritains s'est en très forte majorité détachée du rameau primitif pour se relier à d'autres sectes ou flotter entre les diverses com- munautés religieuses. Un des rejetons du puritanisme, l'un des plus larges dans ses conceptions théologiques, est celui des unitariens, relativement peu nombreux, mais forts par l'élite d'écrivains, de savants et d'orateurs qui ont illustré leurs communautés : Channing, Theodor Parker, Emerson, Frothingham. De même que les congrégationalistes, ils ne sont en force que dans la Nouvelle-Angleterre. Les presbytériens, qui ont aussi beaucoup diminué en proportion rela- tive, tout en croissant en nombre, ont encore leurs églises les plus puis- santes dans les États atlantiques du Centre, où s'étaient établis les calvinistes hollandais et les presbytériens de l'Ulster : on compte au moins douze cent mille fidèles de ces sectes, plus de deux millions avec les enfants non entrés officiellement dans l'église. Parmi les habitants des États méridionaux, les presbytériens sont plus rares que les épiscopaliens, les méthodistes et les baptistes. Les première, qui se rattachent aux anglicans de la mère patrie, appartiennent aux classes riches ou aisées, tandis que les diverses sectes méthodistes et baptistes, très variables dans leurs constitutions et leurs groupements, se recrutent surtout dans la masse populaire, au nord parmi les colons, les ouvrière et les mineurs, au sud parmi les noirs, mais en respectant toujours les préjugés des blancs, c'est-à-dire en maintenant strictement la division des communautés en églises « blanches » et en RELIGIONS DE L'AMÉRIQUE DU NORD. 77U églises « noires ». Quant aux luthériens, ils représentent l'élément ger- manique dans le protestantisme américain, et par un singulier contraste ils semblent être, pris en masse, des conservateurs plus fidèles du dogme et de la tradition que ne le sont les luthériens d'Europe. Les Allemands non détachés de l'église par les nouvelles conditions du milieu se serrent plus étroitement autour de leurs pasteurs f . Outre les grandes sectes du monde chrétien aux États-Unis, il existe, comme en Angleterre, au moins cent cinquante autres groupements reli- gieux, aux contours plus ou moins flottants, et se rattachant pour la plu- part aux cultes principaux par des transitions insensibles. Les quakers, qui eurent leur grand jour dans l'histoire américaine par la colonisation de la Pennsylvanie et du New Jersey, sont peu nombreux, une centaine de mille. Parmi les sectes, une seule, la communauté des mormons, après s'être mise complètement à part, a tenté de constituer un empire poli- tique distinct; mais si les fondateurs de cette religion furent bien des Américains du Nord, le gros des fidèles est d'origine étrangère : par ses adhérents, le mormonisme est plus Scandinave que nord-américain, quoique les chefs, présidents, patriarches, apôtres, anciens, soient presque tous nés aux États-Unis, comme le fondateur. A grand peine le nou- veau culte put naître et se maintenir tant qu'il ne quitta pas le milieu des régions populeuses dans le Cis-Mississippi et le Missouri : il ne pro- spéra pendant une trentaine d'années qu'en s'isolant d'une manière absolue, protégé par une ceinture de montagnes et de déserts. Dès l'année 1820, Joseph Smith, le Moïse du mormonisme, prétendait avoir reçu d'en haut l'annonce de sa mission prophétique, et sept années après il trouvait les « tablettes d'or » sur lesquelles était gravée la révélation nouvelle, en caractères peu différents des signes du calendrier aztèque. En 1830, la religion ce mormonne » ou des « meilleurs », se disant aussi les « Saints des Derniers Jours », s'établissait officiellement à Manchester, dans l'État de New York. L'année suivante, elle émigrait à l'Ouest, dans l'Ohio, d'où un soulèvement populaire la chassait au Missouri. Dans cet État et dans l'Illinois, où les mormons fondèrent la ville de Nauvoo, ce fut une lutte continuelle, procès, assauts, batailles, puis en 1847, après 1 Principales divisions de l'église protestante aux États-Unis et nombre de leurs fidèles en 1890 : Méthodistes (quatorze divisions principales) . 5 000 000 Baptistes (treize » » ) • 4 500 000 Presbytériens (neuf » » ) . i 200 000 Luthériens 1000 000 Épiscopaliens 500 000 Congrégationalistes 500 000 780 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. le massacre du prophète et de quelques disciples, les « Saints » durent fuir tout contact avec la société des « Gentils » et mettre le désert et les montagnes entre eux et les agents du gouvernement fédéral. Ceux-ci les suivirent encore sur les bords du Grand Lac Salé, et la guerre, occulte ou avouée, recommença. Elle fut d'abord heureuse pour les mormons, qui surent prendre les Indiens pour alliés et que des embuscades bien rétri- buées, notamment celle de Mountain Meadow, dans le sud du territoire, débarrassèrent momentanément de leurs rivaux, les immigrants libres; mais si puissante que fût devenue la nouvelle communauté, elle devait finir par céder sous la pression de la confédération tout entière, avec son commerce, son industrie, ses lois et son armée. Quoi qu'on en dise, ce n'est point comme secte religieuse que le mor- monisme entra en conflit avec la république américaine, mais comme État distinct et rebelle, ayant ses lois propres, ses institutions particulières, telle que la polygamie avouée, son gouvernement et sa politique indé- pendante. On a voulu voir dans la société des « Saints » un produit de la démocratie américaine ; il est dû au contraire à un mouvement de réac- tion essayant de constituer une théocratie infaillible dans une secte d'ori- gine protestante. En 1890, le recensement énumérait 144352 mormons en 425 communautés religieuses, groupées dans l'Utah, et sporadiquement distribuées en 21 autres États ou territoires1 : avant la suppression reli- gieuse de la polygamie, interdite déjà par trois lois successives du Congrès, plus de treize cents mormons avaient été condamnés à la prison pour crime de bigamie1. Sait Lake City, la métropole de l'Utah, est aussi la Jérusalem des mormons, et là se trouve l'édifice baroque, le « Tabernacle », qui leur a coûté plus d'or que le temple de Salomon ; toutefois la ville de Sait Lake échappe à ses fondateurs : les mormons peuplent en groupes moins mélangés quelques vallées des montagnes et surtout les bords du lac Utah, d'où s'échappe le Jordan, la rivière sacrée. D'autres sectes constituent aussi des « États dans l'État », mais sans allures agressives, et vivent en bonne intelligence avec leurs voisins, d'au- tant mieux tolérées qu'elles donnent plus d'activité à l'industrie locale. Mais à part les sectes fermées, qui représentent une très faible partie de la société américaine, les divers cultes se fondent facilement les uns dans les autres. Leurs formes sont si mobiles, leurs contours si mal définis que les fidèles appartiennent à la fois par centaines de milliers et peut-être par * Census Bulletin, n° 70, May 22? 1891. « Ch. S. Zane, Forum, Nov. 1891. MORMONS, SPJRITISTES. millions à des groupes religieux tout différents en apparence, ou même à des congrégations qui n'ont rien du christianisme que les pratiques ordi- naires du culte. La transition se fait d'autant plus facilement que les i vallée ui wmiun cérémonies usuelles se ressemblent. Les « spiritistes », plus nombreux aux États-Unis que même dans la Grande-Bretagne, professent une sorte de christianisme révélé à nouveau par les « esprits » et plus ou moins accom- modé aux idées modernes, quoique se rattachant d'ordinaire aux traditions indiennes; les néo-bouddhistes font aussi une évolution graduelle dans 782 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. leur enseignement, sans se détacher pour cela nettement de la religion dans laquelle ils furent élevés : jusqu'aux libres-penseurs, n'acceptant de prédication que celle de la morale pure, qui se réunissent en des édi- fices d'aspect religieux et pratiquent leurs cérémonies dans les formes vou- lues, avec accompagnement de chants et d'oraisons jaculatoires. La franc- maçonnerie, objet de tant d'exécration en d'autres contrées, a pris aux États-Unis, de même que la société des Odd Fellows et autres associations, une extension analogue très considérable, qui ne semble point gêner les communautés religieuses, puisque la plupart des initiés appartiennent également à un des cultes de la nation et que l'on peut être à la fois dignitaire parmi les maçons et les fidèles. À Ockmulgee, bourg principal du Territoire Indien, le « temple » maçonnique donna longtemps l'hospi- talité à tous les cultes professés par les divers groupes de la contrée, indiens, métis ou blancs. Des inaugurations publiques de chemins de fer se font avec accompagnement de prières : « Découvrez-vous, » mande le télégraphe aux populations des quatre points cardinaux, « nous allons prier! » Les fidèles de tous les cultes se découvrent, en effet, et la prière se transmet également par les fils du réseau. On cite d'ordinaire les camp-meetings ou assemblées en plein air comme prouvant le caractère fanatique des sectes religieuses aux États-Unis, mais ces réunions, très communes dans les districts agricoles sur les bords des Grands Lacs et de l'Ohio, sont loin de ressembler aux scènes de convul- sionnaires que l'on a si souvent décrites. Entraînés par le besoin de mouvement et d'agitation qui est dans le sang de tous les Américains, et surtout par l'amour de la société, l'appel de la solidarité humaine, les cultivateurs des campagnes, que leurs occupations ordinaires tiennent for- cément isolés, éprouvent de temps en temps, surtout après les périodes capitales de l'année, semailles ou moissons, les nécessités d'un « réveil » (revival), qui est aussi un repos des travaux usuels et une restauration des * forces, en vue de la besogne future. Au jour fixé, la multitude des fidèles se porte vers le camp des prières, établi dans un site pittoresque, presque toujours au bord d'un ruisseau, sur une colline en pente douce. Les tentes des ministres, des « anciens », des femmes, s'élèvent rapidement sur la lisière d'un bois ; au milieu de l'espace libre on dresse la plate-forme d'où les orateurs doivent faire entendre leur voix; puis, quand tout est prêt* les « convertis » pénètrent dans l'enceinte réservée, tandis que les profanes se pressent en dehors, ou regardent du haut des charrettes et des voitures disposées en tribunes. Quoi d'étonnant si les quelques jours de loisir, passés dans un lieu charmant, sous un beau ciel et en compagnie i I RELIGIONS DE L'AMÉRIQUE DU NORD. 785 (1 amis, qui chantent leurs hymnes les plus admirées, et de prédicateurs qui font assaut d'éloquence, rappellent à ceux qui en ont joui des souve- nirs très agréables! Ce sont des fêtes, et naturellement elles prennent la forme qui répond à leur tournure d'esprit et aux idées régnantes. Sou- vent des chanteurs se groupent dans les wagons des convois et sur les bateaux à vapeur, et la plupart des passagers participent à la cérémonie avec un plaisir apparent, mais sans l'air sérieux et recueilli que l'on s'at- tendrait à voir chez des fidèles convaincus accomplissant un acte de piété. L'esprit de sociabilité est un des principaux mobiles de ces réunions. Récemment des lieux de villégiature, même des bourgs permanents se sont fondés pour associer des gens d'opinions religieuses communes : tels sont le « camp Wesleyen », sur la rive septentrionale de Martha's Vineyard, et Océan Grove, l'un des quartiers distincts de la grande agglo- mération balnéaire de Long Branch, sur la plage du New Jersey. On dit que 70 000 méthodistes se sont trouvés parfois assemblés dans cette ville improvisée1. Toutes les maisons, toutes les rues et les places y ont des noms qui rappellent la Bible ou les souvenirs religieux : le respect du sabbat y est strictement observé, les « frères » se surveillent mutuellement pour empêcher tout scandale, les boissons spiritueuses, les cartes, sont interdites. Parfois les fidèles, avec cette affectation de poésie qui est un des défauts les plus communs de la société américaine, se réunissent au bord de la mer en $urf-meeting$, afin que la voix de leurs chants et de leurs prières se mêle au tonnerre des brisants. Un des villages de Long Branch, Asbury Parle, est le lieu de rendez-vous des pédagogues et des philosophes péripatéticiens. Quant aux scènes de « convulsionnaires », analogues à celles que Ton vit en France dans le cimetière de Saint-Médard et dont l'histoire des raskolnik russes offre de si nombreux exemples, elles sont fort rares et ne se produi- sent que dans les districts éloignés des villes ou parmi les nègres métho- distes ou baptistes des États Méridionaux. D'ailleurs les physiologistes ont suffisamment établi que dans ces transports de frénésie collective, la simulation entre souvent pour une part prépondérante : les cris, les san- glots, les contorsions ne sont alors que des manifestations voulues, parfois des flatteries grossières à l'adresse du prédicateur. Mais en des années exceptionnelles, surtout après de mauvaises récoltes, des orages, des cy- clones, des périodes de surexcitation électorale, les mouvements d'hal- lucination et de folie collectives se sont parfois emparés des fidèles dans les 1 Vitil to Ihe Stales, by Ihe spécial correspondent of the Times. xti. 99 786 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. assemblées en plein air. Des missionnaires ont exalté jusqu'au délire des populations entières. Des « réveils » ont causé de tels ravages moraux parmi les habitants de certains districts du Massachusetts, du Connecticul, de TOhio, que l'on a donné à ces pays le nom de Burnt Countries, en les comparant ainsi aux forêts ravagées par l'incendie1. . L'influence de la religion chrétienne, sous ses diverses formes, paraît être dans l'ensemble plus puissante qu'elle ne l'est en aucune contrée d'Europe, excepté en Ecosse. Les églises de toutes dénominations se pres- sent dans les villes, si nombreuses que telle cité secondaire des États-Unis l'emporte à cet égard sur Paris- Le langage et la littérature américaine témoignent du fonds chrétien de l'éducation; ils en sont pénétrés, supposant chez les interlocuteurs et les lecteurs une connaissance préa- lable assez détaillée de la Bible et de la théologie. Même les journaux sont remplis d'expressions proverbiales dont l'origine se trouve dans les récits bibliques, les paroles de l'Évangile ou les préceptes religieux; le lecteur français serait fort embarrassé pour comprendre toutes ces allu- sions à l'histoire du « peuple Élu ». L'observation du « sabbat », si rigoureuse naguère, non seulement en vertu des lois, mais aussi de par le consentement général, est une autre preuve de l'ascendant exercé par les éducateurs religieux de l'Amérique; toutefois l'immigration, surtout celle des Allemands dans les États de l'Est et du Centre, et celle des Français en Louisiane et en Californie, contribuent à changer le dimanche, jour de prière, en un jour de fête et de plaisir. Dans tel village de la Nouvelle-Angleterre, le promeneur égaré le dimanche risquerait de mourir de faim ; aucune maison ne s'ouvre devant lui. Dans une grande ville comme New York, Cincinnati, Saint Louis, l'étranger a, ce jour-là, les mêmes facilités de vie que dans l'Europe continentale. La plupart des nombreuses colonies communistes qui se sont fondées aux États-Unis eurent des idées religieuses pour raison d'existence, et à ce titre ne diffèrent des couvents que par les détails de l'organisation et par le manque de durée : n'étant point soumises à une autorité fixe, elles dis- paraissent, emportées par le flux changeant des idées et des mœurs. Les communautés des shakers qui s'établirent en 1770, près de Manchester, en Angleterre, sous l'inspiration de la prophétesse Ann Lee, et qui sub- sistent depuis plus d'un siècle en Amérique, ont prospéré matériellement 1 Hepworth Diion, The White Conquett. • . ,....,.. RELIGIONS DE L'AMÉRIQUE DU NORD. 787 d'une manière admirable, leurs villages sont charmants, leurs cultures tenues avec uu soin merveilleux, sans autre loi que celle du « travail attrayant », mais les associés ne font plus de prosélytes, et les fidèles, voués au célibat, meurent successivement sans être remplacés : c'est en vain que dans une nuit mémorable de prières et d'extase, ils s'étaient mis à la poursuite de Satan et se iiguraient l'avoir immolé, triomphant en même temps des misères et des chagrins de ce monde1. D'autres sociétés ont péri par le manque de ressources, mais plus nombreuses encore celles qui succombèrent pour avoir trop bien réussi et que les enfants détruisirent pour se partager la fortune amassée par les pères. Les « Harmonistes » ou « Rappistes » d'Economy, près de Pittsburg, ne sont plus assez nombreux pour leur riche bourgade. Une des associations qui prospèrent le mieux, celle des « Inspirationistes », se compose d'immi- grants alsaciens et souabes, se tenant strictement séparés de la société extérieure et tabouant strictement livres, journaux, portraits et photogra- vures, pour ne pas succomber à la curiosité, aux « tentations de Satan », aux « convoitises de la vie ». Après s'être établie dans le voisinage de Buffalo, la société s'est transférée dans l'Iowa, où elle possède un domaine de 10000 hectares appelé du nom biblique d'Àmana, et comprenant quatre villages. Enfin, il existe aussi des associations dites communistes qui ne sont en réalité que des groupes de serviteurs dociles laissant à leur pasteur tout le profit de leur travail : telle la communauté d'Àurora, près de Portland, dans l'Oregon'. L'histoire des colonies socialistes purement civiles est moins longue et moins variée que celle des associations religieuses. Le patriarche Owen acheta aux Rappistes, sur les bords du Wabash, dans l'Indiana, le phalans- tère de NewHarmony, qui subsista longtemps, et les idées de Fourier furent mises en pratique à Rrook Farm, dans la Nouvelle-Angleterre, par un groupe de personnalités, hommes et femmes, qui toutes ont marqué dans l'histoire des lettres. Des immigrants étrangers, entre autres les disciples de Cabet; et des nihilistes russes ont fait également des tentatives de socié- tés communautaires, dont il subsiste encore quelques restes. Les socialistes « nationalisateurs », qui partagent les idées de Henry George et de Rellamy, ont aussi constitué des colonies, notamment à Kaweah, non loin des « Grands Arbres » de Mariposa, sur le versant du Pacifique. 1 Elic Reclus, Études Sociologiques, Oneida et Mount Lcbanon. * Th. Kirchhoff, Streifzûge in Oregon und Californien, CHAPITRE VIII GOUVERNEMENT ET ADMINISTRATION DE LA RÉPUBLIQUE AMÉRICAINE L'organisation communale varie beaucoup aux Étals-Unis, suivant le peuplement et l'histoire des colonies, et par conséquent l'action du peuple dans le gouvernement général de la natitm diffère non seulement dans chaque État, mais encore en des districts rapprochés. La commune, dési- gnée sous le nom de lown ou towmhip, non dans le sens de « ville », mais dans sa vieille acception germanique de zaun, « enclos » ou « terrain limité », n'a son caractère original que dans la Nouvelle-Angleterre. Ce fut d'abord un territoire rural, d'une superficie moyenne de dix à quinze kilomètres carrés, où les colons s'étaient dispersés, chacun dans sa clairière de forêts, mais assez rapprochés les uns des autres pour se porter secours en cas de péril et pour se rendre facilement à l'église le « jour du sabbat». Autour de ce centre d'élection gravitait l'existence entière de la commu- nauté, sa vie municipale aussi bien que sa vie religieuse. L'ensemble de la nation s'est formé de la réunion de tous ces townships indépendants et autonomes, de même que les corps vivants sont constitués par l'association d'un grand nombre de cellules ayant chacune son activité propre. La république Américaine avait déjà pris naissance dans ces communes primitives de la Nouvelle-Angleterre, lorsque les populations clairsemées étaient encore en plein régime colonial. Les électeurs du village sont tous de droit membres de l'assemblée et se réunissent au moins une fois, au printemps, et généralement trois ou quatre fois dans l'année, soit dans l'église ou dans l'école, si ces édifices peuvent les contenir, soit en plein air. Ils discutent les intérêts publics, surtout ceux qui se rapportent à la viabilité, aux écoles, à l'hygiène, et votent les] fonds nécessaires aux œuvres de la commune. Ils nomment aussi pour l'année des mandataires, non payés, quoique autorisés à demander le remboursement des dépenses 790 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. faites spécialement dans l'intérêt des communiers : les individus, trois, cinq ou sept, désignés pour telle ou telle fonction, sont tenus moralement de l'accepter et l'on a vu le philosophe Emerson remplir en conscience la charge de hog-reeve ou « écarteur de cochons » dont l'avaient honoré ses compatriotes. Les précédents interdisent aux votants de tenir compte, dans les élections communales, des partis auxquels appartiennent les délégués. Dans la Nouvelle-Angleterre, les « comtés » (coûtâtes), ainsi nommés en souvenir des circonscriptions de la mère patrie, ne sont que des agréga- tions de towns ayant formé un groupe supérieur pour l'administration de la justice et la construction des routes de long parcours, mais dans les Etats du Centre et du Sud, les comtés sont la molécule première. Dans ces con- trées, la propriété se constitua autrement que dans les colonies puritaines. Au lieu d'être divisée entre de nombreux cultivateurs, elle se distribua en vastes domaines : le système des plantations prévalut, et les « petits blancs », puis des bandes d'esclaves se groupèrent autour de feudataires du roi rappelant les seigneurs du monde féodal. Les divisions du terri- toire se firent donc, non dans l'intérêt de tous, pour la discussion et la gérance de la chose publique, mais suivant les convenances de l'aristo- cratie terrienne, pour le partage de la contrée en districts judiciaires. Dans les États de l'Ouest, l'extrême rapidité du peuplement eut des con- séquences analogues : les immigrants étaient tellement pressés d'entrer en jouissance des terres, qu'ils adoptaient, telles quelles, les grandes divi- sions cadastrales; la législature se bornait à prendre les quadrangles des comtés tels que les lui livraient les géomètres. Mais les transformations sociales qui se sont accomplies dans le Sud et dans l'Ouest ont pour résul- tat d'y former graduellement des townships sur le modèle des communes de la Nouvelle-Angleterre : dans la Virginie, dans la Caroline du Nord, les écoles servent de noyaux à la création de la cellule communale, et dans l'Ouest, la rapide arrivée des immigrants permet aux citoyens de subdiviser les comtés en seize towmhip* ayant chacun sa vie propre et son admi- nistration autonome. Mais on s'étonne en Europe de cette bizarre division du sol en communes de forme parfaitement géométrique, ayant chacune 6 milles de côté, soit 92 kilomètres carrés en surface, et s'alignanj, sur la carte en rangées et séries régulières. Dans les plaines ou dans les plateaux peu accidentés, la campagne présente l'aspect d'un échiquier : la diversité ne s'introduit que grâce aux rivières, aux saillies brusques des collines, aux berges et aux ravins. Les « comtés » ou grandes divisions admi- nistratives qui découpent les États offrent une régularité géométrique COMTÉS ET COMMUNES. 791 analogue à celle des townships. On peut citer en exemple les eascs admi- nistratives de l'État d'Iowa. Le peuplement de la commune ou township ne s'accomplit pas d'une manière égale sur tout le territoire, le village naissant d'ordinaire, à moins d'un caprice de grand propriétaire, à l'endroit le plus favorable pour les marchés et les communications, au bord d'une rivière, à la montée d'un col, à un croisement de routes. Le village grandit, il devient ville. Dès que l'agglomération urbaine, ayant acquis en moyenne de six à douze mille habitants, a pris une importance suffisante, elle peut demander sa trans- formation juridique en « cité », et l'État lui accorde alors une charte contenant les clauses de sa nouvelle organisation, qui, du reste, ne varie guère dans les différentes contrées de la République. Chacune des cités ou grandes villes est administrée par un maire élu et par une législature, composée le plus souvent de deux chambres, que constitue également te vote direct; quant aux employés municipaux, ils doivent leur nomination, suivant les divers. États, tantôt aux électeurs, tantôt directement au maire, responsable de leur conduite. La plupart 792 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. des villes sont organisées sur le modèle de l'Union : le maire, sorte de président armé du droit de veto, jouit d'un traitement considérable et commande la police, convoquant même la milice ou garde nationale dans les cas de danger public. En nombre de villes, à Boston notamment, les . deux principaux partis politiques doivent être représentés dans les assem- blées communales. Le vote populaire décide certaines graves questions par plébiscite; même à Boston les assemblées générales de tout le peuple, quoique tombées en désuétude, ont encore une existence légale. Chacun des États, qu'il soit vaste comme la Californie ou de faibles dimensions comme le Rhode Island, peuplé comme le New York, ou presque désert comme le Nevada, civilisé comme le Massachusetts ou par- couru par des vachers comme l'est en grande partie le Texas, constitue une communauté souveraine ayant des droits politiques antérieurs à ceux de l'Union. Au siècle dernier, lorsque les États se liguèrent en fédération, le gouvernement central ne représentait guère pour l'ensemble qu'un in. 39. Oklihom.. 10. Mc.nl.inn. FloriJa. m Sorti, toiot». il. Idilu. . Rhodfi M a ml iS Wtsi Virginia. 30. Soiilh Doknla. il WvnminE- , ConDertiruL 1! bntuekf. 31. Ion. 13. CoJnrado. . Ktw York. Tennessee. il. UUh. ». New Jersey -M À lutin m a. 15. New Unie 9. Ppiinsylvunin. ti Sissis,ii.,ii. Si. Kansa*. 16. Ariioni. 0. Mtrjltai. 83 Ohio. 35. Arkinua. 17. Nevul». . Delawire. 4M. Wmhinglo L Ditlrkl oCCulumbia. ffi IlIlllU.). 37. Te»». 19. Oreiron S. Virgiiii.. 50. Cililorai. 1 .MO» Cl» chacun des treize Étals, désormais assuré de son indépendance, avait repris sa libre initiative pour la gérance de ses intérêts : le lien fédéral n'existait guère plus qu'en principe et les délibérations du Congrès n'avaient aucune influence. Divers conflits entre les États et la crainte de nouveaux dangers à courir de la part des nations étrangères firent com- prendre aux Américains qu'il était nécessaire de se liguer d'une manière plus étroite, etgrâce à ce mouvement de l'opinion, une assemblée consti- tuante se réunit en 1787. L'année suivante, la charte proposée était 798 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. acceptée par la majorité des États, et en l'année 1789, qui fut aussi en Europe le commencement d'une ère nouvelle, la constitution américaine devenait loi pour l'ensemble de l'Union. Elle avait été rédigée avec un soin extrême, de manière a constituer une nation vraiment une, tout en mainte- nant les droits souverains des États juxtaposés, grands et petits, com- merçants et agricoles; mais cette préoccupation même laissait dans un certain vague la question la plus importante de toutes, celle de l'esclavage, et d'avance justifiait la guerre civile, qui, soixante-dix ans après, devait mettre la nation en un si grand péril. L'existence légale de l'esclavage des noirs dans les États du Sud avait été reconnue en un langage suffisamment clair, et le droit pour chaque État de rompre le lien fédéral et de reprendre sa vie politique isolée n'était point nié d'une manière évidente : il sem- blait plutôt avoir été tacitement reconnu. La ligue des États avait été trans- formée en un État fédéral, mais aucune des parties contractantes ne s'était formellement interdit la « sécession » du groupe des souverainetés fédérées. Fils d'Anglais et nourris dans les traditions politiques de la Grande- Bretagne, les Anglo-Américains devaient obéir aux lois naturelles de leur histoire en prenant les éléments de leur constitution dans celles de leurs États respectifs, qui les avaient eux-mêmes reçues de la mère patrie. Mais ils subirent aussi fortement l'influence des écrivains du temps, et leur adaptation de la constitution britannique à leur propre pays se ressent de l'interprétation qu'en avait donnée Montesquieu dans Y Esprit des Lois : la stricte division du pouvoir en législatif, exécutif et judiciaire, le système d'équilibre et de contrôle entre ces éléments distincts, enfin la forme même de la déclaration d'Indépendance et les constitutions originales des Étals témoignent de la part considérable qu'eurent les théories abstraites sur les Droits de l'Homme dans la rédaction de leurs statuts fondamentaux1. La Chambre des représentants, généralement désignée par le simple nom the House, « la Chambre », est nommée par les citoyens américains proportionnellement à leur nombre dans chaque État : d'après la loi de 1789, l'assemblée se composait de 65 membres, un pour trente mille habi- tants. Depuis cette époque, les représentants ont quintuplé ; ils seraient encore bien plus nombreux si la proportion des électeurs pour chaque député n'avait pas été accrue*. La représentation des différents États est donc très inégale : tandis que certains d'entre eux, n'ayant pas même la population exigible — tels Montana, Idaho, Nevada, — envoient un seul 1 James Bryce, The American Commonwcallh. * Représentants en 1890 : 332, un pour 188 600 habitants. » pour 1892 : 356, » 175 900 » CONSTITUTION DES ÉTATS-UNIS. 799 mandataire au Congrès, New York en a plus de trente. En outre, les divers Territoires envoient un délégué qui siège et prend part aux délibéra- lions, mais non pas aux votes. Les représentants sont élus parmi les rési- dents des districts de l'État qui les nomme : ainsi le veut la coutume, appuyée par certaines législatures sur un vote explicite. La durée de leur mandat est de deux années, mais ils n'entrent pas immédiatement en fonctions, , leur nomination ayant lieu pendant que l'ancienne Chambre siège encore et continue ses délibérations. Les législatures des États res- pectifs règlent diversement l'exercice du droit de suffrage, cependant on peut dire qu'il est à peu près universel pour les hommes âgés de plus de vingt ans. Chaque Congrès a deux sessions régulières : la « longue », qui est celle de la première année, et la « courte », qui précède l'achèvement du mandat : l'ensemble des séances pendant les deux années comprend dix ou douze mois de séances régulières. Les délibéra- lions de chaque jour commencent par une prière que récite un chape- lain de telle ou telle dénomination religieuse, choisi par la Chambre. Ni soldat, ni marin, ni fonctionnaire n'ont droit de siéger dans l'assem- blée, et la proportion des naturalisés qu'y envoie le suffrage populaire est minime. Très rares sont les artisans nommés par le peuple; de beaucoup la majorité des membres se compose de gens de loi : la proportion des avocats y est même plus forte que dans le Parlement français, des trois quarts environ. Quant aux banquiers, aux financiers, aux grands spécula- teurs, il leur serait facile de se faire nommer au Congrès; mais ils sont trop occupés pour élire domicile à Washington, et les syndicats « peuvent influencer la législature aussi bien du dehors que du dedans1 ». Les représentants, de même que les sénateurs, touchent un traitement annuel de cinq mille piastres, auquel s'ajoutent 125 piastres pour frais de bureau et de tnileage ou indemnité de déplacement, calculée au taux de 20 cents ou un franc par mile. Les candidats au Sénat, qui ne peuvent se présenter avant trente ans, doivent résider dans l'État dont ils demandent le suffrage. La législature élit le sénateur pour six années et peut le réélire indéfiniment. Nulle part, d'après les textes officiels, la nomination n'est censée se faire direc- tement par le vote du peuple ; cependant les législateurs qui prononcent l'élection au second degré reçoivent un mandat impératif; les noms sont dictés par les politiciens qui dirigent les élections. Chaque État, petit ou grand, populeux comme le New York ou presque désert comme le Nevada, 1 James Bryce, ouvrage cite. 800 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. est tenu comme égal devant le Sénat et lui envoie deux représentants; ce corps supérieur du Congrès, qui se composait de 26 membres lors de la fédération des États primitifs, comprend maintenant 84 titulaires, et la transformation des derniers Territoires en États accroîtra encore le nombre des sénateurs. Tous les deux ans, un tiers des membres ayant déjà siégé pendant une période de six années se retire, et l'Assemblée se renouvelle par élection ou réélection, mais un seul État ne peut jamais élire deux représentants à la fois : il en résulte que si l'équilibre des partis se modifie entre deux élections, les deux sénateurs d'un même État se trou- vent chargés de défendre chacun une politique différente et leurs votes respectifs se neutralisent. Le cumul de toute autre fonction publique est interdit au sénateur : d'après la constitution, il se doit tout entier aux inté- rêts de son État en particulier et de l'État en général. Le vice-président des États-Unis dirige de droit les délibérations du Sénat, mais sans voter lui-même, sauf pour départager les voix. En qualité d'assemblée législative, le Sénat vote les lois à la simple majorité si le président leur donne son assentiment, à la majorité des deux tiers s'il faut écarter un veto présidentiel. Son droit d'initiative pour la proposition des lois est entier, excepté pour celles de finance, qui prennent leur origine dans la Chambre des Représentants, mais qu'il peut modifier. Comme pouvoir exécutif, le Sénat confirme les traités et les nominations prési- dentielles ; enfin il s'érige aussi en corps judiciaire et siège pour juger les hauts fonctionnaires décrétés d'accusation par la Chambre des repré- sentants. Quoique la lettre de la constitution n'ait point changé à l'égard du Sénat, son évolution dans la division du travail politique n'en a pas moins été très marquée. Dans les premiers temps, il participait surtout au pouvoir exécutif comme conseil du président : il se composait en réalité d'ambassadeurs des États auprès du gouvernement central, et ses membres siégeaient en séance secrète comme pour échapper à la curiosité du public. Maintenant, le Sénat constitue surtout un deuxième corps délibérant pour la confection des lois, et la part de responsabilité dans le choix des hauts fonctionnaires et dans la conclusion des traités incombe principalement à son comité des Relations Extérieures. En moyenne, les sénateurs ont une plus grande influence personnelle que les représentants et jouissent de la préséance dans les cérémonies officielles et dans la société. Ces privilèges, ils les doivent à leur âge plus avancé, à la longue durée de leur mandat, a leur habitude des affaires, de même qu'à leur richesse : « Lé Sénat, un dub de millionnaires », est une expression usuelle aux États-Unis. Sauf quelques exceptions, les sénateurs représentent par leur propre fortune les SÉNAT ET PRÉSIDENCE DES ÉTATS-UNIS. 801 intérêts spéciaux de la classe opulente. Lors des conflits entre la Chambre des représentants et le Sénat, le dernier l'emporte presque toujours ; il a l'avantage d'être moins nombreux et par conséquent plus discipliné, et d'avoir une plus longue durée : il peut attendre. D'ailleurs, presque tous les sénateurs ont été représentants ; ils connaissent le fort et le faible de l'assemblée rivale et possèdent les moyens d'en triompher. Lorsque des projets de loi ou des amendements, votés par la Chambre des Représen- tants et repoussés par le Sénat, font la navette entre l'une et l'autre moitié du Congrès, un comité formé de six membres, trois par assemblée, se charge de régler le différend, et généralement au désavantage de la Cham- bre, pressée de terminer l'affaire avant sa propre dissolution. . Le mode d'élection du président fournit une preuve remarquable de l'évolution rapide qui se produit dans la compréhension et le fonctionne- ment des lois : quel que soit le texte des constitutions, la passion politique les interprète à sa fantaisie. Ainsi, les législateurs de 1787 croyaient avoir tout prévu pour soustraire l'élection du président à l'influence des partis : ils avaient décidé que le vote se ferait au second degré, en dehors des excitations passionnées de la foule, et que les électeurs seraient choisis uniquement parmi les hommes indépendants de tout lien gouvernemental, ni membres du Congrès ni fonctionnaires. Élus pour leur mérite person- nel, ils devaient également élire le président pour son intelligence et sa vertu. On sait ce que sont devenus tous ces beaux projets. Les électeurs sont nommés avec mandat impératif de porter leur voix à tel ou tel can- didat : en dépit du « second degré » le vote populaire prononce, et l'élec- tion devient strictement une élection de parti, le suffrage des délégués n'étant plus qu'une question de forme. Aussi tous les efforts des politiciens se portent-ils vers la conquête des voix de la foule. Pendant plusieurs mois les candidats et leurs répondants les plus habiles à la parole ou à l'intrigue parcourent le pays pour exciter le zèle de leurs partisans et leur promettre la victoire et leur part de curée; des journaux se fondent par centaines; chaque ville, chaque village a ses processions de jour et de nuit, avec dra- peaux et torches ; des banquets publics, des fêtes réunissent les électeurs ; on lance des pétards dans les rues ; des feux d'artifice font briller les noms des candidats dans le ciel; le canon tonne pour appuyer les discours des orateurs. La boisson et l'argent coulent à flots pour l'achat des voix et des influences. C'est par centaines de millions que se chiffrent les sommes qui changent de mains pendant la période électorale. La complication même du vote indirect pour la présidence a eu diverses fois pour conséquence de fausser complètement l'élection. Chaque État in. lût 802 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. nomme au scrutin de liste autant d'électeurs qu'il a de représentants au Congrès, députés et sénateurs, et leur donne mandat de voter pour le candidat du parti. Ainsi, dans un État comme le New York , il peut arriver que la moitié plus un des votants suffise pour donner à un candidat le vole collectif de toute la délégation et contrebalance de cette manière les suffra- ges presque unanimes de plusieurs États de moindre importance : dans ce cas la majorité des suffrages populaires n'étant représentée que par une minorité des électeurs au second degré, le véritable élu du peuple est pré- cisément celui qui n'entre point à la « Maison Blanche ». On en vit un exemple en 1876 quand le candidat « démocrate » Tilden dut se retirer devant son compétiteur « républicain » Hayes, qui pourtant avait recueilli 250 000 voix de moins dans un corps électoral de 8 500 000 votants. Du reste, en pareille matière, où le succès importe avant tout, la passion qui domine ressemble à celle du jeu : il faut triompher à tout prix, et quand les voix de tel ou tel État sont douteuses par suite d'un vice de forme ou d'un point discutable, le parti qui est au pouvoir ne manque jamais de se les attribuer. On a constaté aussi que si la gloire militaire valut à Washington, à Jackson, à Grant l'honneur de l'élection présidentielle, la raison dirigeante du vote fut rarement la valeur exceptionnelle du can- didat par l'intelligence ou la célébrité : les citoyens reconnus d'une manière générale comme les premiers, ceux dont la République avait le plus raison de s'enorgueillir, ont toujours été écartés. Les prérogatives du président sont énormes. Il n'a pas le nom, mais il possède plus de pouvoir qu'un roi constitutionnel d'Europe. Il commande les armées de terre et de mer, signe les traités, avec l'avis et le consente- ment du Sénat, représenté par les deux tiers de ses membres, nomme les ambassadeurs et consuls, ainsi que les juges de la Cour Suprême et les autres hauts fonctionnaires de l'État, aussi d'accord avec le Sénat, dispose d'une clientèle de petits employés qui constitue une véritable armée1, convoque les Chambres dans les occasions extraordinaires, et doit veiller à la fidèle exécution des lois : en outre il possède le droit de veto contre les résolutions votées par le Congrès, et ces résolutions, signifiées à nouveau, ne peuvent prendre effet qu'après avoir été sanctionnées par les deux tiers des suffrages dans chacune des Chambres. Pendant la guerre de Sécession, Lincoln était armé par le Congrès de pouvoirs suffisants pour agir en dictateur, et nul ne lui contesta le droit de proclamer, comme chef absolu, l'émancipation des esclaves dans les États rebelles. Les ministres ne sont 1 Nominations faites par le président actuel à son entrée en fonctions : 53 800. PRÉSIDENCE DES ÉTATS-UNIS. 803 point imposés indirectement à la présidence comme dans les États de l'Europe occidentale, par les groupes qui triomphent au Congrès : le chef de la République peut les choisir où il veut, même parmi les person- nages qui n'ont jamais fait partie d'un corps délibérant. Une fois nommés par lui, avec le consentement presque obligatoire du Sénat, ils ne sont point responsables envers le Congrès : fussent-ils censurés directement dans chaque séance des Chambres, ils n'en restent pas moins ministres; indépendants du Congrès, dans lequel ils n'ont point de siège et avec lequel ils ne confèrent point directement, ils n'ont affaire qu'à leur président, comme les ministres d'un sultan ou d'un tsar; toute la responsabilité des actes politiques pèse donc sur le chef de l'État, qui est censé avoir dicté la conduite des subordonnés. En effet, le président peut être mis en accusation par le Congrès « pour cause de trahison, corruption ou autres crimes ou malversations », et, dans ce cas, la Chambre des Représentants intente les poursuites, et le Sénat, présidé par le premier magistrat de la Cour Suprême, prononce le jugement. Pendant le siècle qu'a duré l'histoire de l'Union nord-américaine, Andrew Johnson est le seul président qui ait été mis en accusation, en 1868, mais la ma- jorité des deux tiers exigée par la constitution n'ayant pas été atteinte, l'acquittement fut prononcé. »Un verdict défavorable eût eu pour consé- quence la déposition et des poursuites conformes à la loi comme pour tout autre citoyen. Le nombre des ministres s'est accru : ils étaient quatre en 1789, ils sont huit depuis l'année 1888, et les actes du Congrès peuvent créer encore d'autres ministères. Le « secrétaire d'État », premier de ces fonctionnaires, par ordre de préséance et de pouvoir, dirige les affaires étrangères et joue sa partie sur l'échiquier de l'histoire officielle. 11 détient le « grand sceau fédéral », a la garde des archives et la direction de tout le person- nel diplomatique et consulaire; parfois son action se fait sentir d'une manière beaucoup plus puissante que celle du président, auquel incombe la besogne ingrate de la distribution des places. Le « secrétaire du Tré- sor » ou ministre des finances est un personnage moins important dans le cabinet, malgré l'énormité des sommes qui lui sont confiées, car il ne prend aucune part à la préparation des lois, et le Congrès lui dicte l'emploi des allocations budgétaires. Le « secrétaire de l'Intérieur » a la gestion des terres publiques et des affaires indiennes. Le procureur général (attorney- gencral) remplit des fonctions analogues à celles d'un ministre de la jus- tice et sert de conseiller judiciaire au président dans les questions déli- cates relatives à l'interprétation des lois et des clauses constitutionnelles. 804 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. Les autres minisires, de la guerre, de la marine, de l'agriculture, des postes, complètent le cabinet, mais sans former un tout solidaire. Chacun de ces secrétaires s'adresse directement à la personne du président, qui les convoque ensemble ou isolément, à son gré. Le conseil du cabinet peut avoir lieu partout où il convient au chef du gouvernement, soit à la Maison Blanche, soit dans un ministère, soit en dehors de Washington, dans quelque village de bains ou maison de plaisance, que l'on a pu qualifier de « capitales d'été » de la République. Durant la saison des chaleurs les politiciens gravitent autour des sites choisis pour la villé- giature du président ou de ses ministres les plus influents. C'est ainsi que Long Branch, et Bar Harbor, dans l'île de Mount Désert, ont pris une importance de premier ordre comme centres temporaires de la politique américaine. On peut dire que la vie morale se retire graduellement de tout cet orga- nisme officiel. Le gouvernement de la nation est de plus en plus laissé à des « hommes du métier », aux « spécialistes » qui, dès les bancs du collège, se sont formés à la vie de « politiciens », apprennent l'art de parler, non pour exprimer des pensées, mais pour plaire à la foule, et s'exercent à la pratique, plus lucrative encore, d'utiliser à leur profit les passions et les sottises d'autrui. Entrés dans la vie officielle, ils se groupent derrière quelque protecteur influent, écrivent pour lui des articles de journaux et des brochures, prononcent des harangues, apprennent à recruter des votants et se courbent pour ramasser les miettes qui tombent de la table du festin. Le moment viendra où ils s'assiéront à leur tour au banquet; ils seront députés de villages et de comtés, membres de comités électoraux, membres du Congrès peut-être : ils deviendront indispensables ; après avoir été politiciens, ils seront sacrés personnages politiques, ou même, si la fortune leur sourit, « hommes d'État », et leur renommée prendra le nom de gloire. Est-il étonnant que l'homme modeste et pur se tienne à l'écart de cette foire éhontée où se concluent les marchés pour le gouvernement et ses bénéfices? Chacun des deux grands partis, les « républicains » et les « démocrates », a sa « machine » respective, pour désigner les candidats et diriger les élections ; chacun a ses bosses ou « patrons », ses « manœuvriers » pour enrégimenter, contrôler, gourman- der et récompenser le troupeau des électeurs. Actuellement la balance est h peu près égale entre les deux partis, et des mugwumps ou « républi- cains indépendants » ont plus d'une fois assuré la victoire des démocrates dans les diverses élections. D'autres partis de moindre importance, les « Fermiers alliés », et les « Nationalistes » interviennent aussi et parfois CONSTITUTION DES ÉTATS-UNIS. 809 ont triomphé dans les scrutins locaux : en moyenne, un tiers des électeurs reste en dehors des comices. Dans le langage populaire, les États-Unis (United States ou simplement V. S.) sont personnifiés sous le nom de Vncie Sam, 1' «Oncle Samuel », ou de Brollter Jonathan, le « Frère Jonathan ». Le juge de paix (justice of tke peace), magistrat local élu par le suffrage populaire dans la plupart des Êlats, est le dernier magistral de la hiérarchie judiciaire : ses attributions, son traitement, la durée de son mandat varient suivant les contrées; en maints endroits, il ne connaît que des affaires civiles. Au-dessus fonctionnent des cours locales, de circuit 806 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. et de comté, les tribunaux d'appel et la Cour Suprême d'État, dont les noms différent, mais qui sont organisés à peu près de la même manière, suivant le modèle que le code et la procédure des jurisconsultes anglais ont institué ; cependant un des États, la Louisiane, a gardé le code fran- çais, légèrement modifié dans ses détails. Dans la plupart des anciens États, le gouverneur ou la législature nomme encore les juges, tandis que dans les contrées de l'Ouest, moins respectueuses du passé, et dans les grands États de l'Est, le New York et la Pennsylvanie, soumis à l'influence des cités populeuses, l'élection se fait au suffrage universel. Certaines consti- tutions ont imaginé des garanties très strictes, et d'ailleurs presque tou- jours illusoires, pour forcer les juges à remplir leurs fonctions avec zèle. Ici, les conseils des deux parties peuvent choisir un tiers comme arbitre juge, quand le magistrat arrive en retard d'une demi-heure; ailleurs, celui-ci ne peut toucher son salaire qu'après avoir fait constater qu'aucune des causes soumises à sa décision pendant les derniers quatre-vingt-dix jours n'a été retardée. Tous les jugements peuvent être revisés et portés devant la Cour Suprême, composée de neuf juges fédéraux nommés par le pouvoir exécutif, mais supérieurs dans une certaine mesure à la pré- sidence, puisqu'ils siègent à vie et sont chargés d'établir le sens de la constitution en cas de conflit entre les grands corps de l'État. En aucun pays il n'y a plus de lois et l'interprétation n'en est plus difficile; nulle part il n'y a plus de juges et d'avocats; en 1890, on évaluait ceux-ci au nombre d'environ soixante-dix mille. Ivos « balances de la justice » sont singulièrement inégales suivant les divers États : les iuges de l'Ouest et du Sud, ceux des contrées dont la population est le moins policée, sont en général plus sévères que les magistrats du Nord, et toujours les nègres sont plus durement frappés que les blancs. La peine capitale est abolie dans quelques États du Nord, tels que le Maine, le Rhode Island, le Michigan, le Wisconsin, l'Ohio. Dans le Delaware, la peine du fouet existe encore. Les deux extrêmes de la man- suétude et de la férocité dans la répression sont représentés respective- ment par le Rhode Island et le Mississippi. La population de beaucoup la plus civilisée se montre de beaucoup la plus douce : d'un côté la moyenne des emprisonnements est moindre de trois années, de l'autre elle dépasse douze ans. En ces mêmes contrées de l'Ouest et du Sud, relativement barbares, sévit encore la « loi de Lynch » (Lynch Law) dans toute sa rigueur. Cette loi, plus souvent appliquée que les peines légales, ne connaît que deux peines, l'exil ou la mort. Le bannissement est d'ordinaire précédé de fustigation ou d'emplumage — supplice qui consiste à plonger la LOIS DES ÉTATS-UNIS., 807 victime dans un tonneau de goudron, puis à la rouler dans un amas de plumes. — La peine de mort que l'on applique est presque toujours la pendaison, parfois la fusillade, et en quelques cas, heureusement très rares, le bûcher. Dans son message de 1891, le gouverneur du Texas donne même une sorte de sanction à cette « ldi » en recommandant aux citoyens d'en finir vivement avec les meurtriers comme ils font avec les « voleurs de chevaux1 »; en quelques comtés de cet État la police est accompagnée de dogues qui suivent l'homme à la piste. Un préjugé commun en Amé- rique et même ailleurs est que la « loi de Lynch » serait une justice som- maire, mais du moins une justice, et que, si les garanties conventionnelles de l'impartialité manquent devant le tribunal improvisé, les juges n'en prononcent pas moins leur verdict en connaissance de cause et sur des preuves positives. 11 en est parfois ainsi : il arrive même que cette « loi » se substitue à une justice complaisante, intéressée à faire échapper les vrais coupables ; mais dans la plupart des circonstances, elle est appliquée par haine de race ou de classe et laisse dicter ses arrêts par l'esprit de vengeance. Que de fois une simple présomption a suffi pour faire con- damner le prévenu, et que de fois le plaignant est en même temps témoin, juré, magistrat, bourreau ! Souvent les seuls juges de ce tribunal impro- visé sont les éleveurs de bétail et leurs vachers : malheur au rôdeur étranger qui s'aventure près du pacage ! Qu'en temps d'élections un nègre accusé apparaisse devant ses ennemis à peau blanche, ou que pendant une guerre de frontière un Indien soit amené devant des colons, l'un et l'autre savent le sort qui les attend, eussent-ils été toute leur vie les amis dévoués des blancs*. Chaque État a ses lois spéciales pour la « moralisation » du peuple. Telles sont les lois du Connecticut qui défendent la vente des fruits le dimanche, mais qui permettent celle des journaux; telle est aussi la loi, votée à une grande majorité par les deux chambres du Minnesota, qui in- terdit absolument aux femmes, sous peine d'amende ou d'emprisonnement, de se présenter sur la scène en costume masculin. D'autres lois se rapportent à l'usage du tabac ou des spiritueux. Celles qui interdisent absolument la consommation des boissons alcooliques, désignées en géné- ral sous le nom Maine liquor law, d'après l'État qui, le premier, eut «cours à cette législation, paraissent n'avoir eu aucun effet sérieux dans les villes populeuses, où précisément l'ivrognerie est le plus fréquente. Mais les choses se passent autrement dans les villes et townships auxquels 1 Diplomatie and Consular Reports on Trade and Finance, Foreign Office, 1891, nn 825. • Washington Irving, A Tour on the Prairies. 808 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. l'État a laissé la liberté d'empêcher l'introduction des liqueurs enivrantes : dans la plupart de ces circonscriptions, qualifiées du nom de « sèches », par contraste avec les districts « humides » qui les avoisinent, il est rare qu'un étranger réussisse à violer la loi. Dans le Massachusetts, la « république » dirigeante, plus des quatre cinquièmes des villes interdisent tout débit de liqueurs fortes. Les mesures prises contre l'usage des spiritueux, y compris la bière, ont contribué pour une bonne part à détourner le courant de l'immigration germanique vers les États et les comtés ce humides ». La Louisiane a concédé le monopole de la loterie à une puissante compagnie financière, qui souvent a pu faire voter la légis- lature à son gré. L'Union nord-américaine, on le sait, n'a point d'armée, car il est difficile de donner ce nom à une force de moins de trente mille hommes éparse sur un territoire presque aussi vaste que l'Europe et s'occupanl principalement de besognes qui n'ont rien de militaire, telles que l'en- tretien de jardins décoratifs dans les résidences désignées sous le nom de « forts » ; cependant il existe aussi sur quelques points du littoral, notam- ment aux abords de New York, des positions stratégiques protégées par des ouvrages puissamment armés. Les « parcs nationaux », c'est-à-dire les parties de territoire réservées comme propriété commune de la nation, se trouvent également sous la surveillance de l'armée, qui trace les sentiers, chasse les bûcherons et les bergers. Les troupes employées sur la fron- tière indienne et le long des limites du Mexique, incessamment franchies par les contrebandiers, sont les seules qui aient un service vraiment pénible; en dehors de ces campagnes de police et de douane, on utilise fréquemment les troupes pour des œuvres pacifiques. Ainsi les grandes explorations à l'ouest du « centième méridien », dans les Rocheuses, leur ont été confiées; c'est le génie militaire qui fit toutes les recherches préli- minaires pour lé tracé des chemins de fer transcontinentaux. Les travaux publics qui s'entreprennent, non pour un seul État, mais pour l'ensemble de l'Union, par exemple la construction des levées mississippiennes, sont également dirigés par le département miitaire. La nation améri- caine, satisfaite d'avoir amplement fait ses preuves et consciente de sa force, met une certaine coquetterie à comparer l'insignifiance de son armée, en entier composée de volontaires, aux masses puissantes, levées par la conscription universelle, que font manœuvrer les États de l'Europe continentale : il lui plaît d'être au dernier rang pour le chiffre des forces LOIS, ARMÉE ET MARINE DES ÉTATS-UNIS. 809 militaires et de se trouver en même temps au premier pour une si grande part de travaux utiles; c'est grâce à cette absence presque complète d'armée qu'elle peut utiliser à des œuvres productives les énergies qui lui ont donné, au point de vue matériel, son évidente supériorité1. Les recrues sont choisies parmi les volontaires de 16 à 55 ans, blancs ou noirs, ayant au moins 1 m. 55 de taille et s'engageant à servir pen- dant cinq années, avec droit de réengagement. Le coût annuel de l'entre- tien d'un soldat représente une somme de 6 000 à 6 500 francs. Récem- ment on a commencé à recruter des compagnies de Peaux-Rouges, tous excellents soldats. Parmi les volontaires blancs, les désertions sont très nombreuses : plus d'un tiers des engagements annuels. Le corps des offi- ciers, essentiellement aristocratique, ne se recrute point dans les rangs des troupes; il est entièrement formé d'élèves de l'école de West Point, nommés eux-mêmes par la faveur : sur les 514 élèves, dix sont désignés chaque année par le président, et chacun des districts électoraux qui envoie un député à la Chambre des représentants présente tous les quatre ans, par l'entremise de ce député, un élève que l'on reçoit après un examen de simple forme. Cette organisation si peu démocratique a résisté à l'épreuve de {la guerre civile qui pourtant en montra tous les inconvénients et qui obligea le gouvernement à nommer de nombreux officiers supérieurs étrangers à West Point. L'esprit aristocratique de l'école se manifesta clairement dès le début de la guerre, par la défection d'un grand nombre d'officiers qui se joignirent aux révoltés, et par l'indécision de la plupart de ceux qui restèrent dans les rangs de l'armée fédérale. Quant à la marine, elle est proportionnellement plus forte que l'armée : les expéditions lointaines pour les études océaniques, l'éducation des marins et les démonstrations diplomatiques ne pourraient se faire sans un effectif de vaisseaux assez considérable ; mais ces bâtiments sont pour la plupart d'un type défectueux et vieilli ; actuellement on s'occupe de le remplacer par des constructions nouvelles. La part que la marine des États-Unis prend aux travaux publics est encore plus considérable en pro- portion que celle de l'armée. Elle désigne l'emplacement des phares et des feux de port, surveille l'éclairage des côtes, concourt avec les États res- pectifs, les communes, les syndicats maritimes, à établir les stations de 1 Force armée des États-Unis en 1887 : 2 175 officiers. 26 200 soldats. Ensemble 28 575 hommes. xvi. 402 810 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. sauvetage, dresse mensuellement les « cartes des pilotes » (pilol charte) et les plans nautiques, et fait un service international hydrographique d'observations marines1. Les ressources ûnancières ne manquent point aux riches États-Unis pour la construction des forts ou des navires, des levées, des brise-lames ou des phares, car les droits de douane*, auxquels s'ajoutent quelques taxes intérieures et la vente des terres, fournissent amplement aux dépenses offi- cielles de la nation et même lui permettent la prodigalité3; elles lui per- mettent aussi de subvenir largement au service public de la poste, dont on m a fait une entreprise fiscale en d'autres contrées, mais qui aux Etats- Unis coûte plus au Trésor qu'tf ne lui rapporte4. Quant aux lignes télégra- phiques, elles appartiennent à des compagnies privées. Si riche que soit l'Union nord-américaine, la guerre de Sécession pèse encore sur ses finances. D'après les comptes officiels établis après le réta- blissement de la paix, l'ensemble des dépenses imposées au budget fédéral par la formidable lutte s'élevait à 6190000000 piastres, soit à plus de 32 milliards de francs, mais il faut ajouter à cet énorme total au moins une dizaine de milliards dépensés directement par les États de la confédé- ration vaincue, et la valeur des champs dévastés, des routes détruites, des ponts démolis, des cités et des villages livrés aux flammes. Encore dans ces calculs n'énumère-t-on pas l'amoindrissement de la fortune publique prove- nant de la perte d'un million de vies humaines sacrifiées pendant la guerre5. Une évaluation des plus modérées porte à une soixantaine de milliards le déficit direct en produits du travail humain causé par la guerre civile. Il est vrai qu'une grande part de l'énorme fardeau de dépenses fut repor- 1 Phares des côtes de l'Union en 1890 : 802. 1 Revenus de la douane pendant l'année fiscale 1890-1891 : 189000 000 piastres, environ 1 milliard de francs. 5 Budget des États-Unis pendant Tannée fiscale 1890-1891 : Revenus. . . 458 500 000 piastres, environ 2 400 000000 francs. Dépenses.. . 421300 000 » » 2 225 000 000 » Excédent. . . 37 200 000 piastres, environ 175000 000 francs 4 Recettes de la poste aux États-Unis en 1889 : 291 000000 francs Dépenses » » 522 000 000 » Nombre d'articles expédiés : 1 894 433 000 lettres. » » » 375 000 000 cartes postales. » » » 1575 000000 imprimés. 5 Sacrifices en hommes causés par la guerre civile : Union 2 653 000 hommes enrôlés ; 660 000 tués ou blessés. Confédération. . 1 124 000 » » 660 000 » Ensemble. . 3 777 000 hommes enrôlés; 1 520 000 tués ou blessés. ■ ':-'■ '■' *i BUDGET ,DES ÉTATS-UNIS. 815 tée sur l'avenir. La dette nationale, qui n'était que d'un demi-milliard environ avant la guerre, atteignait à la conclusion de la paix près de Station de Sauvetage efoSOJ/WT a^/ûû'TtCMA/j ii milliards et demi, et la charge annuelle dépassait 150 millions de piastres ou 780 millions de francs'. Depuis cette époque, la dette a » Dettedu i- juillet 1861 : 90 580 874 piastres, soit 400000000 francs. n h 1866 : 2 775 356 174 » » 14980000000 u 814 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. graduellement diminué : en 1891, elle est réduite des deux tiers, et les conversions d'emprunts, à moindre taux d'intérêt, n'ont plus laissé que les quatre cinquièmes des charges primitives. Aussi l'administration actuelle dépense-t-elle sans compter; même elle a trouvé, pour se débarrasser de l'excédent des revenus, un moyen fâcheux, entraînant de graves conséquences économiques, celui de créer une classe énorme de parasites vivant aux dépens du budget : en un pays constitué par la libre initiative et le travail, c'est une singulière déchéance que d'intéresser directement les citoyens au gaspillage des deniers publics. La prodi- galité du Trésor est telle, que pour son armée, licenciée depuis un quart de siècle, elle dépense encore plus en pensions et en arrérages de faveurs que l'entretien de leurs prodigieuses forces militaires ne coule annuellement à la France ou à l'Allemagne1. Le nombre des vétérans de la guerre de Sécession existant encore est d'environ 1 200 000 personnes, sur lesquelles on compte plus de 600 000 pensionnés, recevant en moyenne une cinquantaine de francs par mois. Des lois récemment votées augmen- tant le nombre des pensionnaires'de l'armée. A la dette fédérale il faut ajouter celles des États et Territoires, enfin des comtés, des villes et des écoles : le tout s'élève à plus de 2 milliards de piastres, ce qui correspond à une charge d'environ 160 francs par tête, somme minime en comparaison de celle qui pèse sur les habitants de l'Europe occi- dentale *. Le mode d'imposition est loin d'être uniforme pour l'ensemble de l'Union, car, outre les taxes fédérales, l'État, le comté, le township, la ville ont chacun leurs diverses taxes à percevoir. Contrairement aux taxes fédérales, qui sont presque toutes indirectes, les impositions dues à l'État et aux districts locaux sont presque toutes directes; mais aucune loi fixe ne prévaut dans l'assiette de ces revenus. Ainsi, pour la seule taxe sur les 1 Budget militaire des États-Unis en 1891 : Armée 46 000 000 piastres. Marine 52000000 •> Pensions militaires à distribuer en 1891 . 159 000 000 » Ensemble 217 000000 piastres, soit 1 100000000 francs. * Dettes des États-Unis en 1890 : Nationale 891 960 104 piastres Des États et Territoires 228 997 385 n Des comtés 141950 845 » Des villes 725 000 000 » Des écoles 58 500 000 » Dette totale 2 026 408,334 piastres, soit 10 935 000 000 fr. BUDGET DES ETATS-UNIS. 81b sociétés anonymes, il existe dans l'Union treize modes différents d'asseoir l'impôt, sur la richesse, le prix de revient, les actions, les bénéfices ou les dividendes'. D'ailleurs presque toute la richesse « intangible » repré- sentée par des billets, actions et titres de toute espèce échappe frauduleuse- ment à la loi. D'après les statistiques fiscales, elle diminuerait d'année en année, alors qu'elle s'accroît au contraire d'une manière prodigieuse : ainsi, dans le Connecticut, elle était censée former, au milieu du siècle, la dixième partie de la fortune publique, tandis qu'en 1885 elle n'aurait A. Allemagne. C. Cuba. 1. Italie AH. Àutrirhc-nongrir. E. Esp.gDc. 1. 8. Ile» Brilanm AU. Australie F. Fnoce. i. Jm-n. 8. Belgique. B. Gujanes. RU. Brésil. H. Hollande. P. B Puerto-Rico plus été que de 4 pour 100'. Preuve qu'en pareille matière le serment n'arrête qu'un petit nombre de prévaricateurs. Le tableau final donne la liste des Étals et Territoires de l'Union, sans l'Alaska, avec leur superficie en milles et en kilomètres carrés, leur popu- 1 Economise Fronçait, 31 février 1891. * James Brycc, ouvrage elle. 816 NOUVELLE GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE. lation recensée en 1890, la liste de leurs 2798 comtés, leurs cités métro- politaines et chefs-lieux officiels : SUPERFICIE. * 3-2 ES DIV TORUL ■ï £ = CITÉS MÉTROPOLES ÉTATS. Milles Kilo- POPULATION. t- o.2 a «s.î ?, £ s et 2 as anglais mètres U Ct 2 • «2 Chefilieux officiels. 2 g carrés. carrés. t> o 16 1 Maine. 35 040 85 574 660 261 Portland, Augusta. New Hampshire. 9 305 24100 575 827 10 Concord. Vermont. 9 565 24 773 552 205 14 èfontpelier. Massachusetts. 8 315 21536 2 255 407 14 Boston. Rhode Island. 1250 3 238 545 541 5 Providence. • Connecticut. 4 990 12 924 745 861 8 Hartford. g 1 New York. 49170 127 350 5 981 954 60 New York, Albany. « 1 New Jersey, h / Pcnnsylvania. 7 815 20 241 1 441 017 21 Newark, Trenton. 45 215 117107 5 248 574 67 Philadelphia, Harrisburg. Maryland. 12 210 31624 1 040 451 24 Baltimore, Annapolu. O 5 Delaware. 2 050 5 310 167 871 5 Wilmington, Dover. ce District of Columbia. 70 181 229 796 1 Washington. Virginia. 42 450 109 945 1648 911 100 Richmond. North Carolina. 52 250 135 327 1 617 540 96 Raleigh. South Carolina. 30 570 79176 1147161 55 Charleston, Columbia. i Géorgie. 59 475 154 040 1 854 566 157 Atlanta. \ Floride. 58 680 151 981 590 455 45 Jacksonville. Tallahnssee. 1 West Virginia. 24 780 64180 760 448 54 Wheeling, Charleston. Ohio. 41060 106 345 5 660 719 88 Cincinnati, Columbus. Indiana. 36 350 94147 2189 050 92 Indianapolis. Illinois. 56 650 146 724 5 818 554 102 Chicago, Springfield. Michigan. 58 915 152 590 2 089 792 84 Détroit, Lansing. Wisconsin. 56 040 145 144 1 685 697 68 Milwaukee, Madison. Kentucky. 40 400 104 636 1 855 456 119 Louisville, Frankfort. Tennessee. 42 050 108 910 1 765 723 9ft Nashville. • M Alabama. 52 250 135 328 1 508 073 66 Montgomery. | I Mississippi. 46 810 121 238 1 284 887 76 Vicksburg, Jackson. £ 1 Minnesota. 83 365 215 916 1300 017 80 Minneapolis, Saint-Paul. 3 ( North Dakota. 70 795 183 359 182 425 56 Bismarck. | 1 South Dakota. 77 650 201113 527 848 81 Yankton, Pierre. r. Iowa. 56 025 145 105 1 906 729 99 Des Moitiés. o 5 Nebraska. 77 510 200 751 1 056 795 92 Omaha, Lincoln. PS Missouri. 69 415 179 785 2 677 080 115 Saint-Louis, Jefferson CUy. Kansas. 82 080 213 587 1 425 485 111 Kansas City, Topeka. Arkansas. 53 850 139 472 1125 585 76 Little Rock. Territoire Indien. 67 406 174 582 186 490 Tahlcquah, Ockmulgee. Oklahoina. 3 024 7 832 56 564 8 Guthrie. Louisiane. 48 720 126185 1 116 828 59 New Orléans, Bâton Rouge. Texas. 265 780 688 370 2 252 220 244 Austin. f Montana. 146 080 378 347 151 769 16 Butte City, Helena. 1 Idaho. 84 800 219 652 84 229 18 Boisé City. . 1 Wyoming. 97 890 255 555 60 589 12 Cheyenne. g, 1 Colorado. 103 925 269 166 410 975 55 Denver. £ 1 Utah. 84 970 220 072 206 498 25 Sait Lake City. 2S ( New Mexico. 122 580 517 482 144 862 16 Santa Fè. g \ Arizona. 113 020 292 722 59 691 10 Phœnix, Tucson. o Nevada. 110 700 286 715 44 527 15 Carson City. ' * Washington. 69 180 279176 549 516 54 Seattle, Olympia. Oregon. 96 030 248 718 512 490 51 Portland, Salem. Californie. 158 360 410152 1 204 002 55 San Francisco, Sacramento. De savants Américains, parmi lesquels M. Jacques W. Redway, que je suis heureux de remercier ici, m'ont fourni de précieux renseignements pour ce seizième volume de la Nouvelle Géographie Universelle. Partout j'ai trouvé l'accueil le plus empressé, et les bibliothèques m'ont été ouvertes avec une extrême bienveillance. Mais la mer qui sépare les deux Mondes est encore bien large, et pendant mon voyage de recherches aux États-Unis, l'éloignemcnt aurait pu m'ètre funeste. La régularité de la publication hebdomadaire, qui durant dix-sept années n'a pas été interrompue une seule fois, eût été certaine- ment compromise si M. Gh. Schiffer n'avait, jour par jour, heure par heure, pour ainsi dire, veillé à la correction des épreuves, au placement des cartes, à ces mille détails dont il est difficile de se rendre compte quand une œuvre est achevée. Je lui témoigne toute ma gratitude du service capital qu'il m'a rendu dans cette occasion et de tous les soins qu'il a continués à mon ouvrage. Je remercie également du fond du cœur mes collaborateurs habituels. Ds savent quels sentiments je leur ai voués. Plusieurs photographies du volume sont dues à l'obligeance de M. Collcau, de M. de la Sablière, des membres de la Société de Géographie de Paris, de M. Sbalcr et de Mme Caroline Parsons. xvi. 10Ô INDEX ALPHABÉTIQUE1 Abajo (sierra de), 541. Abenaki, Indiens, 57. Aberdeen (Dakota), 464. Aberdeen (Mississippi), 450. Abert Lake, 57G. Acadiens, 477, 490, 498. Accomac (tribu), 57. Achkenazim (Juifs), 676. Achler Kill (Arthur's Kill), Cou- lée de Derrière, 210. Açores, Açoriens, 87, 189, 414. Acushnat, voir New Bedford. Adams (mont), (Montagnes Blan- ches), 110. Adams (mont), (Cascades), 542, 564. Adam 's Knob, 121. Adirondacks, 20, 108, 112, 113, 114, 124, 125, 126, 127, 153, 159, 172, 202. Adour River, 129. Afrique, 605, 693. A fro- Américains, voir Nègres, Agassi z (mont), 531. Agassiz (lac), 506. Akron, 407, 409. Alabama River (theCoosa), 3, 36, 44, 60, 97, 107, 308, 309, 336, 353, 445, 446, 448, 449, 742, 795, 816. Alabama (État de 1'), 123, 293, 294, 446-449, 690, 818. Alachua River, 290. Alameda, 643, 648. Alaska (ancienne Amérique Russe), 5, 6, 20, 29, 45, 64, 594, 600, 631, 638, 723, 798. Albanv (New York), 80, 203, 204,207,208,219,225,226, 251, 749, 818. Albany (Oregon), 654, 655. Âlbemarle Sound, 143. Albina, 634-655. Albuquerque, 621. Aider Gulch, 522. Aléoutiennes (îles), 20. Alelsch (glacier), 304. Alexandria (Louisiane), 354, 380, 491. Alexandria (Virginie), 259, 271. Algérie, 695. Algiers, 495, 496. Algonquins, 57, 43, 44, 55, 57, 58,60, 61,434. Alibamons, Indiens, 60, 289. Alkali Lakes, 576. Alleghanies (mont), 22, 57, 82/107,109,120,122,124, 151, 151, 155, 222, 296, 513, 554, 577, 384, 394, 594, 399, 666, 756, 739. AUegheny (ville), 247, 248, 249. Allegheny River, 244, 247-248, 264, 304, 553, 334, 380, 659, 736, 737, 739. Allemagne, Allemands et Ger- mains, 26, 75, 76, 81, 82, 87, 90, 91, 95, 94, 215, 403, 415, 452, 434, 462, 473, 475, 485, 498, 500, 506, 655, 657, 650 et suiv., 740, 741, 744, 747, 753, 768, 779, 786, 815. Allentown, 252, 255, 249. Almadcn, 729. Alpes, 595. Alta California, 645. Altamaha River, 153. AltaviUe, 31. Alton, 424, 425. Altoona, 244-249. Alviso, 645. Amana, 468, 787. Amargoza (rio), I'Amère, 591. Amboy (Perth Amboy et South Amboy), (port), 218. American River, 566, 658. Amérique, 2. Amérique Centrale, 98, 695. Amérique du Sud, 476, 509. Améthystes (montagne des), 515. Amherst, 191. Amsterdam, 204. Anacostia, 254-258. Anaheim, 646. Anahuac, 36, 66, 538. Anderson, 412. 1 Les numéros précédés d'un astérisque indiquent la page où se trouve la description la plus complète des lieux ou des peuples désignés. 820 INDEX ALPHABÉTIQUE. Andes, 509. Androscoggin River, 125, 162, 165. Angleterre et Anglais, 605, 655, 657, 644, 669, 670, 676, 677, 720, 740, 744, 747, 755, 761. Ann (cap), 175. Annapolis, 252-255, 717, 816. Ann Arbor, 428, 451. Anse (!•), 450. Antelope Mountain, 585. Antilles, 5, 18, 78, 80, 104, 145,149,159,165,241,275, 284, 288, 476, 497, 695, 700, 710, 715, 744. Apache*, Indiens, 65, 67, 68, 75,488,501, 616,622,081. Apalachieola (ville), 294. Apalachicola, ou Rivière des Ap- palaches, 294, 508. Voir Chat- tahoochee. Apostle Islands, les Douze Apô- tres, 455. Appa lâches, Appalachiens ou Palalzi, Indiens, 56, 57, 289, 294, 296, 508, 509, 598, 445, 509, 510, 542, 655, 680, 681. Appalaches (monts), 18,22, 28, 29,57,59,82/107,125,125, 129,151,155,159,145,144, 151, 155,154,159,252,260, 265,264,272,275,277,279, 554,555,555,576,581,582, 585, 584,591, 665,677. Appomatox River, 155, 265, 264, 276, 486. Aquidneck (ou Flottant sur les eaux), 192. Arabes, 695. Archipel des Apôtres, 451. Arequipa, 180. Arizona, 5, 56, 41, 55, 66, 68, 75,592,574,595,599,621, 648, 729, 752, 816. Arizona Citv, voir Yuina. Arkansas River, 7, 62, Rivière Bazire, 501,*545, 546, 547, 548, 552, 555, 556, 567, 589, 594, 478, 480, 482, 485, 484, 487, 525, 527, 610, 611. Arkansas (État de 1*), 500, 550, 476, 482, 484, 490, 690, 774, 816. Arkansas, Indiens, 62. Arlington, 259. Arostook, 160. Arrapahoes, Indiens, 65, 488. Asbury Paît, 785. Afth Creck Butte, 549. Ashevillc, 272, 275. Ashland, 455, 456, 746. Ashley, estuaire, 276. Asie, 605, 644, 666. Asie Mineure, 286. Asinais, Indiens, 499. Assiniboines, Indiens, 62, 605, 751. Astoria, 655. Atchafalava (bayou), 555, 498, 499. Alchison, 480, 481. Athabaska, 54, 65. Athabaskiens, Indiens, 62, 65, 75. Athens, 681. Atlanta, 277, 278, 279, 280, 284, 681, 816. Atlantic Citv, 229. Atlantique, H, 22, 26, 27, 28, 29, 52, 57, 108, 125, 140, 151, 152, 155, 159, 277, 296, 524, 567, 569, 577, 585. 415, 592, 652, 665, 720, 765. Atlakapas ou Mangeurs d'hom- mes (Indiens), 66, 498. Auburn, 165, 225, 224, 226. Augusta (Maine), 162, 886. Augusta (Géorgie), 280, 284. Aurora, 425, 425. Au Sable (rivière), 114. Austin, 506, 507, 816. Australie, Australasie, 476, 644, 656, 744, 751, 795. Autriche-Hongrie et Austro- Hongrois, 245, 671, 676. Avesnes (ville), 80. Aztèques, 56, 68. B Bahama (détroit), 146. Bahama (îles) , 145, 146, 149, 151,272,689. Baie des Puants (Green Bay), 507, 425, 454, 455, 456. Baker (mont), 542. Bald Mountain, 51, 121. Baldy Peak, voir San fiernardino. Baldy Peak (mont Chauve), 528. Balizc (la) (village), 560. Ballston Spa, 204. Baltimore, 52, 159, 152, 155, 220, 241, 250, 251, 252, 255, 267, 665, 666, 816. Bangor, 162-166. Barataria (baie), 559. Barbade, 82-96, 689. Bar Harbor, 166, 804. Barnegat (baie), 250. Barnstable, 187. Bath, 165, 204, 226. Bâton Rouge, 557, 579, 491, 499, 816. BatUe Creck, 428, 451. Bay City, 451. Bavonne (>cw York), 210, 227, 251. Bear Lake ou Lac de l'Ours, 585. Bear River ou Rivière de l'Ours, 552, 585, 584. Béatrice, Queen of the Blue. 472. Beaufort, 276, 277. Bedloe's Island, 217. Belfast, 81. Belgique et Belges, 649, 671, 744. Belknap (mont), 552. Bellaire, 406. Belle-Isle (détroit), 107, 455. BelleviUc, 424. Bellevue, 405. Bellow's Falls, 172. Belmont, 544. Bcll'sPeak, 512. Benicia (Venise), 645. Benton Fort, 524, 529. Bergen (péninsule), 210. Bering (mer de), 105. Berkeley, 645. Berkley, 210, 271. Berks, 255. Berkshire Hills, 112. Bcrmudes, 272, 680. Berthold (Fort Berthold), 462. Bcssemer, 450. Bethlehem, 255. Biddeford, 166. Big Belt Mountains (Monts de la Grande Ceinture), 528, 510, 605. Big Black River, 567. Big Blue River, 472. Big Cheyenne River, 550. Big Lick, voir Roanokc. Big Hole River, 520, 521. Big Horn Mountains, 510, 512, 519. Big Horn River, 527, 528, 604. Big Muddy River, 524. Big Rock ou le Gros Rocher, 485. INDEX ALPHABÉTIQUE. 821 Big Sandv River, 459. Big Sioux River, 329, 462, 463, 466. Big Springs, 264. Biloxi, 558, 450. Binghamton, 225, 226. Birmingham (Etats-Unis), 294, 447, 449, 659. Biscayne (cap), 146, 147. Bismarck, 462, 816. Bistineau (lac), 554. Black Butte (Butte Noire), 545. Black Doine (Dôme Noir, mont), 109,117. Black Feet, voir Pieds-Noirs. Blackheath, 92. Black Hills, 300, 462, 463, 464, 520, 522, 660, 684. Black Mountains (les Montagnes Noires), 108,110, 120, 520, 608. Black River (la Rivière Noire), 346, 355. Blackstone River, 189, 193, 194. Black Swamp, 406. Blaine, 651. Blair s Gap, 244. Blanca, Sierra Blanca, 375. Block Island, 137. Blood Indians (Indiens de Sang), 605. Blood Mountains, 121. Bloomington (Ville Florissante), 424, 425. Blue Mountains, 232, 235, 243, 540, 563. Blue Ridge (Côte Bleue), 108, 109, 120, 135. Bodega, 658. Bois Brûlés, 688. Boisé City, 607, 816. Boisée (la rivière), 607. Bombav, 741. Bonneville (lac de), 580, 581, 582, 585, 586, 612, 626. Bonnet Carré, 558. Bonpland Peak, 540. Borgne (lac), 565, 449, 496, 498. Boston (baie), 79. Boston et Bostoniens, 84, 87, 88,122, 152,176,168, 171, 175,-177,185,187,192,217, 251, 410, 592, 657, 665, 665, 676, 691, 760, 772, 774, 792, 816. Boundary Pass, 510. Bowling Green, 459, 442. Braddock's Field, 249. Bradford, 756, 769. Brady's Creek, 594. Braincrd, 457. Bravo del Norte (rio),512, *573, 374,375,376. Brazos (rio), 301, 375, 389, 505, 506. Breckenridgc, 457. Brésil, 693, 747. Brest, 186. Bretons, 75. Bridgeport, 201. Bridger (plaine de), 532. Brighton, 185. Bristol, 79, 765. Broc k ton, 189, 192. Bromlcv, 407. Bronx (rivière), 209, 220. Brook Farm, 787. Brookline, 178, 185, 192. Brooklyn (Illinois), 477. Brooklyn (New York), voir New York. Brown (vallée), 316. Browns ville, 507. Brunswick, 164, 285. Budapest, 545. Buena Guia (rio de), rio del Co- ral, voir Colorado. Buflalo, 221, 225, 226, 580, 405, 405, 668, 738, 748, 756, 787. Buflalo (bayou), 505. Buflalo Peak, 550. Burlington, 172, 465, 468. Bush Creek, 54. Butte City, 605, 606, 816. Buzzard's Bay, 187. Bvzance, 262. Cabo de Lodo (cap de Boue), 563. Cache Creek, 519. Caddo (lac), 354. Caddos, Indiens, 65, 66, 498. Cadiz, 152. Cahokia, 477. Cahokia, Indiens, 57, 424. Cairo, le Caire (ville), 17, 355, 542, 556, 566, 577, 424, 425. Calais, 162.166. Calapooya (mont), 553. Calaveras, 31, 601. Calcassieu (soufrières et rivière), 364. Californie, 4, 6, 7, 10, 20, 28, 31, 84, 87, 90, 94, 100, 538, 545, 546, 550, 552, 566, 592, 593, 595, 599, 601, 610, 628, 632, *636 etsuiv.,666,682, 706, 708, 709, 710, 711, 712, 726, 729, 756, 757, 754, 782, 786, 816. Californie (péninsule), 22, 69. Caloosahatchee River, 286. Calumet (Rivière du), 430. Calumet (bayou), 519. Camas River, 565. Cambridge, 178, 180, 185, 185, 192 194 770. Camdcn, 226, 251, 258, 249. Canada et Canadien*, 58, 75, 81, 87, 108, 194, 312, 592, 595, 596, 410, 426, 452, 457, 458, 462, 465, 480, 510, 528, 557, 605, 609, 655, 667, 668, 676, 679, 744, 755, 760, 776, 777, 778. Canadian River, La Canadienne, 501, 545, 555, 484, 485, 488, 528, 680. Canandaigua (lac), 508. Canaries, 498. Caf&averal (cap), 147. Cannon Bail River (Rivière aux- Boulets), 529, 465. Canons du Colorado, *567, 571. Canton (Mississippi), 640. Canton (Ohio), 406, 409. Cape Cod, 20, 155, 156, 157, 185, 187, 188, 724. CapcFear, 60, 82, 125, 145, 272. Cape Flattery, 26, 64. CapeFlorida, 147,148. Cape Girardeau, 535, 542, 544, 557, 558, 477, 478. Cape Hatteras, 145, 149, 272. Cape Hoorn, 565. Cape May, 159, 229. Cap Français, 455. Carlislc, 245, 688. Caroline, les Carolincs, 76, 78, 121, 147, 508, 594, 487, 650, 654, 705, 709. Caroline du Nord (État de la), (NorthCarolina),58,81,120, 122, 140, 145, 202,*271, 445, 676, 692, 699, 774, 790, 816. Caroline du Sud (État de la), (South Carolina), 57,82, 145, *275, 277, 285, 590, 490, 691, 692, 695, 759, 816. 1 822 Caroline (fortin), 76. Carquinez (détroit), 043. Carriso (sierra de), 541. Carson City, 603, 626, 627, 816. Carson Désert, 586. Carson Lake ou Sink, 586, 627. Carson River, 586. Casa Grande de Montezuma, 67. Cascade Range (Chaîne des Cascades, 63, 510, 535, 542, *544, 553, 561, 564, 505, 566, 592, 628, 631, 633, 654. Casco (baie et archipel), 164, 166. Castle Pcak, 529. Cataract Canon (du Colorado), 571. Catawbas, Indiens, 61. Catskills (monts), 108, 114, 117, 128, 129, 131, 202, 207. Catskill River, 114, 117. Cayes, 148. Cayuga (lac), 223, 308. Cayugas, Indiens, 59. Cedar Falls, 465. Ccdar Keys, 145, 289. Cedar Rapids, 465, 468. Cedar River, 316. Celtes, 75, 487, 669. Central Citv, 610. Cervin, 552. Chamberlain, 465, 464. Champlain (lac), 8, 20, 108, 112, 114, 125, *126, 172, 202, 203, 749. Chanccllorsville, 262. Chandler, voir Yorkmouth. Changhaï, 637, 644, 745. Charles (cap), 250. Charlesfort (ilôt), 76, 273. Charles River, 177, 180, 183, 183. Charleston (South Carolina), 76, 82,152,153,177,180,184, 273, *274, 275, 276, 277, 399, 400, 691, 818. Charleston (West Virginia), 599, 818. Charlestown, 399. Charlotte, 225. Chaltahoochec, ou Rivière des Houchees ou Uches, Chat- tahouchc, voir Apalachicoln, 277, 279, 280, 294, 308, 446, 4$6. Chatlanooga, le « Nid du Cor- beau », la « Porte du Sud », 445, 444, 446. Chautauqua (lac), 225, 554. INDEX ALPHABÉTIQUE. Cheerv Creek, le Ruisseau Joyeux, 610. Chehalis River, 553, 557. Chelly, canon, 620. Chelsea, 184, 192. Chemung River, 225. Chenango (rio), 226. Cherokees, Indiens, 36, 37, 38, 59, 60, 61, 73, 443, 486, 487, 488, 680, 681. Chesapeake, 26, 57, 78, 130, 131, 133, 139, 140, 143, 249, 250, 252, 267, 271, 711, 724, 769. Chester, 241, 249. Chester River, 712. Chestnut Hiil, 125. Chevenne River, 17, 563, 520, 702. Cheyennc, 17, 608, 659, 816. Cheyennes, Indiens, 488, 605. Chicago River, 417, 418. Chicago, Chikak-Ouk (le Lieu des Civettes), 178, 220, 236, 519, 377, 403, 406, 407, 408, 411, 412, 415, 414, *415, 416, 425, 428, 452, 435, 474, 476, 634, 657, 658, 665, 668, 720, 758, 741, .748, 753, 756, 760, 816. Chickamauga River, 444. Chickasawha River, 451. Chickasaws, Indiens, 60, 453, 488, 680. Chicopee, 191, 192. Chihuahua, 594, 613. Chikchak, 107. Chili et Chiliens, 87, 648. Chillicothe, 407, 666. Chine et Chinois, 87, 99, 100, 213, 605, 606, 634, 640, 644, 643, 671, 672, 732, 747, 753. Chinooks, Indiens, 40, 65, 64, 66. Chippewa River, 316, 436. Chippewas, Indiens, voir Od- jibways. Chitimacha, Indiens, 66. Chocolaté Mountains, 574. Choctaws, Chactas, Indiens, 57, 38, 60, 487, 488, 680, 682. Chowan (Indiens), 58. Christiania, 251. Cimarron River, « la Fugitive >), 345, 355, 484, 488. Cincinnati, Losanti ville, Porco- polis, 505, 504, 354, 338, 381, 407, 408, 409, 440, 457, 658, 666, 668, 748, 786, 816. Cincinnati Aiis, Axe de Cincin- nati, 296. Clallam (Indiens), 64. Clarke's Fork (Columbia), 558, 560, 562, 606. Clarke's Pcak, 525. Clarksville, 411, 412. Clearwater River, 564. Cleveland, Forest Citv, 280, 581, 405,404, 668/738. Cliff-dwellers, voir Falaisiers. Cliff Lake, 562. Clinch River, 555, 336. Clingman's Dôme, 120. Cloud Peak, 512. Coahuila, 554, 574. Coast Range (Chaîne Côtière), 546, *553, 554, 555, 565, 566, 595, 596, 599, 601, 628, 634, 636, 658, 730. Cocheco (cascade), 168. Cochetopa (mont), 531. Cochiti (Indiens), 73. Cocopa (Indiens), 66. Cœurs d'Alêne, Queurts d'Ha- leine, Indiens, 65, 607. Cœurs d'Alêne (lac des), 561. Cohoes (cataracte), 127. Cohoes, 204, 226. Colombie Britannique, 65, 595, 600. Colombiens de Vancouver, In- diens, 63. Colorado (désert du), 592. Colorado ( chaîne du ) , voir Montagnes Rocheuses. Colorado (Fleuve Rouge), 10, 65, 66, 68, 75, 501, 527, 512, 394, 506, MO, 521, 526, 530, 532, 556, 557, 541, 554, 562, 563, *567, 574, 575, 576, 607, 622, 625, 626, 636. Colorado du Texas, 575. Colorado (n,tat du), 4, 345, 474, 532, 591, 599, *608, 612, 706, 727, 734, 816. Colorado Springs, 527, 612, 629. Columbia, voir District Fédéral. Columbia River, dite autrefois Oregon, 4, 8, 10, 20, 63, 64, 75, 511, 312,524,327, 512, 532, 558-540, 542, 545, 555, *557, 558, 561, 562, 564, 565, 567, 576, 580, 594, 596, 604, 606, INDEX ALPHABÉTIQUE. 823 607, 612, 62G, 628, 652, 655,654,635,637, 723-724. Columbus, 280, 284, 407, 409, 816. Comanches, ou Nayouni, les Voisins , Indiens , 65, 66, 488, 501, 681. Comstock Lodc, 627. Conanicul Island, 194. Gonchos (no), 575. Concord, Pcnacook, 168, 174, 185, 814. Conedoguinat River, 24ô. Conemaugh River, 245, 580. Coney Island, 220, 229. Gongaree River, 274. Congo (État du), 694. Connecticut River, M 25, 166, 171, 172, 190, 191, 197, 199. Connecticut (État du), 80, 84, 108, III, 121, 122, 124, 129, 192, M96, 201, 657, 786, 795, 807, 815, 816. Continental Divide, 531. Contra Coàta (Chaîne de la Contre-Côte), 554. Cooper (estuaire), 276. Coosa, voir Alabama River. Coppcr Harbor, 450. Corbeaux, Indiens, 65, 605, 681. Cornell, voir Ithaca. Corning, 467. Cornwall, 243. Coronado (péninsule), 648. Corry, 244. Corvallis, 654. Coteau (le), 461. Coteau des Prairies, 298. Coteau du Missouri, 299, 462. Côtes Brûlées, 299. Cottonwood Falls, 480. Cottonwood River, 480. Council Bluffs , Falaises du Conseil, *466, 468, 471, 472. Covington, 407, 440, 442. Coyote (rio), 645. Crater Lake, 545. Creeks ou Muscogees, les Gens du Marais, 36, 38, 51, 61, «8, 280, 488, 489, 680, 681. Crefcld, 242. Crescent City, 658. Crisfield, 252, 724. Croates, 671. Cross Timbers, 589, 590. Croton (rio), 215. Crystal City, le Saint-Gobain de 1* Amérique, 476. Cuba et Cubains, 3, 98, 103, 120, 148, 288, 289, 496, 693, 710, 753. Cumberland, 252, 253. Cumberland Gap, 459, 441, 659. Cumberland Mountains , 296 , 335, 528. Cumberland River, 535, 336, 441, 445. Cuyahoga River, « la Tortueuse », Rieu Tors, 405, 404. Cyprès (monts), 524. Cypress Point, 645. Dahlonega, 284, 681. Dakota, voir James River. Dakota (États du Dakota Nord et du Dakota Sud, 62, 597, *461, 464, 466, 684. Dakoiahs, Indiens, 62, 454. Dallas, 501, 507. Dalles (les), 63, 542, 564, 594, 654. Dana Peak, 589. Danemark et Danois, 95, 670. Danube, 545. Davcnport, 425, *465, 468. Davidson (mont), 627. Dayton, 407, 409. Deadwood, 464. Dearborn, 414. Death Valley (Vallée de la Mort), 540,552,591. Deer Island, 185. Défilé Royal, 611. Delaware River, 52, 57, 58, 117, *129, 150, 159, 202, 207, 226, 228, 251, 252, 256, 241, 658, 669. Delaware Bay, 159. Delaware (État du), 250, *255, 254, 654, 706, 711, 806. Denver, 578, 509, 551, 567, 609, *610, 611, 612, 659, 668, 816. Deschutes River (Chutes, Chut- les),564, 654. Voir Columbia River. Descrct, 615. Des Moines, Des Moins (rapide), 516. Dcsinoines, Des Moines (ville), 466, 407, 468, 816. Desmoines River, 516, 466. De Soto, 451. Détour à l'Anglais, 498. Détroit, 426, 427, 428, 451, 816. Détroit River, 747. Devil's Lake (lac du Diable), 506, 459. Dcvil's Tower, 520. Diegunos (Indiens), 66. Digqers ou Fouisseurs, Indiens, 59, 64, 65. Dismal, Grcat Dismal Swamp (marais), 140, 145, 271. District Fédéral ou Columbia, 20, 153, 173, *254, 260, 274, 277, 654. Dixie, 15. Dolores (rio), 550. Dorchester, 177. Dover, 168, 253, 254, 816. Druid Hill, 251. Drum Lummon, 606. Dry River (la Rivière Sèche), 545. Dubuque, 381,*465, 468, 750. Duluth, 26, 220, 577, 430, 456, 455, 456, 458, 461. Dunkirk, 221. Duquesne (fort), devenu Pitt, ou Pittsburg. Duxburv, 186, 201. Eagle Pass, 507. Eagle River, 450. Eastcrn Shore du Maryland, 250, 252, 255. East Humboldt (monts), 540. Easton, 252, 255. East River, 129,209, 210, 215, 214, 217, 218. East Saint Louis, 477, 478. Eau Claire, 456. Economy, 787. Ecore à Margot, 445. Ecosse et Ecossais, 81, 82, 272, 669, 671, 762, 775, 786. Egypte, 714. E-hank-to-ouana. Voir Yankton- nais Elbe, 755. Elgin, 425. Elizabeth, *227, 251, 270, 742. Elkhorn River, 440. Elk Mountains (Montagnes de l'Élan), 529,541. 824 INDEX ALPHABÉTIQUE. Ellislsland, 217. Elmira (ville), 225-226. El Paso, 603, 507. El Presidio, 507. Emmons (mont), 531. Enola (monts), 121. Erie, les Chats, Indiens, 223. Eric (lac et canal), 58,202,207, 219, 221, 225, 251, 232, 534, 579, 380, 400, 405, 404, 405, 406, 411, 425, 580, 711, 747. Erie (ville), 244. Escanaba, 430, 748. Esclaves (lac des), 394. Esopus (mont), 117. Espagne, Espagnols, Castillans, 2, 3, 6, 28, 45, 76, 85, 84, 97,284, 289,290,293,451, 498, 499, 500, 506, 625, 645, 706, 732, 768, 777. Esquimaux, 52. Etchemins, Gens des Canots, Indiens, 57, 160, 680. Etroits (les). Voir Narrows. Eugène City, 654. Eurêka, 658. Eustis (lac), 328. Evangcline, 498. Evans (col d'), 521, 522, 608. Evansville, 411, 412. Evergladcs ou Pai Oki (le Lac Herbeux), 146, 147, 159,287. Façade (Monts de la), voir Front Range. Falaisiers, Cliff-dtvellers, In- diens, 68, 70, 620, 622. Fall River, 189-192. Falmouth, 165. Falls Citv, voir Louisville. False Washita River, 553, 488. Fargo, 462. Fayal, 189, 414. Feather River, voir Plumas. Fergus Falls, 457. Fernandina, 145, 289. Findlav, 406, 409. Fire Uole (ruisseau des Trous à Feu), 514, 519. First Bclt (monts), 117. Fishkill, 208. Fitchburg, 189, 192. Flathead River, 561. Fiat Heads, Têtes Plates, In- diens, 605. Flint River, 308. * Florence, 393, 417. Florence (Alabama), 447. Florence (Kansas}, 480. Florida Kcys, 147. Floride (État de la),lcsFlorides, 3, 6, 7, 18, 22, 52, 54, 56, 40, 60, 76, 78, 85, 96, 97, 133, 145, 145, 146, 149, 151, 152, 159, *286, 568, 597, 488, 489, 596, 656, 680, 681, 705, 710, 712. Florides (détroit des), 148. Fond du Lac, 433, 434, 435, 436, 455. Fontaine de Jouvence, 290. Fontaine Qui Bouille, 612. Fordham, 210. Forêt Noire, 91. Fort Ancient, 54. Fort Belknap, 505. Fort Bridger, 596. Fort Carillon, 126. Fort de Chartres, 424. Fort Douglas, 614. Fort Duqucsne, voir Pittsburg, 736. Fort Gibson, 487. Fort Jackson, Louisiane, 498. Fort Laramie, 596. Fortress ou Fort Monroe, 267, 270. Fort Riley, 479. Fort Rock, 625. Fort Rosalie, 455. Fort Scott, 481. Fort Smith, 484. Fort Snelling, 516, 577, 586, 454. Fort Sumter, 275. FortWavne, 410, 411, 412. Fort Worth, 501, 507. Fourche des Passes, 559, 360, 566. Fox River, Rivière du Renard, 307, 423, 451, 454. France et Français, 5, 6, 28, 40, 60, 76, 82, 85, 84, 94, 97, 215,246,247,274,277, 295, 566, 410, 429, 450, 455, 475, 490, 497, 500, 657, 649, 656, 658, 669, 671, 675, 740, 741, 744, 755, 767, 774, 777, 786, 796, 798, 799, 815. Frankfort, 440, 442, 816. Franklin (mont), 110. Franklin, 244. Frederica, 285. Fredericksburg, 262. Fredonia, 221, 758. Fremont (col de), 531 . Fremont Pcak, 512. French Broad River, 553, 445. Fresno, 639, 648, 711. Frisco, voir San Francisco. Front Range, Monts de la Fa- çade, *525, 524, 527, 529, 552, 550, 612, 659. Funeral Mounts (Montagnes Fu- néraires), 591. Gadsden (territoire), 5. Gaëls et Gallois, 75, 231, 670, 671. Galena, 425, 465. Galisteo (rio), 375. Gallatin River, 321. Gallia, 406. Gallipolis, 406, 409. Gallitzin (ville), 244. Galloway, 40. Gai veston (île, ville et baie), 578, 580, 501, 502, 505, 507. Garden of the Gods, Jardin des Dieux, 527. Gardiner River, 513. Gaspé (baie), 107. Gaspésie, 107. Gaule, Gaulois, 54. Genessce River, 223, 306, 307, 749. Gène va (ville), 225. Georgetown, 254-276. Géorgie (État de la), 56, 57, 82, 121, 135, 143, 147, 152, 159, *277, 289, 508, 390, 445, 488, 654, 690, 692, 696, 699, 705, 725, 743. Géorgienne (baie), 428. Germantown (Ville Allemande), 242. Gervais, 635. Gettvsburg, 243, 244. Gila," Rio Gila, 4, 22, 66, 07, 68, 500, 574, 595, 605, 604. 622, 625. Gilbert' s Peak, 551. Girardcau Cape, 335, 542, 344, 357, 358. Glacial (Océan), 22, 382. Glcn Caûon du Colorado, 571. Glen Island, 221. Glen's Falls, 126. INDEX ALPHABÉTIQUE. 825 Glouccster, 175, 192, 231, 258, 249. Godin, Losl River ou Rivière Perdue, 563. Golden Citv, 610. Golden Gâte, Porte d'Or de San Francisco, 566, 594, 640. Golden Gâte (Colorado), 610. Gold Hill, 627. Golfe Mexicain, Golfe du Mexi- que, 22, 26, 28, 57, 251, 277, 300, 508, 511, 519, 521, 529, 555, 555, 555, 556, 581, 582, 424, 596, 648, 652, 655. Golfier (Courant), 27, 159, 147, M48, 149, 151, 289, 555, 566, 568, 569. Goose Lake, 566. Governor's Island, 217. Granbv, 478. Grand Bassin. Voir Grcat Basin. Grand Canon, 510, 571, 575. Grande Coulée, 561. Grande Vallée, 120. Grand Forks, 462. Grand Geysir, 514. Grand Gouffre, Grand Gulf, 556. Grand Haven, 429. Grand Island, 221, 450, 472. Grand Junction, 572. Grand Lac Salé, Great Sait Lake, 552, 540, 579, *580, 584, 612, 724, 780. Grand Manitoulin, 57. Grand Mesa (Gran Mesa), 556. Grand Nord, 54. Grand Rapids, 429, 451. Grand River, Grande Rivière, 507, 545, 427, 429, 526, 529, 550, 556, 567, 572. Grands Lacs, 14„ 19, 22, 26, 28, 56, 57, 57, 58, 85, 125, 202, 219, 221, 228, 251, 552, 578. 580, 581, 582, 394, 400, 405, 410, 415, 414, 424, 450, 454, 455, 653, 665, 720, 748, 747, 749, 760, 777, 782. Grand Tower, 352, 555. Gran Qui vira, 621. Grassy Ridge, Crète Herbeuse, 120. Great Basin, Grand Bassin d'Utah, 551, 552, 540, 541, 546, 550, *570, 579, 580, 586, 591, 605, 612, 615, 627. Grcat Basin (Tennessee), 297. Great Belt (monts), 519. Great Bend, Grand Coude, 561. Grcat Fall, cascade du Missouri, 524. Great Kanawha River, 254. Great Mound, the Grande Motte, 409. Grcenbush, 204-226. Green Mountains, 107, 108, 41 1 , 112,125,155,155,171,172. Green River, 296, 5*27, 555, 556, 545, 585, 411, 550, 552, 567. Greenville, 210, 451, 454. Green wood, 220. Gréer, 499. Grclna, 495. Greylock, 191. Grizzly Peak. Voir San Bernar- dino. Groenland, 502, 506. Gros Ventres, Indiens, 605, 681. Grotte du Mammouth. Voir Mam- moth Cave. Guadalupe Hidalgo, 105. Gunnison River, 556, 572. Gunpowder, 251. Guthrie, 489, 814. Guyot (mont), 120. H Hackensack (estuaire du), 210. Hagcrstown, 255. Haïti, 695. Hallett's Glacier, 527. Hall's Ledge, 155. Hambourg, 95, 280. Uamilton (mont), 554, 595, 645. Ha mil ton, 409. Hampton (Hampton Collège), 267, 268, 688. Hampton Roads, 267. Hannibal, 475, 478. Harlem River, voir East River. Harney's Peak, 520. Harper's Ferry, 152, 399, 400. Uarrisburg, 153, *245, 249, 758, 816. Harrisonburg, 264. Hartford (Suckeag), 197, 198- 199,201, 816. Harvard (mont), 345, 529. Hastings, 472. Hauteur des Terres, 20, 110, 112, 124, 125, 514, 454. Havaiï (îles), 14,105,476,644, 710. Havane (la), 147, 287, 560, 476. Haverhill, 175, 192. Havre, 455. Havre de Grâce, 250. Hawk's Bill (mont), 119. Hayden Peak, 512. Healing Springs, 264. Helderberg Hills, 114. Helena (Arkansas), 7, 484. Hclena (Montana), 605, 606, 816. llell Gale, Porte d'Enfer, New York, 129, 218. Hellgale River, 561. Hennepin (île), 457. Henry Cape, 145. Henry Lake, 562. Henry Mountains, 541. Henrv's Fork, 562. Herculanum, 555. liesse, Hessois, 92. Hidatsa, Indiens, 62. Highlands appalachiens (Hautes- Terres), 108, *I 12, 128,209, 296, 297,298. Highwood Peak, 519. Ilingham, 185. Hoang-Ho, 298. Hoboken, 210, 214, 227, 251. Hodenosaunie, Gens de la Lon- gue Cabane, Indiens, 59. Hollande, Hollandais, 26, 79, 80, 82, 91,96, 489, 669. Holmes (mont), 512. Uolston River, 555, 445. Holy Cross Mountain, Montagne de Sainte-Croix, 529. Holyoke (mont, défilé), 1 1 1 , 1 25. Uolyoke, 190, 192. Uomewood, 755. Hongkong, 644. Uood (mont), 545, 546. Hoopas, Indiens, 64. Hoosatonic River, 112, 125, 191, 201. Hoosic, Hoosac, 108, 112,191, 192. Horseshoe, Fer à cheval, 548. Uot Springs (Arkansas), 485, 484. Ilot Springs (Virginie), 264. Houston, 505, 507. Ilu-ah-hum (mont), 545. Hua lapai y Indiens, 66, 622. Uudson (ville), 128, 207. Uudson (fleuve et rade), 20, 57, 80, 108,112, 114,117,125, 121, 125, *I26, 127, 128, 129, 183, 202, 205, 204, XVI. lOi 820 INDEX ALPHABÉTIQUE. 207, 209, 210, 214, 217, 219, 220, 221, 225, 227, 228, 236, 567, 658, 669, 749, 762, 769. Hudson (Mer de), 305, 535. Humboldt Sink, 586. Hunter Mountain, 117. Huntington, 400. Huron Lakc, 532, 379, 382, 425, 428, 429, 747. lluron (lac), 747. Huron*, Indiens, 37, 43, 44, 57. 58, 85, 405. Iberville (bayou), 356. Ida (mont), 204. Idaho (État d'), 562, 600, 606, 607, 729, 798. Idaho City, 607. Iles Britanniques, Grande-Bre- tagne, Angleterre, Anglais, 2, 5, 6, 26, 28, 40, 75, 76, 78, 87, 184, 246, 247, 577, . 410, 426, 429, 649, 671, 752, 759, 740, 741, 744, 774, 795, 797, 798. Illinois (Etatd'), 56, 84, 95, 297, 505, 552, 585, 584, 591, 594, 405, *4 12-425, 464, 628, 651, 657, 658, 668, 678, 711, 720, 721, 755, 752, 767, 779. Illinois, Indiens, 57, 57, 425. Illinois (rivière des Illini ou des Hommes), 85, 516, 519, 415, 414, 425, 424, 474, 748. Inde, 714, 809. Independence (ville), 475, 478. Independence Bock, 512. Indiana (État), 84, 95, 552, 556, 584, 406, *409-412, 427, 658, 666, 651, 711, 719, 756, 757, 752. Indianapolis, 409, 410, 412, 658, 666, 816. Indianola, 506. Indiens, Peaux-Rouges, 17,29, *51, 75, 76, 104, 299, 400, 407, 409, 410, 426, 455, 456. 440. 454. 461, 468. 477, 519, 557, 599. 602, 612. 616, 620, 622, 625, 628, 657, 645. *678-688, 694, 706, 777. Indo-Chine, 644. ! Indus [fleuve), 553. lowa (Etat de 1'), 57, 506, 532, 579, *464-468, 718, 752, 787, 791. lowa City, 465, 467. lowa River, 516. lowas ou les Lourdaud», In- diens, 62, 464, 465, 488, 489. Irlande et Irlandais, 76, 81, 82, 87, 88, 90, 91, 92, 94, 95, 194, 215, 272, 415, 668, 669, 670, 661, 676, 765, 776, 777. Iron Mountain, Iron Mountains, 500, 477, 478. Ironton, 478. Ironwood, 450. Iroquois, Indiens, 56, 57, 38, 40, 44, 58, 59, 202, 223, 487, 678, 735, 736. Islande, 514. Isle Royale, 35, 431, 729. Is lingues y Islehos, 498. Italie et Italiens, 87, 95, 189, 213, 637, 665, 670, 671, 676, 777, 796. Itasca (lac), 312. Ithaca (ville), 225. Jackson (Michigan), 428, 451. Jackson (Mississippi), 451, 454, 816. JacksonviUc, 285, 286, 294, 816. Jamaïque, 96, 689. James ou Dakota River (la Ri- vière à Jacques), 78, 79, 155, 159, 140, 262, 265, 264, 267, 298, 299, 329, 582, 589, 462, 486. Jamestown, 78, 585. Japon et Japonais, 87, 595, 654, 644. Jefferson (mont), 110, 545, 546. Jefferson City, 474, 478, 816. Jefferson River, 521, 522, 524. Jeffersonville, 410, 412, 440, 442. Jemez ou Vallatoa Pueblos, Indiens, 75. Jersey Citv, 210, 211, 216, 217,226, 227, 251. Jicarillas, Indiens, 75. Job's Peak, 587. Johnstown, 245, 249, 580, 742. Joliet, 425, 425. Joplin, 477. Jordan River (Jourdain), 532, 580, 583, 613. Juan de Fuca (détroit), 4, 555, 652. Juifs, Israélites, 87, 94, 215. 251, 671, 676, 677, 700. Junandat (fort), 405. Juniata River, 151, 244. Jupiter Inlet, 147. Jura, 568. Kaihab (mont), 557. Kalamazoo, 429, 451. Kanab Wash ou Kanab Creek, 575. Kanahta, Eau d'Ambre, Canada Creek, 127. Kanakes, 87. Kanawha River, la Petite et la Grande, 108, 133, 242. 264, 598, 599, 400, 406, 666. Kankakee (River et ville), 425. Kansas (État du) , Sunflower State, Etat du Tournesol, Bleeding Kansas, l'État Sanglant, 98, 589, *478-482, 610, 666, 709, 710, 718, 769. Kansas Citv et Missouri (Kansas). 529, 475, 474, 478, 481, 659, 720, 756, 816. Kansas River, la « Fumeuse », 62, 550, 545, 392, 472, 478, 479. Kansas, Indiens, 62, 488. Karg Well, 406. Kaskaskia, Indiens, 57, 424. 425, 497. Kasr-el-Moudenni, 70. Katahdin (mont), 14, 111, 125. Kaweah, 787. Kearsage (mont), 111. Kenduskeag River, 162. Kennebec River ou Kennebeck. 125, 162-165. Kensington, 659. Kentuckv (État du). 26, 45, 57. 82, 84, 89, 90. 125, 296. 505, 504, 555, 556, 557, 568, 583, 385, 586, 595, 425, *459-442, 488, 651, ISDEX ALPHABÉTIQUE. 827 675. 678, 681, 713, 719, 736,741. Kentuckv River, 335, 536, 439, 440. * Keokuk, le « Renard en Éveil », 466, 468. Kettle Faits, la Chaudière, 56 1 . Keuka, Crooked Lake, Lac Tors, 508. Keweenaw (péninsule), 55, 430, 751. Kev West, Cavo Uueso, Cave de l%Os, *26, 147, 148, 152, 287, *288, 289, 293, 294. Kickapoos, Indiens, 57, 488. KillvanKull(bavou), 210,217. Rings River, 552, 601. Kingston, 207, 226. Kiowas, Indiens, 488. Kittatinv (mont), 417, 119, 129, 130. Kittery (presqu'île), 168. Kjalarnaes ou Cap de la Quille, 157. Klamath, Rogues ou Coquins, Indiens, 64, 566. klamath (lac et vallée), 64,566. Klamath River, 545, 566, 576, 601. KliketaL Indiens, 64. Knoxville, 443, 456. Kokomo, 412. Kootenav River, 558. Kwei Chau, 729. Labrador, 20, 57, 107. Lie des Bois (Lake of the Woods), 2, 4, 21, 454. Lac George (Lake George), 20. 125, 126. 203, 286. Lacs, voir Grands Lies Lacs des Iroquois ou des Six Na- tions, 307, 308. La Crosse (rivière, poste, ville), 452, 456. Lac Salé, 613, 614. Lac Supérieur, 20, 55, 57, 58, 153, 322, 579, 384. Lafayette (mont), 110. Lafavelte, 411, 412. Lafourche (bavou),555f 556. Lahontan (lac), 585, 586, 626. Lancaster, 245,249. Languedoc, 82, 749. Lansing, 427, 451, 816. Lansingburg, 204. Laramie, 512. Laramie Citv, 608. Laramie (plaines de. pic de), 512, 522, 552. Laredo, 507. La Salle, 425. Lassen (mont), 549, 550, 566, 637. Las Vegas, 619, 621. Laurentides (monts), 299. Lawrence (Kansas), 480, 481. Lawrence (Massachusetts), 168, 174, 175, 192, 741. Leadville, 531, 567, *6 10, 612. League Island, 241. Leavenworth (Fort), 480. 481, 769. Leech (lac de la Sangsue), 515. Leh. 524. Lehigh River, 150. 252. 255. Léman. 574. Lcmon Island. 76. Le uni Lennap, Indiens, 25, 76, 594. Léonard Ileight, 262. Lewis Fork, voir Snake River, Columbia. Lcwiston, 162, 163,166. Lexington (Kentuckv), 440, 442. Lexington (Massachusetts), 185. Libéria, 695. Lick Observatorv, 595, 645. Licking River, 554, 555, 407, 408, 440. Lima, 406. Lincoln (mont), 545, 510, 525, 526, 610. Lincoln, 472, 814. Lipanes, Indiens, 75. Lisbonne, 595. Little Bclt (monts), 519. Little Colorado River, 575. Little Falls (Petites Cascades), 127, 515, 457. Little Rock (Petit Rocher), 483, 484, 816. Liverpool, 26, 27, 96, 219, 429, 713, 765. Llano Estacado ( Plaine Jalonnée) , 301, 355, 529. Lockport, 225, 742. Logan sport, 411. Londres, 180, 219, 256, 258. 593, 765. Long Branch, 229, 250, 785, 804. Long Island, 125, 129, 150. 155, 157, 158, 195, 196. 197, 202, 210, 218, 220. Long Island City, 210, 226. Long Island Sound, 220. Long's Peak, 523, 527. Long Saut (rapides), 225. Lookout (cap), 145, 272. Lookout Mountain, 445, 444. Los Angeles (Reina de los An- geles), 352, 595, 640, 645. 646, 647, 648. Lost River, ou Rivière Perdue, voir Godin. Loudon, 445. Louisiana (ville), 475. Louisiane (État de la), 3, 6, 8, 51, 60, 85, 84, 90, 94, 97. 295, 548, 554, 356, 558, 568, 580, 581, 393, 597, 410, 411, 449, 455, 475, 476, *489, 499, 596, 682, 691, 705, 710, 711, 712, 759, 776, 777, 786, 808. Louis ville, 82, 505, 568, 4M. 425, 440, *442, 457, 666, 816. Lowell, 168, 174, 175, 192, 741. Lower Bav, 218. Ludlow, 407. Luray (ville), 264. Lvdie, 566. m Lvcll (mont), 550, 551, 567, '589. Lynchburg, 262, 264, 271. Lvnn, 175-192. Mac Donough ville, 495. Mac Dowcll Mounlains, 581. Mac Hcnrv River, 251. Mac Kcesport, 249. Mackenzie River, 511, 377, 594. Mackinaw, Mackinak, la Tortue (île, détroit et ville), 425, 529. Maçon, 280, 284. Madison (mont), 110. Madison River, 521, 522, 514. 519, 562, 565. Madison, 506, 410, 455, 456, 816. Mahon, Mahonais, 286. Mahoning River, 406. Maine (État du), 4, 6, 20, 95, 108, 124, 154, 152, M60, 166, 168, 426, 592, 658, 707, 717, 768, 806, 808. 828 INDEX ALPHABÉTIQUE. Malais et Malaisie, 87. Malden, 185-192. Malpais, 538. Mammoth Cave, 264,556, 337, *338, 41 i. Mammoth Springs, 514. Mammoth Terraces, 755. Manatee Spring, Source des Lamantins, 289, 290. Manayunk, 242. Manchester, 168, 263, 271, 741, 786. Manchester (New York), 779. Mandant , Menton» , Nama- kaki, Indiens, 62, 63, 329, 462. Manhattan (île), 80, 209, 210, 212, 214, 219, 220, 760, voir New York. Manhattan, Indiens, 57. Manille, 498. Manitoba, 455. Manitou (îles), 57. Manitou (ville), 612. Mansficld (mont), 111. Marble (canon) du Colorado, 571, 573. Marblchead (cap et ville), 175, 192. Marcy Mount ou Tahawus, 112. Maricopa, Indiens, 66, 622. Mariette, 53, 400, 406, 407. Marion, 412. Mariposa, 601, 639, 787. Marqucsas (îles), 147. Marquette, 429, 450, 431, 748. Marseille, 393, 425, 433. Marshall, 501. Marshall (mont), 119. Marshall Pass, 531. Martha's Vinevard (île), 137, 188, 189, 785. Martinez, 645. Martinsburg, 599, 400. Maryland (État du), 10, 81, 92, 93, *249, 255, 654, 658, 664, 713, 774, 776. Marvsville, 638. Mascoutin, Gens des Prairies, Indiens, 57. Mason's et Dixon's line, 13. Massachusetts (Etat du), 8, 15, 57, 79,80,84,89,111,112, 124, 125, 143, 160, M72- 192, 194, 196, 202, 208, 501, 657, 671, 707, 741, 766, 767, 775, 782, 786, 795, 808. Massachusetts, Indiens, 717. Mnlagorda, 506. Matanzas, 476. Mattapony River, 133. Mauch Chunk, Mont Ours, 235, 749. Maughwaume ou Large Plaine, 607. Maumce River, 306, 307, 405, 406,409,411. Maurepas (lac), 356. Mauvaises Terres, Bad Lands, 201, 324, 529, 468, 519, 520, 521, 603. May (rivière), 76. Maya, 36. Mcadville, 244. Mecklembourg, 670. Medford, 192. Medicine Bow Mountains, 525. Medicine Lodge River, 563. Méditerranée canadienne, voir Grands Lacs. Melbourne, 644. Melrose, 210. Memphis, 377, 445, 446, 451. Mendocino (cap), 8, 509, 555, 5;>5. Mendota (lac), 433. Menominee River, 307, 431. Menominees, Indiens, 57. Merced (gorge), 550. Meriden, 199, 201. Mcridian, 450, 451 , 454. Mormenteau (bayou), 489. Merrimac River," 125, 168, 174, 175, 190,194. Merscy, 219. Mer Vermeille ou de Californie, 567. Mescaleros (Indiens Apaches), 73, 616. Mesilla (la région), 5, 6. Mctzatzal (sierra), 75. Mexique et Mexicains, 4, 6, 26, 40, 69, 87, 103, 159, 507, 528, 614, 615, 616, 622, 637, 640, 645, 668, 747, 808. Miami River, Little and Great, (Petite et Grande), 334, 400, 406, 408,409, 411. Miami (havre), 287. Miami, Miamees, Indiens, 39, 64, 57. Michigan (lac), 57, 332, 334. 379, 412, 413, 414, 417, 425, 425, 426, 427, 428, 429, 450. 580, 748. Michigan City, 412. Michigan, Wolverine State, Etat du Carcajou, 5, 84, 95,161, 380,386,415,*425-431.678, 717, 751, 733, 755, 739, 748, 768, 806. Mie Mac, Indiens, 57. Middle Park, 526. Middlesborough, 441, 442, 659. Middlctown, 199. Midland, 381. Milk River, 524. Milledgeville, 280. Mille Des, 26. Minneapolis, Ville de l'Eau Rian- te, 315, 430,454, 457,458, 461, 668, 239, 816. Minnehaha River, l'Eau Frisson- nante, 316. Minnepaul, 461. Mines (baie des), 498. Minnesota, Eau Blanchâtre, ou Nuageuse, ou Saint Peter Ri- ver, 298, 305, 306, *516, 319, 454, 457, 462. Minnesota (État du), 73, 95, 503, 306, 377, 582, 586, 597, *454, 461,468, 681, 717, 708, 807. Minetarees ou Gras Ventres Indiens, 62. Minorque, Minorcains, 286. Minsi (mont), 129. Mississippi (État du), 511 , *450- 454, 500, 691, 762, 795. Mississippi (golfe), 29. Mississippi River, 8, 7, 18, 21, 22, 28, 35, 36. 57. 58, 60, 85, 98, 123, 155, 231, 244, 248, 272, 311, 324, 529, 530, 351, 552, 356, 342, 343, 344, 545, 546, 347. 348, 349, 550, *370, 575, 377, 379, 381, 390, 592. 394, 596, 397, 403, 411, 415, 414, 417, 423, 424. 425, 455, 454, 436, 444, 451, 454, 458, 461. 462, 465, 477, 483, 489, 490, 491, 497, 521, 595, 666, 748, 762, 806. Missouri, Misi Souri, Peti Ka- noui, « Fleuve Bourbeux », 21 , 55, 57, 62, 73, 83, 205, 299, 303, 312,*320 etsuiv., 523, 324, 328, 329, 350, 351, 345, 366, 367, 577, 379, 424, 461, 463, 464, 466, 474, 510, 512, 519, 520, 552, 562, 567, 604, 605, 607, 665, 684. Missouri (Coteau du), 329. Missouri (Etat), 26, 51, 56, INDEX ALPHABÉTIQUE. 820 84, 93. 97, 98, 299, 532, 585, *472, 478, 610, 654, 668, 719, 733, 768. Missouri, Lillle Missouri, Petit Missouri, 329. Missouri*, Indiens, 62. Milchcll (mont), 109, 120, 272. Mobile, la Mobile, 3, 22, 309, 378, 590, 448, 449. Mobiles, Indiens, 60. Mocassin, voir Chattanooga. Modocs, Indiens, 64, 605, 637, 682. Moerill ou Merjelcn (lac), 304. MohawkRi?er, 108, 112, 114, 117,127,151,202,205,204, 221,225. Mohawk (ville), 749. Mohawks, Indiens, 59. Mohicans, Indiens, 44, 57, 197. Moines (Rivières des), 57. Moins ou Moines, Indiens, 466. Mojave (Fort), 656. Mojaves (désert), 540, 554, 590, 599. Mojaves, Mohaves, Indiens, 66. Môle St-Nicolas, 105. Moline, 425, 465. Monadnock (mont), Ht. Mono Lake, 589, 590. Monona, 455. Monongahcla River, 125, 247, 248, 249, 504, 555, 554, 598. Monroe (mont), 110. Montagnes Rocheuses, *509-604. Montana (Etat du), 600, *604- 606, 657, 658, 729, 751, 752. 798. Monlauk (pointe), 157. Mont de la Pvramide, 529. Monte Diablo," 554, 645. Monterey, 555, 645. Montgomerv, 448, 449, 816. Montpelier,"l72, 816. Montréal River, 451. Montréal, 205, 225, 450, 667. Mont Rose, 552. Monts Ouragan, 512. Monument Park, 612. Monument Peak, 512. Moorebead (Ohio), 54. Moorhead (Minnesota), 457. Moosehead (lac), 125. Moqui, Indiens, 66, 68, 75, 622. Mormons, Saints des derniers jours, 466, 499, 552, 582, 583, 607,*613, 614, *779, 780. Morrisania, 210. Morris Island, 276. Moses Lake, 56 1 . Mosquilo Inlet, 147. Motthaven, 210. Mount Auburn, 185. Mount Désert, 110, 166, 804. Mount Vernon (Virginie), 260. Mount Vernon (Washington) ,65 1 . Mountain City, 610. Mountain Mcadow, 778. Mozimlih (Indiens), 586. Mud Lake, 586. Mullan's Pass, 510, 605. Mummv Mountain, Mont de l.t Momie, 527. Muncie, 412. Munjoy's Hill (lac), 166. Murraysville, 756. Muscatine, 465. Muscle Sboals, rapides, 59, 444, 448. Muskegon River, « la Maréca- geuse », 507, 429, 451. Muskingum River, 554, 406. Muskogees, Indiens, voir Creeks. Mvstic, estuaire, 184. Nacogdoches, Indiens, 66, 501 . Nahant (péninsule), 185. Nangatuck River, 201. Nantucket (île), 155, 157,175, 188. Napa, 555, 645. Napoléon (village), 546. Narragansetts (baie), 175, 192, 195. Narragansetts, Indiens, 57, 194, 717. Narrow Cafion (Colorado), 571. Narrows, Etroits (passage), 218. Nashua, 168, 190. Nashvillc, 445, 446, 814. Natchez (Indiens), 56-57, 55, 60, 61, 66, 450, 455,454. Natchez, 490. Natchitoches, Indiens, 66, 498, 501. National Park , voir Parc National . Naudouisses, voir Sioux ou Naudouissioux, 62. Naumkeag, voir Salem. Nauvoo, 779. Navajos (Indiens), 65, 68, 75, 501, 620, 622, 681, 682. Navajos (Sierra de), 541. Nayouni, les Voisins, voir Comanches. Nebo (mont), 552. Nebraska City, 472. Nebraska (État du), 62, 466, *468, 472, 718. Nebraska River, vovez la Platte. Neches River, 570,* 501. Nègres, A fro- Américains, 76, 96, 97, 99, lOi, 215, 285, 485, 500, *688, 700, 777. Nelson River, 503, 511. Neosho River, 480, 680. Neuchâtel (lac de), 584. Neuse, 81. Nevada, Sierra Nevada, 18, 64, 510, 521, 540, 542, 546, *548, 550, 552, 555, 554, 556, 579, 587, 592, 599, 601, 605, 658. Nevada (utat du), 612, *625, 627, 750, 782, 799. New Albauy, 410, 412, 440, 442. New Almaden, 645, 750. Xewark (ville et baie), 210, 217, 227, 228, 251, 816. New Bedford, Acushnat, 189, 192, 725. New Berne, 81, 272, 592. New Braunfcls, 506. NewBritain, 199, 201. New Brunswick, 124, 228, 251. Newburgh, 208, 226. Newburvport, 175, 192. Newcastïe, 251, 236, 255, 254. New England, Nouvelle- Angle- terre, 84, 88, 95, 124, 155, 150, 152, 155, 159, M60, 506,766,767,775,774,776, 778, 789, 790. New Hampshire (État du), 80, 95,124, 145,*166,171, 658, 707, 768, 816. New Hannonv, 787. New Haven, 194,* 199, 200,201 , 521, 769. New Jerscv (État du), 14, 57, 81, \U, 157-138,210,215, *226, 231, 241, 658, 711, 779, 785, 816. New Lebanon Spiïngs, 191. NewLondon, 17, 197, 198, 201, New Madrid, Nueva Madrid, 345, 477. New Mexico, Nouveau-Mexique (Territoire du), 4, 6, 28, 56, 55, 68, 84, 96, 511, 595, *6Ii, 621, 622, 681, 682, 850 INDEX ALPHABÉTIQUE. 706, 719, 729, 768, 796, 816. New Orléans, Nouvelle-Orléans, 5, -262, 289, 344, 356, 357, 358, 360, 565, 367, 377, 378, 579, 380, 381, 390, 398, 449, 451, 457, 490, *49i, 498, 648, 665, 691, 699, 748, 753, 765, 816. Newport (Rh.Isl.), 1 94, 195, 196. Newport (Kentuckv), 409, 440, 442. Newport (Oregon), 634. Newport News, 220, 268, 269, 271. New River, bassin du Missis- sippi, 126, 153, 264. New River, bassin du Colorado, 574. New Rochelle, Nouvelle -Ro- chelle, 220. New Smyrna, 286. Newton/l85-192. New York (ville et baie), 20, 25, 26, 27, 80, *81, 94, ' 104, 158, 195, 197,*209, 221, 227, 228, 229, 289, 414, 497, 551, 610, 628, 654, 640, 657, 658, 665, 665, 667, 668, 672, 677, 691, 692, 709, 711, 749, 752, 753, 762, 765, 772. 775, 776, 786, 808, 816. New York (État de), 80, 81, 114, 128, 129, *202-226, 505, 507, 405, 415, 658, 679, 680, 709, 711, 718, 719, 757, 758, 759, 749, 776, 782, 798, 799, 802, 806, 816. Nez-Percés, Indiens, 65, 75, 488, 607, 628, 652, 682. Niagara, 221, 225, 507, 552, 405, 565, 575, 667, 747. Nicaragua, 644. Nicollet (île), 457. Nieuwo Amsterdam, Nouvelle- Amsterdam, voir New York. Niobrara River, 550, 461, 462, 520. Nisqually, Indiens, 65. No Man's Land, le Pays de Per- sonne, 499. Nootka, Indiens, 64. Norfolk, 159, 220, 270, 271. Normal, 424, 425. Norristown, 256, 249. North Adams, 191-192. North Al ban v, 411. North Crossing, 456. North Park, 525. Northarapton, Nonotack, 190, 192. Norumbega (Norbega, Norvège), 185. Norvège et Norvégien*, 95, 251 , 670, 742, 759. Norwalk, 201. Norwich, 197, 201. Notre-Dame (Monts de), 107, 110, 124. Nottoway, Indiens, 58, 135. Nova Scotia, Nouvelle -Ecosse, 583. Nueces (rio), 575. Oakland, le Pavs des Chênes, 645, 648. Ocala (ville), 246. Ocate (volcan), 528. Océan Glacial, 511. Océan Grove, 785. Ocklawaha River, 286. Ockmulgee, 485, 782, 816. Ocmulgee River, 280. Oconee River, 280. Odjibways, Chippewa s, Indiens, 58, 59, 44, 55, 57, 58, 455, 751. Og a la lia ou Chemises Légères, Indiens, 465. OgdenCity, 614, -751. Ogdensburg (fort de la Présen- tation), 225. Ohio (fleuve), 8, 21, 28, 53 37, 58, 82, 84, 110, 123 131, 133, 244, 248, 296 305, 304, 313, *353, 534 555, 556, 338, 341, 542 344, 345, 550, 556, 367 380, 394, 397, 398, 399 400, 405, 406, 407, 408 410, 411, 413, 424, 425 439, 441, 444, 474, 665 748, 752, 782. Ohio (État, Buckeye State), 33 34, 56, 84, 125, 251, 232 296, 395, 598,*400, 409 410, 427, 651, 658, 666 668, 711, 719, 756, 757 742, 748, 767, 779, 786 806. Oil City, 244. Oil Creek, 755, 756. Ojos Calientes, 620. Okeechobee (lac), 146. Okeefinokee (marais), 145. Oklahoma, 489. Oklahoma ( Terre Délectable, Territoire), *484-489, 690, 702, 796. Olaimi, 280, voir Stone Moun- tain. Old Fields (Vieux Champs), 289, 290. Old Greylock, Vieux Grison. (mont)", 112. Old River (Vieille Rivière), 355. Olympia, 652, 816. Olvmpus, Olympe (mont et pé- ninsule), 64, 204, 555, 652. Omaha ou Thegiha, Indiens, 62. Omaha (ville), 299, 467, 471, 659, 665, 668, 720, 816. Omochkos, voir Itasca. Oneida (lac). 224, 508. Oneida (ville), 225. Oneidas, Indiens, 59. Onondaga (lac), 22 4, 508. Onondaga Creek, 224. Onondaga River, 308. Onondagas, Indiens, 59, 224 Ontario (lac), 580, 755*. Ontonagon, 450. Opala, Indiens, 66. Opelousas (lac), 498, 768. Oquirrh, Lost Mountain s (Mon- tagnes Perdues), 541. Orange (ville et fort), 80, 227, 251. Oregon,6,20, 75,161, 512,558, 545, 546, 562, 566, 576, 592, 595, 596, 601, 627, *655-655, 656. Oregon River, voir Columbia River. OroviDe, 658. Osage River, 481. Osages, Indiens, 62, 488. Oshkosh, 454, 456. Oswego, 654. Oswego River, Chouegem, ou la Noire, 205, 225, 226, 506. Otisco (lac), 308. Otoes, Indiens, 62, 488. Ottawa, 423. Ottawa*, Indiens, 57, 487. Otter Creek River, 172. Ottumwa, 466. Ouabache, voir Wabash River. Ourghamma (les), 70. Outre (Passe à 1'), 560. Owasco (lac), 224, 508. Owen's Lake, 552, 590. Owvhee River, 565. INDEX ALPHABÉTIQUE. 851 Ozark (monts), 299, 500, 552, 555, 475, 484. Pacific Creek, 524. Pacifique (mer et versant du), 4,14, 22,26, 52, 59/509, 555, 592, 595, 594, 599, 640, 652, 655, 665. Pactole, 566. Paducah, 441, 442. Pah-Utahs, Pah-Ules,Paï-Utes, Utah, Utes, Indiens, 65, 590, 612, 681, 684. Palatka, 285. Palatzi, Indiens, voir Appala- cbes. Palisades ou Palissades, 112, 128, 209, 210, 220. Palmvra, 548. Palo Alto, 645. Palouze, ou Rivière aux Pelou- ses, 564. Pamlico (étang), 272. Pamlico, Indiens, 57, 145. Paimmkev River, 155. Panama, 644. Pan Handle, Queue de la Poêle, 598. Papagos, Indiens, 66, 622, 625. Parc National du Yellowslone, 524, 396, 512, 515, 562, 604, 606, 607. Parc National (CratcrLake), 545. Parcs Nationaux, 755. Paris, 95, 258, 595, 458, 657, 786. Paris (Kentucky), 17,440,442. Parkersburg, 400, 666. Park Range (Chaîne des Parcs), 527, 529. Pascagoula River, 511, 451. Pascagoula, 450, 451. Paso del Norte, El Paso, 575, 576, 558. Passaic (estuaire et ville), 112, 210,211, 227, 251. Passamaquoddies , Indiens , 160. Passamaquoddy (baie), 162. Passe Chrisliane, 558. Patapsco River, 250. Paterson, 227, 251. Pawnees, Pani, les Loups, In- diens, 65, 65, 488. Pawtucket, 195, 196. Pays Effondré, voir Sunk Coun- try. Peace River, .396. Pearl River, Rivière aux Perles, 311, 449, 489. Peaux Jaunes, 684. Peaux-Rouges, voir Indiens. Pecos, Rio Puerco, 65, 84, 300, 501, 576, 501, 605, 614, 616, 619. Pedec, Great River, 155, 276. Pembina River, 462. Pembina (poste), 580, 462. Penacook, voir Goncord. Pend d'Oreilles (lac), 561. Pend' Oreilles, Indiens, 65. Pennsylvanie (État de la), 10, 57, 81, 84, 92, 95, 96, 108, 122, 125, 124, 159, 166, 202, 208, *231, 249, 296, 503, 598, 403, 406, 413, 442, 658, 669, 718, 719, 755, 757, 758, 742, 774, 779, 802, 806, 816. Penobscot River, 125, 162. Pensacola, 290, 295, 294. Pcoria, Ville à Mallet, 425, 424, 425. Peoria, Indiens, 57, 487. Pépin (lac), 456. Pequod, Indiens, 57. Pérou et Péruviens, 40, 87. Perth Amboy, 228. Peru. 425. Petaluma, 644. Pctersburg, 262, 265, 264, 271. Petite Anse, 564. Petites Dalles, 561. Philadelphie, 130, 159, 152, 178, 207, 226, 227, 228, 251, *256, 241, 245, 249, 251, 415, 497, 657, 664, 665, 668, 711, 758, 760, 816. Philippines (îles), 87, 498, 715. Philipsburg, 232. Phœnix, 625, 816. Piedmont (avant-colline des Ap- palaches), 120, 260, 264. Pieds-Noirs, Black Feet, In- diens, 75, 605, 607, 681. Piegan, Indiens, 605. Pierre, Pierre Ghouteau, 465, 464,816. Pierre Jaune, voir Yellowstonc. Pike's Pcak, 525, 524, 526, 591, 596, 612. Pilot Knob, 500. Pima, Pimos, Indiens, 41, 66, 67, 68, 576, 622. Pine Bluff, 484. Pioche, 596. Piscataqua (rio), 168. Pit Holc City (Ville du Trou), 660, 758. Pit ou Pitt Mount, 545. Pit River, 549, 566. Pittsburg, 245, 246, *247, 248, 249, 354, 567, 399, 406, 411, 668, 736, 787. Pittsficld, 191, 192. Placerville, 638. Plaquemine (bayou), 355. Plat te (la), ou Nebraska River, 550, 545, 589, 468, 520, 521, 523, 525, 526, 608, 610. Plattsmouth (Bouche de la Plat tel, 475. Plumas (rio de las Plumas), Feather River, 566, 638. Plymouth, 79. Pointe Coupée, 349. Pointe Pelée, 405. Poitou, 82. Pokegama, 515. Pôle Creek Peak, 575, 574. Pologne et Polonais, 245, 671. Poméranie, 670. Pontchartrain (lac), 356, 558, 449, 488, 496. Poonah, 741. Poplar River, 524. Portage, 223. Portails, voir Roches Peintes. Port Angeles, 652. Port Blakeley, 651. Port Eads, 566, 497. Port liudson, 451, 452, 490, 491. Port Huron, 428, 451. Portland (Maine), 163, M64, 165, 166, 168, 753, 816. Portland (Oregon), *654, 635, 644, 755, 787, 816. Port Madison, 651. Port Royal (îles), 144, 276, 277. Portsmouth (New Hampshire), 158. Portsmouth (Ohio), 405, 407. Portsmouth (Virginie), 270. 27 1 . Port Townsend, 652. Portugal et Portugais, 87, 189, 657. Posloina (grotte), 557. Pota walomecs , Pota tvalom is , Indiens, 59, 57, 488. \ 852 INDEX ALPHABÉTIQUE. Potomac River, 119,M51,152, 139, 256, 245, 249, 252, 253, 254, 257, 258, 259, 262, 267, 388, 399, 724. Pottslown, 236. Pottsville, 235. Poughkeepsie, 207, *208, 226, 790. Powhaitan, Indiens, 57. Prairie du Chien, Prairie des Chiens, 552, 432, 436. Prairie du Port, 477. Prcscott, 625. Presidenlial Range (Chaîne des Présidents), 110, 111. Pribîlow (îles), 723. Pricklv Pear, 605. Princetown, 228. Providence, 189, 193, 194, 196, 199, 816. Provincetown, 187. Provo Citv, 614. Prusse Orientale, 670. Puants (baie des), 452. Pueblo (le Bourg), 611, 612, 659. Pue b lus, Indiens, 55, 56, *68, 69, 70, 545, 620, 678, 682. Pugct Sound (golfe du), 4, 20, 29, 64, 456, 542, 555, *555, 557, 631, 632, 657, 672, 680, 723. Pullman, 742. Punta Concepcion, 595. Punla Loina, 648. Puyallups, Indiens, 1, 6, 628, 680. Pyramid Lake, 579, 586, 587. Pyrénées. 595. « w Quapaws (île), 487. Québec, 93, 755. Queenstown, 765. Quichua, 40. Quincy, 183, 192, 424, 425, 749. Quinuepiack, 199. Raccourci, 549. Racine, 432, 456. Racoon Ithor, 400. Ragged Mountain, 119. Ragtown Ponds, 586. Ragtown, Ville des Loques, 586. Rahwav, 227. Ramier, voir Tacoina. Raieigh, 272, 273,816. Rangée Côtière, voir Coast Range. Rappahanock River, 133, 139, 262, 267. Raritan (baie et rivière), 218, 228 Raton Uills, 612. Rauhc Alp, 91. Reading, 235, 249. Red Cedar, 465. Red River (Rivière Rouge), 66, 300, 542, 348, 551, *555, 354, 355, 356, 366, 367, 370, 379, 580, 482, 484, 490, 491, 499, 501. Red River of the North (Rivière Rouge du Nord), 54, *505, 306, 511, 515, 454, 455, 457, 461, 462. Red Rock River, 320, 580. Reelfoot River, 344. Renards ou Foxes, Indiens, 57, 488, 489. René, Rainy (lac), 592. Republican River, 479. Révère (plage), 185. Rhin (fleuve), 91, 128, 207, 298, 367. Rhode Island (État de), 80, 96, 122, 125, 175/192,196,199, 657,724,741,774,782,796, 806. Rhône (fleuve), 530, 558, 365, 425. Ricarees, Rikarees, Indiens, 65, 65. Richmond, 139, 262, 267, 271, 732, 816. Rio Chiquito, 620. Rio Grande, 20, 22, 26, 65, 68, 69, 75, 84, 375, 374, 376, 377, 500, 501, 506, 507, 526, 538, 603, 609, 614, 619, 620,621. Rio Llano, 506. Ritter (mont), 589. Riverside, 220. Rivière Blanche, 482. Rivière des Chutles ou Dcs- chuttes, 559. Rivière des Pères, 475. Rivière des Plaines, 506, 519, 417,425. Rivière Rouge, voir Red River. Rivière Verte, voir Green River. Roan Clifls, 567. Roan Mountain, 120, 121, 335. Roanoke River, 108, 155, 264. Roanoke (ville), 264, 659. Roches Peintes, Pictured Rocks Portails, 458. Rochester, 226, 228, 307. Rocheuses (monts), Montagnes de Roche, Rockv Mountains, 3, 9, 11,14, 18", 21,22, 28, 29,50, 37, 58, 201, 299, 500, 520, 525, 529, 550, 545, 566, 555, 575, 579, 390, 391, 392, 595, 594, 596, 424, *509, 568, 602, 605, 604, 609, 631, 652, 706, 719, 759, 808. Rock Creek, 565. Rockford, 425. Rock Island, 316, 425, 425, 465. Rockport, 175. Rock River, 316, 413, 455. Rogue River Mountains, 555, 566. Rogue*, Indiens, voir Klamath. Rome (New York), 225, 262, 414. Rondout, 207. Roxbury,177,185. Russian River, 601, 658. Russie et Russes, 5, 6, 26, 87, 94, 231, 637, 671, 776 Ruthènes, 245. Rutland, 172. Sabine, Sabinal River, 570, 575, 489, 499, 501. Sackett's Harbor, 225. Saco (rio), 125, 166. Sacramento (rio), 540, 555, *566, 576, 656, 638, 659, 643, 706. Sacramento, 567, 595, 594, *638, 645, 648, 726, 816. Sacs, Sauks, Indiens, 57, 429, 465, 488, 489. Saginaw (baie, rivière et ville), 428, 429, 431. Saguache, Sawatch, 529, 551. Sahaptin, voir Snake River. Saint Albans, 172. Saint Anthonv, ou Saint Antoine de Padoue, 515, 457, 461. INDEX ALPHABÉTIQUE. 855 Saint Anthony Falls (chute de Saint Antoine), *515, 516, voir Minneapolis. Saint Anthonv River, 457. Saint Augustine, Saint-Augustin, 76, 146, 149, 286. Saint Bernard, 498. Saint Charles, 477, 478. Saint Clair (lac et rivière), 428- Saint Cloud (mont), 457. Saint Croix River, rivière Sainte- Croix, 2, 26, 124, 160, 162, *516, *519, 454, 458. Saint Dominique, 103. Saint Francis, 533, 344, 350, 551, 558, 567. Saint Geneviève, Sainte-Gene- viève, 477, 752. Saint Helen's (mont), 542. Saint John River, rivière Saint- Jean, Wi-la-ka, chaîne des Lies, 4, 76, 124, 145, 151, 285, 286. Saint Joseph River, 507, 412. Saint Joseph, 473, 474, 478. Saint Laurent (fleuve et golfe), 8, 19, 20, 21,37,108,111, 112, 124, 125, 202, 205, 225, 507, 511, 312, 319, 552, 554, 582, 394, 413, 455, 658, 665. Saint Louis, 55, 305, 552, 555, 544, 577, 579, 381, 385, 407, 408, 425, 424, 425, 444, 465, *474, 477, 478, 497, 591, 657, 658, 665, 668, 752, 765, 786, 815, 816. Saint Louis, ancien port du Texas, 506. Saint Louis River, 507. Saint Mark's, San Marco (ville), 289. Saint Mark's River, 290. Saint Mary 's River, 277, 289. Saint Xazaire, 28. Saintonge, 82. Saint Paul, Pig's Eve, 577, 580, *457, 458, 461, 465, 665, 684. Saint Philip, 498. Saint Pierre Miquelon, 186. Saint Simon's (île), 285. Saint Stephens, 162. Saint Véran, 531 . Sal (Sierra de la), 541. Salem (Massachusetts), 79,175, 192. Salem (0regon),634, 655, 816. Salmon River, 56 4. xvi. Sait LakeCitv, 551, *6I5,614, 780, 816/ Salzbourg, 82. Samanâ (baie), 105. Sam Houston (fort), 506. San Antonio de Bexar, cité de la Poussière, 516, 507. San Bernardino (mont), 590, 594, 599. San Bernardino Pcak, Grizzlj Peak, Baldy Peak, 554. San Carlos (mont), 554. San Clémente (îlot), 555. San Diego, 66, 555, 648. Sandusky, 404, 405, 409. Sandwich (îles), 87. Sandv Hook, le Croche^ 158, 214, 218, 220, 228, 765. San Francisco, San Francisco de Yerba Buena, Frisco (ville et baie), 20, 99, 100, 407, 551, 555, 554, 595, 596, 628, 654, 636, 637, *659, 645, 644, 645, 647, 648, 665, 668, 676, 725, 752, 755, 816. San Francisco (volcan), 557, 558, 573. Sangie de Crislo, Sang de Christ, chaîne des Rocheuses, 424, 527, 528, 529, 620. San Jacinto (mont), 554. San Javier del Bac, 625. San Joaquin (rio), 554, 566, 567, 595, 594, 656, 659, 645, 706. San José, Ozé, 645, 644, 645, 648, 750. San Juan (monts), 532. San Juan (archipel), 4, 6, 556, 651. San Juan de Fuca (canal), 20. San Luis Vallev (rivière), 574, 526, 609. San Luis Obispo, 645, 750. San Mateo, voir Mount Ta\lor. 9 m San Miguel, 555. San Nicolas (îlot), 555. San Pablo (baie), 645. San Pedro, 648. San Rafaël (mont), 59 i. San Roque (rio), 4. San Simeon, 645. Santa Ana, 595. Santa Ana (rio), 646. Santa Ana (Sierra de), 555. Santa Barbara, 645, 646, 648, 730. Santa Barbara (canal, golfe, îlot, archipel), 554, 555, 593. Santa Catalina (ilôt), 505. Santa Clara, 645, 644, 645, 648. Santa Cruz, 555. Santa Cruz (rio), 574. Santa Elena (mont), 555. Santa Fé, 375, 592, 620, 621, 753, 816. Santa Inez (sierra), 555. Santa Lucia, 601. Santa Monica, 647. Santa Rosa, 555. Santee River, 82, 155, 274. Sautées, tribu d'Indiens Sîoujc. 468. Saône, 760. Saraghoga (lac de la Harengerie), 204. SaratogaSprings, Saratoga, 205, 204. Sarnia, 428. Saskatchawan, 596. Saucelito, Sauzalito, 645. Sault (Sainte Marie, le Sault), 450, 451,579, 500. Sault (le), ou Jump, 559. Saulteux, Indiens, 57, 429, 450. Savannah River, 155, 277, 486. Savannah (ville), 152, 278, 280, 285, 284, 289, 699. Savannah*, Indiens, 60. Sawatch, voir Saguache. Saxe et Saxons, 75. Savbrook, 199. Scandinavie et Scandinaves, 76, 87,452,462,465,637,668, 670, 671, 676, 725, 779. Scheneclady, 204, 749. Schoharic (mont), 117. Schuylkill River, 57, 150, 235, 256, 238, 241, 242, 762. Scilly (îles), 92. Scioto (rio), 354, 400, 403, 406, 407. Scott (mont), 545. Seront on, 242-249. Scvthie, 54. Sea Islands, lies de la Mer, 275, 276. Seattle (ville cl baie), 651, 652, 644, 816. Sebago (lac), 165. Sedalia, 477, 478. Seine (fleuve), 550, 752. Selish, Athabaskiens, Indiens 65. Selkirk (monts), 557. Selma, 449. Seminoles, Indiens, 56, 40, 45, 105 854 INDEX ALPHABÉTIQUE. 53, 59, 60, 284, 287, 488, 680, 681. Scneca (lac), 223, 226, 508. Senecas, Indiens, 487, 755. Sept Cités de Cibola, 68. Serbes, 671. Scvern, 252. Sevier (lac), 580, 581, 584, 612. Shackatnaxon, 256. Shandaken (mont), 117. Shasta (mont), 542, *545-550, 566. Shastas, Indiens, 64. Shawmut, 177, 180. Shawnees ou Méridionaux, In- diens, 57, 406, 489, 487. Sheboygan, 455, 436. Shenandoah River, 119, 126, M52, 264, 598, 599. Sherman, 521. Ship Island, l'Ile aux Vaisseaux, 450. Shoalwaler Bay, la Baie des Eaux Basses, 632. Shosfaone Fall, 563. Shoshone (lac), 519. Shoshone Mounts, 511. Shoshones, Indiens, 56, 65, 64, 608, 626. Shreveport, 554, 491, 497, 499. Shrewsbury (bavou), 229. Sicile, 742. Sierra Blanca, 528, 616. Sierra del Sacramento, 616. Sierra de Sandia, 621. Sierra de San Juan, 529. Sierra Madré, 592, 394. Sierra Hadre du Mexique, 557. Si Kiang, 100. Silésie, 742. Silver, Silver City, 627. Silver Spring, 286, 290. Simpson Mountains, 581. Sindbad, 550. Singapour, 644. Sing-Sing, 209. Sinking Spring, 151. Sioux ou Dakota, Indiens, 52, 54, 65, 64, 524, 592, 597, 455, 461, 465, 521. 628, 680, 681,*684, 685,702. Sioux City, 466, 468. Sioux Falls, 465. Siskiyou Mountains, 545, 555, 566. Skagit River, 542, 555, 651. Skaneateales (lac), 508. Skunk River, 316. Slaves, 670, 671, 676. Slide Mountain, 117. Slovaques, 245, 671. Smoky Hill River, 479. Smoky Mountains (les Montagnes Fumeuses), 108, 120, 273. Snake Island, 501. Snake River (Rivière aux Ser- pents), Lewis Fork, South Columbia, ou Sahaptin, 4, 64,320,524,552,558/562, 565, 576, 580, 606, 607, 655. Snake River Mountains, 511. Snakes ou Serpents, Indiens, 682. Snohomish, 651. Snohomish River, 651. Snow Mountains, 525, 511. Soda Lakes (Lacs de Soude), 686, 590, 591. Somervillc, 185, 192. Sonde (îles de la), 87. Sonora, 65, 66, 574, 625. Sorel ou Rivière Richelieu, 126. Soto-camps, 550. Souabe, 91. South Ambov, 157, 228. South Bend," 412, 652. South Columbia, voir Snake River. South Mountain (Montagne du Sud), 117, 245. South Omaha, 472. South Park, 526. South Pass, 521. South Norwalk, 201. Spanish Peaks, 529. Spanish Range, 528. Spokane Falls, 652. Spokane River, 558, 561. Spottsylvania Court House, 262. Sprague, voir Klamath River. Springficld (Massachusetts), 191 , 192. Springfield (Ohio), 409. Springficld (minois), 424, 425, 816. Springfield ( Missouri ) , 477. • 478. Slamford, 201. Stampede Pass (le col de la Dé- route), 651. Standing Rock, 687. Starved Rock (Rochers de la Faim, 425. Slaten Island, 210,211. Slaunlou (River), 155, 264. Stcamboat Springs, 750. Steilacoom, 651. Steubenville, 406. Stockbridgc, 191. Slockton, 659. Stone Mountain (mont Olaimi), 280. Stony Man (mont), 119. Stratford, 201. Suckeag, voir llartford. Suède et Suédois, 81. 95, 19i. 251, 256, 669, 670. Suisse, Suisses, 81, 82, 671, 795. Suisun (baie), 645. Sullivan Island, 276. Sulphur Springs, 264. Sunapee (mont), 111. Sunflower River, 547. Sunk Country (Pavs Effondré), 542, 545, 544, 546. Summit Citv, voir Fort Wavnc. Supérieur (lac), 425, 428, 429, 455, 455, 458, 480, 751. Superior City, 436, 455. Susan ville, 550. Susquehanna River, 58, 1 18, 123, 124, 129, 150, 151, 159, 202, *221, 226, 251, 243. 250, 267, 508, 658. Sutro, 627. Suwanee River, 289. Sweetwater River, 52 1 , 525. Switzerland (Indiana), 410. Sydney, 644. Svracuse, Sait City (Ville du "Sel), 224, 225, 226, 245. Tacoma, 456, 542, 628, 651, 632, 644. Tacoma ou le Rainier, Mount Rainier, le « Neigeux ou Pres- que dans le Ciel », 544, 564. 651. Taconic, 108, 112, 175. Taensas, Indiens, 66. Tagals, 87, 498. Taghee Pass, 562. Tahachapi (col), 552. Tahawus ou mont Marcv, 112, 126. Tahlequah, 487, 814. Tahoe (lac), 540, 587, 588, 589, 590, 656. Tallahassce, 289, 290, 814. Tallulah, « la Formidable m (cascade), 155. 4NDEX ALPHABÉTIQUE. 855 Tamalpais (mont), 555. Tamise, Thames River, 197. 219. Tammanv (mont), 129. Tampa, 289, 294. Tangier Sound, 252. Taos, 71, 620. Tappan (baie), 128, 209. Taunton River, 189, 192. Taylor ou San Maleo (mont), 538. Tchèques, 415, 671. Tchipitee River, 552. Tcar of the Clouds, Larme des Nuées (laguet), 126. Tèche (bayou), 66, 355, 448. Tennessee (Etat du), Big Bend State, l'Etat de la Grande- Courbe, 59, 82, 89, 90, 120, 121. 123, 192, 272, 294, 296, 535, 336, 344, 358, *442, 446, 488, 654, 675, 678, 691, 692, 699, 719, 741, 742, 743, 774. Tennessee River, 82,123, 296, 297, 555, 536, 342, 594, 441, 442, 445, 444, 445, 446. Terrapin, 548. Terre Haute, 411, 412. Terre-Neuve, 105, 107, 583, 723. Terrill (mont), 552. Territoire Indien, Indian Terri- tory, 299, 500, 501, *484, 489 , 499, 678 , 680, 782, 796, 797. Têtes-Plaies, Fiat Heads, In- diens, 55, 65, 647, 682. Telon Range (Chaîne des Té- tons), 511, 562. Teiarkana, 501. Texas (Etat du), Lone Star Stale, 4, 6, 22, 84, 98, 272, 500, 501, 555, 573, 381, 582, 595, 491, *499, 507, 681, 692, 708, 710, 712, 718, 719, 775, 782. Thompson's Peak, 550. Thousand Islands, Mille Iles, 225. Thrace, 54. Thrce Forks, Trois Fourches, 321, 522, 524. Thrce Sisters (Trois Sœurs), 545. Tibet anglais, 524. Tibre (fleuve), 254. Ticonderoga River, Eau bm vante, 126. Timpanogos (rio), 582. Tinneh, Indiens, 64. Tishomingo, 488. Titusville, 244, 756. Toledo, 405, 409. Tombigbee River, 60, 297, 309,310,311, 449, 451. Tom Mountain, 111. Tonawanda, 221. Tonto (rio), 75. Tooele, 614. Topeka, 480,481, 755, 816. Toronto, 428. Tortugas (îles), 147. Touraine, 82. Tours, 28. Tower, 456. Trans-Caucasie, 737. Travelling Mountain, Mont Qui Marche, 565. Travers (lac), 316. Tray Mountains, 121. T remont, 210. Trenton, 32, 130, 137, 225, 228, 231 . Trenton Falls, cascades, 127. Trinidad, 612. Trinitv River ou Rio Trinidad, 373,501, 505. Trois Sœurs (monts des), 546. Trois Tétons (du Parc National), 512. Trois Tctons (du Rio Yirgen), 541. Troy, 204, 207, 226. Truckee (col), 550. Truckee River, 527, 588. Tsallaki, Indiens, 486. Tsiganes et Gypsies, 87. Tucson, la Source Noire, 67, 574, 622, 625, 816. Tulare, Rivière des Marais ou de la Roselière, 552, 567. Tunisie, 70. Turkey Mountain, 528. Turkev River, 316. Tuscaloosa River (le Guerrier Noir), 309, 510, 311. Tuscaroras, Indiens, 58, 59, 244. TwinLakcs, Lacs Jumeaux, 61 1. Two Harbors, 748. Two Océan Pass, la Passe des deux Océans, 324. Tyndall (mont), 552. U Uchees, Indiens, 61, 62, 294. Uintah (monts), 531, 567. Ulster, 778. Umpqua Mount, 555. Umpqua River, 566. Unaka (monts), 120. Union, 231. Union Peak, 327, 512, 562, 567. Utah (lac d'), 580, 582, 780. Utah (État de 1'), 10, 11, 40, 65, 311, 532, 541, 582, 595, *612-614, 780, 796. Utica, 225, 226. Uncompaghre (monts), 529, 552. Yallatoa ou Jetnez, 70, 620. Yan Buren, 484. Yancouver (Colombie Britan- nique), 632, 753. Vancouver (île), 4, 555. Vancouver (ville), Washington, 632. Vaudois, 410. Velasco (rade), 505. Yera Cruz, 498. Verdigris River, 680. Vergennes, 172. Vermillon, bayou, 498. Vermont (État du), 95, 107, 111, 171, 172, 658, 707, 768, 774. Verte (baie), 57, 62, 379. Vésuve, 545. Vevav, 410-412. Vicksburg, Nogales (les No vers), 244, 577, 450, 452/455, 454, 490, 816. Victoria, 632. Vide-Poche, White Bush, Buis- son Blanc, 475. Ville à Mallet, voir Peoria. Vincennes (Indiana), 411, 497. Vineland (New Jersey), 250. Vineyard Haven, 189. Vinland, Pavs de la Vigne, 6. Virgen (rio)", 541, 575. Virginia City, 596, 606, 627. Virginia (Nevada), 750. Virginie (État de h),Virginiens, 836 INDEX ALPHABfiTIQl'E. 26, 40, 58, 78. 70, 80, 82, 84, 89, 96, 98, 99, 119, 120, 122, 123, 140,' 202, 250, *260, 386, 598, 411, 452, 439, 445, 485, 654, 656, 658, 664, 680, 689, 692, 706, 712, 715, 766, 790. Volga, 557». W Wabash River , Wabouskigon , 85, 296, 503, 555, •335, 594, 406, 409, 411, 415. 787. Wachusetts, 111, 172. Waco, 506, 507. Wahpelon, 462. Wahsatch Mountains, 65, 551, •552, 540, 582, 585, 584, 615. Wakulla Springs, 290. Wa-kum-ta-wip (vallée), 11. Walla Walla, Vallée des Vallées, 652, 655. Waltham, 185, 192. Wapsipinicon River, 516. Warm Springs, 264. Warren, 244. Warsaw, 244, 245, 466. Washhurne (mont), 512, 515. Washington (mont). 109, 110. 155. Washington (Étal), 161, 595, 595, 601, *627-632, 656. Washington (district Columbia). 159, 166, 207, 251, *254, 267, 599, 660, *604, 665, 799, 804, 816. Washington (Pennsylvanie) ,248. Washita ou Black River, 555, 570. Washoe, 750. Watanga, Little Tennessee Ri- ver, 445. Waterhury, 201. Waterford", 204. Watertown, 185. Watervliet, 207, 226. Watkins, 225. Weber River, 552, 585. Welfflect, 724. West Point, 208, 209, 769, 811. West Virginia (Virginie occi- dentale), 260, 598, *400, 654, 754, 741, 816. Whal Cheer Rock, 199. Whatcom, 651. Wheeling. la « Tète », 599, 400. 406, 409, 816. Whidbey (île), 557. Whipple (fort), 625. White Mountains , Montagnes Blanches, 108, 109, 110,111, 125, 155, 167. White Mud River, 524, 529, 550, 546. White River, 7. White River, 412. Whitnev Mount , 5 1 0, 55 1 , 552 , 554/590,601. Wichita, 481. Wichita* , Indiens, 488. Wichita (monts), 500. Wiehawken, 210. Wihinasht, Indiens, 64. Wilderness, Pavs Sauvage, 262. Wilkesbarre, 2*45, 249. Willamette River, Wah la Math, 565, 652, 655, 654. Williamsburg, 270. Williamsport, 245, 249. Wilmington, 81, 255, 254, 272, 273, 647, 648, 816. Wind River Mountains, 527, 611, 512, 562, 567, 608. Windsor, 428. Winnebagoe (lac), 62, 431, 434. Winnebagoes ou Lacustres, les Puants, Indiens, 62, 454. Winnemuca Lake, 586. Winnibigoshish (lac), 515. Winnipeg (lac), 306, 316, 424. Winona, 461. Winooski River, 172. Wisconsin River, Meskonsin ou le « brun », 516, 431, 456, 454. Wisconsin, Badger State (Étal du Blaireau), 54,57,84,87, 95, 161, 505, 306, 577, 580, 586, *431-459, 464, 6ô8, 678, 717, 755, 768, 806. Wissahikon, 241. Woodlawn, 220. Wood Mountains, 524. Woonsockett, 196. Woonsockett Falls, 195. Worcester, 174, 189, 192. Wounded Knee, 687. Wyandott (grotte), 411. Wyandott, Indiens, 405, 487. Wyllapa River, 652. Wyoming (mont), 552. Wvoming (État), 600, *607- 688. 795. Wyoming (Pennsvlvanie), 242, 245. Yakima River, 564. Yale (mont), 529. Y amassées ou Savannahs, In- diens), 60. Yangtse kiang, 729. Yankees, 89, 90, 405. 427. 615, 657, 665, 677, 705. 768. Yankton, 464, 816. Yanktonnais , ou E-hank-to- ouana (les Tireurs d'Arc. Indiens, 463. Yaquij Indiens, 66. Yazoo, 35, 347, 548, 356, 358, ■ 567. Yazoo River, 451. Yellowstone (Pierre Jaune), 327, 528, 396, 474, 606. Yellowstone, Lake and Yellow- stone River, *324, 510, 511, 513, 514, 519, 562, 605, 760. Yendat ou Wyandott, Indiens, 58, 60, 61. Yokohama, 637, 644, 747. Yonkers, 209-226. York, 243, 249, 267. Yorkmouth, 269. Yorktown, 264-269. Yosemite (le Grand Ours gris). *550, 551, 552, 589, 639 (Parc national du Yosemite). Youghiogcny, 249, 554. Youngstown, 406, 409. Yuba (rio de la), 566, 658. Yuba Citv, 658. Yucatan, 36, 145. Yuma, Indiens, 66, 67, 622, 681. Yuma ou Arizona Citv et Fort Yuma, 592, 625, 656. Zanesville, 407, 409. Zone Noire, 691, 695. Zunt, Indiens, 50. 68, 70, 620. Zufii (monts), 538. KathrllrHCT t^L±££. I v j_ 856 26, 40, 58, 78, 70. 80, 82, 84, 89, 96, 98, 99, 119, 120, 122, 123, 140; 202, 250, *260, 586, 598, 4H, 432, 459, 445, 485, 654, 656, 658, 664, 680, 689, 692, 706, 712, 715, 766. 790. Volga, 555. W eo° 7ff> 75* Wahash River, Wabouskigon , 85, 296, 505, 555, *555, 394, 406, 409. 411, 415, 787. Wachusctts, III, 172. Waco, 506, 507. Wahpelon, 462. Wahsatch Mountains, 65, 55 1 ; *552, 540, 582, 585, 58 i, 615. Wakulla Springs, 290. Wa-kum-ta-wip (vallée), H. Walla Walla, Vallée des Vallées' 652, 655. Walthain, 185, 192. Wapsipinieon River, 516. Warm Springs, 264. Warren, 244. Warsaw, 244, 245, 466. Washburne (mont), 512, 515. Washington (monl). 109, 110, 153. Washington (État), 161, 595, 595, 601, *627-632, 656. Washington (district Columbia), 439, 166, 207, 251, *25i, 267, 599, 660, *6«4, 665. 799, 804, 816. Washington (l,ennsvlvanie),248. Washila ou Black River, 55,*u 570. Washoe, 750. ' Watanga, Little Tennessee F ver, 445. Walerhurv, 201. Waterfonf, 204. Watertown, 185. Watervliet, 207, 226. Watkins, 225. Weber River, 552, 585. Wellfleet, 724. West Point, 208, 209, 811. West Virginia (Virginie ',. dentale), 260, 598, *4C 054, 754, 741, 816. t » l TABLE DES CARTES 1. Accroissements successifs de In puissance Nord- Américaine ' 5 2. Littoral de la Nouvelle-Angleterre, d'après Lucini 7 3 et 4. Lac Champlain, d'après Anger et d'après Colvin 9 5. État d'avancement de la topographie des Etats-Unis 15 0. Zones d'altitude des États-Unis 19 7. Formations géologiques des États-Unis 21 8. Côtes nord-américaines de l'Atlantique et du golfe Mexicain 25 9. Isothermes des États-Unis 27 10. Grandes aires florales des États-Unis 29 1 1 . Fortifications indiennes de Marietta 53 12. Iles Manitou 56 15. Frontière des Iroquois après la cession du Canada à l'Angleterre 59 14. Populations indiennes du Cis-Mississippi au seizième siècle 61 15. Populations indiennes du Trans-Mississippi 69 16. Premières colonies françaises du littoral 77 17. Colonies françaises de l'intérieur au dix-huitième siècle 85 18. Axe du système appalachien, au sud de la Susquehanna 109 19. Massif des Adirondacks 115 20. Grande vallée, au confluent des deux Shenandoah 119 21. Percée de Harper's Ferry 132 22. Front méridional des anciens glaciers de la Nouvelle- Angleterre 135 23. Proue du cap Cod 156 24. Sandy Hook 138 25. Flèches de la Caroline du Non! 144 26. Péninsule de la Floride 150 27. Déplacements successifs de la ligne agonique 154 28. (( Kames » du Maine et du New Uampshire 161 9. Maine 165 50. Portland 164 51. Iles et presqu'îles parallèles au nord-est de Portland 165 52. Montagnes Blanches 167 55. Salem et Lvnn 176 54. Boston 179 55. Port de Boston 184 1. Plymouth et Duxhury 186 :i7. Cap Cod " 187 : S. Martha's Vincyard. ..." '. . . . 188 59. FaU River. ." 190 I 858 TABLE DES CARTES. 40. Percée de Holvoke 101 41. Providence 195 42. Newport 195 43. New London 198 44. New Haven 200 45. Confluent du Hudson et du Mohawk 205 46. Les Catskills 208 PI. I. New York et Tilles annexes 210 47. Accroissements successifs de New York 211 48. Buffalo 222 49. Lacs des Iroquois avant la colonisation de la contrée 224 50. Cap May 229 51. Flèche de Barnegat 250 52. Philadelphie 257 55. Région des nappes d'huile et de gaz 246 54. Pittsburg 247 55. Baltimore 251 56. Washington 259 57. Théâtre de la guerre de Sécession en Virginie 261 58. Camp retranché de Richmond pendant la guerre de Sécession 265 59. Chesapeake 267 60. llampton Roads 268 61. Ile de Jamestown ■ 269 62. Norfolk 270 65. Charleston 275 64. Beaufort 276 65. Marche de Sherman 278 66. Atlanta 279 67. Savannah 285 68. Chaîne des récifs floridiens 285 69. Key West 288 70. Région lacustre de la Floride 290 71. Pensacola 295 72. Grand Bassin silurien du Tennessee 297 75. Régions couvertes anciennement par les glaces du Nord 502 74. Ancien lac Erie-Ontario 505 75. Druinlins du Wisconsin 505 76. Bouches de l'Apalachicola 509 77. Plateaux érodés du Haut Coosa 510 78. Région des sources mississippiennes 515 79. Lac d'Itasca 514 80. Seuil de la rivière des Illinois avant la construction de Chicago 520 81. Les trois Fourches du Missouri 521 82. Porte des Rocheuses et chutes du Missouri 525 85. Two Océan Pass 527 84. Méandres et fausses rivières du Missouri devant Atchison 551 85. Roan Mountains 557 86. Jonction des rivières au centre de la vallée mississippienne 541 87. Pavs Effondré 545 88. Cluse de TArkansas 545 89. Haute vallée de la Canadienne 547 90. Confluent de l'Arkansas 549 91. Méandres de Greenville 551 92. Raccourcis au confluent de la Rivière Rouge 552 TABLE DES CARTES. 850 95. Pays inonde entre l'Arkansas et le Yazoo 559 94. Alluvions mississippiennes 500 95. Passe du Sud 564 96. Bassin du Mississippi 566 PI. II. Delta du Mississippi 568 97. Débit du Mississippi et de ses affluents 569 98. Delta du Mississippi à diverses époques successives 570 99. Sources du Rio Grande 574 100. Bouches du Rio Grande. 575 101. Extension des forêts dans la région médiane 585 10*2. Pine Barrens du Mississippi 591 105. Disparition graduelle des bisons 595 104. Sandusky , . . . . 404 105. Toledo 405 106. Cincinnati * 408 107. Chicago 415 108. Détroit 427 109. Madison. 454 1 10. Fond du Lac et Baie Verte 455 111. Louisville 441 112. Chattanooga 444 113. Memphis 445 114. Birmingham et sa région minière 447 115. Mobile 448 116. Vicksburg et le déplacement du Mississippi 452 117. Natchez 453 1 18. Duluth et Superior City 456 119. Minneapolis et Saint Paul 458 120. Council Bluffs et Omaha 467 121. Confluent du Missouri et de la Nebraska 471 PI. 111. Saint Louis et la jonction des deux fleuves 474 122. Les deux Kansas City 481 123. Hot Springs 482 124. Van Buren et Fort Smith 485 125. Territoire Indien en 1889 485 126. Isthme de la Nouvelle-Orléans 492 127. La Nouvelle-Orléans 495 128. Galveston 502 129. Austin 505 130. Lac Yellowstone et région des Geysirs 511 131. Vallée du Fire Ilole 516 152. Plaine de Laramie 522 153. Massif de Pike's Peak .' 524 154. Norlh Park 525 155. South Park 526 156. Ocate et ses champs de lave 528 157. Plateau de TUncompahgre et Sindbad Valley 530 158. Grand Mesa 556 159. San Francisco 557 140. Grande coulée de laves du Malpais 559 141. Chaînes parallèles du plateau d'Utah 545 142. Mont Shasta 546 145. Vallée de Yoseuûle 551 144. Puget Sound 556 840 TABLE DES CARTES. 145. Faite de partage entre le Missouri et la Columbia 558 146. Bouche de la Golumbia 565 147. Sources du Colorado 568 148. Grand Canon 572 149. Coupure du Rio Virgen 575 150. Nouveau lac de la vallée de Goahuila 575 151. Bassins fluviaux de l'Ouest 579 152. Ancien lac Bonneville 581 155. Ancienne rivière entre les deux bassins du lac Bonneville 582 154. BearLake 585 155. Oscillations du Grand Lac Salé 585 156. Lacs de boue et fondrières de l'ancien lac Lahonlan 587 157. Lac Tahoe et plaines lacustres de l'ancien lac Lahonlan 588 158. Lac Mono et ses glaciers à l'époque quaternaire 589 159. Forêts de l'Ouest 600 160. Denver 609 161. Leadville et les sources de l'Arkansas 611 162. Vallée du Rio Grande dans le centre de New Mexico 615 165. Pays des Zufii 616 164. Caflon de Chellv 621 165. Virginia City 626 166. Portland . 655 PI. IV. San Francisco et ta baie 658 167. Los Angeles 646 168. San Diego 647 169. Accroissements comparés de la population de l'Union Nord- Américaine 651 170. Répartition de la population des États-Unis suivant les degrés de longitude (Gr.) . . . 652 171. Répartition de la population des États-Unis suivant les degrés de latitude 655 172. Densité de la population au commencement du siècle 654 175. Densité de la population des États-Unis en 1890 655 174. Middlesborough 659 175. Théâtre de la guerre de Sécession 665 176. Courants d'immigration 669 177. Immigration allemande aux États-Unis en 1880 670 178. Réserves des Sioux 687 179. Zone noire des États-Unis 691 180. Townships dans l'Iowa 705 181. Production coton nière des États-Unis en 1880 715 182. Mines d'or, d'argent, de mercure et de cuivre aux Étals-Uni* 751 185. Péninsule de Kcwcenaw 752 184. Région des anthracites en Pennsylvanie 754 185. Production houillère aux États-Unis 755 186. Réseau des chemins de fer à l'ouest des Étals-Unis, en 1889 750 187. Réseau des chemins de fer à l'est des États-Unis, en 1889 751 188. Partage des États-Unis en zones horaires 754 189. Navigation régulière des paquebots attachés au port de New York, en 1891 755 190. Principales universités et grandes écoles des États-Unis 771 191. Communautés mormonnes du lac Utah et de la Vallée du Jourdain 781 192. Division de l'Iowa en comtés 791 195. Division de l'Union Nord-Américaine en États et Terri toires 797 194. Mount Désert, île de villégiature 805 195. Stations de sauvetage sur les côtes du Massachusetts 810 196. Puissance comparée de l'Union Nord-Américaine et d'autres États, en 1890 814 Carte générale. — Lee Btata-TJnis 857 TABLE DES GRAVURES 1. — Les Montagnes Rocheuses. — Vue prise dans la vallée de Ma-Kun-Ta-Wip, ter- ritoire de l'Utah. Dessin de Taylor, d'après une photographie de la « Geolo- gical Survey », communiquée par la Société de Géographie 1 1 II. — Baie de New York. — Vue prise de l'extrémité méridionale de la ville. Dessin de Taylor, d'après une photographie 25 III. — Groupe d'Indiens Pimos (Arizona). Dessin de J. Lavée, d'après une photographie de M. Faber 41 IV. — Le jeu du Loup et de l'Ours. Dessin de Slom, d'après une photographie ... 47 Y. — Campement d'Indiens dans une réserve. Dessin de A. Paris, d'après une pho- tographie 49 Yl. — Indien Yuma. Gravure de Thiriat, d'après une photographie de M. G. de la Sablière G7 Y 11. — Pueblo de Taos. — Dessin de Lancelot, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie 71 VIII. — Ferme dans le Connecticut. Dessin de P. Langlois, d'après une photographie. . 85 IX. — San Francisco. — Yue prise dans une rue du quartier chinois. Dessin de A. Slom, d'après une photographie 101 X. — Monts Catskills. — Yue prise des bords du Hudson. Dessin de A. Slom, d'après une photographie -. 115 XI. — Yue prise dans le Dismal Swamp. Gravure de Bocher, d'après une photographie de M. Shaler 141 XH. — Paysage des Appalaches. — Yue prise de Hall's Ledge, au sud-est de la Presi- dential Range. Dessin de A. Slom, d'après une photographie communiquée par Mme Caroline Parsons 155 XU1. — Dix House, vue du Diiville Notch, au nord du New Hampshire. Dessin de Taylor, d'après une photographie communiquée par la Société Appalachia .... 169 XIV. — Boston. — Yue générale prise du Conunon. Dessin de Taylor, d'après une pho- tographie 181 XV. — Lac George. — Dessin de Th. YVeber, d'après une photographie 205 XVI. — Pont de Brooklyn. — Yue prise de New York. Dessin de Taylor, d'après une photographie . . 215 xvi. 106 842 TABLE DES GRAVURES. XVII. — Mauch Chuuk. — Vue générale. Dessin de Taylor, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie 255 XVIII. — Philadelphie. — L'Independence Hall. Dessin de Taylor, d'après uue photo- graphie 251) XIX. — Cimetière de Gettysburg. — Tombes des soldats inconnus. Dessin de A. Slom, d'après une photographie 245 XX. — Washington. — Le Capitole, vue générale, prise de l'est. Gravure de Rocher, d'après une photographie 255 XXI. — Richmond. — Vue prise en amont, dans les rapides de James River. Dessin de A. Slom, d'après une photographie de M. Mac AUister 265 XXII. — Savannah. — La ville et l'embouchure de la rivière. Dessin de Barclay, d'après une photographie 281 XXIII. — Vue prise sur les bords du Silver Spring. — Dessin de G. Vuillier, d'après une photographie de M. G. de la Sablière 29! XXIV. — Chutes de Saint-Antoine. — Dessin de Th. Weber, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie 517 XXV. — Vallée de Yellowstone. — Gravure de Bocher, d'après une photographie commu- niquée par M. Cotteau 525 XXVI. — Pont de Cincinnati. — Dessin de Taylor, d'après une photographie de M. Mac Allister " , 559 ' XX VIL — Bac sur le Mississippi. — Dessin de Taylor, d'après une photographie de M. Mac Allister 561 XXVUI. — Vue prise sur les bords de la rivière Sabine. Dessin de G. Vuillier, d'après une photographie 571 XXIX. — Paysage des bords du Mississippi. — Vue prise devant le fort Snelling. Dessin de Taylor, d'après une photographie communiquée par la Société de Géo- graphie 587 XXX. — Vue prise à Harper's Ferry. — Dessin de Taylor, d'après une photographie de M.Mac Allister. . . . ". " 401 XXXI. — Chicago. — Vue prise dans une rue. Dessin de Taylor, d'après une photographie. 419 XXXII. — Prise d'eau de Chicago, dans le lac Michigan. Dessin de A. Slom, d'après une photographie de M. Mac Allister 421 XXXUI. — Paysage du Wisconsin. — Lac du Diable. Dessin de Th. Weber, d'après une photographie de M. Mac Allister 457 XXXIV. — Saint Paul. — Vue générale. Dessin de Taylor, d'après une photographie de M. Mac AUister 459 XXXV. — Vue prise dans les « Mauvaises Tenes » du Nebraska. Dessin de Taylor, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie 469 XXXVI. — Indien Cherokee. Gravure de Thiriat, d'après une photographie 487 XXXVII. — La Nouvelle-Orléans. — Vue prise sur la Levée. Dessin de A. Slom, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie 495 XXXVIII. — Vallée du Rio Grande del Norte. — Dessin de G. Vuillier, d'après une photo- graphie de M. Mac Allister 505 XXXIX. — Lac Yellowstone. — Pèche et cuisine. Dessin de Th. Weber, d'après une pho- tographie 515 XL. — Le Geysir « Excelsior ». — Gravure de Bocher, d'après une photographie com- muniquée par M. Cotteau 517 TABLE DES GRAVURES. 84S XLI.' — Cafton de « Green River ». — Dessin de Taylor, d'après une photographie com- muniquée par la Société de Géographie 533 XLH. — Rocher des bords de Green River, à l'extrémité supérieure du Grand Canon. Gravure de Bocher, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie 535 XLI II. — Paysage des Montagnes Rocheuses. — Les trois Tétons de l'Ut ah. Gravure de Girardct, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie. 541 XLIV. — Le mont Shasta. — Dessin de Taylor, d'après une photographie 547 XLV. — La Columbia. — Vue prise au pied du mont Mood. Dessin de Taylor, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie 559 XLVI. — Marble Caûon du Colorado. — Gravure de Bocher, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie 569 XLVII. — Source du Kanab Wash. — Dessin de Taylor, d'après une photographie de la « Geological Survey » communiquée par la Société de Géographie 577 XL VIII. — Paysage de l'Arizona. — Cactus vierges et yuccas. Dessin de Barclay d'après une photographie communiquée par M. Cotteau 597 XLIX. — Santa Fé, capitale du Nouveau-Mexique. — Vue générale. Dessin de Lancelol, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie ... 617 L. — Vieille maison d'un pueblo indien. Dessin de Lancelot, d'après une photographie. 619 LI. — Arizona. — Les « Capitaines » dans le cafton de Chelly. Gravure de Girardet, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie . . . 625 LII. — Silver, mines d'argent du Nevada. Dessin de A. Slom, d'après une photographie de M. 0. Sullivan, communiquée par la Société de Géographie 627 LDI. — San Francisco. — Vue prise dans une rue. Dessin de Taylor, d'après une pho- tographie 641 LIV. — Omaha. — Vue générale. Dessin de Taylor, d'après une photographie de M. Mac AUister * '. . . . . 661 LV. — Campement dans la vallée d'Alkali, « Black Hills ». — Dessin de A. Paris, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie . . . 673 LVI. — Indiennes Kaï-Vav-Its ou Kaibab, de la nation des Pah-lîtes. — Dessin de J. Lavée, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie. LV1I. — Habitation d'une famille nègre en Floride. D'après une photographie de M. Shalcr. 699 LVIU. — Récolte du coton dans l'État de Mississippi. Dessin de G. Vuillicr, d'après une photographie de M. Mac Allister '. 715 LIX. — Cows-boys. Gravure de A. P;tris, d'après une photographie de M. G. de la Sa- blière 721 LX. — Exploitation d'une mine par la méthode hydraulique à North Blumfield. Gravure de Bocher, d'après une photographie communiquée par la Société des Mines de Lexington 727 LXI. — Travaux de recherche pour l'exploitation des alluvions aurifères. (Mine de Forest Hill, dans la Sierra Nevada) 729 LXH. — Baie de San Francisco. — Vue prise de la ville. Dessin de Th. Weber, d'après une photographie 745 LXIH. — Parc National de Yellowstone. — Terrasses du Mammouth. Gravure de Maynard, d'après une photographie communiquée par la Société de Géographie . . . 757 LXIV. — Pont de Saint Louis. Dessin de Clerget, d'après une photographie de M. Mac Allister 765 MA TABLE DES GRAVURES. LXV. — Sait Lakc City. Dessin de Thérond, d'après une photographie (gravure extraite du Tour du Monde) 785 L.XYI. — In abattoir au Texas. Gravure de A. Paris, d'après une photographie de If. Mac Allister 795 LXYIJ. — West Point et le fleuve Hudson. Dessin de Taylor, d'après une photographie. . 81 1 TABLE DES MATIÈRES Chapitre I. — Vue d'ensemble ....:..• • i Étendue, structure, divisions naturelles 11 Chapitre II. — Habitants primitifs 51 Chapitre m. — Les Colons des États-Unis. Les Blancs et les Noirs 75 Chapitre IV. — Les Appalaches et les États du Versant Atlantique 107 I. — Les Appalaches 107 II. — Fleuves du Versant Atlantique 125 III. — Climat, flore et faune des Appalaches et du Versant Atlantique. . . 151 IV. — Les États et les Villes du Versant atlantique 160 I. — Maine 160 II. — New Hampshire 166 IU. — Vennont 171 IV. — Massachusetts 172 V. — Rhode Island 192 VI. — Connectiez 196 VII. — New York 202 VIII. — New Jersey . 226 IX. — Pennsylvanie 251 X. — Maryland 249 XI. — Delaware 255 XII. — District fédéral 254 XIII. — Virginie 260 XIV. — Caroline du Nord 271 XV. — Caroline du Sud 275 XVI. — Géorgie 277 XVII. — Floride 284 Chapitre V. — Le Versant des Grands Lacs et du Mississippi . . . . • 2Q5 I. — Relief du sol 295 H. — Anciens glaciers, lacs et fleuves -502 III. — Climat, flore et faune WÇ IV. — Les États et les Villes de la Région médiane .598 I. — Virginie Occidentale 398 II. — Ohio 400 m. — Indiana 409 IV. —minois. 412 V. — Michisan 425 846 TABLE DES MATIÈRES. VI. — Wisconsin 45i VII. — Kentucky 439 VDI. — Tennessee 442 IX. — Alabama 446 X. — Mississippi 450 XI. — Minnesota 454 XIÏ, XIII. — Les deux Dakota 461 XIV. — lowa 464 XV. — Nebraska 468 XVI. — Missouri 472 XVII. — Kansas 468 XV1U. — Arkansas 482 XIX, XX. — Tenitoirc Indien et Oklahoma 484 XXI. — Louisiane 489 XXII. — Texas 499 Chapitre VI. — Les Montagnes Rocheuses et le Versant du Pacifique. . 509 I. — Relief du sol 509 II. — Eaux courantes, lacs et bassins fermés , 555 III. — Climat, flore et faune des Montagnes Rocheuses et du Versant Océa- nique 591 TV. — États et Villes des Montacnes Rocheuses et du Versant Océanique. 604 I. — Montana 604 II. — Waho 6*6 IU. — Wyoming 607 IV. _ Colorado 508 V. — Utah 612 VI. — New Mexico 614 VII. — Arizona 621 VIII. — Nevada 625 IX. — Washington 629 X. — Oregon 653 XI. — Californie 656 Chapitre VII. — Démographie et statistique de l'Union Nord-Américaine 649 I. — Mouvement de la population 649 II. — Population indienne 678 III. — Les Afro-Américains 688 IV. — La propriété terrienne et l'agriculture , . . . . 700 V. — Mines 725 VI. — Industrie manufacturière 739 VII. — Commerce et voies de communication 745 VIII. — Instruction publique 766 IX. — Religions et communautés religieuses 773 Chapitre VIII. — Gouvernement et Administration de la République américaine. ..... 789 Index alphabétique 819 TaMe des cartes 837 f aWe des gravures 841 Table des matières 845 ERRATA Page 57, ligne 12. Au lieu de : ... à la rivière des Moine*, dans Vlowa, sur un espace d'en- viron trois millions de kilomètres carrés, lisez : ... à VAthabaska, sur un espace d'environ quatre millions de kilomètres carrés. Page 57, ligne 25; page 424, ligne 50. Au lieu de : Cakokia, lisez : Cahokia. » » ligne 28. Après : ... les Renards du Wisconsin et du Trans- Mississippi, ajoutez : les Cheyennes, les Pieds-Noirs. Page 77, titre de la carte. Au lieu de : Premières colonies françaises du littoral, lisez : Terri- toire de la première colonisation en Floride par les Français et les Espagnols, Page 59, échelle de la carte. Au lieu de 1 : H 000, lisez : 1 : 14 000 000. » 89, note 2. Au lieu de : Sommer' s, lisez : Summer's. » 174, dernière ligne de la note. Au lieu de : n'21, lisez : n° 20. » 181, gravure, titre. Au lieu de : Vue générale, prise de Common, lisez : prise du Common. » 815. Diagramme. Au Heu de : Production du sucre, Usez : Production de sucre de canne. » » Même diagramme. En 1890, les États-Unis occupaient le premier rang, et non le deuxième, pour les Lettres et Télégrammes. 11 importe de corriger un paragraphe du volume XV, page 4, ligne 11, dans lequel, à propos de l'appellation du Nouveau Monde : Amérique, le nom de M. Hurlbut figure par erreur à côté des noms Bvrae, de Bris, Lambert. 21 951- — Imprimerie Lahuiu.. rue de Fleurus, 9, 4 Paris. //' A 0* rs r>470 t* F.r.cyclo^fdl» of fleogre^hy Kuri-ey tî.rt.T d^ KAN 1537 Jan. 14*36 funn 30Sb [vil! 5-35 SOin] S- Bii^^ A. l.jV «K7 4 A MM